Dans un billet antérieur sur le sujet, j'ai fait état de la relation du Québec avec la situation mondiale.
Je terminais mon tour d'horizon en concluant que bien que protégé jusqu'à maintenant, le Québec était de plus en plus conscient qu'une période difficile est à nos portes. Pourtant, le québécois lambda est-il intéressé à cette crise? Voit-on émerger dans le Québec d'aujourd'hui des solutions à ces problèmes, et des leaders porteurs de ces solutions?
Le Québec est-il désintéressé?
Un simple regard au palmarès des ventes de livres montre que le Québec n'est pas aussi désintéressé par ce qui se passe actuellement dans le monde que l'on pourrait le croire;
Le palmarès du 31 octobre au 6 novembre dernier avait attiré mon attention, alors que je me préparais à une visite au Salon du livre de Montréal. On y retrouvait dans le top 10 d'essais québécois:
- De colère et d'espoir (par Françoise David, de Québec Solidaire) (#1)
- De quoi le Québec a-t-il besoin? (Collectif dirigé par Marie-France Bazzo, Jean barbe et Vincent Marisal) (#3)
- On veut votre bien et on l'aura (#5)
- Université inc: Des mythes sur la hausse des frais de scolarité (#7)
Aussi, on retrouvait 2 titres sur les 3 premiers essais étrangers traitant du phénomène:
- Indignez-vous (#1)
- Pour sauver la planète, sortez du capitalisme (#3)
Il y a donc intérêt du Québec, mais pour le moment, il ne se manifeste pas (encore) par des protestations de masse. C'est compréhensible, comme on l'a vu dans mon billet antérieur, puisque nous avons pour le moment mieux fait face à la crise que plusieurs autres pays.
Pour ceux qui pourraient croire qu'il s'agissait d'un engouement temporaire, soulignons que dans le palmarès du samedi 21 janvier 2012; on retrouve toujours les livres de Françoise David et le collectif Bazzo-Marisal-Barbe dans le top 10, en plus d'y retrouver le recueil de chroniques politiques de Gil Courtemanche, Le camp des justes. Et Indignez-vous est classé #2 dans le top 10 des essais étrangers.
Y a-t-il des réactions québécoises?
À part le mouvement Occupons Montréal (et les quelques autres villes du Québec où il s'est un peu développé) et les quelques marches dénonçant les inégalités entre riches et pauvres, le Québec réagit-il à la crise? Et le Québec actuel est-il porteur de solutions à cette crise?
"Nous ne doutons pas que le Québec ait les ressources pour combler son retard économique sur le reste du continent, assainir ses finances publiques, gérer convenablement son ralentissement démographique et affronter avec succès le défi asiatique. Nous sommes également convaincus qu’il n’est pas du tout nécessaire de jeter notre modèle de société à la poubelle pour faire face à ces défis. Seulement, le monde a changé et il nous faut nous adapter aux nouvelles réalités".
Les Lucides proposent plusieurs éléments pour faire face "aux défis" qui attendent le Québec; comme de s'attaquer à la dette publique, investir massivement dans l'éducation, dégeler les frais de scolarité, favoriser la maîtrise de plusieurs langues, hausser les tarifs d'électricité, réformer la taxation et implanter un régime de revenu minimum garanti. On peut reprocher bien des choses au manifeste, mais il faut lui reconnaître le mérite de ne pas hésiter à lancer des idées, quitte à s'attaquer au "modèle québécois".
Évidemment, la plus grande faiblesse du manifeste des Lucides est de prendre le problème sous un seul angle: l'économie, et de suggérer des solutions essentiellement néolibérales; comme l'idée que la seule manière de s'attaquer à la dette (et au déficit, donc) est de réduire les dépenses gouvernementales (j'ai déjà expliqué ici que l'autre avenue, augmenter ses revenus, n'est jamais envisagé par la droite). Comme l'accent est mis sur la volonté que les québécois travaillent plus afin d'être plus productif et de créer plus de richesse, la réforme de la taxation passe donc par des baisses d'impôts plutôt que par une réforme qui touche la redistribution de cette richesse. Les Lucides semblent malheureusement prôner une lucidité... sélective.
Certaines solutions comme la privatisation apparaissent au mieux populistes, au pire opportunistes, car il est démontré partout dans le monde que le privé n'est pas nécessairement plus efficace que le public (à part pour les nantis qui en tirent des profits). Nous l'avons vu au Québec dans le cas des contrats de construction au Ministère des transports, mais c'est aussi vrai en santé, où l'essai Médecine Publique, médecine privée, en arrive à conclure que "d'un point de vue sociétaire, le système de santé public contribue plus à richesse collective du pays qu'à l'enrichissement ponctuel d'individus ou de groupes particuliers oeuvrant dans le domaine privé".
Pour souligner l'importance de ces idées "lucides" dans le monde politique et le monde des affaires (qui sont toujours intimement liés, et plus liés que jamais depuis 1984), on notera qu'une bonne partie des propositions de la Coalition Avenir Québec fondée par François Legault en 2011 reprend le discours des Lucides. On ne s'étonne pas que Legault, homme d'affaires à succès et comptable de formation, ait adopté le point de vue néolibéral sur la plupart de ces questions, malgré sa timidité à les assumer en tant que positions de droite. Mais je reviendrai sur les propositions de la CAQ un peu plus loin.
En réponse directe au manifeste des Lucides, on retrouve le Manifeste Pour un Québec Solidaire, signé par 35 personnalités publiques issues de milieux variés (politique, universitaire, artistique, presse, syndicaliste, écologiste) et publié en novembre 2005.
"L’avenir de nos enfants nous inquiète aussi. Nous ne voulons surtout pas leur laisser une planète exsangue, des forêts détruites, des inégalités sociales et économiques accrues, des guerres pour s’arracher l’eau encore disponible. Nous voulons leur transmettre autre chose que le sentiment qu’il faut plier devant ce que dicte le marché. Nous croyons nous aussi faire preuve de lucidité. (...) L’enjeu ne se situe pas pour nous entre le statu quo et le changement. Il porte plutôt sur la nature du changement."
Le manifeste remet d'abord en cause (et en perspective) les affirmations des Lucides sur l'importance de la dette publique et le régime de taxation, en mentionnant par exemple l'importance du filet social existant au Québec et soulignant l'ampleur de l'évasion fiscale privée (paradis fiscaux). Pour un Québec Solidaire lève donc le voile sur la capacité de l'état à augmenter ses recettes, s'il y avait volonté politique. Le manifeste critique ensuite les solutions élaborées par les Lucides, en citant des exemples d'un peu partout dans le monde où ces solutions ont été appliquées (notamment une privatisation accrue des services publics et la hausse des tarifs d'électricité). Le document se termine sur une série de solutions qui s'attaquent à la distribution de la richesse, plutôt qu'à la création de celle-ci.
Entre les deux points de vue, le québécois lambda est-il plus Lucide ou Solidaire? La question a été posée, dans le cadre d'un sondage, dont les résultats ont été publiés dans un article du Devoir en janvier 2007.
Outre ses conclusions sur la position clairement "solidaire" des québécois, l'article mentionne également que: "cette étude tend en outre à démontrer que le Québec est la province canadienne où la plus forte proportion de la population (49 %) considère que la société se porterait mieux si les gouvernements jouaient un rôle plus important. Sans le Québec, la moyenne au pays se situe à 28 %."
L'importance des politiques socialistes
Comme l'histoire du Québec nous montre que le Québec s'est bâti et a atteint des sommets en appliquant des politiques socialistes, et que l'histoire récente nous montre que ces politiques sont justement parmi celles qui nous ont le plus protégés du plus gros de la crise, l'évidence est de conclure qu'il s'agit de poursuivre, voire même d'accentuer certaines de ces politiques, afin de mieux encore affronter ce qui s'en vient.
Dans la suite de cette série de billet sur le Québec et la crise, j'aborderai les pistes de solutions qui sont ou ont été proposées dans un passé récent et tenterai de voir si ces solutions semblent aller dans cette direction ou non, et si elles ont des chances d'être appliquées par les leaders qui les portent.
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Je terminais mon tour d'horizon en concluant que bien que protégé jusqu'à maintenant, le Québec était de plus en plus conscient qu'une période difficile est à nos portes. Pourtant, le québécois lambda est-il intéressé à cette crise? Voit-on émerger dans le Québec d'aujourd'hui des solutions à ces problèmes, et des leaders porteurs de ces solutions?
Le Québec est-il désintéressé?
Un simple regard au palmarès des ventes de livres montre que le Québec n'est pas aussi désintéressé par ce qui se passe actuellement dans le monde que l'on pourrait le croire;
Le palmarès du 31 octobre au 6 novembre dernier avait attiré mon attention, alors que je me préparais à une visite au Salon du livre de Montréal. On y retrouvait dans le top 10 d'essais québécois:
- De colère et d'espoir (par Françoise David, de Québec Solidaire) (#1)
- De quoi le Québec a-t-il besoin? (Collectif dirigé par Marie-France Bazzo, Jean barbe et Vincent Marisal) (#3)
- On veut votre bien et on l'aura (#5)
- Université inc: Des mythes sur la hausse des frais de scolarité (#7)
Aussi, on retrouvait 2 titres sur les 3 premiers essais étrangers traitant du phénomène:
- Indignez-vous (#1)
- Pour sauver la planète, sortez du capitalisme (#3)
Il y a donc intérêt du Québec, mais pour le moment, il ne se manifeste pas (encore) par des protestations de masse. C'est compréhensible, comme on l'a vu dans mon billet antérieur, puisque nous avons pour le moment mieux fait face à la crise que plusieurs autres pays.
Pour ceux qui pourraient croire qu'il s'agissait d'un engouement temporaire, soulignons que dans le palmarès du samedi 21 janvier 2012; on retrouve toujours les livres de Françoise David et le collectif Bazzo-Marisal-Barbe dans le top 10, en plus d'y retrouver le recueil de chroniques politiques de Gil Courtemanche, Le camp des justes. Et Indignez-vous est classé #2 dans le top 10 des essais étrangers.
Y a-t-il des réactions québécoises?
À part le mouvement Occupons Montréal (et les quelques autres villes du Québec où il s'est un peu développé) et les quelques marches dénonçant les inégalités entre riches et pauvres, le Québec réagit-il à la crise? Et le Québec actuel est-il porteur de solutions à cette crise?
La crise est de nature profonde et remet en cause le système qui nous mène et a gagné en popularité et en appui depuis le milieu des années 80. Même si peu d'entre elles s'attaquent réellement à la source (le système financier et économique actuel), les solutions québécoises proposées sont plus nombreuses qu'on pourrait le croire.
Le premier son de cloche très officiel est peut-être venu du Manifeste Pour un Québec Lucide, publié en octobre 2005 par une douzaine de personnalités québécoises issus de divers milieux d'affaires, et dont le porte-étendard était Lucien Bouchard."Nous ne doutons pas que le Québec ait les ressources pour combler son retard économique sur le reste du continent, assainir ses finances publiques, gérer convenablement son ralentissement démographique et affronter avec succès le défi asiatique. Nous sommes également convaincus qu’il n’est pas du tout nécessaire de jeter notre modèle de société à la poubelle pour faire face à ces défis. Seulement, le monde a changé et il nous faut nous adapter aux nouvelles réalités".
Les Lucides proposent plusieurs éléments pour faire face "aux défis" qui attendent le Québec; comme de s'attaquer à la dette publique, investir massivement dans l'éducation, dégeler les frais de scolarité, favoriser la maîtrise de plusieurs langues, hausser les tarifs d'électricité, réformer la taxation et implanter un régime de revenu minimum garanti. On peut reprocher bien des choses au manifeste, mais il faut lui reconnaître le mérite de ne pas hésiter à lancer des idées, quitte à s'attaquer au "modèle québécois".
Évidemment, la plus grande faiblesse du manifeste des Lucides est de prendre le problème sous un seul angle: l'économie, et de suggérer des solutions essentiellement néolibérales; comme l'idée que la seule manière de s'attaquer à la dette (et au déficit, donc) est de réduire les dépenses gouvernementales (j'ai déjà expliqué ici que l'autre avenue, augmenter ses revenus, n'est jamais envisagé par la droite). Comme l'accent est mis sur la volonté que les québécois travaillent plus afin d'être plus productif et de créer plus de richesse, la réforme de la taxation passe donc par des baisses d'impôts plutôt que par une réforme qui touche la redistribution de cette richesse. Les Lucides semblent malheureusement prôner une lucidité... sélective.
Certaines solutions comme la privatisation apparaissent au mieux populistes, au pire opportunistes, car il est démontré partout dans le monde que le privé n'est pas nécessairement plus efficace que le public (à part pour les nantis qui en tirent des profits). Nous l'avons vu au Québec dans le cas des contrats de construction au Ministère des transports, mais c'est aussi vrai en santé, où l'essai Médecine Publique, médecine privée, en arrive à conclure que "d'un point de vue sociétaire, le système de santé public contribue plus à richesse collective du pays qu'à l'enrichissement ponctuel d'individus ou de groupes particuliers oeuvrant dans le domaine privé".
Pour souligner l'importance de ces idées "lucides" dans le monde politique et le monde des affaires (qui sont toujours intimement liés, et plus liés que jamais depuis 1984), on notera qu'une bonne partie des propositions de la Coalition Avenir Québec fondée par François Legault en 2011 reprend le discours des Lucides. On ne s'étonne pas que Legault, homme d'affaires à succès et comptable de formation, ait adopté le point de vue néolibéral sur la plupart de ces questions, malgré sa timidité à les assumer en tant que positions de droite. Mais je reviendrai sur les propositions de la CAQ un peu plus loin.
En réponse directe au manifeste des Lucides, on retrouve le Manifeste Pour un Québec Solidaire, signé par 35 personnalités publiques issues de milieux variés (politique, universitaire, artistique, presse, syndicaliste, écologiste) et publié en novembre 2005.
"L’avenir de nos enfants nous inquiète aussi. Nous ne voulons surtout pas leur laisser une planète exsangue, des forêts détruites, des inégalités sociales et économiques accrues, des guerres pour s’arracher l’eau encore disponible. Nous voulons leur transmettre autre chose que le sentiment qu’il faut plier devant ce que dicte le marché. Nous croyons nous aussi faire preuve de lucidité. (...) L’enjeu ne se situe pas pour nous entre le statu quo et le changement. Il porte plutôt sur la nature du changement."
Le manifeste remet d'abord en cause (et en perspective) les affirmations des Lucides sur l'importance de la dette publique et le régime de taxation, en mentionnant par exemple l'importance du filet social existant au Québec et soulignant l'ampleur de l'évasion fiscale privée (paradis fiscaux). Pour un Québec Solidaire lève donc le voile sur la capacité de l'état à augmenter ses recettes, s'il y avait volonté politique. Le manifeste critique ensuite les solutions élaborées par les Lucides, en citant des exemples d'un peu partout dans le monde où ces solutions ont été appliquées (notamment une privatisation accrue des services publics et la hausse des tarifs d'électricité). Le document se termine sur une série de solutions qui s'attaquent à la distribution de la richesse, plutôt qu'à la création de celle-ci.
Entre les deux points de vue, le québécois lambda est-il plus Lucide ou Solidaire? La question a été posée, dans le cadre d'un sondage, dont les résultats ont été publiés dans un article du Devoir en janvier 2007.
Outre ses conclusions sur la position clairement "solidaire" des québécois, l'article mentionne également que: "cette étude tend en outre à démontrer que le Québec est la province canadienne où la plus forte proportion de la population (49 %) considère que la société se porterait mieux si les gouvernements jouaient un rôle plus important. Sans le Québec, la moyenne au pays se situe à 28 %."
L'importance des politiques socialistes
Comme l'histoire du Québec nous montre que le Québec s'est bâti et a atteint des sommets en appliquant des politiques socialistes, et que l'histoire récente nous montre que ces politiques sont justement parmi celles qui nous ont le plus protégés du plus gros de la crise, l'évidence est de conclure qu'il s'agit de poursuivre, voire même d'accentuer certaines de ces politiques, afin de mieux encore affronter ce qui s'en vient.
Dans la suite de cette série de billet sur le Québec et la crise, j'aborderai les pistes de solutions qui sont ou ont été proposées dans un passé récent et tenterai de voir si ces solutions semblent aller dans cette direction ou non, et si elles ont des chances d'être appliquées par les leaders qui les portent.
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