Un mot ou deux sur les élections au Québec, si vous me permettez.
Je dois vous avouer que je trouve plutôt intéressant de suivre une campagne électorale provinciale, moi qui ai vaguement suivi à distance (et sans pouvoir voter) celle de 2003. Remarquez, j'en avais pris une connaissance a posteriori fort intéressante grâce au fil «À hauteur d'homme» cette année-là.
Les sondages (concept fort volatile généralement basé sur une hypothèse de normalité de distribution de la population qui ne tient pas la route dans la réalité mais on fait avec faute de mieux) valsent entre les trois principaux partis, qui semblent à peu près au coude à coude au moment d'écrire ceci. Les médias s'excitent un brin sur la possibilité que l'ADQ prenne même le pouvoir et que son chef, Mario Dumont devienne premier ministre.
Pour ma part, je suis plutôt neutre en ce qui concerne Dumont. Sympathique la plupart du temps, il est habile à défendre ses positions (parfois malhabiles), passe bien auprès des gens ordinaires, mais mes bons mots s'arrêtent là, puisqu'il n'arrive pas à me convaincre que ses idées sont bonnes, ni qu'il ferait un bon PM, encore moins que son équipe pourrait former un cabinet compétent. Notons tout de suite que la chose a peu d'importance, quand on regarde les mois et années de gaffes et d'incompétence de l'équipe qui a été élue en 2003... Dumont et cie feraient certainement des centaines de gaffes, mais ils finiraient par apprendre, eux aussi.
Ceci dit, mettons les choses en perspective un instant. Malheureusement pour Dumont, le système politique du Québec ne permet pas de représentation proportionnelle au vote. Dans les faits, le premier ministre n'est même pas élu par la population, mais devient premier ministre car il est le chef du parti qui est élu. Ce parti n'est pas non plus élu en pourcentage du vote total, mais plutôt en devenant celui qui a fait élire le plus de députés. Et c'est dans ce fonctionnement que les sondages deviennent un outil très imprécis.
Imaginons 3 circonscriptions, où les 3 partis présentent des candidats et imaginons que 100 personnes ont droit de vote dans chacune des circonscriptions. Les résultats sortent et nous avons ceci:
Circonscription 1: PLQ: 55, PQ: 10, ADQ: 35
Circonscription 2: PLQ: 10, PQ: 58, ADQ: 32
Circonscription 3: PLQ: 35, PQ: 32, ADQ: 33
Selon ces résultats, nous aurions un gouvernement majoritaire du PLQ avec 2 députés, et un député du PQ dans l'opposition, et aucun député de l'ADQ. Pourtant, en pourcentage de vote, les trois partis ont obtenus exactement 33% des voix.
L'important n'est pas d'avoir un haut % des voix, mais une bonne répartitions de celles-ci.
Maintenant, il y a 125 sièges en jeu aux élections du 26 mars prochain.
Pour former un gouvernement majoritaire, un parti a besoin de 63 sièges, minimalement.
Actuellement, le PLQ forme un gouvernement de 72 sièges, avec une opposition de 45 PQ, et l'ADQ possède 5 sièges (il y a 1 indépendant et 2 sièges vacants).
Ainsi, pour toujours former un gouvernement majoritaire, le PLQ peut se permettre de perdre 9 sièges.
Pour former un gouvernement majoritaire, le PQ doit en gagner 18.
Et pour former un gouvernement majoritaire, l'ADQ doit en gagner 58.
Première constatation: oubliez les sondages et les % de vote globaux, l'ADQ ne gagnera jamais 58 nouveaux sièges en conservant ses 5 actuels. La chose me semble tout à fait impossible.
Les deux autres scénarios semblent très probables. Un déplacement de sièges du PLQ vers le PQ ou vice-versa semble probable, puisque lors de l'élection de 2003, beaucoup de circonscriptions ont eu un résultat très serré. Dans Roberval, pour prendre en exemple un endroit où j'ai déjà voté dans le passé, le député du PLQ l'a emporté par 244 voix seulement.
Gouvernement minoritaire, peut-être? Hum, voyons voir.
Pour que le PQ ou le PLQ soit minoritaire, il faut que l'ADQ remporte plusieurs sièges. Car si l'ADQ conserve simplement ses 5 sièges, il faudrait que les deux autres se séparent le reste à part quasi égale (62/58), dans le pire des cas, sinon, l'un d'eux peut facilement atteindre le 63.
Or, même en doublant, ou triplant le nombre de députés adéquistes, on peut facilement imaginer un scénario du type 63-47-15, non? (Revoir la représentation actuelle, pas si différente).
Bon, d'accord, soyons optimiste;
Quadruplons le score de l'ADQ, ce qui leur donnerait 20 députés... Il faudrait alors quelque chose comme 63-42-20 pour un gouvernement majoritaire. Encore une fois, c'est un scénario possible.
En fait, là où il faut regarder pour une forte probabilité d'un gouvernement minoritaire, c'est en tentant de croire à un scénario du type 63-37-25, par exemple. Difficile de croire que le PQ ou le PLQ puisse descendre à 37 sièges, donc si l'ADQ obtenait 25 sièges, alors oui, il y aurait de fortes chances que le gouvernement soit minoritaire. Mais peut-on vraiment songer à 25 sièges pour l'ADQ? Sérieusement? C'est déjà 5 fois plus que ce qu'ils ont actuellement.
Vous me direz que l'ADQ se classe aussi bien que les deux autres partis dans les sondages. D'accord. Mais encore faut-il que ces votants soient significatifs et transforment ces votes en députés élus. (Revoir l'exemple ci-haut ou 33% de vote peuvent ne rien donner). Il n'y a qu'à regarder le sondage sorti hier matin:
PQ: 32%
PLQ: 30%
ADQ: 26%
Verts: 7%
Q-S: 5%
Les deux partis de queue, récoltant 12% des voix, ne verront pourtant pas un seul député élu, ou, avec un peu de chance, un peut-être. Ce qui signifie moins de 1% des sièges.
Or plusieurs phénomènes jouent contre l'ADQ là-dedans.
Le premier est que l'ADQ est relativement jeune, comme parti, et donc, ses partisans ne sont pas des partisans de tous les temps, et je les crois donc plus volatiles. Aussi, l'ADQ va souffrir du syndrôme du tiers parti: un votant convaincu de la bonne volonté et du programme de l'ADQ votera peut-être pour un autre candidat, s'il est persuadé que son candidat de l'ADQ n'entrera pas dans sa circonscription, afin de maximiser ses chances d'avoir un député au pouvoir dans son coin de pays. C'est un effet important dans les régions, et dont on ne parle pas beaucoup en regardant un sondage, et en plus, c'est dans les régions que l'ADQ obtient ses meilleurs pourcentages d'appuis. Ainsi, si sachant que l'ADQ ne formera pas le gouvernement, les votants des régions votent stratégiquement pour obtenir un député qui a du pouvoir au gouvernement plutôt que dans l'opposition, l'ADQ verra son électorat fondre rapidement.
Historiquement, les tiers partis (l'ADQ en est encore un tant qu'il n'aura pas pris le pouvoir et gouverné réellement) ont tendance à voir leurs appuis être plus fort entre les élections et en campagne plutôt que le jour des élections, où les votants tentent parfois de «gagner» leurs élections.
Enfin, je parlais des circonscriptions serrées de 2003... La grande majorité d'entre elles sont en région, une fois encore, rendant plus volatile et imprévisible les résultats là où l'ADQ est censé obtenir ses meilleurs appuis. L'ADQ n'a aucun château fort (à part peut-être la circonscription de Dumont lui-même, mais encore), à franchement parler, ce qui lui enlève au départ un certains nombres de sièges que les deux autres partis peuvent compter comme pratiquement acquis. Cet élément n'apparait pas non plus dans les sondages.
Pour toutes ces raisons, et malheureusement pour Mario Dumont, je pense que l'ADQ n'obtiendra pas plus de 20 sièges (ce qui est déjà 4 fois plus que la dernière fois, quand même), et donc, que le gouvernement sera majoritaire.
Alors, PQ ou PLQ?
Comme je n'ai pas voté en 2003, j'ai suivi la descente aux enfers du gouvernement Libéral avec un sourire amusé. Les étonnantes et incroyables manifs de fin 2003 et de 2005 me laissaient alors croire que le gouvernement était vraiment impopulaire. Aussi, les nombreux volte face du gouvernement (Prêts bourse, Suroit, etc) laissaient aussi croire que la base était faible.
J'aurais donc eu tendance à croire que le PLQ n'avait aucune chance de l'emporter à peine 2 ans après que des dizaines de milliers de personnes n'envahissent les rues des villes, et que l'ensemble de la fonction publique ait fait la grève, sans compter les étudiants des collèges et universités.
Mais les gens oublient vite, semble-t-il, alors le PLQ semble dans la course et un sérieux aspirant à former le prochain gouvernement. Leur problème majeur, évidemment, repose dans la défense de leur exercice du pouvoir pendant les 4 dernières années (un exercice toujours difficile), et surtout, qu'un seul petit souvenir malencontreux de ces 4 années peut faire changer un électeur d'avis (un étudiant qui réalise que lorsqu'il est descendu dans la rue, c'était pour protester contre eux, par exemple). Un phénomène qui touche moins le PQ, qui n'a pas eu à exercer le pouvoir depuis 4 ans.
Et même si les gens oublient vite, les Québécois sont parmi les peuples qui ont le plus ridiculisé les américains lors de la réélection de G.W. Bush, en 2004, non? Saisiront-ils l'ironie de la situation s'ils réélisent Jean Charest après en avoir fait pendant pratiquement 3 ans un des premiers ministres du Québec les plus impopulaires de l'histoire? Avouez...
Du côté du PQ, il semble que la question nationale soit un avantage et un inconvénient, comme de coutume. Par contre, le vote souverainiste risque de se voir diviser et si Québec-Solidaire obtient réellement 5% des voix, c'est ça de moins pour le PQ dans les circonscriptions visées, et dans ce cas, vu les scores serrés de plusieurs d'entre elles, la chose pourrait se traduire par des pertes de circonscriptions. Toutefois, la plupart des gens comprennent qu'il s'agit d'une élection et non d'un référendum, et le PQ attire tout de même son lot de partisans non-souverainistes qui préfèrent son programme plus à gauche que celui du PLQ mais prévoient de voter «non» dans un éventuel référendum. Ainsi, la question nationale a ses limites en terme d'influence sur le vote.
Par contre, l'inverse peut se produire. La volatilité du votes des tiers parti peut servir le PQ, puisque l'on voit mal des adeptes du Parti Vert et de Québec Solidaire passer aux PLQ s'ils décident de voter plus stratégiquement qu'en suivant leurs convictions.
Enfin, il y a la question des tendances. En effet, ce sont les tendances et les derniers sondages qui feront paraître un parti mieux placé que l'autre pour former le gouvernement, qui influencera le vote stratégique des régions et partisans volatile des tiers partis (y compris les partisans de l'ADQ en région, tel que mentionné plus haut). Le parti le mieux positionné et sur la meilleure lancée à quelques jours /heures du scrutin a le plus de chance de rafler ces électeurs et remporter quelques circonscriptions serrées de plus.
Pour toutes ces raisons, j'ai tendance à croire à une élection du PQ majoritaire, mais majoritaire de peu, donc avec peu de marge de manoeuvre. J'ai bien des chances de voir juste et bien des chances d'être dans le champs, mais malgré les sondages qui placent les 3 partis principaux au coude à coude, l'ADQ n'a aucune chance de former un gouvernement, ni même de former l'opposition officielle, d'après moi.
Qu'en dites-vous?
(J'aimerais bien entendu des opinions... Sur cette analyse de la situation, car pour le reste, chacun a droit à ses opinions personnelles, et ce blog n'a aucune prétention en terme de discussion politique, mais votre opinion sur mes raisonnement m'intéresserait grandement).