«Je suis persuadé que beaucoup d'enfants ignorent d'où viennent les oeufs»
- François Croteau, maire de l'arrondissement
Rosemont-La Petite-Patrie
(propos rapportés par La Presse, le 28 juin 2011)
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Incroyable, comme commentaire, non? Cette déclaration du maire de mon arrondissement a été faite lors de l'annonce du
projet pilote de retour des poules à Montréal l'été dernier. On s'est beaucoup moqué des poules urbaines à Montréal, mais l'idée est déjà exploitée ailleurs en Amérique, et avait déjà
commencé à faire parler d'elle en 2009.
L'affaire allait également me rappeler les poules de ma jeunesse et nos choix sociaux et environnementaux.
Dans
le billet précédent, j'ai commencé cette réflexion sur les choix de chacun en parlant recyclage, dont le Québec est loin d'être un champion. J'ai mentionné le bon exemple de Vancouver, mais le ROC n'est pas nécessairement mieux que le Québec; et du côté américain, malgré leur horrible bilan environnemental, il y a comme ailleurs des idées intéressantes pour qui cherche à améliorer les choses.
Consciences sociales - et le reste de l'Amérique du Nord
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Un Canada définitivement plus bleu que "vert". |
Le Québec a beau être en retard sur les autres provinces en terme de recyclage domestique, le ROC n'en demeure pas moins coupable d'incohérence encore plus importante. Le résultat des dernières élections fédérales confirme que les canadiens en général ne sont pas
réellement préoccupés par l'environnement - contrairement à ce qu'ils répondent lors de sondages qui affirment qu'ils le sont - puisqu'ils ont, pratiquement à eux seuls, élus un gouvernement majoritaire conservateur, un gouvernement particulièrement nocif à l'environnement et à l'évolution des consciences sociales. Ceci peut sembler paradoxal et avait déjà été
souligné, dès 2008 par l'avocat spécialisé en environnement Jean Bari. Et les éléments qu'il mentionne sont malheureusement encore plus pertinents depuis l'atteinte d'une majorité conservatrice.
Les contradictions sont également nombreuses chez nos voisins du sud. Le pays de la surconsommation et du gaspillage est lui aussi ardent défenseur des pollueurs et saboteurs des rencontres internationales sur les changements climatiques et les politiques environnementales. Autrement dit, même si la majorité des américains se comportent électoralement de manière aussi irresponsable que les canadiens du ROC, une minorité de citoyen et quelques municipalités font bien mieux. C'est le cas de ce newyorkais qui a décidé de réduire à zéro son emprunte écologique.
No impact man a relaté son expérience sur un blogue, en a fait un livre, duquel a été tiré
un film (livre et film n'ont pas été sans impact, évidemment). Sans aller dans ces extrêmes individuels (mais qui donnent par contre un exemple des gestes possibles), des villes comme San-Francisco nous montrent
comment les choses peuvent être réalisées si
on pense autrement et si on a une réelle volonté politique (voir aussi l'exemple des
sacs de plastiques bannis de Los Angeles). Nous sommes très loin de ça ici.
Cohérence personnelle et industrialisation de la chaire animale
Après le recyclage (qui me semble intégré à ma vie depuis au moins deux décennies), on peut commercer
équitable ou non, manger
biologique ou non. À chacun ses choix, une fois de plus. Dans le cas du bio, on considère souvent que c'est un choix strictement personnel, mais éventuellement, il devient également un choix social puisqu'il s'appui sur des techniques de production plus respectueuses de l'environnement et de la santé humaine (par l'interdiction de pesticides, fertilisants et semences génétiquement modifiées, par exemple).
Il convient donc de regarder en avant si on veut avoir une idée de comment s'améliorer, ou à tout le moins comment réduire notre impact environnemental en général. Quelques guides existent déjà, comme
celui de Greenpeace au Québec ou le guide Ulysse
Beau/Belle et Écolo pour Montréal.
Les évidences sont relativement faciles à mettre en usage, ce qui est souvent également le cas des conseils comme l'achat local ou auprès de petites entreprises (ce qui revient souvent au même). Parfois, ça rend les choix difficiles (produit équitable vendu par grand producteur ou produit non certifié équitable vendu par PME locale?), mais le plus souvent, c'est une affaire qui vaut les trois secondes supplémentaires passées devant l'étagère à l'épicerie ou au marché. Même chose pour l'achat local (ou
l'élevage local, bien que le retour des poules urbaines à Montréal ait été l'objet de moqueries).
Mais la plupart de ces guides ne vont pas plus loin que les conseils pratiques pour réduire son empreinte et n'abordent pas des sujets plus difficiles (et souvent plus personnels) comme celui de la consommation de la viande ou des conditions d'élevage ou de production de certains aliments. Or il a déjà un moment que je tente d'opter pour le commerce équitable quand la certification existe puisque mes voyages dans les pays du tiers-monde m'ont fait voir l'importance de ce genre de choix sur les autres habitants de la planète. Il serait bien incohérent d'écrire des reportages dénonçant parfois les conditions dans ces pays d'une part, et d'acheter des produits qui exploitent ces populations d'autre part. Il est toutefois plus ardu de faire les bons choix en l'absence de certification disponible. La même observation s'applique à mon suivi de dossiers de coopération internationale.
L'étape suivante relève donc de mes choix alimentaires. Je n'ai jamais été contre la consommation de viande en général, même si personnellement, j'en consomme très peu (et très rarement). En adoptant ma consommation personnelle, la planète pourrait revenir complètement à l'élevage traditionnel au sens où mon grand-père le faisait sur sa ferme, et comme plusieurs personnes imaginent encore que les choses se produisent. Malheureusement, avec la consommation de masse, l'urbanisation, mais surtout la productivité et la rentabilité exigée de tous, les petits producteurs ont depuis longtemps disparu de nos campagnes pour laisser place à l'industrialisation de la production. Dans le cas de la chaire animale, aujourd'hui, la très grande majorité de la viande consommée dans le monde est produite par des multinationales gigantesque dont le bien-être des animaux est certainement le dernier des soucis. On parle d'une chaîne de production de gavage à l'abattage où l'entre deux (la vie des animaux) se déroule le plus souvent dans un espace à peine assez grand pour remuer et le plus souvent sans jamais voir l'extérieur de "l'usine". La réalisation de ces changements fut assez forte pour me faire changer mes habitudes drastiquement par le passé, ce qui explique qu'aujourd'hui, je ne consomme à peu près pas de viande ni volailles.
Vos poules courent-elles en toute liberté?
Pour le reste, je suis encore très loin du végétalisme, puisque je consomme toujours des produits animaux, comme le lait, les oeufs, le yogourt, le fromage, etc.
Le Devoir de Philo du 17 décembre dernier m'a fait apprendre la différence entre les
welfaristes et les abolitionnistes, et ma foi, j'ai réalisé que j'étais, au fond, un
welfariste qui s'ignorait - puisque pour moi, c’est le refus de toute souffrance inutile qui prime.(Par opposition, les abolitionnistes militent pour des droits des animaux équivalents aux droits humains, une belle lutte, mais je préfère encore militer pour le respect des droits humains partout sur la planète avant de m'attaquer à ce problème).
Depuis cette réalisation, mes oeufs proviennent de poules en liberté (relative). Ainsi, à chaque achat d'oeufs, je me souviens de mon enfance, quand mon grand-père élevaient des poulets libres dans son grand poulailler, et qu'il avait aussi des pondeuses (également libres dans la grange, où elles pondaient dans des nids qu'elles avaient fait à travers les balles de foin). Je me souviens également avoir mangé des oeufs de canes, que mon grand-père ramassait dans les mêmes conditions - les canes et canards se baladant sur la terre en toute liberté. Un oncle du côté de ma mère a longtemps eu une ferme laitière, et je me souviens qu'à cette époque, nous avions encore du lait en bouteille de verre (des pintes), que nous réutilisions, en provenance de chez lui.
Cette manière d'élever des animaux, même dans le but de se nourrir de viande et de divers produits dérivés - ce que je ne condamne pas -, n'existe malheureusement plus aujourd'hui. la plupart des grands consommateurs de viande (la plupart des consommateurs de l'Amérique du nord) vous diront toujours qu'il faut bien se nourrir, que l'homme à toujours mangé de la viande, et que leurs père ou leur grand-père élevait même le bétail sur la ferme familiale. Sauf qu'ils semblent ignorer (volontairement ou non) que ce qui était encore vrai dans les années 70 n'est plus vrai depuis quelques décennies déjà.
À ce sujet, les conclusions de plusieurs observateurs de l'industrie transnationale qu'est devenu la "ferme d'élevage" ne sont d'ailleurs pas très réjouissantes:
"Au cours des dernières années, l'industrie de l'élevage a été affectée par une énorme vague de concentration, et le clonage, le transfert de gènes et autres technologies émergentes, en particulier l'évolution des droits de propriétés, vont probablement encore accélérer cette concentration. Ces développements ne vont pas dans l'intérêt du public et ne feront qu'exacerber les problèmes associés aux races à haute performance, à la production industrielle et aux vastes sommes d'argent public dépensées pour combattre les maladies animales, et aggraver la pollution de l'environnement, les maladies humaines liées au régime alimentaire et la question du bien-être animal."
- Susanne Gura, "
Le monde de l'élevage aux mains des multinationales", janvier 2008.
Pour ma part, il m'apparaît évident que toutes ces dérives sont apparues à partir du moment où des entreprises cotées en bourse ont pris le contrôle de la production, à partir du moment où le petit producteur a été tassé au profit du gros joueur "plus efficace en plus rentable".
Un retour aux sources
Elle est peut-être loin l'époque de mon enfance, mais certains de mes choix d'aujourd'hui m'en rapprochent parfois. Je ne dis pas ça par simple nostalgie du bon vieux temps, comme j'ai tenté de l'expliquer ci-haut.
Parce qu'au fond, à l'époque des poules de mon grand-père, nous étions
welfaristes. Sans le savoir, bien entendu, mais dans ce temps-là, même s'il s'agissait de leur gagne-pain, les éleveurs qu'étaient mes oncles et mon grand-père ne visaient pas à faire fortune, en tout cas pas au sens des producteurs cotés en bourse, qui opèrent de
véritables usines à viande d'aujourd'hui. Qui sait si le retour des poules urbaines ne marque pas un premier pas vers un retour à des sources plus respectueuses des autres êtres vivants avec qui nous partageons cette planète, et du même élan, plus respectueuses pour l'environnement et pour la santé humaine?
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