mardi 8 juin 2010

Le "N" dans ONG - et autres paradoxes de la coopération internationale

Je poursuis mes observations sur la coopération internationale. J'en ai fait à petite échelle, et j'ai été observateur occasionnel, mais je n'ai jamais fait de projet majeur (on parle de long terme, genre un an ou deux à l'étranger sur un mandat spécifique), ce qui viendra éventuellement. D'ici là, je m'informe sérieusement sur ce qui se fait dans ce milieu, ici comme ailleurs.
En coopération internationale - comme dans bien d'autres domaines impliquant la société civile, comme la défense de l'environnement - on parle beaucoup d'ONG, ces fameuses Organisations Non Gouvernementales.
Les principaux critères définissant une ONG sont :
1- L'origine privée de sa constitution
2- Le but non lucratif de son action
3- L'indépendance financière
4- L'indépendance politique
5- La notion d'intérêt public
Or, ces ONG, dans quelle mesure sont-elles réellement Non gouvernementales?
Dans le cas de la coopération internationale effectuée à partir du Canada... très peu en fait.
J'en prends pour preuve les points 3 et 4 ci-dessus. Il n'y a qu'à jeter un oeil sur les rapports annuels des organismes oeuvrant dans le domaine au pays et supervisant l'envoi de centaines de coopérants pour se rendre compte que leur financement - et parfois même leur existence - est très largement dépendant des fonds de l'Agence Canadienne de Développement International (ACDI), agence qui relève entièrement du gouvernement du Canada (via la Ministre de la coopération internationale).
C'est bien simple, la plupart des organismes qui envoient des coopérants volontaires à l'étranger tirent en moyenne 49% de leurs revenus de subventions de l'ACDI (1). Et si on épure des revenus les contributions en nature des bénévoles, ce pourcentage dépasse souvent les 65% (1). Leur indépendance financière est donc illusoire.
Comme l'ACDI opère par une politique de Gestion axée sur les résultats, les ONG financées par l'ACDI doivent plaire à l'agence pour se voir demeurer dans ses bonnes grâces (2). Ceci ne veut pas dire que l'ACDI ne fait rien de bon, ou que les ONG ne font pas de bons programmes, au contraire, mais le cadre financier dans lequel ces organisations évoluent ne leur permet pas réellement d'être des organismes non gouvernementaux au sens principal décisionnel et financier du terme.
Enfin, sans entrer dans le panier de crabe que constitue l'orientation actuelle de l'ACDI sous le gouvernement Harper (3), il suffit de souligner que l'orientation de l'ACDI dépend des influences et orientations politiques du gouvernement, et que cette orientation est directement imposée aux ONG qui reçoivent des fonds de l'ACDI s'ils veulent éviter de voir leur financement fondre rapidement. Leur indépendance politique est donc illusoire également. (Bien que dans ce cas-ci, certains dirigeants d'ONG peuvent donner le change pendant un temps, jouer le jeu de l'ACDI en attendant que des élections amènent un renouveau politique qui correspond plus à leurs valeurs).
Ainsi, le N, dans ONG, semble moins fort qu'on pourrait le croire. Dans certains cas, on peut même parler de simples succursales de l'ACDI. Il ne faut donc pas ignorer ce point de vue quand on analyse les actions d'une ONG oeuvrant en coopération internationale.
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L'univers de la coopération est aussi plein d'autres paradoxes. Comme on parle de fonds qui se chiffrent en millions de dollars, la coopération internationale est devenue une business, ce qui engendre parfois des décisions qui semblent totalement irrationnelles d'un point de vue de coopération internationale (comme certaines décisions administratives prises essentiellement pour assurer la continuité d'un organisme, au détriment des pays en développement, mais qui prévoie être plus utile ainsi à long terme).
Et comme on parle de fonds publics, et que le public du Canada a été échaudé à plusieurs reprises dans les dernières années, on parle de reddition de compte, donc d'un appareil bureaucratique imposant et très coûteux. On peut se demander pourquoi l'argent n'est pas plus largement distribué au lieu de servir à créer des emplois et des structures administratives au pays, mais c'est le prix à payer si on veut un système de reddition de compte et de suivi des fonds et des projets.
Parmi les autres paradoxes observés - à l'échelle micro cette fois-ci - il apparaît étrange que l'on demande à certains volontaires (souvent un peu idéalistes, écologistes, ou simplement sensibilisés aux problèmes actuels du monde) d'aller à l'encontre de leurs principes afin de réaliser leur projet de coopération. Je prends pour exemple les stagiaires Québec Sans Frontière du groupe que je suis au Burkina Faso actuellement, et qui se sont fait avertir d'apporter des vêtements formels (et neufs si possible), pour mettre lorsqu'ils seraient au travail, car les gens du Burkina ont une culture très formelle en ce qui concerne l'habillement au travail. Dans certains cas, nous parlons d'étudiants (dont deux en Développement International) qui adoptent un mode de vie plus proche de la simplicité volontaire que du capitalisme galopant. Or cet argent, dépensé dans des boutiques au pays - et, pourquoi pas, sur des vêtements fabriqués dans des pays en voie de développement - n'aurait-il pas été mieux utilisé s'il avait été dépensé (ou carrément donné, tiens), au Burkina même? La culture d'accueil se permet ce paradoxe dans une certaine ignorance ou naïveté, mais les ONG qui parrainent le projet ne devraient-elle pas être là pour expliquer et modifier ces manière de penser à l'opposé de l'idée même de coopération internationale?
Enfin, je m'arrête ici, puisque les paradoxes dans ce milieu sont légion. Je ne veux pas faire de ce billet une liste négativiste de l'univers de la coopération, loin de là, puisque globalement, ce qui est fait est utile et positif. (Bien que largement insuffisant, mais c'est une autre histoire, puisqu'elle dépend justement des orientations et budgets des grandes agences comme l'ACDI, malheureusement contrôlée par les gouvernements aux vues à court terme).
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(1) Moyenne tirée de l'analyse des états financiers annuels de 2008/2009 du Centre d'Étude et de Coopération Internationale (plus de 400 coopérants), de Solidarité Union COopération (50 coopérants), de CUSO-VSO (150 coopérants), de Carrefour Canadien International (60 coopérants), de Managers sans frontières (20 coopérants) et de l'AQOCI.

(2) Voir à ce sujet "GAR en lien avec l'approche GED", un "Guide destiné aux organismes membres de l'AQOCI" (Association Québécoise des Organismes de Coopération Internationale), qui explique avec détails, exemples et exercices, le système de GAR appliqué par l'ACDI - Guide rendu possible grâce à l'appui financier de l'ACDI.

(3) De la position non officielle sur l'avortement au tiers-monde, à la présence humanitaire armée que l'on a en Afghanistan, choisissez votre crabe!
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