lundi 3 novembre 2014

Erinnerungsobjekteinfluß et les 40 ans de Solaris

La revue Solaris fête ses 40 ans d'existence. Et pour l'occasion, la revue a invité 40 auteurs à signer une courte nouvelle dans un numéro spécial (le numéro 192 dont on retrouve le sommaire officiel ici).
À l'occasion de ce numéro d'anthologie (littéralement), chaque auteur a été appelé à sélectionner un sous-genre relevant de la SF, du fantastique ou de la fantasy, permettant donc à la revue d'offrir un éventail particulièrement large côté thématiques abordées dans ce numéro unique.
Je me retrouve donc au sommaire - je n'allais pas rater cet anniversaire - et en très prestigieuse compagnie; Esther Rochon, Élisabeth Vonarburg, Alain Bergeron, Daniel Sernine, Joël Champetier et plusieurs autres parmi les meilleurs auteurs de genre au Québec. C'est tout un honneur pour moi car c'est certainement la publication où je partage le sommaire avec le plus grand nombre d'écrivains que j'admire autant.
Pour ma modeste participation - les nouvelles ne devaient pas dépasser 750 mots - j'ai choisi le sous-genre fantastique des objets maléfiques et je signe donc une nouvelle intitulée Erinnerungsobjekteinfluß.
Par un amusant tour du hasard, cette histoire (peut-être ma plus courte nouvelle publiée) est celle qui doit avoir le titre en un mot le plus long de mes publications.
Plutôt que de vous laisser tenter de trouver la traduction de ce terme, d'origine allemande (puisque la nouvelle se déroule à Berlin), je vous en offre un extrait:
«Certains parlent de magnétisme, de géobiologie, de psychométrie, d’autres d’ondes rémanentes ou d’empreinte énergétique, sans offrir d’explications convaincantes sur le sujet. Pourtant, mes clients payent des sommes considérables pour acquérir ces objets.»
Je vous invite donc à lire le reste dans Solaris 192, et vous pourrez en prime mettre la main sur 39 autres histoires!
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samedi 1 novembre 2014

L'héritage français, Sankara, Blaise et le Burkina aujourd'hui

Même si je n'y ai jamais mis les pieds, je m'intéresse toujours au Burkina Faso. Mon amie Suze y avait effectué en stage de coopération internationale en 2010, stage dont j'avais suivi les déroulements via son témoignage ainsi que celui de plusieurs de ses collaboratrices (et collaborateur) à cette époque.
Ce n'est donc pas une surprise pour qui suit ce blogue depuis un certain nombre d'années de constater que les événements actuels au Burkina m'interpèlent particulièrement. Et même si on ne connait rien du futur du Burkina Faso, pour ma part, je me réjouis de la fin du règne de Blaise Compaoré.

En 1991, Blaise Compaoré a été élu président du Burkina Faso lors de la première élection tenue après un référendum sur une nouvelle constitution. Il a alors dit que cette élection marquait le début de l'état de droit et de la stabilité politique du Burkina, que son pays venait de prouver qu'il avait opéré des changements significatifs pour son développement politique et économique.
Toutefois, il faut mentionner que cette élection a été boycottée par les partis d'opposition et que le taux de participation a été de 25,3%, en plus du fait que Blaise, jusqu'à il y a quelques jours, était toujours au pouvoir plus de 27 ans plus tard. En effet, il a été réélu en 1998, puis, après amendement à la constitution, rééelu en 2005 et en 2010. Il voulait cette année amender à nouveau la constitution pour se représenter aux élections présidentielles.
Pour la stabilité politique, Blaise avait donc raison en 1991, mais peut-on parler de développement politique et économique quand le même homme reste au pouvoir aussi longtemps et que malgré les milliards d'aide internationale, la très grande majorité des citoyens du pays demeurent très pauvres alors que l'élite est encore aussi riche?
Blaise, les médias le rappellent ces jours-ci, a pris le pouvoir lors d'un coup d'état (un putsch en fait), alors que le pays était gouverné par le Conseil National Révolutionnaire dirigé par Thomas Sankara. Avant le coup qui l'a porté au pouvoir, Blaise était le numéro 2 de ce régime issu de la révolution burkinabè.

Thomas Sankara avait pris le pouvoir en août 1983, avec le support des jeunes, des syndicats et de l'armée. L'idée derrière la révolution était de bâtir une meilleure société, avec une meilleure justice sociale et se séparant définitivement de l'héritage colonial français. Sankara était un homme éduqué, avec des idéaux de gauche, et désirait apporter des changements profonds dans la politique du Burkina (on doit d'ailleurs à son gouvernement le nom du pays). On parle ici de réforme agraire, de loi pour promouvoir l'égalité des genres, bref, de politiques progressistes.
Mais quatre ans après son arrivée au pouvoir et le début des changements qu'il avait proposé, Blaise a mené un coup contre son compagnon, un coup qui allait le mener au pouvoir, et voir Sankara assassiné au passage. Ce dernier, par ses réformes sociales au profit du plus grand nombre, s'était aliéné les intérêts français et la riche élite politique et économique du Burkina. Ceux-ci se sont rapidement rangés derrière Blaise Compaoré.
Compaoré a eu beau clamer poursuivre les idéaux révolutionnaires, personne n'a été dupe; ses politiques ont largement été influencées par les intérêts qui étaient au pouvoir avant la révolution de Sankara, et n'ont jamais cessé de s'aligner sur les modèles néolibéraux promus par le FMI et les intérêts occidentaux par la suite; privatisation et libéralisation de l'économie en tête de politiques à l'opposé des idéaux socio-économiques défendues par Sankara.

Blaise a donc pu profiter de l'appui tacite des pays occidentaux, ceux-ci étant très complaisant envers les dictateurs de facto quand ça fait leur affaire (les mêmes pays et institutions ont supporté d'autres leaders du genre tant que ça a fait leur affaire, avant de les condamner au moment opportun; les cas de Ben Ali, Moubarak, et même Khadafi ou Hussein viennent évidemment en tête).
Certes, la dictature politique de Blaise n'était peut-être pas aussi physiquement violente et répressive (quoi que je ne dispose pas d'informations fiables pour l'affirmer avec certitude - le Burkina Faso donnant tous les signes d'un pays pacifique de ce point de vue). Mais son régime n'a fait que lui profiter à lui et ses proches collaborateurs, ainsi qu'aux élites étrangères, sans jamais que les citoyens burkinabè n'aient d'espoir réels de voir leur situation s'améliorer.

C'est pourquoi je ne peux que me réjouir de voir que sa domination du Burkina semble se terminer cette semaine. Et au passage, je salue au moins son geste actuel (en espérant qu'il ne reniera pas par la suite) de ne pas s'accrocher au pouvoir à tout prix comme l'ont fait d'autres avant lui ailleurs dans le monde. Ce geste a le mérite de ne pas inutilement catapulter le pays dans un conflit certain.

Évidemment, l'incertitude qui accompagne de tels changements me fait craindre que d'autres forces et intérêts en présence n'en profitent pour usurper à leur tour le pouvoir, plutôt que ce ne soit les citoyens du Burkina Faso dans leur ensemble qui puissent retrouver le contrôle de leur pays et de leurs institutions. C'est le problème avec ce genre de régime aux apparences trompeuses de stabilité, il n'y a aucun mécanisme qui assure une transition ou une suite organisée et pacifique. De plus, l'exercice de 27 ans de pouvoir absolu a créé des tensions dans une population pauvre et exploitée, et il n'est donc pas anormal que ces tensions aboutissent à des actes violents. Si les gens qui s'emparent du pouvoir de transition ne tiennent pas compte de cet état d'esprit, le pays pourrait éventuellement sombrer dans la violence d'une guerre civile.

Dans un billet sur le contexte politique du Burkina écrit en 2010, je mentionnais: «Aujourd'hui, avec un taux de change fixé (unilatéralement) par la France entre le CFA (monnaie locale des pays d'Afrique de l'ouest, découlant de l'époque coloniale) et l'Euro, avec le Fonds Monétaire International exigeant des politiques de gestion néo-libérales et avec une politique fiscale et un niveau de corruption assurant une totale séparation entre les riches et les pauvres au pays, le Burkina Faso ne semble pas avoir de futur. Mais l'exemple de Sankara demeure, et peut-être qu'un jour, un politicien de la même trempe se lèvera et mènera le pays à sa véritable indépendance».

Reste donc à espérer que les gens qui auront l'opportunité d'exercer le pouvoir au cours des prochaines semaines et prochains mois aient la décence d'orienter le pays dans la bonne direction, et non de faire comme Blaise l'a fait avant eux, c'est-à-dire de profiter de cette opportunité pour s'installer confortablement dans sa chaise et opprimer encore et toujours le peuple burkinabè.

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Note:
La première partie de ce billet est inspirée de l'essai French Colonization and Political Powers in Burkina Faso: 1891-1991, par Suzie Nadeau, que je remercie de son aimable autorisation.
Les photos sont issues de billets précédents publiés en 2010 et ont été prises par Suzie Nadeau.
Autres sources et lectures suggérées:
Brittain, v. 1985. Introduction to Sankara & Burkina Faso. Review of African Political Economy. 32, pp.39-47.
Compaoré, B. 2006. Discours d’ouverture. Xe conférence des ambassadeurs et consuls généraux du Burkina Faso, 19 décembre 2006, Ouagadougou.
Englebert, P. 1996. Burkina Faso: Unsteady statehood in West Africa. Boulder, CO: Westview Press.
Harsch, E. 1998. Burkina Faso in the Winds of Liberalisation. Review of African Political Economy. 25(78), pp.625-641.
Martin, G. 1987. Ideology and Praxis in Thomas Sankara's Populist Revolution of 4 August 1983 in Burkina Faso. A Journal of Opinion, African Studies Association. 15, pp.77-90.
Sankara, t. 1985. The 'Political Orientation' of Burkina Faso. Review of African Political Economy. 32, pp. 48-55.
Wilkins, M. 1989. The Death of Thomas Sankara and the Rectification of the People's Revolution in Burkina Faso. African Affairs. 88(352), pp.375-388.