mardi 29 mai 2012

La Crise sociale: Stakose de quoi?

Un regard humoristique en chanson, par L'Esprit Vagabond.
M'inspirant librement du groupe Mes Aieux (*), voici un petit texte que j'ai intitulé "Stakose de quoi si on est en crise".
A chantonner pour rire un peu.
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Stakose de quoi si on est en crise?
De quoi se plaignent les étudiants?
De quoi se plaint le gouvernement?

Stakose de la hausse, Stakose des iPhones
Stakose de Léo, et de Gabriel Nadeau-Dubois
Stakose de Beauchamp, Stakose du ministre Bachand
Stakose de la police, et des anticapitalistes

Stakose des médias, Stakose de la mafia
Stakose de Facebook, et des sondages CROP
Stakose de la juste part, Stakose des jobs dans le nord
Stakose de la sangria, et d’Anarchopanda

Stakose de la FECQ
Stakose de la CAQ
Stakose de la FEUQ
Stakose du PQ et de la TACEQ

Mais spakose du PLQ
(y’était en cocktail de financement)

Stakose des marxistes, Stakose des journalistes
Stakose de Victo , et de la clique du Plateau
Stakose du Plan Nord, Stakose de Quebecor
Stakose des recteurs, et de la brigade anti-émeute

Stakose de Twitter, Stakose de l’îlot Voyageur
Stakose des gaz poivre, et des canes de sirop d’érable
Stakose de Power, Stakose des casseurs
Stakose de Montréal, et de la Loi Spéciale

Stakose du Devoir
Stakose de La Presse
Stakose de Radio-Canada
Stakose de RDI et de TVA

Mais spakose du maire Tremblay
(il n’était pas au courant)

Stakose des artistes, Stakose des anarchistes
Stakose de Duplessis, et de matricule 728
Stakose de Rozon, Stakose des élections
Stakose de 2 bières, et de Québec Solidaire

Stakose de Courchesne, Stakose de la STM
Stakose de la CLASSE, et des vendeurs de masques
Stakose des casseroles, Stakose des syndicats
Stakose des matraques, et de tous les festivals

Stakose de la CSN
Stakose de la SQ
Stakose de CUTV
Stakose du SPVM et de LCN

Mais spakose de Jean Charest
(y’avait les deux mains pognés sur le volant)
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(*) Très librement inspiré de La stakose, sur l'album au titre évocateur: "A l'aube du printemps".
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samedi 26 mai 2012

Crise sociale: Par la bouche de nos casseroles

Ça fait 4 jours que je planifie vous parler de ce qui se passe, mais je n'ai pas eu le temps ou l'énergie. Il faut dire que suivre pendant 4h des joueurs de casseroles dans une marche de 15 km dans les rues de Montréal a tendance à épuiser le blogueur et qu'une fois rentré, passé minuit, l'énergie et la concentration lui font défaut...
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Je ne veux pas vous faire un reportage sur les casseroles, vous avez pu en lire dans les divers médias traditionnels ou sociaux. Je voudrais simplement partager ce que j'ai vu et vécu pour illustrer ce qu'est devenue la crise sociale et pour dénoncer la énième tentative du gouvernement de faire croire que les manifestants sont des gens violents.
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Au début du mois de mai, émergeant d'une léthargie de billets due à des contrats prenant tout le temps libre que je ne passais pas dans la rue, j'ai introduis une série de billets sur la crise sociale au Québec. Début mai, alors que nous parlions de négociation de sortie de crise, on était loin de se douter que ça allait durer un autre mois, et empirer encore.
On m'a même reproché d'avoir exagéré en parlant de crise sociale à propos d'un "banal conflit étudiant" que je montais en épingle par sympathie pour le mouvement.
Je n'ai jamais caché que j'étais contre la hausse des frais de scolarité, ce qui ne m'empêche pas de lire toutes les opinions et textes sur le sujet avec attention, ni de tenter d'observer le conflit sans en être un acteur direct (avoir une opinion diffère de militer activement dans une organisation).
Je pense que beaucoup de gens n'ont pas compris (incluant tous les membres du gouvernement), que les racines du mouvement étudiant sont profondes et dépassent le montant de la hausse des frais de scolarité (j'y reviendrai dans un autre billet).
Crise sociale? J'exagérais? On dirait bien que non.
La preuve:


26 mai 2012. Quelques minutes passées 20h, coin Beaubien et St-Denis, le concert de casserole est déjà en force; des résidents d'un peu partout dans le quartier, leur famille, leurs enfants avec eux, approchent avec leurs casseroles. Ce sont eux, les anarchistes et marxistes dont parle le gouvernement?
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Tous les observateurs s'entendent maintenant pour dire que ce qui se passe au Québec dépasse la question des droits de scolarité. Ça s'appelle donc une crise sociale.
Ce soir, de mon appart coin Beaubien et St-Denis, je vous écris sous le tintamarre des casseroles de mes voisins; ce sont eux, sur la vidéo ci-haut, qui font un vacarme d'enfer à tous les soirs depuis une semaine. Eux et des gens comme vous et moi, dans des dizaines de quartiers de Montréal, et dans des dizaines de villes du Québec. Québec, Sherbrooke, Saguenay, même St-Élie, selon les informations transmises par Fred Pellerin (25 personnes hier, 32 ce soir!)
Pour les trois premiers soirs, les gens se sont contentés de traverser les rues, les médias traditionnels n'en ont pas ou peu parlé. Puis avec le nombre grandissant de participant et l'information relayé sur les médias sociaux, on a assisté à des marches spontanées (donc illégales selon la Loi 78).
Ce soir encore:


26 mai 2012: Photo prise vers 20h30; une marche improvisée vient rejoindre les centaines de joueurs de casseroles déjà débordant d'enthousiasme au coin Beaubien et St-Denis. Ils prennent la rue et marchent vers le nord.
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Et ces marches durent des heures.
Ceux que j'y ai croisé ne sont, pour la très grande majorité, pas des étudiants. Ce sont des citoyens. On comprend qu'ils en ont plein le dos de se faire mentir par leur gouvernement, et qu'ils ont perdu confiance dans les institutions gouvernementales. La Loi spéciale 78 est devenu le prétexte pour illustrer leur mécontentement; le sentiment est qu'en voulant les réduire au silence, on a dépassé les bornes.
Le slogan qui revient sans cesse dans ces parades de casseroles est:
"La Loi spéciale, on s'en calisse!"
Les citoyens du Québec défient la loi, défient leur gouvernement.
Si ce n'est pas une crise sociale, je ne sais pas ce que c'est.
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Journal d'une casserole.
Quatre jours plus tôt: 22 mai 2012.
Les joueurs de casseroles dont j'ai entendu parler pendant mes quelques jours d'absence de Montréal se pointent au coin de chez moi. Devant un mouvement spontané de solidarité citoyenne du quartier, je me joins à eux et nous traversons la rue, seulement au feu vert, en "tournant en carré", pendant deux heures. Je voulais voir qui étaient ces anticapitalistes dont parlais alors le ministre Bachand. Voici ce que j'ai vu:



Concert de casseroles / manifestation improvisée et spontanée, entre voisins de la Petite Patrie à Montréal, contre la Loi 78. Adultes et jeunes, festif, pas de casse, mais des casseroles! Manifestation dont "l'itinéraire", non fourni à la police, était en fait de traverser la rue, et seulement aux feux verts, sans bloquer le trafic! La durée, l'heure et le reste n'avait pas été transmis aux policiers non plus. Environ 200-300 personnes y ont pris part, le tout a duré environ 2h.
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23 mai 2012.
Je commence mes observations en rejoignant le groupe qui est déjà plus imposant que la veille, à peine quelques minutes passé 20h. Une fois de plus, c'est l'ambiance communautaire, des voisins de quartier, le sentiment de solidarité, qui étonne. On est loin, très très loin, des images violentes que les autorités et certains médias veulent nous faire craindre. Quand j'écoute les nouvelles un peu plus tard, j'ai l'impression de vivre sur une autre planète.
Je filme d'abord cet extrait, alors que nous tournons en carré aux feux verts. Je note que plusieurs automobilistes qui traversent le carrefour klaxonnent en support au mouvement en faisant des signes d'encouragement.



Je note aussi, ce 23 mai, que le nombre de participant à ce concert improvisé (et un peu cacophonique) est beaucoup plus important que la veille. Et le mouvement ne s'arrête pas; il prend de l'ampleur.
Après un temps, je quitte le coin de la rue en direction nord, afin d'aller voir s'il y a d'autres mouvements similaires dans les autres quartiers environnants.
À un coin de rue de là, sur St-Zotique, une voiture de police vient dérouter le trafic sur St-Denis. intrigué (il n'y a pratiquement personne sur le coin de rue), je ne réalise que quelques minutes plus tard qu'une marche spontanée se dirige vers moi, en remontant St-Denis. Des centaines de personnes ont pris la rue sur toute sa largeur.



Je note une fois de plus que la très grande majorité des marcheurs et joueurs de casseroles ne sont pas des étudiants (ou ne semblent pas dans le groupe d'âge habituel des étudiants). Le slogan est asséné avec vigueur et conviction. Je n'ai jamais vu de ma vie autant de personne violant une loi de manière aussi ouverte, et fière! (On entend occasionnellement la tirade: "On est plus que 50" sur l'air enfantin et défiant de "gnagnagna").
Après quelques zigs et quelques zags dans la Petite Patrie, la marche fusionne avec un autre groupe issu de Villeray (et avec une bannière qui ne laisse aucun doute sur les intentions: "Villeray désobéit"); ce nouveau groupe de quelques milliers fusionnera à nouveau avec d'autres parades similaire et arpentera pendant plus de 4h les rues de Montréal, jusque sur le boulevard René-Lévesque et sur une distance d'au moins 15 km au total.
Je rentre chez moi passé minuit, fatigué par la longue marche, et les oreilles qui bourdonnent du bruit assourdissant des casseroles. J'apprend rapidement, via Twitter, CUTV et Facebook qu'il y a eu plusieurs marches en parallèle, fusionnant parfois, et que la police vient de décider d'arrêter arbitrairement 500 personne parmi les marcheurs.
Incrédule, je me couche. Il est 3h AM.
Il y aura officiellement 518 arrestations ce soir là. (Plus que pendant toute la crise d'octobre). Tous des citoyens pacifiques (voir les nombreuses vidéos sur Youtube et CUTV).
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24 mai 2012.
Le Maire Tremblay demande aux citoyens de jouer de la casserole sur leurs balcons.
Près de chez moi, c'est plutôt un scénario similaire à la veille qui se joue; une foule assez imposante se pointe au coin de la rue, casserole en main, à 20h pile.
Rassemblement, puis prise de la rue St-Denis, rencontre avec d'autres marcheurs, fusion.


L'ambiance est festive, le rassemblement est familial. On pourrait croire à un festival, si ce n'était du slogan ("La Loi spéciale, on s'en calisse!"), répété sans cesse par les milliers de joueurs de casserole. Quiconque descend dans la rue comprendra que le mouvement n'est ni violent ni radical mais un gigantesque cri du coeur d'une population à son gouvernement.
Il y a des musiciens aussi; trompettes, tambours, cornet à piston, guitare, j'ai même vu un joueur de cor français et un saxophoniste à travers la marche.
Ce soir-là, après diverses rencontres et fusions de groupes, au moment d'atteindre le coin Mont-Royal et St-Denis (après être passé par le viaduc sur St-Hubert), le mouvement est composé d'au moins 10 000 à 12 000 personnes. La traversée du parc Jeanne Mance divise le groupe, dont une partie part vers Outremont pour remonter par la suite sur St-Laurent après avoir emprunté l'Avenue du Parc et Fairmount.
Je quitte le groupe au coin Parc et Mont-Royal, il est 22h45.
Je veux revenir chez moi et écrire ce billet.
En me rendant au métro, je croise au moins 25 voitures de police, 5 "paniers à salade" et trois véhicules de la brigade de la SQ. Le temps de prendre le métro et de revenir chez moi, je suis trop fatigué et fébrile pour écrire. Un hélicoptère de la police survole mon quartier, les marcheurs remontent St-Laurent non loin de chez moi. Ils se baladeront dans le quartier encore quelques heures avec l'hélico qui les suivra sans arrêt. Ce soir-là, la police n'interviendra pas par des arrestations massives.
Je me couche passé 2h AM.
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(26 mai: Je fais une pause écriture, les casseroles descendent St-Denis direction sud; ils sont déjà plusieurs, plusieurs milliers. J'observe un moment, puis rentre; ils mettront une demie heure à tous traverser le carrefour).
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25 mai 2012.
Au sujet de la Loi 78, tentant de justifier la suspension du droit de manifestation et d'association, le ministre Bachand déclare au téléjournal: "Les montréalais ont droit d'avoir accès à leur médecin". Malgré mes recherches, je n'ai trouvé aucun cas de manifestation ayant privé un citoyen du droit d'accès à son médecin. Le commentaire m'apparaît donc relever d'une démagogie hallucinante.
Le ministre ajoute qu'il est content des concerts de casseroles, qu'il trouve la chose festive.
Content. Festive.
Je n'ai jamais autant eu l'impression que ce pauvre monsieur était à ce point déconnecté de la population.
Il n'a aucune idée de ce qui se passe.


Affiche apposée sur un poteau au coin de Beaubien et St-Denis.
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Dehors, soirée d'orage; les casseroles se regroupent au coin St-Denis et Beaubien avec une régularité d'horloge suisse (un peu en avance, même, le tintamarre débutant quelques minutes avant 20h).
Momentum rapide, les marcheurs prennent la rue et disparaissent. Ils repassent à quelques reprises. Ce soir-là, je ne descend pas avec eux; je lis, me documente, télécharge et trie mes photos et vidéos afin de rapporter ce que j'ai vu, et surtout, qui j'ai vu; des gens ordinaires issus de tous les milieux et se regroupant spontanément dans un mouvement de solidarité envers, oui, les étudiants, mais surtout envers eux-mêmes et envers leurs voisins. Et contre le gouvernement que le ministre Bachand représente (nous n'avons pas revu le Premier Ministre depuis l'adoption de la Loi 78). Si le ministre Bachand entendait les citoyens crier qu'ils se "calissent" de sa loi spéciale, je ne suis pas certain qu'il trouverait ça festif.
Les manifestants trouvent ça festifs, eux. Car malgré les cris d'alarmes du maire Tremblay (un autre qui me semble particulièrement déconnecté), il n'y a pas de guerre civile dans nos quartiers, à Montréal; il n'y a pas d'affrontement verts contre rouges; les quartiers ne sont pas envahis de "méchants" anticapitalistes et marxistes (pour reprendre les mots du ministre Bachand).
Pour ma part, ce soir du 25 mai, je suis fatigué (j'ai travaillé tous les jours pendant ce temps malgré le peu de sommeil), alors je jette les bases de ce billet mais doit en remettre la rédaction et la publication au lendemain.
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26 mai 2012.
Ce qui nous mène à ce soir, où je décide de ne pas suivre la parade et plutôt montrer ma solidarité citoyenne à ma manière; en rapportant ce dont j'ai été témoin depuis quatre jours. J'ai eu beaucoup d'informations grâce aux médias sociaux, alors j'y contribue également; y compris par des textes plus approfondis, comle sur ce blogue.
Évidemment, depuis quelques jours, les médias traditionnels ont fini par se rendre compte de l'ampleur du mouvement des casseroles, et de sa nature.
Mais bien peu réalisent ce qu'il signifie vraiment. Plusieurs pensent encore que ce ne sont que des faiseurs de troubles. Plusieurs pensent qu'il s'agit encore d'étudiants. Plusieurs pensent que les gens manifestent contre la hausse des droits de scolarité.
Bien peu ne comprennent la crise sociale.
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Je ne nie pas la présence de casseurs dans certaines manifestations depuis trois mois. Mais compte tenu de la proportion de ceux-ci - et des débordements - par rapport à la masse manifestante, par rapport au nombre de manifestations qui ont eu lieu à Montréal seulement (on parle de plusieurs centaines), il y a eu très peu de violence de la part des manifestants. Pourtant, c'est le sujet qui a été le plus couvert par tous les médias traditionnels depuis le début du conflit étudiant et de la crise sociale. Celui dont on a le plus parlé.
Un climat de peur s'est donc installé.
J'invite tous les lecteurs de ce blogue à me visiter, coin St-Denis et Beaubien (n'importe quel soir, 20h), pour assister au concert de casserole, pour voir d'eux mêmes. N'ayez pas peur; ce sont juste mes voisins, des gens comme vous et moi.
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Le gouvernement a voulu utiliser une Loi Matraque; la population lui répond par la bouche de ses casseroles.
Personnellement, je trouve ça merveilleux comme réaction. Ça me redonne espoir autant de gens qui font du bruit.



23 mai 2012. Viaduc Masson, entre Iberville et Delorimier; quelques heures après le début de la parade casserole sur St-Denis. Toujours très pacifique. On ne pouvait se douter que des arrestations arbitraires auraient lieu un peu plus tard.
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lundi 21 mai 2012

Crise sociale: Liberté, opinion et consommation

Les nouvelles vont vite... et je ne parle pas seulement de la rapidité de propagation d'une information, mais des événements eux-mêmes.
Le maire de Montréal commence à peine à réaliser que de suspendre des droits fondamentaux était une mauvaise idée. (Il aurait pu arriver à cette conclusion par lui-même, sans émeute, il y a quelques jours s'il n'était pas déconnecté de la réalité).
Après les nombreuses bavures policières - plusieurs vidéos circulent sur les médias sociaux - dont ont parlé les grands médias hier soir (enfin), le maire affirme toujours sans aucune nuance que le SPVM et la SQ font un travail "remarquable". On ne vit pas sur la même planète que lui.
Les nouvelles vont vite... et elles changent vite aussi!
On a vu deux autres journalistes arrêtés hier soir (un du journal de Montréal, l'autre de La Presse) malgré qu'ils se soient identifiés clairement aux policiers. Gabrielle Duchaine, de La Presse, a été insultée au passage, un policier lui disant qu'il se "calissait" qu'elle soit journaliste. Elle en a fait mention en direct sur Twitter, et dans une première version de son article sur Cyberpresse. Mais deux versions plus tard, cette mention a été effacée par la rédaction du journal de Power Corp.(1)
Et on s'étonne que certains jeunes ne fassent pas confiance aux journalistes et trouvent qu'ils ne font pas toujours un bon travail à rapporter les faits? Cet exemple nous montre qu'ils les rapportent parfois, mais que ces faits nous sont souvent cachés, tout simplement.
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Aussi, selon l'application que certains membres des forces de l'ordre font déjà, le simple port du carré rouge est jugé un "encouragement" à la violence et les gens le portant se font arrêter pour avoir participé à une émeute (nombreux témoignages en ligne et sur les médias sociaux, y compris de secouristes).
Ce symbole signifiant l'appui au mouvement étudiant dans leurs revendications contre la hausse des frais de scolarité est le symbole de ma liberté d'expression.
Je refuse que l'on considérer que je suis dans l'illégalité parce que j'exprime une opinion, je refuse que l'on considérer que je suis dans l'illégalité parce que j'ai une opinion.
J'imagine que tout ça ne concerne que ceux qui en ont une, opinion, le reste de la population semble très bien vivre avec la loi spéciale, continuant son petit magasinage et sa consommation de masse, souhaitant surtout ne pas être dérangé dans son petit quotidien par deux ou trois énergumènes comme moi qui questionnent le système. Ce reste de la population, majorité bien silencieuse, est réconfortée en lisant un sondage en une de La Presse nous disant que le Québec appuie massivement la loi spéciale; sondage dont on dit du bout des lèvres plusieurs paragraphes plus bas qu'il n'a pas été réalisé avec une méthode scientifique, et qui a été réalisé avant que ladite population ne connaisse le contenu de la loi en question.
Mais je ne me reconnais pas dans ce reste de la population; tout mon mode de vie m'a mené à l'opposé de ce confort indifférent et habilement manipulé par un monde axé sur la consommation matérielle dont la valeur ultime est l'argent et les possessions.
Ainsi, pour moi, un citoyen qui est aussi auteur, cette liberté d'expression est essentielle; elle fait partie de ma vie.
Ce blogue continuera donc d'arborer le carré rouge.
Je plaide donc coupable au crime d'avoir une opinion politique sur la crise, et d'émettre cette opinion.
L'expression de cette opinion ne pourrait être plus pacifique. J'écris de manière posée, sur un blogue, que je ne suis pas d'accord avec une décision gouvernementale et que j'appui ceux qui la contestent.
Réalisez, par contre, la chose suivante:
Que vous ayez une opinion ou non, que le confort de votre consommation de masse vous endorme ou non, que le jour où cette dissidence politique que j'exprime devient illégale, nous ne sommes plus en démocratie, nous sommes dans une dictature totalitaire.
Et même si votre confort monétaire ou matériel vous met actuellement à l'abri, le régime finira tôt ou tard par vous rattraper vous aussi, et il sera alors bien trop tard pour réagir.
*
Mon ami Dédé l'exprimait déjà, bien à sa manière, il y a déjà 14 ans...
*
"Je ris au nez des vendeurs d'ordre
Des exploiteurs endimanchés
Distributeurs de cochonneries
Et de bonheurs préfabriqués
Allez-vous en au paradis
Bande de téteux pis lâchez-moé
Ch'tanné d'entendre toutes vos conneries
Vos saloperies pis vos menteries
Pis de voir vos yeux ambitionneux
Crier youppie! J'ai réussi! Ostie"

- Dédé Fortin, les Colocs, Pis si au moins.
*
(1) Pour ceux qui ne croient que ce qu'ils voient:




samedi 19 mai 2012

Crise sociale: Une grande noirceur...

Je suis sans voix.
C'est réel.
C'est vrai.
Et je suis là, à vivre ça, en direct.
Au Québec.
Une grande noirceur m'habite.
Je suis sans voix.
Alors toute la journée, j'ai laissé parlé les autres.
Voici quelques voix que j'ai retenues...
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"On savait déjà que le premier ministre du Québec venait du sérail conservateur. Cette semaine, il s’est montré sous un jour qui verse plutôt dans l’ultraconservatisme."
- Josée Legault, Voir.
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"Je ne sais pas si vous arrivez à dormir la nuit. J’espère que non. Moi, après votre conférence de presse annonçant votre décision d’imposer une loi spéciale à nos enfants, j’ai repassé dans ma tête tous les premiers ministres que j’ai connus. J’ai 80 ans. J’en ai connu plusieurs. Quelques insignifiants, sûrement. Des brillants ? Quelques-uns, mais en moins grand nombre que les précédents. Mais j’ai le regret de vous annoncer que vous êtes le pire ; c’est à se demander si vous avez du coeur."
- Lise Payette, Le Devoir.
*
‎"Ceux qui ont «documenté, avec d’autres, l’histoire politique du Québec» affiment «que rarement a-t-on vu une agression aussi flagrante être commise contre les droits fondamentaux qui ont sous-tendu l’action sociale et politique depuis des décennies au Québec.»"
- Les historiens du Québec dénoncent la loi, Le Devoir.
*
‎"M.Courchesne: «ça appartient aux policiers de déterminer qui sur twitter» aurait lancé idée d'une manif (!)"
- Josée Legault... sur Twitter!
*
‎"Le sociologue Guy Rocher, un des grands penseurs du système d'éducation québécois, a dit hier à quel point il était inquiet. En 60 ans d'enseignement universitaire, il n'a jamais rien vu de tel. Il n'a jamais vu des policiers avec des matraques dans les couloirs de son université. «Jamais je n'ai vu l'avenir de mon université aussi inquiétant.» Il y a en effet de quoi être très inquiet."
- Rima Elkouri, La Presse.
*
‎"Vladimir Poutine n'aurait pas fait mieux."
- Jean-François Lisée, Blogue de l'Actualité.
*
‎"Le PDL78 [Projet de loi 78] devrait être renommé la loi Duplessis-Charest"
- Josée Legault, Twitter.
*
"Je viens de me mettre à jour sur ce qui s'est passé au Qc aujourd'hui et je songe sérieusement à demander l'asile politique au Mexique"
- Vincent Marissal de La Presse, en vacances au Mexique, sur Twitter.
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‎"On est en train de criminaliser la dissidence"
- Anne Lagacé Dawson, à Radio-Canada.
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[J']Assiste en direct à la mort d'une bonne partie de ce que j'aime.
- Gabriel Nadeau Dubois, sur Twitter.
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"Questionnée en chambre sur la légalité du port du carré rouge: Courchesne répond qu'elle fera confiance aux procureurs..."
- Pierre Duchesne, journaliste de Radio-Canada, sur Twitter.
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"Par cette loi abjecte, ce n'est pas la démocratie qui se défend mais la droite populiste qui flirte avec le totalitarisme."
- Jean R. Sansfaçon, ancien rédacteur en chef, éditorialiste invité, Le Devoir.
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"Le projet de loi 78 «porte atteinte aux droits constitutionnels et fondamentaux des citoyens», a dénoncé le Barreau."
- Paul Journet, La Presse.
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"La situation au Québec est pour le moins troublante. Je suis gravement inquiet des menaces qui planent sur certains de nos droits fondamentaux. Le droit de s’exprimer politiquement, de s’assembler, de s’associer et de manifester pacifiquement sont des éléments essentiels à une vie démocratique saine et équilibrée."
- Alexandre Boulerice, député de Rosemont (NPD) au parlement du Canada.
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"Le leader parlementaire du PQ, Stéphane Bédard, a demandé si une personne qui envoie sur Twitter un message d'invitation à une manifestation pourrait contrevenir à la loi. «La nature et le contenu du message devront être considérés», a indiqué Michelle Courchesne, confirmant que les policiers pourraient faire des vérifications sur les médias sociaux."
- Tommy Chouinard, La Presse.
*
"Je pense qu'on ne m'a jamais autant interpellé et référé dans un débat politique que ces derniers jours."
- M. Duplessis, sur Twitter.
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‎"Sous pression à l’Assemblée nationale, puis avec la collaboration ouverte de la CAQ, la ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, a offert, puis accepté, quelques amendements. Un portant de 10 à 25, puis à 50, le nombre de personnes constituant une manif visée par cette loi."
- Rapporté par Josée Legault, Voir.
Réaction: On peut donc compter sur la CAQ pour s'attaquer aux vrais problèmes dans les projets de lois! Les ni-nis montrent leurs couleurs autoritaires.
*
Puis, une nouvelle internationale remettant les choses en perspective:

"Russie: le parti du président Poutine prévoit d'énormes amendes pour les manifestants."
- Article du journal Libération, du 18 mai 2012.
*
Et je termine sur une citation qui ne date pas d'hier, mais oh combien pertinente aujourd'hui:


«La conscience est notre seul guide, et si la loi viole notre conscience, je crois que nous devons désobéir à la loi.»
- Pierre Elliott Trudeau, août 1971.
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mercredi 16 mai 2012

Crise sociale: La répression, ou le pas vers un état policier

Tout le monde parle maintenant de Loi Spéciale pour forcer le retour en classe de dizaines de milliers d'étudiants et museler la crise sociale qui secoue le Québec.
Quiconque lit un peu sur les médias sociaux aura noté que le gouvernement Charest avait déjà commencé à tâter le terrain en effectuant un sondage sur l'idée d'une Loi Spéciale dès samedi dernier; la chose n'étonne donc pas.
Alors que tous les étudiants membres d'associations ayant voté contre la grève ont respecté ces décisions démocratiques, on a vu depuis le début du conflit étudiant que ce n'était pas la même attitude là où le vote démocratique avait été pour la grève.
La Loi Spéciale n'est donc que le prolongement logique de la politique des injonctions, avec plus de dents et s'appliquant à tous.
C'est, en un mot, légiférer le déni du droit de grève des étudiants; une première dans l'histoire du Québec.
Et une Loi Spéciale, après les injonctions individuelles, c'est choisir la répression.
En tant que citoyen, on est en mesure de s'inquiéter que le gouvernement envisage cette avenue.
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Je me demande ce qui va se passer si une masse importante d'étudiants décide de ne pas respecter la Loi en question. Devra-t-on alors les battre plus fort à coup de matraque pour les y forcer? Devra-t-on placer des corps policiers dans chaque couloir de chaque cégep et de chaque pavillon universitaire? faire escorter les professeurs récalcitrants menottes aux poignets? Ou les arrêter tous et construire un nouvel établissement de détention dans le nord pour les y emprisonner? Et les parents, et les professeurs qui les supportent? Eux aussi en prison?
Poser ces questions me semble pertinent, puisque l'Histoire nous enseigne que ça s'est fait, et à grande échelle, et au vu de tous, et que ça se fait encore, aujourd'hui, dans divers pays du monde. Je ne vois pas pourquoi nous serions une exception.
Et la répression, ce premier pas vers un état policier, c'est possible en autant que la majorité de la population ait peur.
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Cette Loi Spéciale ne serait jamais accepté dans un état démocratique, si la rhétorique de la violence n'avait pas été dès les premières semaines du conflit, mis de l'avant par le gouvernement Libéral.
Le gouvernement a utilisé une des plus vieilles stratégies politiques au monde: faire peur aux citoyens. L'utilisation d'une accusation liant le mot "terrorisme" au mouvement étudiant était d'ailleurs le point culminant de cette rhétorique de la peur.
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La Rhétorique désigne l'art ou la technique de persuader, généralement au moyen du langage. (Wikipedia).
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«Le gouvernement doit s'assurer que, dans chaque cégep, chaque université, les étudiants qui souhaitent retourner en classe puissent retourner en classe lundi matin», a fait valoir le caquiste François Legault. Quitte à faire appel aux policiers, a-t-il dit. (La Presse).
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État policier: État qui pour maintenir et faire respecter les prérogatives du pouvoir politique utilise la police. (Wikipedia).
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"M. Bachand a dit aujourd'hui qu’il faut faire cesser les gestes d’intimidation de ces groupes. «Assez, c’est assez», a lancé le ministre responsable de la région montréalaise. "Il y a des groupes radicaux qui systématiquement veulent déstabiliser l’économie de Montréal. Ce sont des groupes anticaptalistes, marxistes". (Le Devoir).
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Vous croyez que le Québec n'a pas déjà fait un pas dans cette direction?
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Il est interdit à quiconque participe ou est présent à une assemblée, un défilé ou un attroupement sur le domaine public d'avoir le visage couvert sans motif raisonnable, notamment par un foulard, une cagoule ou un masque. (Libellé proposé du nouveau réglement municipal du conseil de ville de Montréal).
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"Il est vrai que les policiers du SPVM auront à exercer un certain discernement entre ce qui est un motif raisonnable et ce qui ne l'est pas". (Propos de Réal Ménard, Maire d'arrondissement. La Presse).
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"Le travail de la Sûreté du Québec ce week-end à Victoriaville a été «remarquable», a souligné le premier ministre du Québec, Jean Charest, hier après-midi, alors que deux jeunes qui ont pris part à la manifestation de vendredi soir étaient toujours hospitalisés en raison de blessures graves à la suite d’une charge des policiers". (Le Devoir).
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"Le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, a qualifié «d’intolérable» et «d’injustifiable» l’action qui a entraîné la paralysie du métro. «L’heure est venue de trouver les coupables, de rétablir le service à la population et de rassurer la population», a ajouté le ministre". (Le Devoir).
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"Les quatre jeunes suspects arrêtés hier, en lien avec l'affaire des engins fumigènes qui ont paralysé le métro jeudi, devront se défendre contre des accusations d'incitation à craindre des activités terroristes, a annoncé ce samedi le Service de police de la ville de Montréal. Ils risquent cinq ans de prison". (La Presse).
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"Évoquant les violences, attribuées à des "terroristes", le chef d’état affirme que «l'État a été prompt à remplir son devoir de protection de ses citoyens». «L'État a voulu donner à ceux qui s'étaient éloignés du droit chemin, le plus grand nombre d'occasions, mais ils ont intensifié leur terrorisme. Il fallait donc agir pour ramener la sécurité et la tranquillité, et imposer la loi», ajoute le chef d’État".
(Propos de Bashar Al Assad, rapportés par le Nouvel Observateur).
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La question n'est plus de savoir quel pas a été franchi, mais où cette marche vers un état policier va s'arrêter, si elle s'arrête.
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AJOUT - Ceux qui pensent que j'exagère devraient lire les relations de la "saisie préventive" d'un autobus à Laval le 15 mai dernier. La SQ a détenu, fouillé, questionné et emprisonné temporairement 18 personnes sans les arrêter, sans leur lire leurs droits et sans les informer pourquoi ils étaient sous détention.
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Lectures supplémentaires suggérées:
Mathieu Bock-Côté: Un mot sur la Loi Spéciale.
Jean-François Lisée: Urgence, avant l'irréparable.
Rima Elkouri: Les professeurs et la matraque.
Josée Legault: Dommages collatéraux.

mardi 15 mai 2012

Crise sociale: Activisme et souvenirs de voyage

Toda nuestra accion es un grito de guerra a contra el imperialismo
- Che Guevara
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Mes observations politiques sur la crise sociale que vit le Québec depuis quelques mois ne sont pas arrivés sur ce blogue par hasard. Déjà, il y avait eu toute une série d'articles politiques et engagés dans les mois précédents. Mes observations forment aujourd'hui la suite logique de mon engagement plus publiquement assumé. Cet engagement - et les convictions qui le sous-tendent - prend racine plus directement dans les expériences qui ont le plus changé ma vie et mes opinions au cours de la décennie 2002-2012; c'est-à-dire mes voyages. L'Amérique Latine, en particulier, a joué un rôle primordial dans mon cheminement de citoyen du monde, et de citoyen du Québec.
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Entre 2004, date de mon premier séjour en Amérique latine, et 2010, date de mon plus récent passage, l’Amérique latine a subie de profondes transformations socio-politiques. L’élection de nouveaux gouvernements socialistes en Bolivie, en Équateur et au Nicaragua est venu appuyer les politiques socialistes déjà en place au Venezuela et en Argentine. Car dès 2003, le gouvernement péroniste de Nestor Kirshner avait entreprit un important virage à gauche qui allait s’avérer salutaire pour le pays natal de Che Guevara. Cette «nouvelle gauche» latino était d’ailleurs largement inspirée de l’idéologie socialiste du Che, la plupart des dirigeants élus ne se gênant pas pour évoquer le révolutionnaire Argentin. Ce n’est donc pas un hasard si plusieurs de ces gouvernements ont trouvé un ami auprès du régime cubain, dirigé par Fidel Castro depuis la révolution de 1959, révolution où Che Guevara et l'actuel président cubain, Raul Castro, ont joué un rôle de premier plan.
Au milieu de cette période, vers la fin de 2008, alors que les financiers d’Amérique du nord et d’Europe plongent le monde dans une crise financière et économique aux répercussions sociales dévastatrices sur les peuples de l’occident comme de l’orient, cette gauche latino-américaine émerge comme un exemple qui a su mieux résister que le laisser-faire imposé par le libre-marché.
Début 2012, au moment où le Québec traverse une crise sociale sans pareille depuis des décennies, certains pays d'Europe choisissent de suivre la voie de la gauche, alors que d'autres rejettent les dogmes d'austérité imposés par la droite économique ou les gouvernements technocrates qui leur ont été imposés par les marchés financiers.
Lors de mes passages en Amérique latine, entre 2004 et 2010, j’ai souvent eu l’opportunité d’être témoin des changements sociaux engendrés pour le bien commun de ses citoyens. Mes explorations de leur histoire et leur culture, par des visites, des rencontres, des sites historiques et la simple vie quotidienne partagée avec eux, allait me faire comprendre pourquoi le peuple latino avait choisi cette voie malgré les pressions extérieures. Des sites Mayas et Incas aux sommets des Andes, des anciennes civilisations aux paysages désertiques et à la forêt tropicale, de la conquête espagnole à la révolution cubaine, entre les volcans et les simples repas entre amis, ces visites et rencontres allaient me faire comprendre l’Amérique latine, allaient me la faire vivre, et cette expérience allait changer ma façon de voir l’Amérique, de voir le monde, et de voir la vie.
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Ce n'est donc étonnant pour personne que je me sois retrouvé à non seulement observer la crise sociale au Québec, mais à y participer activement. Par des prises de positions écrites et assumées, certes, mais aussi par ma présence dans la rue avec les citoyens qui dénoncent les politiques et financiers qui nous gouvernent sans considérations pour le bien commun.
Voici donc quelques souvenirs d'un voyage idéologique.
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Avec mes deux nouvelles amies australiennes, nous sommes tombés sur une manifestation monstre des étudiants des collèges d'une bonne partie de l'Équateur. J'ai arrêté deux des jeunes en leur demandant pourquoi ils manifestaient comme ça:
- Pourquoi vous manifestez?
- ..... Julio?
- Quoi?
- Pourquoi on manifeste déjà?
Haussement d'épaules de Julio, les deux gars continuent leur chemin. J'en arrête un autre:
- Pourquoi vous manifestez?
- Qui sait?
[Quito, Équateur, juin 2007]
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Près d'Ayaviri, Pérou.
Il semble que les manifestants qui avaient fait un blocus près de Ayaviri ont étendu leur blocus à la ville de Juliaca, au nord de Puno, et où passent les bus reliant Arequipa, Cusco et Puno. Une compagnie nous informe qu'ils tentent de passer de nuit. San Luis offre donc le trajet de nuit, en 8 heures au lieu de 5, contournant le problème pour joindre Juliaca, puis Puno par une route de gravier. On tente le coup.
Bien évidemment, ça ne marche pas. On est coincé par le blocus un peu en aval de Juliaca, vers 5h30 du matin. À l'arrêt pendant une petite heure, puis au lever du soleil, on nous informe que deux microbus nous attendent de l'autre bord pour continuer. Nous prenons donc notre bagage et nous marchons une fois de plus au petit matin entre les manifestants, les pierres sur la route, une voiture incendiée, un pont bloqué, pour rejoindre un autre bus, heureusement situé à seulement vingt-cinq minutes à pied.
Cucso, Pérou.
[Quelque part non loin d'Ayaviri, Pérou, juillet 2007]
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À tous les jours depuis mon arrivée à Cusco, il y a une longue marche de protestation contre le gouvernement Garcia dans les rues de Cusco, le Pérou étant secoué par une importante crise sociopolitique. La manifestation de ce matin m'a semblé plus importante, le mouvement, plutôt que de s'essouffler, semble prendre de l'ampleur.
[Cusco, Pérou, juillet 2007]
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Le matin de mon départ de La Paz, notre bus a été coincé, puisque la seule voie d'accès de La Paz vers El Alto (la voie qui effectue des zigzags dans la montagne), elle était bloquée par des manifestants qui avaient dressé un blocus improvisé. Nous avons donc été témoin de quelques activités près des lieux du blocus principal (l'ensemble s'étendant sur environ un kilomètre) pendant une petite heure.
La Paz, Bolivie.
Puis, l'intervention des autorités a été relativement rapide, une brigade est arrivée et a commencé à éparpiller les manifestants. Ceux-ci, des jeunes en grande majorité, se sont mis à détaler un peu partout dans les rues et ruelles entre el centro et El Alto. Les policiers les ont poursuivis, des affrontements ont eu lieu, les jeunes lançant des pierres vers les policiers, ceux-ci répliquant avec des gaz lacrymogènes. Le tout a duré une bonne demi-heure avant que les policiers ne reprennent le contrôle des lieux et que le dégagement de la voie ne débute. Une partie des affrontements se sont déroulés directement sous mes yeux, le long de la route, à côté de l'autobus dans lequel je prenais place.
[La Paz, Bolivie, août 2007]
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Le blocus routier est une tradition latino qui semble m'aller comme un gant... puisque la journée même où je décide de me rendre de Antigua à Quetzaltenango, dans l'ouest du pays, mon bus tombe, près de Los Encuentros, sur un blocus routier! J'allais lire dans les journaux du lendemain que de tels blocus ont été installés dans une douzaine de lieux stratégiques au pays et que trois de ces lieux étaient situés sur la route Ciudad Guatemala - Quetzaltenango! J'ai donc, dans un sens, été chanceux d'être retardé par un seul blocus routier.
Los Encuentros, Guatemala.
J'allais lire également que les bloqueos étaient le fait du syndicat des enseignants, faisant ainsi pression sur le gouvernement pour l'adoption d'une nouvelle loi accordant plus de budget à l'éducation au pays et réformant une partie du financement de celle-ci en faveur d'un système d'éducation moins cher pour les familles et individus. Les manifestants avaient l'appui de l'association des municipalités dans leurs démarches. Dans les journaux, on dénonçait généralement l'attitude des enseignants, montrant les effets négatifs de leurs actions sur l'économie.
[Los Encuentros, Guatemala, décembre 2009]
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Partout sur mon passage, des gens qui manifestent pour le respect de leurs droits. Et ces images ne sont pas violente, ces gens ne sont pas violents, malgré ce que l'on veut nous faire croire. Au Québec, on n'a pas vraiment d'histoire revendicatrice ou manifestante. On se souvient de la crise d'octobre comme d'une période noire et on a le sentiment révolutionnaire plutôt tranquille.
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S'il y a une chose que mes voyages en Amérique latine m'auront permis de constater et de mieux comprendre - une chose entre milles autres, on s'entend, mais une chose importante - c'est de quelle manière Ernesto Che Guevara en est venu à l'idéologie politique qu'il a adopté, pourquoi il a participé à la révolution cubaine, puis aux autres combats jusqu'à la guérilla bolivienne qui allait lui coûter la vie.
Et comme mes billets d'opinion le montrent depuis quelques mois, je n'ai pas que compris son évolution idéologique, j'en suis venu à partager ses vues socialistes sur le sujet.
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samedi 12 mai 2012

Crise sociale: Pour une réforme fiscale

Réforme fiscale: contexte.
Dans mon dernier billet, je m'opposais à l'idéologie de l'utilisateur-payeur. Cette philosophie de la tarification des services publics est en opposition avec celle de la taxation et de l'imposition. Or comme l'État doit financer ses services publics, je suis donc en faveur de l'impôt sur le revenu et de la taxe à la consommation.
Je n'aborderai pas ici les questions de fraudes fiscales (en principe, on devrait combattre la fraude), mais je me pencherai sur des exemples qui montrent comment notre fiscalité au Québec est actuellement déficiente dans son rôle principal; c'est-à-dire percevoir les justes parts de chacun et s'en servir pour financer les services publics.
Injustice fiscale.
Rémunération d'un haut dirigeant de banque,
tiré du site web de Radio-Canada.
Je ne veux pas être aride, ni trop long, alors j'irai droit au coeur du sujet du jour. Les gens les plus riches de notre société ne paient pas leur juste part d'impôts. Or, des gens qui gagnent des centaines de milliers de dollars (voir des millions), il y en a, et de plus en plus. Je ne parle pas ici d'augmenter les paliers d'imposition ou le taux des impôts des riches, non, je parle seulement des diverses exemptions et crédits qui n'avantagent que les plus riches et qui existent pour une seule et unique raison: les lobbys financés par ces riches ont réussis à les faire intégrer aux complexes règles fiscales québécoises. Ces exemptions et déductions avantageuses font en sorte que plusieurs contribuables très riches paient un taux d'impôt ridiculement bas, et souvent plus bas que tous les contribuables de la classe moyenne!
Je ferai une démonstration en cinq points; chacun consacré à une exemption ou une déduction spécifique, afin d'illustrer ce que j'avance (a).
Avant de débuter, gardez en mémoire que le taux d'impôt de base des particuliers au Canada est de 15%, et qu'au Québec, ce taux de base est de 16%. Les exemples qui suivent permettent à des contribuables gagnant plus 150 000$ de profiter de taux bien en deçà de ces taux de base.
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Site promotionnel des CFI. Deux ans sans
payer d'impôt pour certains employés.
1. Exemption pour employé d'un Centre Financier International (CFI).
Savez-vous qu'au Québec, le salaire d'un employé de CFI est totalement ou partiellement exempté d'impôt? Si l'employé est un étranger venu s'installer chez nous pour brasser de la haute finance, son exemption est de 100% de son salaire pendant deux ans, puis ça descend à 75%, 50% puis 37,5%. Deux ans de salaire (dans les six chiffres) sans impôt. Pour les employés de ces centres nés au Québec, la déduction maximale est de 37,5%, mais descendra à 30%, 20% puis à 10%.
Posons par exemple un employé québécois qui gagne 300 000$ avec une exemption (moyenne) de 25%. Selon certaines hypothèses de base (b), ce contribuable déduira de son revenu 75 000$ exempté, puis 22 450$ (c) de REER. Il aura donc 56 165$ d'impôt fédéral, et 41 668$ d'impôt du Québec, soit des taux d'imposition respectifs de 18,7% au fédéral (soit 56 165$/300 000$ - tous mes calculs sont effectués de la sorte: taux effectif sur revenu total). Au Québec, son taux est de 13,8%. Cette année-là, ce contribuable aura conservé 67,5% de sa rémunération, soit 202 167$.
Quelques-uns des CFI en activité à Montréal.
Son taux fédéral est donc équivalent à un contribuable qui gagne entre 40 000$ et 80 000$. Son taux québécois est plus bas qu'un contribuable qui gagne 40 000$.
Vous n'en revenez pas? Attendez; précisons que de plus, le CFI, qui est une compagnie, et qui paye notre ami 300 000$ a droit à un crédit d'impôt de 30% sur ce salaire, soit 90 000$ de ses revenus d'entreprise sur lequel le CFI n'a pas à payer ses impôts corporatifs.
Vous croyez que ces CFI sont rares? Fin 2009, il y en avait 114 reconnus par Revenu Québec (d).
Que font les CFI pour avoir ces avantages? Il offrent des services financiers internationaux; autrement dit, il s'agit de banques et de firmes de courtage, mais dont la spécificité est de se charger de transactions internationales (prêts, courtage de valeurs mobilières, etc).
Ils ont également un excellent lobby qui a su convaincre les ministres des finances de leur donner en cadeau cet argent public (certains mémoires, comme celui de la RBC, par exemple, sur les règles fiscales des CFI, recommandaient même l'exemption totale d'impôt sur le revenu, de taxe sur le capital et de contribution au fonds des services de santé).
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Site d'information sur les investissements de la Fédération
des médecins omnipraticiens du Québec, où on
détaille plusieurs stratégies, dont celle des "abris fiscaux"
par laquelle les médecins investissement dans les
compagnies minières, gazières et pétrolières.
2. Les frais d'exploration et de mise en valeur et l'exploitation de ressources naturelles. 
Voici certainement une panoplie de règles fiscales spécifiques à des investissements dans des sociétés qui exploitent des ressources naturelles (minières, gazières et pétrolières) qui sont parmi les plus tarabiscotées des lois fiscales canadiennes et québécoises. En gros, le contribuable investi quelques milliers de dollars dans ces sociétés, ce qui leur permet de se financier facilement, et l'individu reçoit en échange de très généreuses déductions et crédits d'impôts.
Imaginons un professionnel qui gagne 300 000$. Il investi 100 000$ dans des sociétés exploitant des ressources naturelles montées à cet effet (e) et disons, contribue à son REER (f).
Puisque ce contribuable, qui gagne 300 000$, déduira de son revenu un montant de 96 000$ à titre de frais d'exploration, puis 22 450$ de REER (c), et qu'il profitera d'un crédit d'impôt à l'investissement, il payera un impôt fédéral de 25 705$. Au Québec, un jeu de 4 déductions (exploration, exploration au Québec, investissement stratégique et frais financiers) permettent de déduire 110 700$ du 100 000$ investi... ce qui donne à notre contribuable un impôt du Québec de 32 373$. Il profite donc de taux d'imposition respectifs de 8,5% et de 10,7%. Cette année-là, ce contribuable aura conservé 80,6% de sa rémunération, soit 241 922$.
Son taux d'impôt combiné est donc plus bas que celui d'un contribuable qui gagne 40 000$ (en fait, à peine plus de la moitié du taux combiné de ce dernier).
Pourquoi une telle mécanique existe-t-elle? À qui profite ces cadeaux fiscaux? À part l'évidence de profiter aux plus riches ayant le loisir d'investir dans ce genre de chose, la mesure profite évidemment aux minières, gazières et pétrolières, que le fisc finance ainsi indirectement et qui n'ont pas à se soucier de trouver du financement traditionnel pour leurs activités d'exploration et d'exploitation. La mesure profite évidemment aux courtiers qui touchent leurs commissions sur ces placements qui sont même appelés officiellement "abris fiscaux", ainsi qu'aux avocats qui effectuent les montages légaux de ce financement à même les fonds publics.
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Tiré d'un article de la Presse Canadienne, sur la valeur
des options et actions reçues par le Président de Bell.
3. La déduction d'impôt sur les options d'achats d'actions.
On entend souvent parler, quand les médias nous parlent des "salaires" des hauts dirigeants d'entreprises, qu'ils sont rémunérés à partir de plusieurs outils, dont des options d'achats d'actions. Expliqué simplement, disons que si je veux donner 150 000$ de rémunération à un employé avec cet outil, et que les actions de la compagnie valent 100$ au moment de la rémunération, je lui donne des options lui permettant d'acheter 1500 actions, à un prix fixe de 100$ l'action. Au moment de donner cette option, l'employé ne sera pas imposé sur le montant de la rémunération, car tant qu'il n'a pas exercé cette option, il ne détient que l'option d'achat, et non les actions (g).
Prenons un contribuable qui gagne 300 000$, mais que son employeur rémunère avec 150 000$ de salaire et 150 000$ d'options d'achats d'actions (1500 @ 100$). Posons l'hypothèse qu'il attend un an (pendant laquelle il reçoit le même salaire de base de 150 000$), puis il exerce ses options, alors que l'action vaut maintenant 125$. Lors de cette année, il aura donc un "avantage", qu'il aura tiré de la variation de valeur des actions (ici, il achète à 100$ mais ça vaut déjà 125$; donc 37 500$ de gain immédiat s'il revend le jour même). Posons l'hypothèse qu'il contribue à son REER (h).
Ce contribuable a donc, cette année-là, 150 000$ de salaire de base, plus 37 500$ d'avantage sur ses options (s'il revend les actions à 125$ immédiatement, il encaisse en fait 337 500$ au total cette année-là).
Une déduction lui permet d'exempter d'impôt 50% de son avantage au fédéral et 25% au Québec. Il paye donc un impôt fédéral de 25 339$ et un impôt du Québec de 30 219$, soit des taux respectifs d'impôts de 8,4% et de 10,1%.
Tiré d'un article de la Presse Canadienne: Rémunération à
base d'actions et d'options du président de Bombardier.
Son taux d'impôt combiné est donc plus bas que celui d'un contribuable qui gagne 40 000$ (en fait, moins de 60% du taux combiné de ce dernier).
À qui profite cette mesure? Aux hauts dirigeants de grandes entreprises. Aucune petite entreprise n'a les moyens d'instaurer cette mesure à grande échelle et de distribuer des options et des actions, et aucun employé parmi les employés de la classe moyenne ou les employés à bas salaires n'est rémunéré en actions ou en options. C'est actuellement une des meilleures manières de faire des millions de revenu annuels tout en évitant carrément de payer de l'impôt sur une grande partie de cette rémunération. Mon exemple fait état de quelques dizaines de milliers de dollars d'option, or la tendance de la "norme" de rémunération des hauts dirigeants se chiffre plutôt dans les millions, voir même les dizaines de millions, dont une grande partie est exemptée d'impôt sur le revenu. [Un exemple: En 2011, Bombardier et Bell annoncent que leur plus haut dirigeant touche 5 millions en options diverses sur leurs 8 à 9 millions de rémunération totale].
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4. Le gain en capital imposable à 50%.
Tous les gains en capital sont imposables à 50%, tant au niveau fédéral qu'au Québec. Ceci veut dire que si vous achetez des actions (en bourse, par exemple), et que celles-ci prennent de la valeur, puis que vous les revendez, le gain réalisé sur cette "loterie boursière" n'est imposable qu'à la moitié; la moitié de vos gains sont totalement exemptés d'impôt. Ce revenu qui n'a aucun lien avec le travail, ou l'effort, mais seulement à voir avec votre capital (richesse) de départ, est exempté à 50% de tout impôt.
Prenons par exemple mon contribuable du point 3. L'année suivante, il n'exerce aucune option, mais décide de vendre les actions achetées l'année précédente grâce à ses options. Disons qu'il vend alors que les actions valent 138$. Il obtient donc 207 000 $ pour des actions payées 150 000$, donc un gain réel de 57 000$. Comme il a été imposé sur l'avantage (en partie seulement, voir point 3 ci-haut), on considère seulement son gain entre la valeur de 138$ et celle de 125$ au moment de l'exercice des options. Donc, un gain "fiscal" de 39 000$. Ce gain n'est imposable qu'à 50%, donc il inclus dans son revenu un montant de 19 500$ en plus de son 150 000$ de salaire. S'il contribue à son REER (h), il aura un impôt fédéral de 22 370$ et un impôt du Québec de 25 280$. Nous parlons ici de taux respectifs d'impôt de 10,8% et de 12,2%.
Mais attendez, et prenons un autre exemple, celui d'un contribuable comme mon employé de CFI du point 1, qui accumule ses richesses à vitesse de 240 000$ par an moins son coût de vie. Posons l'hypothèse qu'il a investi cet argent en bourse pendant quelques années, et l'année où il quitte le CFI pour un emploi "ordinaire" à disons, 100 000$ de salaire, il vend ses placements et réalise un gain sur cette vente de 200 000$. Il a donc un revenu de 300 000$ cette année-là, mais dont 50% du gain (donc 100 000$) est totalement exempté d'impôt. Son impôt fédéral sera de 32 117$ et son impôt du Québec sera de 34 940$ (i).
Ses taux d'impôts sont donc de 10,7% et de 11,6% respectivement.
Vous rappelez-vous que le taux d'impôt de base des particuliers au Canada est de 15%, et qu'au Québec, ce taux de base est de 16%?
À qui profite cette mesure d'exemption de 50% des gains en capital? Aux gens qui peuvent en réaliser, aux gens qui accumulent assez d'argent pour pouvoir le faire fructifier. Pour exempter 50 000$ de gain, il faut réaliser 100 000$ de gain total, donc avoir investi plusieurs dizaines/centaines de milliers de dollars pour réaliser ce gain; bref, il faut avoir accumulé de la richesse; être parmi les mieux nantis de la société. La mesure profite également aux banques et aux courtiers qui gagnent leurs commissions en effectuant les transactions pour ces riches clients. Le contribuable lambda qui gagne 40 000$ avant impôt n'a que peu d'argent résiduel pour investir sur les marchés financiers (surtout s'il contribue déjà à un REER).
Cette mesure profite uniquement à ceux qui ont accumulé beaucoup de richesses, beaucoup de liquidités; puisque c'est la seule manière de réaliser du gain en capital boursier important (j).
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5. Plafond élevé de contributions au REER.
Le REER est un bon outil pour que les gens qui n'ont aucun régime de retraite puisse s'en bâtir un à leur manière. La règle fiscale permettant de déduire de ses revenus (dont d'exempter d'impôt) les contributions aux REER est là pour inciter les gens à mettre de l'argent de côté pour leur retraite. Il faut aussi savoir que toute somme investie dans un REER peut fructifier à l'abri de l'impôt; les revenus d'intérêts, de dividendes ou les gains en capital réalisés à même les investissements fait dans le REER sont exemptés d'impôts. Je ne critiquerai pas l'ensemble de ces mesures du point de vue incitatif.
Par contre, j'avoue ne pas saisir un des éléments; le "plafond" autorisé de contributions (appelé officiellement "Maximum déductible au titre des REER").
Ce plafond, il existe pour empêcher les gens très riches de mettre énormément d'argent dans leur REER (et ainsi ne pas payer d'impôt sur ces revenus ni sur les gains accumulés ensuite dans le REER en question). C'est donc une bonne idée d'implanter un plafond.
Le plafond dépend de deux éléments (k): une limite annuelle fixée par règlement fiscal, et une limite annuelle de 18% des revenus de l'année précédente du contribuable.
Je vous invite à relire mes 4 exemples; vous y verrez que pour chacun, j'ai utilisé le plafond de 2011 (c), qui était de 22 450$. Or comme ce plafond augmente à chaque année, le plafond de 2012 est déjà connu; il est de 22 970$.
Faites un calcul rapide et vous verrez que ceux qui peuvent réellement profiter au maximum de cette mesure et de ce plafond, en 2012, sont les gens qui feront plus de 127 611$. Le contribuable gagnant 40 000$ de salaire est limité à 7 200$ de contribution, et donc, d'exemption fiscale. Ce plafond (annuel, répétons-le), permet donc aux contribuables les plus riches d'exempter plus de revenus d'impôts et de mettre plus d'argent  à l'abri de l'impôt.
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Réforme fiscale: Une conclusion.
Vu la longueur de ce billet, je conclurai brièvement sur cette démonstration.
Tous mes exemples étaient basés sur des contribuables faisant entre 150 000$ et 300 000$ par an. Imaginez les sommes en jeu quand on parle de millions de rémunération ou de gains; imaginez les sommes dont se prive l'État - volontairement - pour favoriser cette élite.
Ce que ma démonstration indique, c'est que si l'impôt sur le revenu est une manière pour chaque contribuable de faire sa juste part dans le financement des services publics, les lacunes dans la Loi Québécoise favorisent sans cesse les plus riches, ramenant leur part à un % d'impôt que l'on ne peut que qualifier d'injuste, si on le compare au commun des mortels de la classe moyenne.
Je vous laisse juger des motivations des ministres des finances et des premiers ministres qui permettent cette injustice; surtout lorsqu'ils nous disent que l'État n'a pas d'argent, qu'il faut faire sa juste part, et que pour ce faire, on devra faire face à la tarification des services publics.
Personnellement, je trouve ridicule que l'on traite d'idéalistes, d'irréalistes ou de communistes ceux qui veulent parler de réformer la fiscalité. Vous noterez que jamais dans cette démonstration je n'ai même mentionné de hausse des taux d'impôts des particuliers, même des plus riches. Il faudrait d'abord commencer par s'assurer qu'ils paient leurs impôts sur leur revenu, et non des impôts sur un revenu "élagué" par un favoritisme fiscal totalement injuste, avant de modifier des taux qui ne sont pas effectifs actuellement.
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Notes:
(a) J'évite ici de détailler les calculs fiscaux complexes, puisqu'ils rendraient très lourd ce billet et sa compréhension. N'hésitez pas à les soumettre à un comptable ou un fiscaliste ou à un simple logiciel d'impôt des particuliers si le coeur vous en dit. J'ai choisi cinq thèmes fiscaux; il en existe des dizaines d'autres qui auraient pu illustrer mon propos.
(b) Disons, marié, conjointe qui gagne très bien sa vie également, et deux enfants.
(c) Maximum déductible à titre de REER en 2011.
(d) Sources: Journal les Affaires.
(e) Il existe tout un marché spécialisé, soutenu par les compagnies minières, gazières et pétrolières afin de monter les structures légales qui permettent ces déductions fiscales et ce financement par des particuliers-investisseurs.
(f) Autres hypothèses, pour fins de simulation; marié, conjointe a un revenu de disons 30 000$, deux enfants.
(g) Je simplifie un peu, pour des fins évidentes de compréhension, ce billet n'étant pas un cours de fiscalité.
(h) Et disons qu'il est célibataire et sans enfants, pour varier les exemples.
(i) Contribution maximale au REER, pas de conjoint ni d'enfants.
(j) Je ne traite pas ici de l'exemption totale du gain en capital pour les petites entreprises, qui est une mesure pour stimuler l'entreprenariat local.
(k) Je simplifie en éliminant les Régime de Pension agréés du calcul, mais le raisonnement de base demeure le même.

vendredi 11 mai 2012

Crise sociale: L'utilisateur-payeur

Utilisateur-payeur: une introduction.
On peut constater qu'au cours de la crise sociale qui secoue le Québec actuellement, deux visions s'affrontent. Que l'on lise des éditoriaux, écoute la télé (informations, affaires publiques et opinions), des chroniques ou encore que l'on s'attarde aux commentaires dans ces mêmes médias et sur les réseaux sociaux, deux visions du Québec sont opposées et s'expriment de manières diverses. Ces deux visions peuvent être identifiées par divers étiquettes, mais on peut aussi dire qu'au centre de ce débat, on retrouve le concept d'utilisateur-payeur.
Ce concept, élaboré dans les années 70, mais qui a pris son envol avec le début de la déréglementation néolibérale des années 90, il est cher au gouvernement Libéral de Jean Charest et à son ministre des finances Raymond Bachand, qui se fait un ardent défenseur de la chose avec sa "juste part", qui vient justifier ses politiques.
En un mot, le concept d'utilisateur-payeur justifie l'idéologie selon laquelle les citoyens doivent payer leurs services à l'usage (tarification) plutôt que de les financer par des taxes et impôts communs. C'est la fiscalité individualiste à son extrême, le total opposé des impôts et taxes, qui vise un financement commun des services.
C'est ce concept qui justifie que les étudiants devraient payer plus pour leurs études, que ça soit une juste part ou non, qu'il y ait eu ou non choix social du Québec par le passé de financer les études post-secondaires et d'en assurer une accessibilité large pour toutes les classes sociales.
On a beaucoup parlé de marchandisation de l'éducation; l'étudiant est un utilisateur, il devrait donc payer.
Sous ce raisonnement, on retrouve celui-ci: pourquoi un citoyen-contribuable devrait-il financer (payer pour) les études d'un inconnu? Si on ajoute à cette équation les revenus que cet inconnu tirera de son éducation (on ne cite dans ces cas que les futurs médecins et avocats), alors le citoyen-contribuable moyen - surtout celui issu de la classe moyenne ou ne gagnant pas ce genre de revenus - ne voit pas pourquoi ça serait à lui de payer.
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Utilisateur-payeur: une illustration.
L'utilisateur-payeur, moi, je trouve ça aberrant comme concept d'économie dans une société quand on parle de services publics.
Voici pourquoi, par l'exemple. Voici où cette idéologie mène si on suit sa logique jusqu'au bout. J'invite les tenants du concept de l'utilisateur-payeur à s'assumer... jusqu'au bout.
Pas besoin de chercher bien loin pour illustrer mon opinion: je prendrai l'exemple d'un citoyen-contribuable au hasard, disons... moi (puisque je le connais bien).
Imaginons pour les besoins de la démonstration que je sois un défenseur du concept de l'utilisateur-payeur et regardons ce qui se passe avec deux assertions très simples.

1) Je n'ai pas d'enfants.
Ainsi, je serais d'accord avec la hausse des frais de scolarité, puisque je préfère que les étudiants, qui utilisent l'éducation post-secondaire, payent pour leurs études, plutôt que de la financer avec mes impôts.
Je suis aussi pour l'abolition des garderies subventionnées (à 7$ actuellement), puisque je ne vois pas pourquoi en tant que citoyen et contribuable honnête je payerais pour les enfants des autres. Avec mes impôts qui payent leurs garderies, les parents de la classe moyenne travaillent tous les deux et font plus d'argent que moi, en plus.
Je prône également l'abolition des crédits d'impôts pour enfants, des crédits pour frais de scolarité, des crédits de soutien aux enfants, de la prestation fiscale pour enfants et de la prestation universelle pour garde d'enfants. Pourquoi le citoyen-contribuable que je suis payerait-il plus d'impôt à cause qu'il a fait un choix personnel différent de ceux qui ont décidé d'avoir des enfants? Pourquoi je me priverais pour que les parents qui décident d'avoir des enfants reçoivent des cadeaux du gouvernement?
J'aimerais que ne soient pas remboursés les frais de traitement d'infertilité ni les frais de procréation in-vitro et je militerais pour l'abolition du crédit d'impôt pour frais d'adoption, de même que ceux pour la condition physique et artistique des enfants.
Évidemment, je proposerais au ministre des finances d'imposer un nouveau tarif d'inscription aux écoles primaires et secondaires; une fois encore, je ne vois pas pourquoi, n'ayant aucun enfant qui utilisera ces établissements, mes impôts serviraient à payer pour éduquer les enfants des autres.

2) Je n'ai pas de voiture.
Je suis évidemment pour le péage sur toutes les routes et autoroutes du Québec, puisque ce n'est pas moi qui les utilise. Pourquoi par mes impôts payerais-je pour l'entretien et la construction de routes qui servent à ceux qui les utilisent? L'utilisateur-payeur me dicte de refiler la facture aux automobilistes usagers des routes du Québec.
Bien entendu, je suis également pour le péage sur tous les ponts; surtout ceux qui entourent Montréal, puisque je ne comprends pas pourquoi je payerais ces ponts avec mes impôts pour permettre aux banlieusards de se construire des belles maisons en banlieue et de continuer à travailler à Montréal sans avoir à payer pour les infrastructures que ça nécessite.
Sinon, comme je suis un usager du transport en commun (métro, Bixi et autobus), si les routes et ponts demeurent gratuits, j'exige que ces transports collectifs soient également gratuits! En ce moment, je fais ma juste part en payant pour les utiliser (je suis donc un bon utilisateur-payeur), mais les automobilistes ne font pas cet effort pour leurs infrastructures.
Je militerais également pour un crédit de taxe municipale pour les gens n'ayant pas de voiture. En effet, le concept de l'utilisateur-payeur et de la juste part me dicte que ceux qui circulent dans la ville sont ceux qui exigent de celle-ci qu'elle déblaie les rues et réparent les nids de poule, ce qui coûte très cher à la municipalité, qui finance ces services avec mes taxes!
Je ne vois pas non plus en quoi mes impôts devraient servir à financer par crédit ou remboursement l'achat de véhicules hybrides ou éco-énergétiques des autres.
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Vous aurez compris le principe. Je pourrais continuer longtemps, avec d'autres assertions, comme le fait que je sois en bonne santé (donc je serais pour l'abolition du régime public d'assurance maladie et d'assurance médicament), ou encore j'ai toujours eu un emploi (donc je militerais activement pour l'élimination de l'assurance-emploi et de l'aide-sociale, ou leur remaniement pour les faire financer exclusivement par ceux qui ont eu droit à des prestations par le passé - une forme d'utilisateurs-payeurs). N'ayant pas d'entreprise, je voudrais l'abolition des subventions aux entreprises, etc.
Et pourquoi pas l'abolition des coûteuses inspections des viandes et abattoirs dans la province, puisque je suis végétarien? Ou sinon, l'imposition d'une taxe spéciale sur la viande qui constituerait la juste part des mangeurs de viande au financement de ces inspections? On pourrait appeler ça la "contribution carnivore".
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La logique de cette philosophie.
Vous avez compris où mène la logique de l'utilisateur-payeur, vous avez compris que si on suit cette logique, qu'on l'assume totalement, jusqu'au bout, on abouti à une société qui n'a plus grand chose à voir avec une société; on abouti à un regroupement d'individus où chacun vit pour lui-même, par lui-même, et dans la plus grande autarcie possible. Évidemment, sans tous les filets sociaux que mon exemple fini par abolir, et avec toutes les tarifications de services que mon exemple fini par imposer, les gens pouvant simplement vivre comme ils le font aujourd'hui au Québec seraient un très très petit nombre; et le regroupement d'individus en question s'effondrerait probablement assez vite sur lui-même devant les problèmes qu'il aurait à affronter (pauvreté accrue, maladie accrue, taux de natalité encore plus bas, taux de chômage encore plus haut, apparition de violences accrue, etc).
Voilà donc pourquoi je trouve aberrant le concept d'utilisateur-payeur quand on parle de services publics dans une société. S'il s'agit de services publics, ils devraient être adéquatement financés par l'argent public, pas par la poche de ceux qui en ont besoin à un moment ou un autre de leur vie.
Et cet argent public, il provient des impôts et des taxes (j'y reviens plus loin).
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L'injuste part.
On me dira qu'il est injuste qu'un citoyen-contribuable qui gagne 400 000$ par an paye 7$ par jour pour une  place en garderie alors que ce même tarif est appliqué à l'enfant d'un citoyen-contribuable qui gagne 40 000$ par an. On me dira qu'il faudrait établir un système (à deux vitesses) pour compenser cette "injustice", mais c'est oublier qu'alors, le citoyen qui gagne 400 000$ par an et qui payera 45$ par jour, il le fera dans une garderie qui deviendra alors plus riche, et engagera probablement les meilleurs employés, au détriment des garderies plus pauvres, à 7$. Dans ce cas précis, l'utilisateur-payeur mène vers un système profondément injuste dans lequel le plus riche a accès à de meilleurs services publics que le plus pauvre. Quand on parle de services publics (comme l'éducation, par exemple), c'est profondément injuste.
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La juste part fiscale.
Comment puis-je prétendre que ce n'est pas injuste que le citoyen gagnant 400 000$ paye le même tarif que son voisin qui gagne dix fois moins par an? Et bien parce qu'il existe déjà un mécanisme pour réparer cette "injustice", et toutes celles - qui existent en apparence seulement - de tous les autres services publics.
Ce mécanisme, ça s'appelle l'impôt sur le revenu, et les taxes à la consommation.
En payant plus d'impôt sur le revenu, le contribuable gagnant 400 000$ contribue plus que son voisin à financer les garderies à 7$; il y fait donc sa juste part, sans créer un système à deux vitesses ni que l'utilisateur des garderies soit le seul à payer pour leur existence. En payant plus de taxes à la consommation à l'achat d'une Jaguar alors que son voisin achète une Élantra, le même contribuable finance sa juste part des services publics, encore une fois.
Évidemment, l'impôt sur le revenu a ses défauts (et ils sont nombreux). C'est d'ailleurs là qu'il faut fouiller si on veut réformer l'économie et les finances du Québec. Ce qu'il faut, c'est une véritable réforme fiscale, pas des tarifications injustes, pas des utilisateurs-payeurs.
L'impôt sur le revenu sera donc le sujet de mon prochain billet.
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Lectures complémentaires:
Pour les curieux, Gérald Fillion dresse un court historique de l'intervention du concept dans la fiscalité du Québec sur son blogue.
Le chroniqueur Patrick Lagacé de La presse s'attaquait lui aussi aux dérives d'un tel concept, de ses limites (ou de comment les définir).

jeudi 10 mai 2012

Crise sociale: Mémoire sélective et mensonges grossiers

Je ne sais pas pour vous, mais j'accepte comme faisant partie du jeu politique que les politiciens adoptent un discours "adapté" à leur besoin car j'ai la prétention de pouvoir faire la part des choses la plupart du temps.
Ainsi, quand Jean Charest mentionne qu'il y a deux partis (PQ et QS) qui sont contre la hausse des frais de scolarité et deux autres pour le financement des universités, j'y vois évidemment une entourloupette (tellement grossière en plus) où il laisse croire que le PQ et QS sont contre le financement des universités, ce qui est faux, évidemment. Personnellement, je vois à travers, je le trouve épais d'utiliser une stratégie aussi grossière, mais que voulez-vous, ça fait partie du jeu (et il semble que ça marche, en plus).
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Par contre, me faire mentir en pleine télé par le Premier Ministre m'insulte au plus haut point. Au point, évidemment, de ne plus avoir un seul gramme de confiance en celui qui agit de la sorte. En plus de me mentir effrontément, il le fait en me pensant assez imbécile pour ne pas m'en rendre compte. C'est vraiment insultant.
Ainsi, depuis plusieurs jours, Jean Charest affirme à tout vent qu'il a toujours été en mode écoute, en mode d'accueil et de négociation avec les étudiants.
Il l'a même ré-affirmé, et en pleine Assemblée nationale:
"Depuis que des associations et des représentants d’associations étudiantes ont manifesté une opposition à la politique, nous avons été ouverts, M. le Président." (mercredi 9 mai)
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Nous sommes le 10 mai 2012; pourtant, les déclarations de fermeture, de rigidité, de refus de rencontrer les leaders étudiants ne datent pas d'il y a deux ou cinq ans; ces déclarations, nombreuses, datent d'il y a moins de 3 mois!(*) Il faudrait que je sois particulièrement crétin pour ne pas me rappeler ces déclarations de fermeture totale envers le mouvement étudiant!
Que Jean Charest ait une mémoire sélective et décide de me mentir, tant pis pour lui, mais je n'aime pas que les grands médias (journaux et télé) ne le confrontent pas quand il dit une telle ânerie. Pourquoi, hier, quand il a réaffirmé ce mensonge, aucun journaliste ne lui a ressorti ses propres archives sur son entêtement qui a duré plusieurs semaines? Au fond, on sait tous - pour ou contre la hausse, pour ou contre la grève étudiante- que si on en est rendu là, c'est justement parce que le PM, et sa ministre de l'éducation, se sont entêté et ont laissé traîner les choses pendant quelques mois avant même d'envisager un plan de sortie de crise et de rencontrer les leaders étudiants. Pourquoi les grands médias ne poussent pas l'information jusqu'à l'épreuve des faits et se contentent plutôt de simplement relayer la déclaration du jour du PM ou d'un de ses ministres sans mise en contexte préalable?(**)
Évidemment, s'il me ment aussi effrontément sur un sujet dont je me souviens très bien, que j'ai suivi, et que sur lequel je peux vérifier le mensonge en quelques clics de souris(*), je ne peux qu'imaginer à quel point il ne se gène pas pour me mentir sur tout le reste, tout.
Voilà pourquoi je ne fais pas confiance au gouvernement Libéral. Pas par cynisme, pas par paranoïa, mais parce qu'ils me prouvent jour après jour, mensonge après mensonge, que je ne dois absolument pas leur faire confiance.
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(*) Voir les quelques exemples de ce billet, captés sur le site internet de La Presse (j'aurais pu faire la même chose avec d'autres médias), qui s'échelonnent du 15 février au 5 avril 2012.
(**) À ce sujet, en relayant la sortie "étonnante" de Pierre Reid, discréditant les étudiants, les médias auraient pu faire mention du fait qu'il est un ex-recteur d'université, en plus d'avoir perdu son poste de ministre (de l'éducation) et de redevenir "simple député" suite au conflit étudiant de 2005.

mardi 8 mai 2012

Crise sociale: L'Histoire en quatre films

Pour ceux que l'Histoire (qui se répète souvent) intéresse, je vous invite à visionner 4 films, dont trois sont des classiques du cinéma québécois. Chacun à leur façon vient éclairer la crise sociale qui secoue notre Québec sans gouvernance. Car ces films, malgré que la plupart datent de plusieurs années (voir décennies), ils sont encore brûlant d'actualité. Leur visionnement (ou un second visionnement si vous les aviez vu il y a un certain temps) jette une lumière fort intéressante sur la crise actuelle et sa (non) gestion par le gouvernement.

Sujet: Étudiants désirant rencontrer le gouvernement pour parler de frais de scolarité et d'accès à l'éducation.
Film: L'histoire des trois (1990), un documentaire de Jean-Claude Labrecque. En 1958, trois étudiants quittent Montréal en train vers Québec où ils désirent rencontrer le Premier Ministre Maurice Duplessis, pour lui demander de s'asseoir officiellement avec des leaders étudiants et ouvrir le débat sur l'accès aux universités, leur coût pour les étudiants et le financement des établissements. Ils sont accompagnés par un journaliste du Devoir, qui appuie le mouvement étudiant. Duplessis rejette la demande du haut de son mépris. "Les trois" demeurent à Québec et sollicitent à chaque jour une rencontre. Leur mouvement dure trois mois. Ils ne rencontreront jamais le Premier Ministre. En 1990, le documentariste Jean-Claude Labrecque les regroupent et ils reprennent le train pour Québec en se remémorant les événements de 1958. Ce film offre un regard sur le mouvement étudiant absolument fascinant! C'est incroyable comment ce documentaire aurait pu être tourné en 2012 (ainsi que les images d'archives et les titres des journaux de l'époque) tellement les parallèles entre leur situation et celle des trois leaders étudiants d'aujourd'hui sont nombreux. Il n'y aurait qu'à changer quelques noms, mais tout y est: Premier Ministre entêté (et blagueur), mainmise des grandes entreprises sur le parti au pouvoir, patronage, corruption et scandales sur les ressources naturelles, paternalisme face à ces "jeunes", offre de sortie de crise bâclée vers la fin, menace de perte de session d'études, etc. Une belle leçon sur les choses que l'on croit acquises, sur la nécessité des mouvements sociaux, sur le prix à payer pour revendiquer, sur les réflexions engendrées dans la population et sur les résultats obtenus sur le long terme. (***)

Sujet: Le ton bon enfant et paternaliste des gouvernants du Québec en compagnie d'un parterre de gens d'affaire détenant le pouvoir.
Film: Le temps des bouffons (1985/1993), un court métrage de Pierre Falardeau, qui en assure également la narration (*). Ce pamphlet politique acide et cinglant montre une soirée d'anniversaire du sélect Beaver Club de Montréal, réunissant la crème du monde des affaires de l'époque, ainsi que des têtes dirigeantes et/ou d'ex-dirigeants (ministres, sénateurs, gouverneur général, etc). La ressemblance avec le salon du Plan Nord et le discours blagueur/méprisant de Jean Charest est absolument saisissante. La dénonciation de la mainmise de cette bourgeoisie économique et de celle, politique, à son service, n'a pas pris une ride. Attention aux oreilles sensibles; la narration de Falardeau est représentative de son ton habituel; provocateur, direct et souvent très vulgaire (parfois inutilement trop vulgaire, mais c'est Falardeau, que voulez-vous). Son message demeure toutefois parfaitement juste et toujours d'actualité.(**)

Sujet: Abus de pouvoir, arrestations arbitraires et violence policière.
Film: Les Ordres (1974), de Michel Brault, avec Jean Lapointe et Hélène Loiselle. Dans la foulée de la Crise d'Octobre, la Loi des mesures de guerre est déclarée et donne à la police toute latitude pour arrêter n'importe quel citoyen sans mandat. Plusieurs arrestations d'opposants aux instances gouvernantes ont lieu. La violence à laquelle ces citoyens sont soumis par les policiers, puis par les gardiens de prison, est parfois dure à supporter. Ils sont libérés après 6 à 21 jours de détention (sans information ni accusation formelle), détention accompagnée d'un traitement qui peut être caractérisé d'inhumain à plusieurs égards. Ils n'ont jamais été accusé; les autorités évoquant des "erreurs de procédure". L'ensemble du film brosse un portrait tragique d'une page très noire de l'histoire du Québec et qui fait comprendre que ce que l'on prends souvent pour acquis (comme le droit d'expression) est encore fragile, même chez nous. Certains parallèles avec la situation actuelle sont inévitables. (**)

Sujet: La mauvaise foi en négociation et la rédaction d'entente de principe.
Film: "La Stratégie du Choc" (The Shock Doctrine, 2009), documentaire tiré de l'essai du même titre de Naomi Klein. (Je vous en avais parlé dans ce billet en novembre dernier). Ce film démontre avec brio la mécanique derrière la stratégie des gouvernants néo-libéraux pour que le peuple accepte son idéologie et ses politiques. Le concept développé par Klein est idéal pour saisir comment le gouvernement Libéral a utilisé la privation de sommeil, le refus de faire des pauses, le climat d'urgence et l'ampleur du choc causé par la crise sociale qu'a exacerbé le conflit étudiant à son avantage lors des négociations de la "sortie de crise" de la fin de semaine dernière.(**)

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(*) Merci à Daniel Sernine et Gabriel TD pour le signalement très pertinent sur ce film.
(**): Disponible en DVD.
(***): Disponible sur le site web de l'ONF.