Contexte
Comme je l’avais fait en Équateur en 2005 et 2007, mais plus spécifiquement lors de mon passage au Pérou et en Bolivie en 2007, ainsi que lors de mon court séjour à Santiago de Cuba lors des élections cubaines de 2008, je m’intéresse à la situation sociopolitique locale pendant mon séjour au Guatemala. Le parallèle avec l’Équateur n’est pas un hasard ; J’ai passé de quelques semaines à quelques mois dans le petit pays des Andes à quatre reprises entre mai 2004 et octobre 2007 et observer son évolution sociopolitique s’est avéré passionnant.
J’avais passé près de cinq semaines au Guatemala à l’été 2005 et près de 5 ans plus tard, il est intéressant d’observer, de discuter et de lire sur la situation sociopolitique actuelle, en ayant comme points de repère ce précédent séjour ici et mes quelques séjours dans le reste de l’Amérique latine.
Gouvernance
Le gouvernement actuel d’Alvaro Colom a été élu avec 52,8% des voix lors des dernières élections (2007). Il s’agit d’un gouvernement qui se veut de centre-gauche mais qui gouverne au centre-droite. Néanmoins, il s’agit du premier gouvernement du Guatemala depuis les années 50 à promouvoir quelques programmes sociaux. Comme tous les gouvernements qui l’ont précédés, le gouvernement Colom demeure au pouvoir grâce à l’appui de grandes compagnies locales et étrangères, et il doit composer avec les intérêts de ces compagnies s’il ne veut pas perdre ces appuis. Évidemment, les intérêts de ces compagnies sont généralement en totale opposition avec des politiques socialistes, pourtant réclamées par la population. Le pays est un des plus généreux du monde avec les compagnies, et cette fiscalité de droite (on parle d'un taux d'impôts corporatifs global de 10%) prive le pays de revenus importants tout en permettant aux compagnies qui s’installent ici d’en exploiter les richesses avec plus de facilité qu’ailleurs en Amérique latine.
Au Guatemala, on parle de besoin de changements depuis 2005, mais du point de vue du voyageur de passage, rien ne semble avoir changé.
Pauvreté
Le Guate, c’est un pays où plus de 50% des gens vivent actuellement sous le seuil de la pauvreté. Ce taux grimpe à 70% si on parle de la population indigène. Cette ségrégation entre mayas et ladinos (métis) est criante, surtout lorsque l'on sait que la moitié de la population du pays est constituée d'indigènes. Si je compare à ce que j’ai pu voir dans la dizaine de pays d’Amérique latine où j’ai voyagé, le Guatemala est certainement un de ceux où j’ai vu le plus de pauvreté extrême, sinon celui où j’en ai vu le plus. L’idée qu’une toute petite minorité de gens soit riche et que le reste de la population vive sous le seuil de la pauvreté n’est pas une caractéristique spécifique au Guatemala, mais ici, la chose frappe le visiteur (le moindrement observateur).
Le Guate, c’est aussi le pays où le libéralisme économique de droite est et a été le plus prononcé et maintenu depuis les 30 dernières années. C’est le pays d’Amérique latine où la mainmise globale des multinationales et grandes compagnies locales sur l’appareil militaire et les gouvernements successifs est la plus flagrante et la plus ouverte et prononcée. On parle aussi de 30% de taux d’analphabétisme au pays.
Violence
Pourtant, le plus grave problème du Guate demeure la violence, qui est omniprésente au pays.
La violence historique, d’abord, puisque même si ça fait plus de dix ans que la guerre civile est terminée (signature des accords de paix en 1996), le Guatemala est loin d’en avoir terminé avec les contrecoups d’un tel conflit interne. Les leaders communautaires se concentrent sur deux fronts : la défense des droits des habitants actuels, et la condamnation de ce qui a été perpétré contre les populations pendant la guerre civile.
On parle ainsi beaucoup de la Commission internationale de transparence appuyée par l’ONU et par le gouvernement actuel (voir Note 1). Les procès commencent, il y a eu quelques condamnations, dont un gradé militaire. Le journal indépendant Entremundos rapporte dans son numéro 49 de novembre-décembre 2009 que cette condamnation du 31 août 2009 était une première sentence de prison à être prononcée pour violation des droits humains au Guatemala (13 ans après la fin du conflit). C’est donc encourageant, mais il reste énormément de travail à faire, puisque le problème de ces causes demeure l’intimidation systématique envers les témoins.
(Au sujet de la défense des droits humains au Guatemala, je vous réfère à mon entretien avec deux coopérants volontaires québécois).
Lors du récent processus de nomination de juges de la court suprême, la commission de transparence a fait paraître des informations liant certains candidats aux grandes compagnies, à l’armée, ou au crime organisé, influençant donc les nominations et l’image publique de cette élite auparavant intouchable.
Pourtant, l’insécurité générale existe dans les communautés. Le problème est plus criant dans les communautés mayas (indigènes) et dans certains groupes ladinos (métis). La difficulté est aussi multipliée par la disparité des régions et des problèmes – le Guatemala comporte plus de vingt groupes indigènes ayant adopté des coutumes et des langages variés (que l’on regroupe généralement sous l’appellation Maya).
Les attaques, les menaces constantes et les assassinats politiques sont courants, mais on n’en parle jamais en ces termes dans les grands médias; les meurtres reliés au combat pour la défense des droits humains sont mis sur le compte de la "délinquance générale".
De temps à autres, on rapporte qu’un meurtre a été commis contre un maire ou un représentant politique officiel, mais on ne relie jamais directement ces meurtres aux activités politiques de la victime.
Les lynchages et exécutions publiques sont également devenus monnaie courante, et sont le fait de groupes de citoyens qui ne font plus confiance à la police, et donc, prennent en charge la justice de manière expéditive et souvent influencée par leurs propres vues; on veut se débarrasser d’un individu, il s’agit de l’accuser d’un vol précis et de l’exécuter. On rapporte de ces exécutions publiques sur une base hebdomadaire…
Et les gens ?
Les gens que j’ai croisé sur la route, ou dans les rues des villes – principalement Antigua et Quetzaltenango où j’ai habité depuis quelques semaines – ne semblent pas si malheureux, malgré le constat déprimant que l’on peut faire de la société guatémaltèque. Bien sûr, on entend ici et là des conversations sur la crise économique qui a affecté l’économie des villes; des commerces ont fermé leurs portes, d’autres fonctionnent au ralenti et on déplore la diminution du nombre de touristes en visite au pays. Pourtant, les guatémaltèques – métis comme indigènes – semblent prendre tout ça du bon côté et profiter du peu que la vie leur apporte. On sent par contre une certaine forme de résignation (fortement observée dans une famille relativement pauvre de Xela, par exemple). On sent que les gens tirent le bonheur qu’ils peuvent de leur situation, mais n’attendent rien de mieux de l'état et – pire – de la vie.
Les guatémaltèques sont-ils conscients qu’ils habitent un pays violent, où tout est contrôlé par la grande entreprise, y compris le gouvernement ? C’est le sujet de la suite de ce billet.
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Note 1:
"Devant cette vague préoccupante de crimes commis à l'encontre de militants et de défenseurs des droits sociaux et environnementaux dans plusieurs régions du pays, la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) étudie actuellement la possibilité d'implanter de nouveaux bureaux dans d'autres départements. Cette possibilité apparaît après que Ban Ki-Moon, secrétaire général de l’ONU, ait réitéré son appui à la CICIG dans un rapport présenté le 15 octobre, accusant par la même occasion les pouvoirs judiciaires guatémaltèques de faire perdurer l’impunité et d’entraver le travail de la CICIG."
- Revue de l’actualité, PAQG, hiver 2009.
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[Ce texte est basé sur des lectures de documents et de journaux locaux, ainsi que sur des discussions avec des habitants du Guatemala, des touristes de passage ou des étrangers établis ici depuis quelques mois comme volontaires ou travailleurs. L'ensemble de ces informations sont teintées par les observations personnelles de l'auteur lors de son séjour de l'été 2005 et son présent séjour au Guatemala. Ce texte n'accuse personne mais fait état de la situation au Guatemala telle que perçue par son auteur].
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Photo: Portion d'un diptyque mural réalisé en 1994 sur l'histoire du Guatemala. On peut voir l'ensemble de l'oeuvre sur deux murs de la salle à l'étage du Dona Luisa's, à Antigua.
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