Je n'ai pas pour habitude de publier des billets sur l'actualité, encore moins sur la situation politique internationale, mais en tant que citoyen d'un pays qui participe à ce qui ressemble de plus en plus à une guerre, je suis en droit de me questionner ouvertement.
Suis-je le seul à avoir mal interprété la résolution 1973 du conseil de sécurité de l'ONU telle que présentée sommairement dans les médias la semaine dernière?
J'avais cru comprendre que des discussions étaient engagées pour imposer une zone d'exclusion aérienne en Libye afin d'éviter que l'armée à la solde du régime Khadafi ne bombarde lourdement les positions des manifestants et insurgés et ne continue ainsi à massacrer sa propre population pour conserver le pouvoir. J'avais mal compris la résolution, qui prévoyait en fait les frappes aériennes. Je n'avais pas compris que "autorisant «toutes les mesures nécessaires», pour protéger la population civile" signifiait commencer les bombardements et les tirs de missiles dès la première journée.
Alors que j'étais tout à fait pour l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne, j'avoue que les très rapides frappes aériennes de la coalition internationale me mettent mal à l'aise. Pour le moment du moins, ça prend déjà des airs d'intervention occidentale contre un pays arabe, où évidemment, on trouve du pétrole. Plusieurs critiques ont remarqué cette semaine que la coalition internationale intervient rarement (même jamais) dans les pays où leurs intérêts (souvent pétroliers) sont absents. (Au sujet des motivations politiques de cette intervention internationale, je vous invite à lire un texte paru dans Le Devoir aujourd'hui).
En Libye, on a beau nous dire que les frappes sont ciblées et qu'il n'y a pas de victimes civiles, j'ai du mal à croire à cette technologie miracle évoquée lors de la guerre du Golfe et des invasions en Afghanistan et en Irak. Il me semble aussi que l'intervention musclée de la semaine qui vient de passer comporte un risque inhérent de s'enfoncer dans un conflit qui sera plus long que ce qui était prévu à l'origine lors des discussions sur la zone d'exclusion.
Ce soir, on nous annonçait que l'OTAN allait prendre le commandement de la zone d'exclusion. Cette implication de l'OTAN là où on imagine mal ce qu'elle vient faire, me laisse également songeur. Certes, depuis l'élargissement de son énoncé de mission, l'OTAN peut intervenir n'importe où sur la planète et a souvent incarné le bras armé d'une partie de l'ONU, les États-Unis en tête. Et paradoxalement, c'est justement parce que les américains ne voudraient pas être ne charge de la mission internationale en Libye que l'OTAN a été envisagée comme solution. Or ce n'est un secret pour personne que l'OTAN est essentiellement militarisée par les États-Unis, même si les 28 membres qui la composent ont une voix égale au chapitre des décisions. Et on a beau spécifier que l'OTAN ne prend pas la mission en charge, elle aura le pied dans la porte, en quelques sortes (*). Les expériences du Kosovo en 1999 et de l'Irak en 2003 devraient pourtant permettre de comprendre le risque que comporte une telle attaque de nécessiter plus tard un déploiement au sol.
J'avais l'impression que la communauté internationale dormait au gaz avant d'imposer une zone d'exclusion aérienne. J'ai désormais l'impression qu'une fois la décision prise, on s'est mis à bombarder sur le champ sans trop de subtilité.
Je suis tombé sur un article de Rory Stewart, dont j'avais lu et apprécié le livre relatant sa traversée à pied de l'Afghanistan juste après l'invasion américaine, l'été dernier. Rory est maintenant député au parlement britannique et signe souvent des articles politiques comme celui-ci, où il résume justement la difficulté d'établir des stratégies subtiles dans des cas comme la Libye. Il semble que tout le monde voit la question en noir et blanc...
"Do it or don’t do it, but no halfway houses. And therein lies the danger. On the World Service this afternoon, I was accused of falling between two stools. ‘On the one hand, you say the no-fly zone is humanitarian and not about regime change. On the other hand, you say that we are taking measures against the Gaddafi regime to force him to step down.’ And when I tried to make a distinction between military measures with a humanitarian purpose and civilian measures with a political purpose, the interviewer countered: ‘Surely this is the worst of all worlds.’ On the contrary, it seems to me the lesser evil. The no-fly zone is preferable to seeming to countenance and endorse Gaddafi’s actions; and better than putting troops on the ground to force regime change. But such measures are difficult to explain and sell". (Rory Stewart, "Here we go again", London review of books, vol.33.no.7, mars 2011).
Évidemment, on ne peut que souhaiter que le régime Khadafi tombe rapidement. Le message de la coalition internationale ne mentionne pas cette option comme l'objectif principal de la mission, mais à partir des frappes aériennes, la rapidité de la chute de Khadafi devient le résultat par lequel on mesurera l'impact et la pertinence de cette intervention. Le site internet du journal Ouest-France rapporte les propos de Nicolas Sarkozy: "«Ce n’est pas à nous de décider le sort de M. Kadhafi », a déclaré le chef de l’État en marge du sommet européen qui se tient jeudi et vendredi à Bruxelles. « L’avenir de la Libye, les choix politiques de la Libye, y compris ce qu’ils décideront de faire de M. Kadhafi et de ses séides, c’est le problème des Libyens », a-t-il ajouté". Sauf que si Khadafi résiste longtemps, l'intervention internationale aura l'air d'échouer et s'enfoncera dans une guerre longue et dommageable, autant pour les libyens que pour le reste du monde. Car il n'y a rien comme une intervention occidentale qui semble injustifiée (ou justifiée par les seuls intérêts occidentaux) pour créer encore plus de mécontentement et d'actes terroristes éventuels contre l'occident.
Enfin, sur un ton plus léger, suis-je également le seul à trouver plutôt ridicule ces noms de missions pseudo-poétiques que l'on utilise toujours dans l'armée, et qui sont repris par les médias comme si c'était cool? "L'aube de l'Odyssée"... misère. Personnellement, je ne trouve rien de cool à l'intervention armée, à la destruction et à la mort de centaines/milliers de personnes.
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(*) Mise à jour (22h30): La Presse rapporte que l'OTAN prendra en charge l'ensemble de la mission en Libye.
Suis-je le seul à avoir mal interprété la résolution 1973 du conseil de sécurité de l'ONU telle que présentée sommairement dans les médias la semaine dernière?
J'avais cru comprendre que des discussions étaient engagées pour imposer une zone d'exclusion aérienne en Libye afin d'éviter que l'armée à la solde du régime Khadafi ne bombarde lourdement les positions des manifestants et insurgés et ne continue ainsi à massacrer sa propre population pour conserver le pouvoir. J'avais mal compris la résolution, qui prévoyait en fait les frappes aériennes. Je n'avais pas compris que "autorisant «toutes les mesures nécessaires», pour protéger la population civile" signifiait commencer les bombardements et les tirs de missiles dès la première journée.
Alors que j'étais tout à fait pour l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne, j'avoue que les très rapides frappes aériennes de la coalition internationale me mettent mal à l'aise. Pour le moment du moins, ça prend déjà des airs d'intervention occidentale contre un pays arabe, où évidemment, on trouve du pétrole. Plusieurs critiques ont remarqué cette semaine que la coalition internationale intervient rarement (même jamais) dans les pays où leurs intérêts (souvent pétroliers) sont absents. (Au sujet des motivations politiques de cette intervention internationale, je vous invite à lire un texte paru dans Le Devoir aujourd'hui).
En Libye, on a beau nous dire que les frappes sont ciblées et qu'il n'y a pas de victimes civiles, j'ai du mal à croire à cette technologie miracle évoquée lors de la guerre du Golfe et des invasions en Afghanistan et en Irak. Il me semble aussi que l'intervention musclée de la semaine qui vient de passer comporte un risque inhérent de s'enfoncer dans un conflit qui sera plus long que ce qui était prévu à l'origine lors des discussions sur la zone d'exclusion.
Ce soir, on nous annonçait que l'OTAN allait prendre le commandement de la zone d'exclusion. Cette implication de l'OTAN là où on imagine mal ce qu'elle vient faire, me laisse également songeur. Certes, depuis l'élargissement de son énoncé de mission, l'OTAN peut intervenir n'importe où sur la planète et a souvent incarné le bras armé d'une partie de l'ONU, les États-Unis en tête. Et paradoxalement, c'est justement parce que les américains ne voudraient pas être ne charge de la mission internationale en Libye que l'OTAN a été envisagée comme solution. Or ce n'est un secret pour personne que l'OTAN est essentiellement militarisée par les États-Unis, même si les 28 membres qui la composent ont une voix égale au chapitre des décisions. Et on a beau spécifier que l'OTAN ne prend pas la mission en charge, elle aura le pied dans la porte, en quelques sortes (*). Les expériences du Kosovo en 1999 et de l'Irak en 2003 devraient pourtant permettre de comprendre le risque que comporte une telle attaque de nécessiter plus tard un déploiement au sol.
J'avais l'impression que la communauté internationale dormait au gaz avant d'imposer une zone d'exclusion aérienne. J'ai désormais l'impression qu'une fois la décision prise, on s'est mis à bombarder sur le champ sans trop de subtilité.
Je suis tombé sur un article de Rory Stewart, dont j'avais lu et apprécié le livre relatant sa traversée à pied de l'Afghanistan juste après l'invasion américaine, l'été dernier. Rory est maintenant député au parlement britannique et signe souvent des articles politiques comme celui-ci, où il résume justement la difficulté d'établir des stratégies subtiles dans des cas comme la Libye. Il semble que tout le monde voit la question en noir et blanc...
"Do it or don’t do it, but no halfway houses. And therein lies the danger. On the World Service this afternoon, I was accused of falling between two stools. ‘On the one hand, you say the no-fly zone is humanitarian and not about regime change. On the other hand, you say that we are taking measures against the Gaddafi regime to force him to step down.’ And when I tried to make a distinction between military measures with a humanitarian purpose and civilian measures with a political purpose, the interviewer countered: ‘Surely this is the worst of all worlds.’ On the contrary, it seems to me the lesser evil. The no-fly zone is preferable to seeming to countenance and endorse Gaddafi’s actions; and better than putting troops on the ground to force regime change. But such measures are difficult to explain and sell". (Rory Stewart, "Here we go again", London review of books, vol.33.no.7, mars 2011).
Évidemment, on ne peut que souhaiter que le régime Khadafi tombe rapidement. Le message de la coalition internationale ne mentionne pas cette option comme l'objectif principal de la mission, mais à partir des frappes aériennes, la rapidité de la chute de Khadafi devient le résultat par lequel on mesurera l'impact et la pertinence de cette intervention. Le site internet du journal Ouest-France rapporte les propos de Nicolas Sarkozy: "«Ce n’est pas à nous de décider le sort de M. Kadhafi », a déclaré le chef de l’État en marge du sommet européen qui se tient jeudi et vendredi à Bruxelles. « L’avenir de la Libye, les choix politiques de la Libye, y compris ce qu’ils décideront de faire de M. Kadhafi et de ses séides, c’est le problème des Libyens », a-t-il ajouté". Sauf que si Khadafi résiste longtemps, l'intervention internationale aura l'air d'échouer et s'enfoncera dans une guerre longue et dommageable, autant pour les libyens que pour le reste du monde. Car il n'y a rien comme une intervention occidentale qui semble injustifiée (ou justifiée par les seuls intérêts occidentaux) pour créer encore plus de mécontentement et d'actes terroristes éventuels contre l'occident.
Enfin, sur un ton plus léger, suis-je également le seul à trouver plutôt ridicule ces noms de missions pseudo-poétiques que l'on utilise toujours dans l'armée, et qui sont repris par les médias comme si c'était cool? "L'aube de l'Odyssée"... misère. Personnellement, je ne trouve rien de cool à l'intervention armée, à la destruction et à la mort de centaines/milliers de personnes.
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(*) Mise à jour (22h30): La Presse rapporte que l'OTAN prendra en charge l'ensemble de la mission en Libye.