jeudi 28 juin 2012

Crise sociale: Les racines de la contestation

Origines
Voici un billet qui mijote depuis un bon bout de temps - un peu plus de deux mois, en fait.
C'est que j'ai vite remarqué que plusieurs observateurs - et non les moindres: l'ensemble des ministres du gouvernement et plusieurs chroniqueurs de droite comme de gauche - n'avaient pas compris un des éléments les plus importants du conflit qui a débuté par l'opposition d'étudiants à la hausse des droits de scolarité.
Cet élément, c'est que cette crise trouve ses racines dans un bassin idéologique qui dépasse complètement la question de la hausse, et dont les ramifications s'étendent un peu partout sur la planète depuis plus de 10 ans.
Car les origines de cette crise, on peut pratiquement les retracées jusqu'au Sommet des Amériques de Québec en 2001 (*).
Les attentats de septembre 2001 ont fait oublier le mouvement altermondialiste qui "commençait à développer une belle cohérence" (pour emprunter les mots d'un ami écrivain commentant la chose à l'époque). Les jeunes, eux, ne l'ont pas oublié, ce mouvement. Si le Sommet des Amériques à Québec en 2001 en était la première manifestation visible au Québec, depuis ce temps, il y a eu de nombreux traités, de nombreux changements de gouvernements, à Ottawa comme à Québec, et depuis 2003, les politiques provinciales sont orientées vers le néolibéralisme, idéologie complètement opposée aux mouvements altermondialistes.
Et ce mouvement, au fil des ans, il s'est élargi et est passé dans le monde académique, il a été étudié et discuté dans des publications spécialisées et dans les facultés universitaires.
Sciences sociales
Ce n'est pas un hasard si la majorité des étudiants grévistes sont issus des sciences sociales.
On s'attend d'un médecin qu'il soigne, d'un chirurgien qu'il opère, d'un mécanicien qu'il répare, d'un ingénieur civil qu'il supervise ou planifie des chantiers de travaux publics, d'un écrivain qu'il écrive, d'un cinéaste qu'il filme, d'un journaliste qu'il informe.
On s'attend des étudiants en philosophie, en histoire, en sociologie et en science politique qu'ils s'impliquent et défendent les opinions, les comparent à l'Histoire, les mettent en contexte et en analysent les aspects sociaux et politiques.
Et c'est exactement ce qu'ils font.
Le cri du coeur d'une étudiante sur un réseau social résume assez bien cette opinion:"Pour tous ceux qui pensent (ENCORE?) qu'on sort dans la rue pour une question d'argent".
S'ils sont en grève, c'est d'abord pour dénoncer la hausse des droits de scolarité, mais surtout la nature de cette hausse; une décision de politique néolibérale (**). Par la bande (et parfois directement), c'est cette idéologie qu'ils dénoncent, et ça tombe bien, puisque la question relève justement de leurs domaines d'expertise.
Depuis 2001, il s'est écrit et publié des milliers d'articles sur les dérives du néolibéralisme. Ces étudiants en sciences sociales étudient justement ces sujets, lisent ces articles, effectuent des travaux de recherche sur ces aspects de leurs sciences. Bref, ils sont informés sur ces questions, et bien mieux que la plupart des étudiants d'autres domaines - ce qui est normal, les étudiants en médecine sont quant à eux les mieux informés dans leur science également.
Occupy et quelques exemples d'efforts et d'appuis altermondialistes
On se rappellera du mouvement Occupy, dont Montréal et Québec ont été des théâtres particulièrement actifs au Québec l'automne dernier. Ce n'est pas le même mouvement, mais il provient des mêmes racines que la contestation étudiante. Plusieurs occupants du Square Victoria étaient étudiants ou diplômés en sciences sociales ou encore impliqués dans des mouvements sociaux ou des ONG diverses. On dénonce aussi le fait que plusieurs étudiants d'aujourd'hui voyagent; mais ce faisant, ils sont également plus informés de ce qui se passe ailleurs, surtout dans les pays défavorisés où sont visibles les effets des politiques néolibérales appliquées de force grâce à l'OMC, le FMI ou la Banque Mondiale, tous trois contrôlés par les pays industrialisés.
Dès le début de mai dernier, le journal britannique The Guardian mentionnait d'ailleurs, à propos du Printemps Érable: "They have also become a symbol of the most powerful challenge to neoliberalism on the continent".
C'est que le mouvement étudiant a réussi non seulement à mobiliser suffisamment de jeunes, mais a réussi à élargir le débat et recevoir de l'appui d'une large portion de la population non-étudiante. On argumentera sur l'importance de cette portion, mais il est évident que le mouvement de protestation dépasse largement la question de la hausse et inclus beaucoup de non-étudiants.
Des universitaires grecs (qui en savent quelque chose sur le néolibéralisme dont il subissent les foudres depuis quelques années) soulignaient justement il y a un peu plus d'une semaine que: "(...) la grève étudiante la plus longue et la plus massive dans l’histoire de l’Amérique du Nord qui est en train de devenir une des campagnes les plus importantes dans le monde contre l’austérité".
Dans cet article, publié sur son blogue au Voir (la version longue d'un texte publié dans Le Monde), le professeur Normand Baillargeon s'intéresse au contexte historique et aux raisons idéologiques derrière le mouvement étudiant et souligne également cet aspect.
Il ne fait donc aucun doute que la culture sociale de ces étudiants (pour la plus grande partie) a influencé leur point de vue sur le monde et sur la société québécoise.
Pour donner quelques exemples de cette culture, au niveau général et accessible à tous, ces étudiants sont parmi ceux qui visionnent et partagent les articles et site web comme celui de The story of stuff (dont je devais vous parler, mais je n'ai pas encore eu l'occasion; si vous comprenez l'anglais, c'est un site de vidéo-vulgarisation économique absolument brillant). Ces étudiants sont souvent les premiers à avoir été intéressés et à avoir vu des documentaires comme le film Inside Job, pour prendre un exemple récent dénonçant les politiques néolibérales ayant menées directement à la crise de 2008-2009 dont nous ne sommes toujours pas sortis.
Ce blogue-ci
Ce n'est pas un hasard si moi-même, inspiré par le mouvement altermondialiste et le courant critique du modèle néolibéral qui se dégage des publications spécialisées en sciences sociales, j'évoquais dans un billet en novembre 2011 (l'erreur économique mondiale) les dérives de ces politiques au Canada et au Québec.
J'avais basé ce billet sur une longue liste de lecture sur les dérives de la droite, dérives qui sont apparentes pour qui analyse les effets des politiques de droite pendant 30 ans, comme j'en faisais le survol ici. Or, une fois de plus, les étudiants en sciences sociales font ce genre d'analyse à chaque session d'études.
Dans le cas du gouvernement de Jean Charest, on peut rappeler la contribution santé, les baisses d'impôts aux corporations, l'abolition de la taxe sur le capital, les avantages fiscaux aux mieux nantis, ainsi que le désastreux dossier du démantèlement du Ministère des Transport au profit du privé. La corruption, la collusion et les dépassements de coût qui l'accompagnent ont souvent fait la manchette dans ce dossier, dossier que je soulevais sur ce blogue en septembre 2011. L'ensemble de ces politiques est rapidement devenu une cible pour les étudiants, après avoir contesté la hausse comme politique représentative de l'idéologie néolibérale.
Livres et articles actuels
Ce mouvement critique est très large; il dépasse non seulement la hausse et la crise sociale au Québec mais questionne l'ensemble des accords de libre-échanges et les politiques d'austérités imposées par le FMI et la Banque Mondiale (qui ne le faisaient que dans les pays en développement jusqu'à récemment, mais on le voit maintenant en Grèce et en Espagne et on le verra ailleurs).
De nombreux livres sont actuellement sur les tablettes des librairies et touchent plusieurs de ces sujets; ces essais philosophiques, sociologiques, historiques et politiques sont souvent parmi les plus grands vendeurs au Québec, signe que beaucoup de citoyens s'informent et s'intéressent à ces questions de société.
Au sujet des université elles-mêmes, il y a par exemple Je ne suis pas une PME du professeur Normand Baillargeon, dont l'auteur résume et explique ici son ouvrage. On peut aussi lire Université Inc. de Éric Martin et Maxime Ouellet, deux doctorants en sciences politiques de l'université d'Ottawa, et dont l'éditeur mentionne: "Université inc. démontre à quel point ce discours repose sur des chiffres tronqués et des arguments biaisés. Ce qu'il fait passer pour un plan de sauvetage de l'institution correspond en fait à un changement profond – et dramatique – dans son mode de financement. Plus encore : la conception de la culture et de l’enseignement qu'il trahit, on le réalise très vite, relève de la vulgarité bien comprise. Nous assistons en somme au pur et simple détournement de l’université vers des fins mercantiles."
Les questions de la marchandisation de l'éducation, de l'endettement des étudiants ou du financement des université ne font pas débat seulement au Québec; on peut désormais lire des articles ailleurs au Canada et aux États-Unis, où on parle de plus en plus de "bulle" de la dette et où on a annoncé une probable hausse des intérêts sur les prêts étudiant (ces intérêts doubleraient cet été).
Dans une récente lettre d'appui au mouvement étudiant du Québec, des représentants des associations étudiantes scandinaves écrivent: "La hausse des droits de scolarité au Québec n’est pas un problème isolé, mais l’indicateur d’une crise mondiale de l’éducation contre laquelle nous devons unir nos forces afin d’y mettre un frein." Dans cette même lettre, les auteurs s'inquiètent de la tendance mondiale et défendent les acquis du Danemark, de la Suède et de la Norvège, où l'accès à l'éducation universitaire est gratuit.
Bref, les étudiants d'ici - spécialement ceux en sciences sociales - sont au courant, ils sont bien informés et comprennent bien les rouages en jeu dans le conflit qui les oppose au gouvernement.
Remise en cause de tout un système
La crise sociale qui découle de la grève étudiante trouve donc ses racines profondément ancrées dans un mouvement altermondialiste et contre le néolibéralisme, qui a montré ses limites et ses faiblesses, même si le monde est lent à réagir et que les pouvoirs en place ont intérêts à faire perdurer l'ordre établi pour leur propre profit.
Il serait donc simpliste de croire que tout ceci ne concerne que 150 000 étudiants québécois.
Car ceci concerne (au sens où ils sont informés et au courant)... des millions de citoyens de pratiquement tous les pays du globe.
L'article Ras-le-bol néolibéral publié par Éric Desrosiers dans le devoir du 26 mai souligne plusieurs de ces aspects et offre une bonne introduction au contexte dont je parle ici.
(La Une du Devoir du 26 mai, qui réservait une place de choix à cet article, est aussi révélatrice si on regarde quel article accompagnait le papier de M. Desrosiers; à savoir un article sur le non respect des règles par les firmes de Génie conseil dans le dossier de la collusion-corruption dans l'industrie de la construction suite au démantèlement au Ministère des Transports).
Je terminerai sur une citation de Laure Waridel, qui en quelques mots, explique assez bien le milieu dans lequel évoluent ces étudiants contre la hausse, et une grande majorité des étudiants en sciences sociales: "Sous les bourrasques du libre marché, les priorités de la société ont été renversées. La croissance économique est devenue une fin en soi, au profit d’une minorité, plutôt qu’un moyen d’épanouissement individuel et collectif comme le promettaient tant d’économistes depuis la Seconde Guerre mondiale. Si nous pouvions jadis croire à cette utopie, il est aujourd’hui évident que nous nous sommes trompés. L’augmentation des inégalités, l’appauvrissement de la classe moyenne et la multiplication des crises sociales, environnementales et économiques sont les symptômes d’une crise devenue systémique. Nous savons que le roi est nu, mais le mensonge persiste." (Le long souffle du Printemps Érable, le Devoir, 2 juin 2012).
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(*) Ceux qui ne se souviennent pas des affrontements sociaux lors du sommet peuvent visionner l'émission Tout le monde en parlait consacrée à l'événement. On peut également lire le dossier consacré au Sommet par le journal Le Soleil en 2011.
(**) Parmi les 4 associations représentant des étudiants grévistes, c'est la CLASSE qui a été la première et la plus impliqué à dénoncer la politique néolibérale dans son ensemble, dont la hausse n'est qu'un élément comme d'autres.

lundi 25 juin 2012

22

Photo-reportage sous forme de quelques montages thématiques d'images croquées lors de la marche du 22 juin, dans la tradition des manifestations des 22 mars, 22 avril et 22 mai dernier. J'étais à celle de Québec, pour changer de décor et pour profiter, le lendemain, du spectacle sur les Plaines d'Abraham.
Notons que par une amusante coïncidence, ce 22 juin marquait le 52e anniversaire de l'accession au pouvoir du gouvernement de Jean Lesage, soit le début de ce que nous allions appeler le gouvernement de la révolution tranquille.

 Parler d'éducation et de corruption sous le regard bienveillant de M. Duplessis.

La Ville de Québec n'est pourtant pas contre la gratuité de certains services publics!

La jeunesse est inspirée et inspirante, dans un décor qui a vu d'autres batailles.

Manifester devant le Parlement de Québec avait évidemment quelque chose de symbolique, comme certains noms des rues empruntés par la marche.

Ni le dragon, ni celui arborant le visage de Guy Fawkes ne parlaient, pourtant...

Ti-Bas s'est ajouté au débat sur les vertus d'instruire son peuple.

Ma préférée, autant sur le fond (le texte à double sens) que sur la forme (les photos). Notez les amalgames et qui semble le plus violent dans chacune d'entre elles; policiers et canons ou Panda et masques souriants.
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jeudi 21 juin 2012

Être citoyen du Québec

Alors que nous allons célébrer notre Fête Nationale, je vous propose un petit texte, qui explique l'engagement d'un citoyen ordinaire, qui a pris part au débat, s'est engagé aux côtés des étudiants, a porté le carré rouge, et a manifesté, y compris avec sa casserole, au cours du présent printemps québécois.
Pourquoi s'être impliqué, alors que la facilité aurait été de continuer son train-train quotidien? Parce que c'est ça, être citoyen du Québec.
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Être citoyen du Québec, c'est pas un concours de popularité. C'est le moins qu'on puisse dire, surtout quand le Québec vit une période de turbulences.
Quand on pense que pendant ce printemps québécois, j'ai été regardé de travers, harangué par les policiers, insulté ou injurié sur les réseaux sociaux, que j'ai vécu des tensions avec des proches et des amis, on comprend que je n'ai pas fait ça pour devenir populaire.
Être citoyen du Québec, c'est d'abord travailler dans l'intérêt de tous les Québécois.
Évidemment, se battre pour une cause sociale comme celle de la lutte contre la hausse des frais de scolarité (en particulier) et des politiques néolibérales (en générale), c'est investir du temps et de l'énergie, pour partager ses connaissances, argumenter, tenter d'informer les autres citoyens, pour le bien commun. C'est une question de solidarité avec tous les Québécois. Être citoyen du Québec, c'est être capable de prendre des décisions qui sont souvent difficiles, mais toujours pour le long terme.
Bien sûr, la facilité pour moi comme pour les étudiants contre la hausse - qui ne seront pas pleinement touchés par la hausse à son apogée - ça aurait été de ne rien faire. La lutte citoyenne à laquelle nous participons est ancrée sur le long terme, sur la société que le Québec deviendra, en regard de ce qu'il a déjà accompli grâce à ses choix passés.
En d'autres mots, être capable de prendre des décisions qui sont responsables, quelles que soient les pressions. Ça peut jamais être parfait. Puis on a pas réponse à tout.
Et en ce printemps, la responsabilité véritable, ce n'est pas celle de l'individualisme, de la réclamation de son cours, de son dû, mais bien celle de ceux qui se battent pour un Québec meilleur, plus égalitaire, plus solidaire, tenter de garantir un accès plus égalitaire aux études supérieures. Certes, les pressions sont élevées pour arrêter la lutte, pour rentrer dans le rang. La Loi 78 impose des pénalités massives de 1 000 à 5 000$ simplement pour manifester à plus de 50, ce que j'ai fait à quelques reprises. Quelle est la réponse à une loi injuste, sinon de manifester son opinion pour avoir, non pas aucune loi, comme certains détracteurs du mouvement le prétendent, mais de meilleures lois, des lois justes!
Sauf qu'il faut à chaque fois regarder les choses en face. Pour prendre les bonnes décisions, pour tout le monde, et surtout pour la prochaine génération de Québécois.
J'ai 46 ans et j'ai terminé mes études universitaires depuis quelques décennies. Et j'aurais les moyens, si l'envie me prenait de retourner en classe, d'assumer la hausse. J'ai donc décidé de m'impliquer non pas pour moi, mais pour que la prochaine génération de Québécois ait la même chance que j'ai eu, d'avoir accès à ces études. Je crois fondamentalement que le Québec sera une meilleure société si plus de jeunes, de toutes les classes sociales, accèdent à des études supérieures s'ils le désirent.
En politique comme dans la vie, il faut avoir le courage de ses convictions.
Et en ce sens, j'assume totalement mon implication dans le mouvement étudiant. Les politiques néolibérales qui sont appliquées un peu partout dans le monde montrent leurs lacunes, ont creusé partout l'écart entre très riches et très pauvres, et ont plongées plusieurs sociétés dans une crise économique que nous avons su éviter en grande partie à cause de notre modèle social.
Je continuerai donc à me battre pour ce modèle de société, et pour la justice sociale.
Car j'ai fait le choix de la responsabilité, je sais que c'est le bon.
Bonne Fête à tous les citoyens du Québec.
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Note: Ce texte a été écrit avec sérieux et conviction. Je me dois cependant de remercier le Premier ministre Jean Charest pour l'inspiration, car toutes les phrases qui apparaissent en italique sont, intégralement et entièrement, les phrases qu'il prononce lui-même dans une récente publicité pré-électorale de son parti. J'ai simplement changé les mots "premier ministre" par le mot "citoyen", dans son discours.
(On peut consulter quelques parodies de la publicité et du discours en question ici; mes préférées: la version "État second" et la version "Bad trip psychédélique").

mercredi 20 juin 2012

Crise sociale: Appel public sur l'enjeu initial

Au moment de prendre position sur l'enjeu initial du conflit étudiant (la hausse des frais de scolarité universitaires), en mars dernier, j'écrivais ceci:
"[La hausse] C'est un choix, nous devrions donc en débattre. Voilà pourquoi j'appui le mouvement étudiant. Ils forceront éventuellement le débat. Si ce n'est pas un débat immédiat, ils forceront peut-être le gouvernement à reculer, et cette question deviendra un enjeu lors de la prochaine campagne électorale, le débat se fera donc à ce moment, ainsi que le choix de société."
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L'actualité de cette fin de printemps semble m'avoir donné raison sur ce point; il faudra en débattre, et vraisemblablement pendant une campagne électorale au mois d'août prochain dont un des enjeu principal sera celui des frais de scolarité (*).
Je fais donc un pas en arrière dans le conflit et revient aujourd'hui à cet enjeu initial, qui a été depuis quelques mois, complètement englué dans le conflit social que le mouvement est devenu.
Et je fais ce retour sur l'enjeu initial pour une raison assez simple: Depuis ma prise de position, je n'ai lu nulle part, ni entendu nulle part, un seul argument valable, basé sur des faits et données, qui vienne justifier la hausse des frais de scolarité.
Pour être clair, les (très) rares arguments avancés par le gouvernement et les chroniqueurs pro-hausse sont que les universités sont sous-financées, que le gouvernement n'a pas d'argent pour mieux les financer, et que chacun doit faire sa "juste part". Sur ces arguments, relire ma prise de position initiale pour voir qu'ils ne survivent pas à l'épreuve des faits. Relire aussi au besoin sur les grands principes en cause, sur l'argument du manque d'argent de l'état, et sur une piste de solution proposée pour revenir à des valeurs sociales moins individualistes pour financer les services publics en général, et l'éducation en particulier.
Je fais donc un appel public, ici, en espérant que ce débat social ait réellement lieu (bien que je ne m'illusionne pas sur les biais que le parti au pouvoir lui donnera pour tenter de faire renouveler son mandat).
Un appel public à l'argumentation, basée sur des faits et idées, qui viendraient justifier la hausse. Je ne parle pas des personnalités en cause, ni de la grève, ni des actions des grévistes, des manifestants ou des policiers, ni des déclarations des politiciens. Je parle du choix social de hausser ou non les frais de scolarité.
Laissez vos arguments et textes en commentaires, ils seront par la suite intégrés au billet, et je les analyserai de mon mieux et le plus brièvement et honnêtement possible. Bref, j'invite tous ceux qui sont pro-hausse (et à en croire les sondages, ils sont nombreux et majoritaires au Québec, donc exprimez-vous), à me convaincre. Car pour l'instant, après quatre mois de conflit, aucun argument pro-hausse que j'ai pu lire n'a survécu à l'épreuve des faits. Aucun. Et c'est essentiellement pourquoi je suis toujours contre cette hausse des frais de scolarité.
(Prière d'éviter les répétitions inutiles, les généralités, les préjugés, la démagogie, les insultes ou les jugements de valeurs).
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À vous.
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(*) Le conflit étudiant sera définitivement à l'avant-scène de la campagne, ce qui risque d'être bien diféfrent d'un réel débat social sur l'enjeu de la hausse des frais de scolarité, comme on l'a vu depuis quelques mois déjà. Pour les fins de la discussion, assumons que ce débat ait lieu.

mardi 19 juin 2012

Février 2014: À chacun son seuil de tolérance.

Comme je publie de la fiction depuis deux décennies, et que j’en lis depuis plus longtemps encore, je ne peux pas m’empêcher de voir aller la crise, la comparer à ce que j’ai lu (fiction et documentaire), avec en tête ce qui arrivera dans les prochains chapitres de l’espèce de roman collectif que nous sommes en train de lire (et d’écrire pour ceux qui participent d’une manière ou d’une autre).
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Comme je participe activement au mouvement social de ce printemps 2012 sur ce blogue, sur divers réseaux sociaux, et que j’interpelle mes lecteurs sur une base régulière, je suis parti de ma prémisse d’auteur/lecteur assidu pour m’imaginer en février 2014, en train d’écrire ceci.
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Chers lecteurs, comme vous le savez, ce blogue est désormais une plate-forme ouverte que je ne contrôle qu’à distance, et dans l’anonymat que me confère le web, et mes constants déplacements à l’étranger. Le site a été fermé à quelques reprises mais vous apparaît toujours actif, relayé et ré-hébergé ailleurs dès qu’un problème se pose. Deux ans se sont écoulés au Québec depuis le début du conflit social qui marque notre histoire collective. Ce blogue, qui était à l’origine individuel, n’a cessé de commenter la crise, et la réflexion d’aujourd’hui continue ce processus (que nous croyons sain) de remettre en question ce qui nous est déclaré par le gouvernement et les divers intervenants en se basant sur des faits.
Je me souviens avoir dénoncé rapidement les dérives dans lesquelles le gouvernement nous entraînait dès le début de la crise. On m’a alors accusé d’exagérer, de grossir les événements inquiétants. Devant divers commentaires désobligeants, j’avais réalisé que chacun a son seuil de tolérance quand vient le temps de subir l’autoritarisme relatif d’un régime politique, quel qu’il soit. Peu comprennent qu’un tel régime s’instaure lentement, subtilement, et non pas d’un seul coup (sauf de rares exceptions, qui sont justement des exceptions).
Ainsi, deux ans plus tard, j’ai eu l’idée de tester mes lecteurs avec un petit sondage maison, dont la question est fort simple, et comporte un choix de réponse en 15 points. Testez donc votre seuil de tolérance.
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Question: À partir de laquelle des étapes suivantes avez-vous commencé à vous inquiéter de la situation au Québec?
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1. Février 2012. Grève étudiante; le gouvernement refuse de la reconnaître (une pratique implicitement acceptée depuis 40 ans au Québec) et parle de Boycott. (Le terme français correct étant boycottage). La plus grande manifestation étudiante de l’histoire du Québec se déroule à Montréal, pacifiquement. Rumeurs d’élections printanières. Le premier ministre déclare que déclencher des élections en période de crise serait grotesque. Selon les sondages, une majorité de la population appuie le gouvernement.

2. Mars-Avril 2012. Le gouvernement reste silencieux. La police réprime violemment d’autres manifestations étudiantes, notamment avec des grenades assourdissantes et des balles de plastique, blessant gravement plusieurs étudiants; deux perdront l’usage d’un œil, plusieurs subissent des commotions cérébrales. Les ministres dénoncent la violence étudiante et demandent aux leaders étudiants de dénoncer toute forme de violence.

3. Mai 2012. L’Assemblée nationale adopte la Loi 78 qui restreint considérablement le droit de manifester, confirme l’absence légale de droit de grève des associations étudiantes et rend illégale « l’incitation » à manifester, laissant à la police le soin d’interpréter ce qui constitue de l’incitation (port du carré rouge, ou notes sur Twitter, pour citer deux exemples mentionnés par la ministre de l’époque lors du dépôt de la loi au parlement). La CAQ appuie cette loi déposée par le gouvernement du PLQ. La Presse publie un sondage disant que la majorité de la population appuie la Loi 78.

4. Juin 2012. Concerts de casseroles sur de nombreux coins de rues à Montréal, puis un peu partout au Québec, puis un peu partout au Canada et dans quelques villes du monde, en support au mouvement citoyens né au Québec. Arrestations de masse effectuées par le SPVM, le SPVQ et la SQ los de ces manifestations pacifiques. Le gouvernement ne condamne pas ces arrestations de masse, déclarant conserver un devoir de réserve et éviter de se mêler du travail de la police. Rumeurs d’élections en août-septembre.

5. Juin 2012. Arrestation, menottes aux poignets, du député de Québec Solidaire Amir Khadir, pour une infraction au code de sécurité routière. Il participait à une marche, sur la rue, déclarée illégale parce qu’elle n’avait pas donné son trajet à la police. Jamais sla police ne menotte les gens arrêtés pour une effraction au code de la route, à moins que la personne ne soit particulièrement violente ou le résiste à son arrestation, ce que le député de l’Assemblée nationale ne faisait pas. Dans les jours suivants, sa maison sera perquisitionnée, et sa fille arrêtée. Aucun journal ne parle de dérive, les journalistes soulève le devoir d’objectivités et ne rapportent que les faits.

6. Juin 2012. Déclaration du premier ministre selon laquelle les citoyens de quartier qui tapent sur leurs casseroles constituent des menaces. Déclaration du ministre Bachand selon lequel les manifestants étaient des anticapitalistes et des marxistes. Déclaration du président du festival Juste pour Rire selon lequel c’est à croire que la troisième guerre mondiale vient d’être déclarée à Montréal. Déclaration de la ministre de la culture accusant le poète et conteur Fred Pellerin d’être un violent et de favoriser l’intimidation par le port de son carré rouge.

7. Juin 2012. Application élargie de l’article 31 du code criminel. La police détient désormais «préventivement» des gens sous le prétexte qu’ils croient que ces gens pensent commettre un méfait. On ne demande plus à la police de documenter cette présomption justifiant les arrestations préventives. Arrestations arbitraires «préventives» de plusieurs citoyens portant le carré rouge dans le métro et dans le parc Jean Drapeau lors de la fin de semaine du Grand Prix de F1. Aucun n’avait proféré de menaces, aucun n’avait commis de méfait ou laissé croire qu’il en commettrait. Aucun n’a été accusé de quoi que se soit cette fin de semaine-là. D’autres arrestations préventives suivent dans les semaines suivantes. Un sondage montre que le parti au pouvoir a monté dans les intentions de vote.

8. Juin et Juillet 2012. Nouveau réglement municipal à Québec interdisant toute manifestation dont l'itinéraire n'est pas prévu à l'avance, interdisant tout regroupement de gens après 23h et tout passage dans un parc après 23h. Manifestations monstres le 22 juin à Montréal et Québec. Arrestations massives par le SPVQ en fin de soirée de la St-Jean alors que les gens sortent des Plaines d'Abraham après le spectacle et tentent de faire une petite marche improvisée. Arrestation de masse en fin de soirée du 24 juin à Montréal; première invocation par le SPVM de la Loi 78 et imposition d'amendes de 5000$ par manifestant arrêté.

9. Août 2012. Poursuite et reconduction des grèves générales dans les établissements scolaires. Établissement d’un couvre-feu préventif par la ville de Montréal, sur la suggestion du SPVM. «Les images d’incendies de cônes à divers carrefour et d’affrontement quotidiens entre manifestants et brigade anti-émeute causent un tort irréparable à l’économie de Montréal», déclare le Maire. «Les citoyens payeurs de taxes s’attendent à un minimum de sécurité et de paix, d’où cette mesure temporaire, le temps que le calme revienne». La ville est suivie dans ce mouvement par toutes les grandes villes du Québec, puis par les petites villes et villages. On interdit tout déplacement de nuit sans motif raisonnable et on interdit le port du carré rouge. Un éditorial de La Presse souligne l’intelligence de ces mesures pour la sécurité collective et la paix sociale.

10. Septembre 2012. Nombreux affrontements devant les établissements scolaires, menant à des dizaines d’arrestations de masse en vertu de la Loi 78. Malgré le couvre-feu, plusieurs manifestations nocturnes se déroulent nuit après nuit, sous le contrôle relatif du SPVM. Après qu’une de ces manifestation nocturnes illégales ait tourné à l’émeute, trois manifestants sont tués; deux sont abattus par accident par des tirs de balles de plastique à la tête par le SPVM et un est tué par un tir de la brigade anti-émeute de la SQ. Rumeurs d’élection avant décembre. Déclaration du premier ministre selon laquelle déclencher des élections en pleine crise sociale serait irresponsable. Il y aura enquête interne sur les manifestants accidentellement atteints par les policiers.

11. Octobre 2012. Pour des raisons de sécurité et de paix sociale, le gouvernement met sur pied une nouvelle brigade, copiée sur l’UPAC et l’escouade Marteau, qui aura pour mandat d'enquêter sur l'agitation sociale au Québec. Cette brigade enquêtera sur les organisateurs et collaborateurs du mouvement étudiant ayant provoqué et nourri la crise sociale et mis en péril la paix sociale et l’économie du Québec. Le chef de la CAQ, François Legault, qui avait souhaité cette enquête depuis le mois d’août, félicite le gouvernement de cette initiative. Arrestations des leaders étudiants pour incitation à la violence. Lourdes amendes aux associations étudiantes et suspension du droit de cotisations des étudiants aux associations en vertu de la Loi 78.

12. Décembre 2012. Les comptes Facebook, Twitter, les blogues seront analysés pour retracés les sympathisants du mouvement. Les archives du SPVM des manifestations de casseroles sont mis à contribution pour identifier ceux qui ont porté le carré rouge. Quelques semaines plus tard, on fait déjà des liens entre les collaborateurs, quelques journalistes, des membres actifs de syndicats, de mouvements socialistes, des membres d’extrême-gauche du PQ et de Québec Solidaire.

13. Janvier 2013. Début des perquisitions et arrestations chez les collaborateurs identifiés par la brigade spéciale. Les accusations varient (possession d’armes, comme des couteaux, de matériel subversif tels des carrés rouges ou drapeaux des patriotes, pancartes aux slogans anti-gouvernementaux, pastiches appelant à la révolution, etc). Déclaration du premier ministre: «Au Québec, il y a les agitateurs qui veulent le chaos et l’anarchie, et il y a ceux, la majorité silencieuse, qui ne veulent que le retour de la paix sociale et une économie forte. C’est pour eux que le gouvernement travaille sans relâche depuis des mois pour régler la crise». Un sondage montre qu'une majorité de la population appuie le gouvernement.

14. Mars 2013. Arrestation et emprisonnement temporaire de Pauline Marois, Amir Khadir et Françoise David, de même que plusieurs collaborateurs du PQ et de Québec Solidaire pour incitation à la violence. Le Premier ministre Jean Charest déclare: «Ceci prouve que personne n’est au-dessus des lois, pas même un élu». Démission de quelques députés Libéraux. Remaniement ministériel et coalition temporaire avec la CAQ, dont quelques représentants entrent au gouvernement.

15. Mai 2013. Report indéfini des élections provinciales pour des questions de sécurité nationales.
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Retour à la réalité.
Je sais bien que ce scénario ne se concrétisera pas (en tout cas, pas comme ça, je ne suis pas futurologue. C'est pour ça que c'est une petite fiction). Par contre, sur les 15 points, qui aurait dit, honnêtement, en janvier 2012, que nous passerions, au point 8, comme société? C'est dans ce paragraphe, pour le moment, que j'ai mis le changement de la réalité à la fiction. Pourtant, en janvier, si j'avais écrit un tel scénario, personne n'aurait cru que ce scénario devienne réalité jusqu'au point 7. Personne. Ça s'est pourtant passé alors suivant cette logique, je ne vois donc pas ce qui serait si impossible dans les points suivants.
Mais je ne crois pas que ça se passera comme ça.
Car je pense qu'au point 9, il y a un choix important de part et d'autre. Je crois que le parti au pouvoir ouvrira la fenêtre (la seule dont il dispose) pour tenter de décrocher un 4e mandat malgré la corruption et les nombreux scandales dont il a fait l'objet depuis 10 ans. La réaction des associations étudiantes et des étudiants déterminera s'ils peuvent ou non être instrumentalisés pour que le parti reste au pouvoir. Si c'est le cas, le scénario prendra une toute autre tournure, bien plus sombre pour une partie de la population (protestations, émeutes, arrestations massives, période d'autoritarisme, puis fin du mouvement social).
Sinon, on a une chance d'éviter le pire.
Moi, j'ai exprimé une crainte certaine au point 2. Au point 3, je me faisais déjà alarmiste, ici et sur les réseaux sociaux. Mais ma crainte véritable, ce n'est pas réellement le point 15 (bien qu'il soit possible sinon probable). Depuis l'atteinte du point 2, ma crainte véritable, c'est ce que je place ici au point 10. Si jamais ça arrive, alors le scénario devient réellement imprévisible, et aucune des possibilités envisageables n'offre un avenir proche très lumineux pour le Québec.
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Et puis vous, finalement, quel a été (ou quel serait) votre seuil de tolérance, sur cette échelle? Jusqu'où êtes-vous prêts à aller avant de vous indigner, et pourquoi?
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dimanche 17 juin 2012

Crise Sociale: Effritement du tissu social (2)

Après avoir exploré quelques ruptures sociales dans la première partie de ce billet, je m'attarderai ici aux impacts plus directs sur les personnes; le tissu social de proximité.
La famille, les amis
A part les relations qui nous lient avec les citoyens anonymes qui nous entourent et qui sont régit par les institutions sociales, il existe également un autre élément au tissu social, peut-être encore plus important; c'est le tissu social immédiat, celui de la famille et des amis, connaissances et collègues. Ce sont ces gens qui forment le noyau de relations personnelles qui cimente la vie de la plupart des gens.
Signe de l'importance de cet aspect du tissu social; une majorité (que l'on aime dire silencieuse, mais à qui on prête l'opinion qui nous convient) préfère ne pas se prononcer sur la crise, sur l'enjeu initial, ni sur les opinions émises d'un côté comme de l'autre. J'y vois pour ma part un mélange de trois éléments minoritaires: 1. Une ignorance volontaire (les questions sociales ne m'intéressent pas); 2. Une paresse assumée (trop compliqué à suivre, demande du temps pour s'informer, j'ai un travail exigeant, des enfants à m'occuper) et 3. La délégation de l'opinion (j'ai élu le gouvernement pour qu'il règle ça, des gens manifestent pour moi, des chroniqueurs expriment déjà mon opinion). Je crois pourtant que ces éléments reflètent autre chose: J'y vois surtout un effet de la volonté de plusieurs de préserver (protéger) leur tissu de relations personnelles: Si on n'en parle pas, on se chicanera pas. Ces gens semblent être majoritaires vu que les étudiants, manifestants et autres intervenants sur les réseaux sociaux comptent pour moins de la moitié de la population. Pour ces gens, donc, le tissu social de proximité est plus important que le politique et que la confiance envers les institutions.
Personnellement, je me suis impliqué sur ce blogue, en prenant position dès le début sur l'enjeu initial, j'ai continué à exprimer une opinion assumée (mais néanmoins basée sur des faits et qui tente d'éviter les préjugés et la facilité), et j'ai également été impliqué sur les réseaux sociaux (donc mettant mes opinions en contact direct avec mon tissu de relation personnel).
Pendant la crise, j'ai été traité de borné, j'ai été traité d'attardé et on m'a demandé, publiquement, de passer à autre chose. C'est dur sur le tissu social de proximité, surtout que ces commentaires ont été avancés par des proches, ou au vu et au su de proches qui n'ont pas réagit à ces insultes. Qu'on ne soit pas de mon avis, j'en suis fort aise. Qu'on argumente en faveur d'une opinion divergente, bravo. Qu'on confronte mes arguments à l'aide de faits, et vous attirerez mon respect. Mais que l'on m'insulte ou que l'on traite avec condescendance mon implication comme citoyen dans un débat de société, c'est plus dur à accepter. Surtout que je n'insulte personne, ni ne traite avec condescendance les gens qui argumentent et s'expriment à partir de faits ou d'idées articulées intelligemment. Même ceux qui n'expriment que des préjugés réducteurs, je leur mentionne au passage qu'ils devraient s'informer et bien articuler leur opinion, quelle qu'elle soit.
Je lisais sur Twitter un commentaire qui m'a fait penser à cet effritement du tissu social que risque désormais le citoyen qui a participé au débat au Québec: "C'est dur de voir les personnes que tu connais devenir des personnes que tu connaissais" (Mélissa Dufresne).
Le chroniqueur de droite Mathieu Bock-Côté, dont je ne partage pas l'idéologie, mais pour lequel j'ai un grand respect vu l'intelligence de ces propos, mentionnais justement sur son blogue:
"Un jour, demain, après-demain, dans un mois ou dans un an, la crise étudiante se terminera. Les étudiants recommenceront à étudier, les policiers recommenceront à coller des amendes inutiles (...) les militants de droite cesseront de s’imaginer que le communisme est à nos portes. À ce moment, j’ai l’impression que nous ressentirons les violentes déchirures du lien social auxquelles nous assistons en ce moment." (Mathieu Bock-Côté, Les amitiés rompues.)
L'ascenseur social
S'ajoutent au conflit initial, les racines qui lui ont permis de devenir un mouvement social important. Ces racines (que je tenterai d'explorer dans un billet à part), elles trouvent aussi leur place dans le tissu social personnel. Dans mon propre réseau famille-amis-connaissances-collègues, on retrouve beaucoup de gens, de diverses origines sociales, et qui se trouvent donc à divers endroits sur "l'ascenseur social".
Comme le souligne Stéphane Baillargeon, dans un récent article, " «L’ascenseur social est en panne depuis trente ans, note M. Kelly. Durant les trente glorieuses, après la Deuxième Guerre mondiale, les individus avaient bon espoir de monter d’un, deux ou trois niveaux. À partir des années 1980, le retour du balancier défavorise les nouvelles générations. Le niveau de vie stagne ou régresse. C’est l’impasse et l’adieu au progrès.». Pour lui, une série de déclassements sociaux expliquent donc les choix des étudiants en grève et des tapeurs de chaudrons. « La rationalité du gréviste voit la solidarité comme réflexe de survie dans un monde marqué par une insécurité croissante »." (Monarcho-libéraux contre républicains, Le Devoir, philosophie et sociologie, 2 juin 2012).
Un pas de plus
Les discussions qui touchent les proches remettent aussi en cause cet ascenseur social, comme je l'ai moi-même exprimé en réplique à un commentaire reçu d'un proche sur un réseau social:
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"Vous savez combien j’aime donner de mon temps, que je tente toujours d’aider mes proches, de prendre soin d’eux ou de leurs amis dans les cas de besoin, que je n’hésite pas à prendre de mon temps, du temps que je pourrais consacrer à travailler plus et faire plus de cash pour mon confort personnel, pour aider les gens que j’aime et que j’estime, pour leur donner des conseils s’ils en demandent. Vous savez que j’encourage plusieurs causes incluant l’aide aux citoyens du monde qui n’ont pas eu la chance que nous avons de juste naître à la bonne place – et pas seulement par des dons d’argent, mais par du temps et de l’implication volontaire et bénévole parfois pendant des mois. Et bien ces valeurs humanistes qui m’habitent et que vous m’avez souvent dit admirer chez moi, elles ne peuvent pas me dire de me fermer la gueule aujourd’hui, et surtout pas sous le prétexte de ne pas déranger ma famille et mes amis. Me fermer la gueule serait renier ces valeurs, ça serait bien pire que vous emmerder avec des liens et commentaires personnels sur MA page Facebook.
Mais je m’excuse vraiment d’être dérangeant. Je m’excuse de défendre le modèle social qui a permis à beaucoup d’entre vous d’avoir un travail bien rémunéré dans la fonction publique, d’avoir une retraite bien méritée avant 60 ans. À mon âge, 46 ans, je me bats pour ce modèle de société que le Québec a bâti il y a longtemps, et que plusieurs gens très fortuné détournent pour leur avantage, et ce, avec le consentement complice de ceux qui choisissent le confort du silence et de ceux qui votent pour leurs politiques parce qu’ils sont trop ignorants ou trop paresseux pour s’informer. Je m’excuse de tenter de conserver les acquis sociaux du Québec, qui, dans 20 ans, me permettront peut-être, avec de la chance, qu’il reste un peu de ce filet social pour me payer quelque rente de retraite, moi qui aurai contribué à la RRQ toute ma vie durant. Je m’excuse de défendre un système social qui permettra peut-être à vos enfants et petits-enfants, dans 15 ou 20 ans de ne pas avoir à payer 20000$ de frais scolaire par année d’université, de s’endetter à outrance ou de ne pas accéder aux études que vous et moi avons pu avoir. Je m’excuse de défendre et tenter de préserver le modèle social qui a fait du Québec un des endroits au monde où on a le mieux résisté à la crise économique. Je suis désolé de vous emmerder à tenter de sensibiliser les gens à ce système, qui garantira peut-être un jour un accès pas trop cher à des soins pour mes vieux jours, soins que j’aurai payé de mes impôts toute ma vie durant et que vous aurez eu pendant votre vie. Si vous vivez jusqu’à 80-90 ans, vous allez autant en profiter que moi, s’il existe encore, notre système de santé.
Pour ceux qui n’ont pas encore compris – ou qui ne veulent même pas savoir – ce qui se passe en ce moment au Québec, et qui croient que l’on se bat pour 1625$ par an ; notez que j’ai terminé mes études il y a 20 ans, si vous n’avez pas encore compris ce qui se passe et pourquoi je me bât, pas pour MOI seul comme un individualiste égoïste, mais pour TOUS les québécois qui vivent ici actuellement et tous ceux qui viendront après moi, alors effacez-moi de votre Facebook, vous pourrez alors dormir sur vos oreilles sans être emmerdés par mes commentaires.
Je refuse de juste prendre mon cash et me la fermer sous prétexte que j’ai les moyens de me passer du filet social qui existe ici, juste parce que je fais assez d’argent pour me foutre de ce que ceux qui n’ont pas eu ma chance vivent ou peuvent vivre. Non."
(Extrait de ma page Facebook, le texte original est plus long et un peu plus cru).
Plus jamais le même par la suite
J'avais jusque-là décidé de garder un profil bas en ce qui concernait mes contacts personnels. Aucune allusion directe à la crise ou mes opinions dans des courriels ou communications personnelles (à moins que le correspondant ne s'avance lui-même). Limite des visites et rencontres, justement pour protéger cet aspect du tissu social et respecter la position de plusieurs de ne pas aborder la question. J'avais aussi adopté un discours qui faisait fi de toute situation personnelle, que ça soit la mienne ou celle de mes proches.
Ainsi, en répondant à ce commentaire, qui m'avait profondément insulté, en exprimant ce point de vue, il était évident pour moi, au moment même de le publier, que mon tissu social ne serait plus jamais le même par la suite.
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(*) Ne prenons qu'un exemple, celui du jeune accusé de méfait dans le métro (briques déposées, pas l'affaire des engins fumigènes). La police s'est servi de son appel quand il a découvert le corps de sa soeur, pour le suivre et l'arrêter sur la route alors qu'il se rendait à ses funérailles en compagnie de sa famille. Comme j'ai participé à plusieurs marches de quartier, illégales selon la Loi 78 (au moins une douzaine), s'il arrivait que j'ai besoin de la police, j'hésiterais. 12 * 5 000 $ d'amende représentent un risque minimal de 60 000$ si jamais je tombais sur un policier revanchard qui décidait de ressortir des photos de manifestations - les policiers nous prennent en photo au coin de Beaubien St-Denis certains soirs de casseroles). Je ne ferai donc pas volontairement appel à la police désormais. 

Crise sociale: Effritement du tissu social (1)

Crise en pause; bons et mauvais côtés
Je profite d'une petite pause dans le débat social pour aborder un thème que je veux aborder depuis des semaines. J'ai un peu manqué de temps, mais il faut aussi dire que les événements se succédaient assez rapidement et je ne voyais pas le moment propice pour aborder le sujet, qui est délicat.
Au moment d'écrire ce billet, le climat est toujours tendu. Le concerts de casseroles vont probablement diminuer, et éventuellement se transformer en autre chose. L'Assemblée Nationale est en vacances, il est donc clair que le gouvernement demeurera sur la position qu'il a adoptée le plus clair du temps depuis février; ne rien faire et attendre. Règlements municipaux et Loi 78 sont contestés devant les tribunaux, mais le jugement n'a pas encore été rendu. La fête de l'argent (des chars et des poupounes) du Grand Prix est passée, sans attaque terroriste, et les festivals ne semblent pas (plus) craindre les manifestants. Le beau temps règne sur le Québec depuis une semaine, et nous sommes à une semaine de la grande manifestation annoncée pour le 22 juin et la Fête Nationale deux jours plus tard. Bref, c'est peut-être la période la plus calme depuis le début du conflit.
Mon sujet délicat, c'est l'effritement du tissu social que la crise va provoquer au Québec.
Je suis de ceux qui pensent que cette crise a un côté positif pour le Québec; elle provoque les débats, les remises en questions d'idées politiques, interpelle le citoyen sur le modèle social du Québec, sur certains choix sociaux que l'on croyaient acquis et secoue le vieux débat sur la question nationale. Personnellement, j'y vois un mouvement sain pour la société. Je parle évidemment de ceux qui se questionnent, et s'interrogent sur ces sujets, pas des dérives extrémistes, des injures, des chroniques haineuses et de la démagogie étalée sans gène ni retenue.
Car bien que le débat soit sain, ces effets secondaires sont dangereux, socialement, puisque le tissu social, la paix sociale, reposent généralement sur le lien de confiance que les citoyens ont envers les institutions; judiciaires, gouvernementales, policières, etc. Cette crise a ébranlé sérieusement cette confiance pour plusieurs citoyens, dont je suis.
Rupture sociale
Dans les derniers mois, plusieurs groupes de citoyens ont émis de sérieux doutes sur leur relation de confiance au système judiciaire (le cas Turcotte, celui du jeune qui a tué une enfant avec sa voiture, etc). La crise a permis d'ajouter - avec les injonctions impossibles à appliquer et non-respectées pour la majorité - une autre voie de contestation du système judiciaire, supposément indépendant du politique. Le sort réservé au jugement attendu sur le réglement municipal et à la Loi 78 contestée en diront long sur ce lien de confiance.
Les institutions gouvernementales ont aussi souffert énormément. Pas seulement avec l'insatisfaction envers le parti au pouvoir, mais avec un mouvement de désobéissance civile pacifique sans équivalent dans les 40 dernières années au Québec; jamais de ma vie je n'avais vu autant de citoyens "ordinaires" défier une Loi votée à l'Assemblée Nationale, publiquement, sans gène, et à répétition. On a aussi vu qu'aucun parti d'opposition (PQ, QS et CAQ) n'a profité de la crise, ni de l'insatisfaction envers le parti au pouvoir, signe que les citoyens n'ont que peu de confiance en leur institution gouvernementale (même si ce syndrome était déjà présent dans le cynisme qui dominait avant la crise).
Mais c'est peut-être le lien avec les institutions policières qui aura le plus souffert. Il s'agit pourtant du lien, parmi les trois institutions citées, qui est toujours le plus fragile, même en tant de paix sociale.
Pour ma part, après ce que j'ai vu, ma confiance envers les policiers (en général) est fortement ébranlée, quasi réduite à néant (*).
Et non seulement je suis un modéré, mais originaire d'une famille où l'un des membres était policier. Dans ma jeunesse, cet oncle policier était non seulement quelqu'un que j'aimais, mais que j'admirais pour ce qu'il faisait pour la société. Pourtant, la police ne me considère pas comme un modéré, comme j'ai pu le voir lors de mes discussions avec certains agents alors que mon seul signe distinctif était de porter un carré de feutre rouge. Je suis conscient qu'il y a des bavures (parfois seulement des exceptions), et j'estime raisonnable de souhaiter un organe de contrôle meilleur que celui que nous avons actuellement, où la police enquête sur la police. Or la police ne partage pas cet avis, nie totalement les nombreux abus policiers qui se sont produits pendant la crise, et nie les ordres politiques qu'elle a clairement reçu.
Il existe des centaines d'exemples; assez pour ne plus parler, justement, d'exception. D'où la rupture du lien de confiance. Je mentionnerai - pratiquement au hasard - l'animatrice de CUTV se faire battre à coup de matraque, et supplier: "arrêtez, arrêtez". Elle ne manifestait même pas, mais filmait pour la télé universitaire.
Aussi, après avoir tiré sur un manifestant avec un fusil à balles de plastique, un policier du SPVM qui s’écrie: «Tiens! Dans les fesses, mon calisse.». Cette scène, reprise par TVA, a aussi été vue à plus de 220 000 reprises sur YouTube. Difficile de nier cette attitude après avoir vu ça.
Sans parler directement d'effritement du tissu social, Patrick Lagacé a signé il y a quelques semaines une chronique approchant de ce sujet, en amalgamant certains arguments et dérives de part et d'autre du débat social. Sur la relation de confiance police-citoyen, il mentionne les confidences anonymes d'un contact policier: "On verra si t'as pas envie, des fois, de fesser un peu plus fort que tu devrais."
Vous noterez que le policier ne remet pas en cause le fait qu'il "doit" fesser sur quelqu'un. Incroyable. Mais ça explique beaucoup de chose. Le problème que j'ai, c'est que les lecteurs verront son commentaire comme une excuse acceptable. Comme citoyen qui est (automatiquement) à la merci des policiers s'ils décident d'abuser, je pense que ce genre de raisonnement va mener éventuellement à des commentaires du genre: "Je m'excuse, j'étais fatigué après plusieurs quarts de 14h, alors j'ai tiré à bout portant, j'aurais dû viser les jambes."
Et je ne parle même pas de questionner sur qui il a "fesser un peu plus fort que tu devrais "; à voir les dizaines de vidéo en ligne, ça arrive souvent que c'est sur des gens qui n'ont absolument rien fait d'autre que d'exprimer une opinion politique pacifiquement.
Cette simple phrase me terrorise donc, rien de moins, car elle signifie que c'est acceptable, excusable, et que ça pourrait m'arriver au coin de la rue. Une fois encore, ceci illustre assez bien pourquoi je crois que le lien de confiance citoyen-policier est celui qui a le plus souffert.
La famille, les amis
A part les relations qui nous lient avec les citoyens anonymes qui nous entourent et qui sont régit par les institutions sociales, il existe également un autre élément au tissu social, peut-être encore plus important; c'est le tissu social immédiat, celui de la famille et des amis, connaissances et collègues. Ce sont ces gens qui forment le noyau de relations personnelles qui cimente la vie de la plupart des gens. Ce tissu là aussi est menacé par la crise; j'en explorerai quelques avenues dans la seconde partie de ce billet.
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(*) Ne prenons qu'un exemple, celui du jeune accusé de méfait dans le métro (briques déposées, pas l'affaire des engins fumigènes). La police s'est servi de son appel quand il a découvert le corps de sa soeur, pour le suivre et l'arrêter sur la route alors qu'il se rendait à ses funérailles en compagnie de sa famille. Comme j'ai participé à plusieurs marches de quartier, illégales selon la Loi 78 (au moins une douzaine), s'il arrivait que j'ai besoin de la police, j'hésiterais. 12 * 5 000 $ d'amende représentent un risque minimal de 60 000$ si jamais je tombais sur un policier revanchard qui décidait de ressortir des photos de manifestations - les policiers nous prennent en photo au coin de Beaubien St-Denis certains soirs de casseroles). Je ne ferai donc pas volontairement appel à la police désormais.  Ça va prendre du temps aussi avant que je n'oublie les commentaires réducteurs (voir agressifs) de certains policiers face à mon seul port du carré rouge, lors de discussions pourtant cordiales avec certains de leurs collègues.

samedi 16 juin 2012

Crise sociale: L'Argentin

Un petit billet sur un homme que j'ai rencontré l'autre soir, en remontant sur St-Denis, à pied, entre l'avenue du Mont-Royal et Beaubien.
L'homme est un argentin dans la cinquantaine. Il est au Canada, où il a immigré, depuis 1980.
L'homme suivait le conflit étudiant du Québec en dilettante, comme bien du monde, et en gardant ses opinions pour lui-même et quelques proches.
Ce soir-là, sur le trottoir sur St-Denis, il porte un t-shirt blanc orné d'un macaron du Che, héros latino-américain natif de l'Argentine.
Il porte fièrement ce macaron car ce soir, il exprime son opinion et l'affiche publiquement.
Car l'Argentin est un homme de gauche.
S'il est arrivé au Canada en 1980, c'est après avoir réussi à sortir de son Argentine natale, quatre ans après le coup d'état de 1976 pour venir rejoindre son frère qui avait immigré ici plus tôt.
"Sans mon frère, qui vivait déjà ici, je ne sais pas si j'aurais trouvé le courage".
Avant ce voyage qui allait le mener ici, l'Argentin a passé quatre ans à se cacher, à surveiller ses arrières, à se méfier des autorités. "J'avais repéré et compté les clôtures et les terrains qu'il me faudrait traverser, les endroits par où m'enfuir, j'avais imaginé des trajets, au cas où ils viendraient me chercher chez moi. mais ils surveillaient souvent tout un quartier à la fois, alors ça aurait été difficile."
Ils. Il parle de la police, des représentants de l'autorité de l'état.
Pendant ces 4 ans, il craint toujours qu'on vienne le chercher, comme les autorités viennent chercher les gens de gauche, les supporteurs de Péron et les opposants au régime.
"Ils sont emprisonnés, puis ils meurent et le gouvernement dit que c'étaient des drogués et que c'est pour ça qu'ils sont morts en prison. Moi, je n'avais jamais vu de drogue de ma vie. La première fois que j'ai vu du pot, c'est au Canada".
"Les gens disparaissaient. Quand ils revenaient en vie, ils avaient été torturés, normalement pendant trois jours".
L'Argentin s'exprime dans un excellent français (malgré qu'il dise avoir parfois de la difficulté à se faire comprendre; "Je ne parle pas bien le français").
En 1976, l'Argentine a subi un coup d'état, après lequel a été instauré un régime militaire de droite, similaire au régime dictatorial que Pinochet avait installé au Chili et que d'autres avaient imposés ailleurs en Amérique Latine, avec l'approbation implicite des États-Unis et de la Grande-Bretagne, alors gouvernés par les Républicains d'une part, et les Conservateurs de l'autre. [En 1979-1980, Reagan et Thatcher allaient prendre le pouvoir en continuant d'appuyer ces dictatures de droite. Même après son départ, Pinochet allait être reçu comme un prince par Thatcher, qui disait le considérer comme un ami personnel].
L'Argentin sait donc exactement ce que veut dire un régime de droite qui adopte des dérives autoritaires. Il sait que ça mène vers un régime totalitaire. Il a vu le glissement entre l'installation du régime, les mesures de "sécurité", puis la dérive, le retrait de certains droits, puis "l'invention des disparitions", comme il le dit lui-même, pour parler des opposants au régime qui sont disparus sans laisser de trace.
L'Argentin est au Canada depuis 1980. Ça fait 32 ans. Il n'a pourtant pas oublié.
Alors le soir, vers 20h, il sort de chez lui, macaron du Che bien en vue, et va jouer de la casserole avec ses voisins au coin de la rue, et parfois marche avec eux dans la rue, comme ce soir-là, quand je l'ai rencontré alors que nous quittions tous les deux une de ces marches citoyennes au coin Mont-Royal et empruntions le trottoir sur St-Denis pour rentrer chez nous.
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Pour mieux comprendre l'implantation des dictatures de droite en Argentine et au Chili, je recommande la lecture de The Shock Doctrine, de Naomi Klein, ou encore le film documentaire du même titre, tiré du livre (dont j'ai parlé ici).

vendredi 8 juin 2012

Fascinante soirée de contrastes à Montréal

Vous savez comment j'aime la ville, comment je suis une créature urbaine. Hier, Montréal s'est avérée à la hauteur.
Imaginez une belle soirée en ville:
Suivre une marche nue, avoir une conversation avec un agent de l'anti-émeute, donner une entrevue à un journaliste de F1 pour un quotidien d'Espagne, passer du temps avec les riches consommateurs de biens griffés (et majoritairement anglophones) au party de chars et de poupounes sur Crescent, goûter par la bande au gaz poivre et respirer des relents de gaz lacrymogène, avant de finir le tout sous une averse, avec les pauvres consommateurs de spectacles gratuits (et majoritairement francophones) devant un bon show de Pierre Lapointe aux Francofolies.
Bref, une soirée urbaine, Montréalaise, printanière de 2012, et aussi une enfilade ininterrompue de contrastes sociaux fascinants. Je ne blague pas, j'ai passé une excellente soirée.
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Depuis un moment déjà que je vis l'actualité plus que je ne la commente (bien que je sois actifs sur des plates-formes plus instantanées mais moins réfléchies que ce blogue pour le moment), je réalise que je n'ai pas le temps nécessaire pour suivre tout ce qui se passe et le commenter de manière détaillée en même temps. Je réserve donc les commentaires rapides pour les réseaux sociaux, et tente de garder mes notes plus élaborées pour ce blogue, où je devrais avec les semaines qui viennent, publier quelques articles qui tenteront un regard avec un peu de recul (ce qui est à peu près impossible pendant les événements, mais je ferai un effort supplémentaire pour tenter quelques commentaires éclairés même si nous sommes encore au milieu de l'histoire).
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Revenons donc à la soirée d'hier, alors qu'au moment où je rédige ceci, les casseroles jouent sur le coin de ma rue, et qu'elles ont débutées accompagnées - comme tous les soirs maintenant - par les cloches solidaires de l'église St-Edouard, que l'on entend à 20h pile depuis plusieurs soir déjà.
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Le plan d'hier était simple; se rendre au centre-ville, voir ce qui s'y passe et aller assister au spectacle de Pierre Lapointe en ouverture des Francos. Un plan improvisé à quelques minutes d'avis, puisque je croyais que le festival prenait son envol ce soir seulement; son ouverture ayant été camouflée par le reste de l'actualité des derniers jours.
Il n'a pas été difficile de tomber sur la maNUfestation d'hier soir en arrivant sur Ste-Catherine et facile de comprendre pourquoi, puisqu'après avoir suivi un peu la manif (avec des supporteurs habillés, bien que les manifestants n'aient pas été entièrement nus), je me suis vite rendu compte qu'ils tournaient en rond. En effet, le plus important déploiement de policiers du SPVM que j'ai pu voir depuis le début du conflit encerclait carrément les milliers de manifestants, contrôlant les aires et rues où ceux-ci pouvaient marcher... et leur bloquant à l'aide des boucliers anti-émeute le moindre accès vers l'ouest.
La manif était organisée pour protester contre les valeurs que représentent le Grand prix de F1 et se déroulait pacifiquement. La police était par contre sur les dents, mais en contrôle. Certains manifestants s'amusent aux dépends des policiers; l'un d'eux, en bobettes, leur fait une danse improvisée, ce qui amène quand même deux ou trois agents à sourire. Une autre joue "My heart will go on" de Céline Dion à la flûte devant la brigade anti-émeute; mais ils ne semblent pas apprécier sa musique.
Près du coin René-Lévesque et St-Urbain, l'anti-émeute a failli laisser passer les marcheurs vers le site des Francos où avait débuté un spectacle de 4h qui devait culminer avec la présence de Pierre Lapointe plus tard en soirée. Il y a eu un peu de tension, puis un kid a refusé de circuler lorsque la brigade lui a demandé. Il errait entre la manif et la police, quand quelques agents de l'anti-émeute ont décidé de le forcer physiquement... et de l'arrêter, à quatre agents, avec tie-wrap et immobilisation violente au sol. une arrestation que je trouvais injustifiée (il n'avait rien fait de criminel ou de méfait, mais la manif avait été déclarée illégale - pas de trajet). Injustifiée et inutilement physique, avec quatre agents costauds pour immobiliser un gringalet non armé. Il y a donc eu tension, tout le monde filmait et huait les policiers. Puis, alors que le gros de la marche reprenait vers l'est, plusieurs sont restés à haranguer les policiers. De voir une jeune fille seins nus peints en rouge argumenter avec un costaud de l'anti-émeute était probablement mon premier grand contraste de la soirée. Étant curieux de nature, et me retrouvant visiblement devant un policier prêt à quitter le mode robotique et prêt à s'entretenir avec les citoyens, j'en ai profité pour entreprendre une conversation avec l'agent de la brigade anti-émeute du SPVM.
Nos points de vues divergent clairement, mais ne sont pas aussi éloignés que l'on pourrait le croire. Évidemment, qu'il refuse de voir qu'il y a eu des abus policiers n'est rien pour démontrer sa bonne foi, mais sa conversation était intéressante, respectueuse, et certains de ses arguments n'étaient pas idiots bien que réducteurs. je lui ai accordé qu'ils voient beaucoup de grabuge, beaucoup. Du même élan, toutefois, Je lui ai fait remarqué que le grabuge a tendance à se produire justement quand ils sont là, l'anti-émeute, et qu'ils foncent vers les manifestants. Quand la manif marche en paix, il n'y a pratiquement jamais de casse, ni de méfaits.
Devant son argument selon lequel sans eux, ce serait l'anarchie, je lui ai confirmé que la société avait besoin d'un minimum de représentants de l'ordre, mais que ceux-ci devaient opérer sous le respect des citoyens, ce qu'ils sont en train de perdre à cause des abus en question, et que sinon, ils ne sont que le bras armé d'un régime autoritaire, et que la dérive était une pente dangereuse.
Un de ses confrères m'a dit que j'étais trop dans mon monde, ce à quoi j'ai répondu qu'il devait l'être encore plus que moi. Ce collègue (qui avait sorti son gaz poivre devant moi quelques minutes plus tôt alors que je filmais à deux mètres l'arrestation musclée et la réaction des manifestants) a passé un seul autre commentaire, beaucoup moins intelligent:
"Monsieur, il y a un sondage une fois tous les 4 ans, allez cocher votre case pis rentrez chez vous".
Un autre m'a demandé si j'avais des enfants (je n'en ai pas) et m'a dit, que si j'avais des neveux et nièces, qu'il se ferait un plaisir de venir faire du vacarme à coup de casseroles à leur mariage. Je m'en suis montré ravi et lui ai demandé son courriel pour pouvoir l'y inviter. Il a décliné l'invitation.
De retour à mon agent (qui a levé sa visière et baissé son bouclier pour me parler), nous avons conversé pendant au moins dix à quinze minutes. Une autre manifestante, à mes côtés, demandait à "son" policier, s'il n'était pas écoeuré de travailler au service des riches. Il lui a répondu devenir riche grâce à son temps supplémentaire pendant le conflit, mais qu'il n'avait plus de vie. Mon interlocuteur m'a confié ne pas croire que des policiers anti-émeute soient assez caves pour risquer leur job à 80 000$ par an en frappant de la matraque sur les citoyens. Je lui ai suggéré, une fois le conflit terminé et ses vacances venues, d'aller faire un tour sur Youtube. Il pourra aussi lire La Presse d'aujourd'hui, où apparaît une photo d'un policier du SPVM grimaçant d'effort en train de matraquer un citoyen, hier soir, justement, quelques minutes après ma conversation avec le policier de l'anti-émeute. Il faut préciser que celui de la photo de La Presse doit gagner moins de 80 000$, n'étant pas de la brigade anti-émeute.
Mon agent m'a alors fait remarquer que le SPVM avait laissé des dizaines de manifestations marcher malgré qu'elles avaient été déclarées illégales dans les dernières semaines (il parle essentiellement des casseroles), ce à quoi j'ai répondu qu'il avait raison, et que c'était exactement ce que je disais un peu plus tôt en mentionnant que le calme régnait toujours quand ils ne se pointaient pas.
Par une douce ironie, les manifestants ont profité d'une brèche et d'une diversion (j'espère ne pas avoir été part de cette diversion par mes conversations), et a déjoué l'anti-émeute pour se retrouver entre temps sur Ste-Catherine, à l'entrée des Francos.
Là, à travers de touristes, de gens venus au Festival et de policiers, la foule bigarée a soudain été poivrée largement et abondamment par un officier supérieur du SPVM. Comme je demandais justement à un policier si le site était ouvert malgré la manif (mon projet d'origine étant le spectacle de Pierre Lapointe), j'ai respiré du gaz poivre en question de manière collatérale. Pas très agréable ni pour les yeux ni pour les poumons.
Le site m'était donc temporairement fermé, mais les marcheurs ont remonté entre la PDA et la maison de l'OSM pour passer directement à travers du site du festival alors que sur scène, Daran entretenait la foule. L'ambiance était plutôt festive, surtout que les manifestants scandaient quand même qu'ils se calissaient de la loi spéciale. Les jeunes filles gardant les abords du site chantaient avec eux.
Les manifestants sont ressortis par Ste-Catherine ouest, ayant littéralement semé le SPVM pour le moment.
Ils ont marché vers l'ouest (Peel et surtout Crescent, lieu culte pendant le Grand Prix de F1), mais il était clair que la police ne laisserait jamais le groupe passer. A ce moment-là, la manif nue avait fusionné avec la désormais traditionnelle manif nocturne du centre-ville de Montréal contre la hausse des frais de scolarité. Les causes ainsi fusionnées (hausse, Loi 78, anti-valeurs du GP), la marche a été bloquée peu après McGill Collège, et un jeu de chat et de souris a eu lieu pendant un temps entre les deux groupes (marcheurs et policiers). Je me disais que c'était presque lassant, mais avant que le tout ne s'éparpille, quelques fonceurs plus radicaux ont commis des méfaits (projectiles envers les policiers, à ce que j'ai pu voir). La brigade a répondu de manière musclée à chaque fois, créant une mini panique chez les marcheurs, mais à chaque intervention que j'ai vu hier soir, c'était ciblé à 100% sur ceux qui avaient commis un méfait. Plusieurs pétards et feux d'artifices se sont fiat entendre pendant cette période de la soirée. Un engin fumigène a été allumé, quelques autres méfaits, d'autres courses de l'anti-émeute, toujours très ciblées, beaucoup de tension, puis soudainement, la brigade a chargé (probablement fatiguée de voir les manifestants tourner en rond) pour disperser la manifestation de force... J'étais debout au coin de McGill et Ste-Catherine, quand la brigade anti-émeute a foncé et lancé des gaz lacrymogène un peu plus à l'est de ma position. Ils sont passés devant moi, puis j'ai senti le gaz et, passé quelques secondes, j'ai dû m'éloigner, toussant un peu malgré moi. Dommages collatéraux seulement, un peu d'irritation aux yeux à cause du vent qui poussait un peu les gaz vers moi. Je me suis installé un peu plus au nord; la manif s'est dispersé en petits groupes.
Deux minutes plus tard, la circulation automobile et piétonnière était reprise sur Ste-Catherine, comme si de rien n'était, un jeune couple avec un bébé en poussette se dirigeant vers l'ouest et passant dans les relents de nuage de gaz sous les regards des policiers réguliers du SPVM.
Il y avait eu quelques gouttes de pluie à quelques reprises au cours de ma soirée, mais rien de majeur. La pluie s'est intensifiée un brin à partir de ce moment-là, et j'ai décidé d'aller vers l'ouest, vers Peel et Crescent, question de marcher symboliquement exactement là où les policiers voulaient empêcher les gens d'aller quelques minutes plus tôt.
Un homme m'arrête et me demande ce que signifie mon carré rouge. La conversation s'engage (il est visiblement étranger) et il s'avers qu'il est un peu informé mais veut en savoir plus sur les étudiants, les manifestants, les protestations, bref, la crise qui entoure désormais le Grand Prix l'intrigue. J'apprendrai qu'il s'appelle Manuel Franco, et qu'il est journaliste sportif espagnol couvrant les Grands Prix de F1 à travers le monde. Après lui avoir accordé cette entrevue improvisée (*) - j'ai même tapé sur le clavier de son iPhone le nom de Jean Charest pour qu'il ait le bon orthographe du nom du PM du Québec - il a pris une photo, puis est retourné vers l'ouest en m'assurant que ce qu'il voyait comme manifestation ici n'était rien en comparaison de ce qu'il avait vu au Bahrein lors du récent Grand Prix là-bas.
Arrivé sur Crescent, c'état comme entrer dans un univers parallèle. Passé la barricade du SPVM à l'entrée de la rue (bonjour ambiance festive), je suis entré dans une sorte de party de chars et de poupounes habillés hypersexy.
Étrangement, ces poupounes avaient un peu plus de textile sur le dos (mais à peine) que certaines qui se baladaient pratiquement nues dans la maNUfestation plus tôt, mais les poupounes de Crescent me sont apparues plus.... indécentes. En fait, pour dire de manière crue ce que j'ai ressenti devant quelques kiosque des festivités de Crescent, on aurait dit de la prostitution, rien de moins. Je prends une photo d'un gars apposant des autocollants sur une voiture de course, d'un kiosque de télécommunication dont les filles sont enlignées comme les jeune filles de certains quartiers de Bangkok, puis je range mon appareil, ne me sentant pas inspiré pour immortaliser ce que je vois.
J'ai donc traversé la rue du sud au nord jusqu'à mi-chemin, le croisement avec Maisonneuve, en observant les gens sur les terrasses et des gars se faire prendre en photos avec les poupounes aux jupes de cuir rouges seyant montrant les fesses ou gonflant la poitrine sous une camisole du même cuir rouge. Autour de moi, que de l'anglais (bien que plusieurs clients soient probablement francophones, les conversations audibles étaient toutes en anglais, de même que le spectacle sur la scène devant - un artiste que je ne connaissais pas).
Il était tard, donc mes observations sociales m'avaient fait rater le spectacle des Francos, mais une poussée vers l'est allait devoir confirmer ou non ce constat. La pluie était plus intense, mais une fois mouillé, ça ne faisait plus grande différence. Au coin Peel, trois gars jouaient de la casserole devant la barricade du SPVM et non loin d'une tente du Grand Prix (Peel tente de profiter de la popularité de Crescent, et récolte donc les restes, d'après ce que j'ai pu voir). Ils saluent mon carré rouge avec un sourire et quelques encouragements en français.
Après quelques minutes, je redescend sur Ste-Catherine, redevenue calme et (presque) sans policiers, puis arrive au site des Francos, coin Jeanne-Mance. J'entends la voix de Pierre Lapointe.
Le spectacle n'est donc pas terminé et je reste donc, tout juste devant la scène, pour profiter du talent de ce chanteur dont les textes et la musique sont vraiment exceptionnels. Je veux prendre quelques photos mais mes piles sont à plat et je n'ai pas de rechange. Il y a encore une foule immense malgré l'averse qui se maintient. Quelques parapluies parmi la foule mais essentiellement des gens trempés mais enjoués d'être là, ensembles, à profiter des arrangements rock des succès de Lapointe. Moi qui croyais être arrivé à la toute fin, j'ai quand même eu droit à plusieurs chansons, ainsi qu'aux rappels. Un peu plus d'une demi-heure plus tard, Lapointe quittait la scène après plusieurs rappels, non sans avoir encouragé les carrés rouge à ne pas abandonner: "Il ne faut pas avoir peur de dire ce qu'on est, ne pas craindre de dire qu'on en a assez". Il portait d'ailleurs un carré rouge sur scène.
Cette fin d'une soirée déjà riche en émotions et en activités, en compagnie d'un auditoire festif, enjoué et francophone, et de l'excellente musique de Lapointe, allait être le contraste final de cette soirée fascinante de ce point de vue.
Après l'argent très abondamment étalé sur la place publique sur Crescent, les spectateurs assistants au spectacle gratuit des Francofolies.
Après la traversée du site des Francofolies pendant le show de Daran en compagnie des manifestants dont la moitié étaient à demi-nus, l'anti-émeute bloquant l'accès à Peel et Ste-Catherine à coup de gaz lacrymogènes.
Après les filles ordinaires marchant nue pour dénoncer le sexisme du Grand Prix, les poupounes hyper-sexy payées pour montrer le plus possible leurs fesses et leurs seins couverts d'une mince couche de latex sur Crescent.
Après les conversations anglophones entendues autour de drinks et des vêtements griffés, les fans de Pierre Lapointe chantant à l'unisson en français, cheveux ébouriffés et vêtements trempés par l'averse.
Après le malaise ressenti sur Crescent, le plaisir ressenti au spectacle des Francofolies.
Après une conversation avec un agent de l'anti-émeute, le goût du gaz poivre et des lacrymogènes dans mon souvenir, Pierre Lapointe et ses musiciens qui me disent:
"Ce n'est surement pas de briller
qui nous empêchera de tomber
Ce n'est surement pas de tomber
qui nous empêchera de rêver"
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(*) M. Franco a écrit un premier article sur l'ambiance autour du GP, un court papier de quelques paragraphes qui résume bien l'essentiel pour un lecteur étranger, mais sans plus pour le moment.

dimanche 3 juin 2012

Crise sociale: Anticapitalistes, marxistes et pandas anarchistes

«Assez, c'est assez!» a tonné le ministre des Finances et responsable de la métropole, Raymond Bachand. «La perturbation délibérée de l'économie de Montréal» par des «groupes anticapitalistes et marxistes» doit cesser.
- La Presse, 15 mai 2012.

«La désobéissance civile, c'est un beau mot pour dire vandalisme».
- Ministre libéral Jean-Marc Fournier (Rapporté par La Presse), 22 mai 2012.

Journaliste: - Qu'est-ce que vous faites des casseroles?
Jean Charest: - On considère ça comme des menaces.
- Téléjournal 18h Montréal (Conférence de presse du Premier Ministre, 31 mai 2012.

"C'est certain qu'on a l'impression que la 3e guerre mondiale vient d'être déclarée au Québec"
- G. Rozon, homme d'affaires, Téléjournal 18h Montréal, 27 mai.
*
Suite à ces déclarations aussi outrancières que grossières et ridicules, j'ai pensé vous montrer le visage de ces anticapitalistes et ces marxistes qui hantent Montréal et perturbent délibérément son économie.
Question de savoir de quoi se méfier, de qui se méfier, et qui craindre, selon la rhétorique des hauts dirigeants de l'État québécois actuels et de leurs vassaux du commerce.
Car n'écoutant que mon courage et n'ayant comme objectif que de bien vous informer, chers lecteurs, je suis descendu dans la rue au péril de ma vie. Oui, oui, dans la rue, à Montréal, en plein coeur du conflit qui met le Québec à feu et à sang, à en croire quelques commentateurs et qui donne l'impression d'être rien de moins qu'en guerre, et mondiale à part ça.
Voici les dangereux anarchistes que j'ai rencontré lors de ces missions risquées, armé de mon appareil photo.


Voici le premier groupe de ces citoyens coupables de désobéissance civile. Ils sont plus de 50, et n'ont pas communiqué leur trajet à la police. Ce soir-là, le trajet était de traverser la rue sur les quatre côtés du carrefour pendant deux heures, et ce, exclusivement au feu vert. Une activités particulièrement perturbatrice.


L'immeuble à l'arrière plan est celui dans lequel j'habite (on voit d'ailleurs deux fenêtres de mon appartement et mon balcon). Les dangereux anarchistes sévissent donc littéralement à côté de chez moi. On ne dira pas que je n'aime pas vivre dangereusement; je suis exposé à l'anarchie à toute heure du jour ou de la nuit.


L'arme de prédilection de ces sauvages perturbateurs de l'économie de Montréal: la casserole. Même si je n'ai vu aucun manifestant l'utiliser pour frapper autrui (ils se contentent de taper dessus avec des ustensiles), on ne sait jamais; le PM considère ça comme menaçant, alors je me méfie et reste sur mes gardes.


Je me suis même aventuré dans un autre quartier, en fin de journée (et j'y suis resté après le coucher du soleil, une imprudence). Les amateurs de vandalisme et détonateurs de 3e guerre mondiale ressemblent à s'y méprendre à ceux de mon coin de rue.


Il est ardu de distinguer l'anticapitaliste et le marxiste, à moins de le voir à l'oeuvre avec sa casserole. Ces anarchistes ressemblent étonnamment à tous les gens normaux de la population. La prudence est donc de mise, car vous pourriez en avoir à côté de vous sans même vous en douter.


Leurs slogans donnent froid dans le dos par leur violence insoupçonnable. Ils n'hésitent pas non plus à utiliser un langage blasphématoire ("La loi spéciale, on s'en câlisse", ou "La loi matraque, on s'en tabarnac").


Par pure terreur, évidemment, certains résidents les appuient sur leur passage, afin d'éviter de voir leurs maisons détruites par les vandales amateurs de désobéissance civile. La peur règne sur les quartiers de Montréal au point où les résidents encouragent même leurs enfants à imiter les manifestants pour les apaiser et augmenter leurs chances de survie en cette période de guerre.


On en voit de plus en plus arborant des déguisement ou des costumes ou encore des breloques à l'effigie d'animaux sauvages.


Leur chef, leader incontestable du mouvement, est un anarchiste avoué. Les manifestants lui vouent un véritable culte. Certains le craignent et se couvrent le visage de masques de lapins quand ils l'accompagnent dans leur interminables marches dans toute la ville.


On assiste en pleine rue à des scènes qui glacent le sang; ici, une enfant est sacrifiée et offerte à l'animal pour calmer sa soif d'anarchie et de chaos.


Sur une page officielle d'un grand réseau social, l'animal va jusqu'à prôner la gratuité scolaire, une menace inconcevable au modèle de tarification imposé par le gouvernement. Portant le carré aux couleurs du communisme, l'idole ne se gène pas pour utiliser un langage grossier ("Je ne suis pas une fucking mascotte").


Le motto de ce groupe redoutable de joueurs de casseroles infatigables est "Solidarité". De quoi vous empêcher de dormir la nuit. 


La police est bien au fait de l'existence du groupe et des agissements de son leader; comme en témoignent certaines citations du SPVM sur un réseau social bien connu.


Enfin, si jamais vous en apercevez quelques-uns, sur une terrasse (la belle vie), ils sont faciles à identifier, car ils ont maintenant leur bière, un produit nocif à base d'alcool et d'érable, dont semblent friand ces manifestants printaniers.
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C'était L'esprit Vagabond, reporter en zone de guerre.