mercredi 22 octobre 2014

Politique étrangère, attaques... et médias pertinents

Le moins qu'on puisse dire, c'est que les attentats de St-Jean et d'Ottawa vont faire réfléchir des gens sur la sécurité relative dans un pays d'occident qui s'implique directement dans des attaques militaires en pays étrangers (sans être une initiative de l'OTAN ou de l'ONU). C'est toujours ok quand la terreur, les bombes et les attaques individuelles se passent dans un autre pays, on écoute les informations distraitement et on passe à autre chose.
On discutera possiblement de la définition de terrorisme - je suis de ceux qui pensent que l'attentat de St-Jean relevait plus d'un acte criminel alors qu'il semble que celui d'Ottawa remplisse plus les critères d'un acte terroriste (vu la cible plus claire, le Parlement), même si pour le moment, on ne connait ni l'état d'esprit de ceux ayant commis ces actes, ni leurs motifs (bien qu'on puisse faire des conjecture vu leur auto-proclamations religieuses radicales).
[Ajout 23 octobre: Selon les infos disponibles ce matin, on dirait qu'il s'agit du même genre d'acte criminel, qui pour moi ne correspond pas à la définitions de terroriste, même si le criminel en question semble s'inspirer de sa religion pour agir et qu'il a littéralement semé plus de terreur sur son passage. Ceci devrait aussi nous faire réfléchir sur les ressources en santé mentale, puisque dans les deux cas, on parle de problèmes de santé mentale, ce qui reste évidemment à confirmer, mais qui demeure un problème où l'on coupe plus de ressources qu'on en fournit].
Une chose est certaine, les gens vont peut-être réaliser l'impact de cette politique de va-t-en guerre et l'impact la politique étrangère du Canada depuis quelques années (années conservatrices, clairement), tous sujets confondus. Il ne faut pas nous étonner (contrairement à la GRC, voir ci-bas) si certains radicaux locaux passent à l'action. Ça aurait pu arriver avant, c'est ce dossier-ci qui a allumé ces deux-là, ça pourrait aussi arriver dans le futur - toute l'histoire récente de l'approche de lutte au terrorisme à l'américaine nous prouve que ces effets secondaires sont prévisibles... Certains électeurs qui votent sans trop s'informer ou ne se rendent pas compte de ce qui se passe réaliseront peut-être que les gens qui sont élus prennent des décisions qui parfois, ont des répercussions ailleurs dans le monde, et que ces répercussions peuvent trouver écho au Canada par la suite. C'est parfois long avant de voir ce genre de choses arriver, et il est impossible (ou difficile dans la plupart des cas) de pouvoir établir avec précision des relations de cause à effet, mais ça fera peut-être réfléchir un peu plus les gens avant qu'ils ne votent, la prochaine fois.
Il est dommage que peu de journalistes mentionneront que les attaques visent le pouvoir décisionnel et l'armée mais font aussi leur jeu - on ne s'étonnera pas que la réponse des autorités sera certainement d'être encore plus ferme dans les décisions prises; on proposera d'augmenter la sécurité, même si ça réduit les libertés, on profitera peut-être des attaques pour justifier des frappes plus fortes à l'étranger ou le prolongement éventuel de la mission, etc. Il n'y rien de plus facile à manipuler qu'une population sous le choc (une théorie brillamment démontrée par Naomi Klein dans son livre The Shock Doctrine dont j'ai déjà parlé ici).
Sinon, pour l'heure, les médias sérieux tentent de nous informer avec un minimum d'informations révélées par les autorités canadiennes - rien de nouveau - et on apprend l'identité du suspect d'Ottawa via les médias américains... sans trop savoir si oui ou non il avait des complices... Ils arrivent malgré tout à remplir des heures d'information continue, un phénomène qui demeure incroyable en soi.
Les autres médias continuent de faire ce qu'ils font de mieux, c'est-à-dire de l'humour involontaire, en nous fournissant du matériel pour se détendre en rigolant un peu malgré l'aspect tragique de ces attaques. Quelques exemples dénichées en 10 minutes...


City News de Toronto offre une couverture avec bannière mélodramatique digne du Colbert Report ou du Daily Show de Jon Stewart. Tellement gros qu'on dirait une mauvaise blague.


Fox News attribue (à droite) à un "amateur" une vidéo tournée par le caméraman de radio-Canada...


... et se trompe de Parlement et de ville, en illustrant sa nouvelle avec des policiers de la SQ!


Le Journal de Québec fait de l'humour involontaire, entre carnage et Subway...


... mais ce même journal a trouvé le scoop le plus important pour rassurer les gens de Québec.


Quand au Journal de Montréal, il nous offre un pertinent reportage (voir nouvelle de gauche sur la capture d'écan).


Le journaliste Patrick Lagacé souligne sur Twitter la seule information fournie par la GRC en point de presse... information qui demeure un peu étonnante.
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dimanche 19 octobre 2014

Quand la nouvelle devient trop complexe pour les nouvelles, que penser?

Dans l'actualité locale québécoise et canadienne cette semaine, on retrouve la question de l'implication du pays dans la réaction aux actions de l'EI au Moyen-Orient. Personnellement, mon réflexe est de tenter de comprendre suffisamment la situation pour me faire une opinion quand à la participation du Québec et du Canada à la réaction internationale (1).
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Mon intérêt pour le conflit EI/Irak/Kurdes/Syrie découle de deux origines.
La première, c'est que je voyage, et qu'en le faisant en indépendant, je ne retrouve pas dans des enclaves touristiques bien léchées et externes aux villes ou populations locales. Ainsi, règle générale, je me retrouve dans le vrai monde, même si dans ce vrai monde, je visite souvent des lieux ou sites historiques ou d'intérêt touristique. C'est comme ça que j'ai souvent été - sans même le rechercher - témoin de manifestations, d'affrontements légers, ou de mouvements citoyens lors de mes voyages.
Ces voyages ont un autre effet - à part me faire voir le reste du monde tel qu'il est lorsque j'y mets les pieds - ils rapetissent ma planète. Quand on parle d'événements qui touchent directement un pays où je suis allé, la nouvelle m'interpèle personnellement, et pas qu'à un niveau humaniste ou politiquement intéressé, mais à un niveau vraiment personnel, puisque ces lieux font désormais partie de moi, de ma vie, des éléments qui font qui je suis.
La seconde origine vient de centaines de textes de sciences politiques que j'ai eu l'occasion (et le privilège) de lire dans les cinq dernières années, par l'accès aux revues scientifiques sur le sujet dont j'ai pu profiter via les études de ma conjointe. Pour un lecteur intéressé, avoir accès à des milliers de publications donne le vertige, mais procure aussi des lectures approfondies et de qualité supérieure à l'information qui nous est généralement accessible au quotidien.
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Je n'ai jamais mis les pieds en Irak, ni en Syrie, ni même dans la région que l'on pourrait appeler le Kurdistan (pour peu que l'on en reconnaisse l'existence qui chevauche quatre pays). Pourtant, j'ai récemment fait un court séjour en Turquie, où j'ai entre autres exploré le sud-ouest, à gauche sur la carte suivante: (Izmir, Soke, Bodrum et l'île grecque de Kos apparaissent sur la carte). Mon ami et compagnon de voyage Istvan s'est rendu jusqu'à Konya avant que je le rejoigne à Selçuk.


Les combats actuels les plus intenses se déroulent à Kobané (point rouge sur la carte), à la frontière entre la Syrie et la Turquie.
Je me sens donc interpelé par cette proximité à ma planète personnelle (l'univers que j'ai visité), mais aussi par la complexité des enjeux et acteurs du conflit, qui dépassent tout ce que les médias arrivent à nous transmettre. Je ne jette pas la pierre aux médias (et encore moins aux journalistes), c'est leur modèle d'information qui est en cause; il est absolument impossible d'expliquer ce conflit en topos de deux minutes ou en articles de 500 mots.
Si on se limite en plus aux informations en français (ou une seule langue, peu importe laquelle), les dossiers approfondis deviennent plus difficiles à dénicher.
Il est pourtant clair que le laisser-faire international dans la crise/rébellion syrienne a permis l'avènement de cette situation (et sa perte de contrôle), comme l'a fait l'intervention stupide (et ratée) des américains en Irak en 2003 et l'abandon du pays à son sort par la suite. Il semble aussi évident que la situation conflictuelle des kurdes en Turquie ait été sous-estimée et c'est peut-être cette situation qui permet le mieux d'illustrer, comme un microcosme du conflit global, la complexité de ce dernier.
Doit-on aider son ennemi - et même l'armer - pour combattre un pire ennemi commun au risque que notre ennemi se serve ensuite de ces armes contre nous? (2)
Question intéressante et représentative de la complexité de ce conflit.
En effet, le gouvernement turc se retrouve avec un dilemme difficile (voire impossible) à résoudre: Si elle aide à combattre l'EI (la Turquie condamne évidemment les actions de l'EI), elle renforce la position de son "ennemi intérieur" (qui combat la Turquie pour les droits des kurdes de ce pays et prône la création d'un état indépendant kurde). Et on ne parle pas ici de simple débat d'idées, ici, mais bien de combats, de mouvements d'armes, d'implication militaire (ne serait-ce que pour offrir un corridor humanitaire sécurisé).
Je n'ai évidemment pas la prétention de vouloir expliquer cette complexité ici, mais j'ai pour ambition de comprendre suffisamment la situation pour me faire une opinion quand à la participation du Canada à la réaction internationale.
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Si jamais la chose vous intéresse aussi, si vous aimeriez mieux comprendre ce qui se passe et pourquoi il est délicat et difficile de décider si on doit intervenir (et qui doit le faire, et comment), je vous suggère quelques pistes de lecture ici bas. Certains passages aident également à comprendre la responsabilité historique des pays de l'occident dans la situation, qui remonte au partage des restes de l'empire ottoman parmi les puissances coloniales à la fin de la première guerre mondiale.
Et comme on nous parle surtout de terroristes (3) quand on aborde la question des conflits aux Proche-Orient et au Moyen-Orient, il est toujours pertinent de rappeler que les héros des uns sont les terroristes des autres (et vice-versa) alors que la question est nécessairement plus complexe que ça; les échecs des interventions américaines dans leur guerre au terrorisme sont là pour nous le rappeler. L'actuelle situation en Irak vient douloureusement hanter nos voisins amateurs de solutions armées, au moment où ils frappent à notre porte pour les aider et les soutenir. Est-ce une bonne idée de le faire, et de la manière choisie par le gouvernement canadien?
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Notes:
(1) Actuellement, l'engagement du Canada découle d'une motion approuvée par le parlement canadien (majorité du gouvernement Harper qui a aussi imposé le bâillon) le 7 octobre dernier selon laquelle le pays s'engage dans des frappes aériennes (jusqu'à six mois) sans qu'il ne soit question de participer à des opérations terrestres. On apprend par contre que le mandat est plus large et comprend la fourniture d'armes à "des alliés dans le nord de l'Irak" (source: Radio-Canada ).
L'opposition officielle s'est prononcé contre ce plan d'action du gouvernement Harper, que le NPD qualifie d'improvisé et mal défini. L'opposition propose plutôt une réponse humanitaire (source: NPD).
La seconde opposition à Ottawa n'a pas non plus appuyé l'initiative du gouvernement Harper, mais ses propos sont ambigus, et le député Marc Garneau a déclaré qu'une fois la mission débutée, son parti appuierait les soldats canadiens (sources: PLC et deux articles du journal Le Devoir.
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(2) La question se pose pour la Turquie en ce moment, mais la même question s'applique à plusieurs des interventions américaines au Moyen-Orient (voir la guerre Iran-Irak, par exemple).
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(3) Gérard Chaliand rappelle d'ailleurs que «Les succès du terrorisme, à proprement parler, en Occident au cours des années qui ont suivi les attentats du 11 Septembre sont quoi qu’on dise très limités. On est loin des perspectives apocalyptiques annoncées par Oussama Ben Laden il y a une douzaine d’années. Nuisance coûteuse, le terrorisme international reste un phénomène surtout psychologique dont les médias garantissent le retentissement démesuré par rapport à ses effets physiques» (dans "Les jeux de l’échiquier au Proche et Moyen-Orient", NAQD, 2014, 31, p.83-93).
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Références - Médias traditionnels:
Trois articles sur la situation de la Turquie:
La Turquie veut-elle vraiment la paix avec les Kurdes? (France24)
Turquie : "Les Kurdes risquent de se retourner contre nous" (France24)
Pourquoi la Turquie ne vient-elle pas au secours des Kurdes? (Le Devoir)
Syrie:
Même si elle date de 2012, cette carte de l'opposition syrienne (et le court texte qui se retrouve au bas de la page) est intéressante et permet de saisir un peu mieux l'origine et la complexité de cette opposition au régime (Radio-Canada).
Le Kurdistan:
Une page Wikipédia qui résume assez bien l'histoire contemporaine de la région, en plus de détailler les grandes lignes du nationalisme kurde par pays. Ceci permet entre autres de saisir l'origine des kurdes syriens et leurs liens avec les kurdes turcs, en plus de comprendre que l'opposition entres kurdes de Turquie et le gouvernement turc remonte à la création même de la Turquie.

Références - Revues scientifiques:
Nationalisme kurde:
Les paradoxes du printemps kurde en Syrie, dans Politique Étrangère (2014/2, été, p.51-61)
Les Kurdes et l’option étatique, dans Politique Étrangère (2014/2, été, p.15-26)
Syrie:
La reconfiguration des espaces transfrontaliers dans le conflit syrien, Analyse Noria, février 2014 - disponible en ligne.
Le «cavalier seul» des Kurdes de Syrie, sur Orient XXI (un média intermédiaire entre journalisme et articles académiques) - mars 2014, article disponible en ligne.
La question kurde et la guerre civile syrienne (sur un carnet d'accompagnement de la recherche "Le Proche-Orient et la crise syrienne - paradigmes en débat") - disponible en ligne.
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mercredi 8 octobre 2014

Quand on refuse d'enquêter sur les criminels, mais plutôt sur ceux qui les ont dévoilé au grand jour

J'imagine que vous avez peut-être entendu parler de cette affaire, décrite par le journaliste Patrick Lagacé ce matin dans La Presse. Sinon, allez lire cet article, il est à la fois fascinant, révoltant, scandaleux et profondément inquiétant.
Ce qui y est rapporté, en gros, est un cas de police, qui intimide un journaliste (les menaces sont assez claires, d'accusations criminelles en plus) pour lui soutirer des informations sur ses sources. Or, cette police - qui utilise les fonds publics pour son enquête, évidemment - n'enquête pas sur une vaste affaire criminelle, oh que non, mais sur la/les personne/s qui ont fait en sorte que l'on sache qu'il y avait affaire criminelle.
Si on avait besoin d'un exemple plus patent que la SQ soit une police politique, on a la ministre responsable de la SQ (sécurité publique) qui suggère au journaliste de porter plainte en déontologie. Ha, ha, ha. On sait tous ce que donnent les plaintes en déontologie, les polices qui enquêtent sur la police... [On ne rappellera jamais assez que la célèbre 728 n'a jamais été blâmée pour son rôle pendant le conflit étudiant]. Cette ministre irresponsable ne s'inquiète ni de la manoeuvre d'intimidation (une spécialité du gouvernement Couillard on dirait), ni du fait que les enquêteurs perdent leur temps à courir après la personne grâce à qui on a été informé, ni encore (et c'est pire) des mensonges que les enquêteurs répandent un peu partout pour discréditer le professionnalisme du journaliste en question en tentant de le couper de ses sources par la même occasion!
J'éprouve un fort sentiment de dégoût devant autant de cynisme de la part de la police et du pouvoir, un profond écoeurement devant autant d'arrogance à nous voler, d'abord, à camoufler le crime ensuite, puis et à ne même pas se cacher pour montrer qu'on n'enquêtera pas sur le crime mais sur celui qui a révélé le camouflage. Et qui paye les voleurs et ceux qui sont payés pour ne pas enquêter à leur sujet? Hehehe, vous et moi, évidemment.
On se souviendra pourtant que ni la Commission Gomery ni la Commission Charbonneau n'auraient eu lieu sans le travail de journalisme d'enquête. Évidemment, ni la SQ ni le gouvernement Libéral (dont le placard est encore plein de squelettes puisque la commission Charbonneau a habilement évité leur cas en refusant d'appeler les personnes cités à témoigner devant elle) n'a avantage à ce que l'on sache pourquoi la SQ n'enquête jamais sur le politique.
Que diriez-vous si au lieu de poursuivre les Acurso, Vaillancourt et compagnie, responsables de nombreuses fraudes et de vols d'argent public, on poursuivait plutôt Alain Gravel, l'animateur de l'émission Enquête grâce à qui ont a appris les faits originalement? Ben dans le cas qui occupe Lagacé, c'est pas mal ça qui arrive.
La police et le monde politique au Québec sont rendu très très bas. Dé-gue-lasse.
Après les soulèvements du printemps érable et des mouvements qui ont suivis, j'ai encore du mal à comprendre comment les québécois ont pu se rembarquer aussi vite pour des années avec le PLQ et toute ces manipulations et corruptions de nos systèmes supposément démocratiques.
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