mardi 5 janvier 2010

Observations sociopolitiques au Guatemala (Partie 2)

Dans la première partie de ce texte sur la situation sociopolitique au Guatemala, j’ai traité de mes observations sur le gouvernement actuel, la pauvreté et la concentration de la richesse, ainsi que de la violence endémique qu’on retrouve partout au pays. Voici maintenant la suite de ces observations.


Réalité et opinions

Le Guatemala est effectivement un pays où la violence, sous de multiples formes, domine l’actualité quotidienne. Selon le Rough Guide to Guatemala (édition de mars 2009), en 2007, on comptait 6100 meurtres au Guatemala (pour une population de près de 15 millions). De ce nombre, une centaine de causes ont été amenées devant une cour de justice.
Un sondage réalisé par le quotidien national Prensa Libre (et publié dans son édition du 24 décembre 2009) révélait que 13% des lecteurs du journal estiment vivre dans une société violente… et que le 87% restant estime vivre dans une société très violente. 60% disent éviter les transports de soir, 86% évitent de sortir la nuit, 70% évitent de se déplacer seuls, et 78% évitent carrément de prendre des taxis.
Dans un énoncé d’opinion de la même édition de la Prensa Libre, le colomniste Frank La Rue Lewy déplorait que le Guatemala soit le seul pays en Amérique continentale à avoir plus de 50% de malnutrition chronique infantile, qu’il soit le 3e pays au chapitre des morts violentes et le premier au chapitre de l’impunité des crimes contre la personne. Il termine en dénonçant l’iniquité sociale et la polarisation des richesses économiques.
L’édition du quotidien El Quetzalteco de la même journée rapportait d'ailleurs l’arrestation de deux bandits des chemins près d’El Zarco (où je suis passé quelques jours plus tard, sur la route menant à Retalhuleu). Ils étaient armés de machettes et d’un revolver et sont accusés d’assaut contre des microbus, navettes et voitures.
Ce genre de nouvelles - un fait courant - est généralement l'objet d'un entrefilet de quelques lignes dans les pages centrales des journaux.

Tourisme

Malgré toutes ces données alarmantes, plus d’un million et demi de visiteurs viennent faire du tourisme au Guatemala à chaque année. On pourrait croire que ce nombre est important – surtout que le tourisme représente la première source de revenu du pays, devant le café, le sucre, le textile et les bananes – pourtant, il pourrait être bien plus impressionnant, si on tient compte de l’héritage culturel, historique et archéologique du pays, de son coût de vie relativement bas et de sa proximité avec l’Amérique du Nord. Côté violence contre les touristes, il semble que les cas soient en baisse (semble, car il est ardu de mettre la main sur des chiffres officiels ou des données détaillées). Des discussions avec quelques représentants me portent à croire que dans certaines régions, il est effectivement plus sécuritaire pour les visiteurs de se promener que ça ne l’était lors de mon passage en 2005. Un policier de la brigade d’aide aux touristes d’Antigua me disait que la situation s’était beaucoup améliorée depuis cinq ans. J’ai aussi remarqué que certains secteurs sont maintenant accessibles aux voyageurs alors qu’ils étaient considérés comme trop dangereux il y a cinq ans.

Réponses gouvernementales

Un autre problème endémique au Guatemala est la présence des narcotrafiquants, qui est en croissance, principalement dans le nord du pays, ou le Guatemala est devenu une plaque tournante entre la Colombie et les USA via la frontière mexicaine.
On dit que les cartels de la drogue sont maintenant bien installés dans certains secteurs de la jungle du Péten, la région où reposent pourtant les plus grands trésors archéologiques mayas du Guatemala. Pour protéger toute la région d’El Mirador – que les archéologues considèrent comme étant le berceau de la civilisation maya et contenant les plus importantes ruines mayas jamais découvertes (elles ne sont pas excavées pour le moment, à part quelques artefacts) – le gouvernement actuel a déclaré vouloir faire de cette partie de la forêt tropicale un parc national, mais n’a malheureusement pas les moyens de ses ambitions, compte tenu des faibles revenus de l’état.
Pour diminuer l’impact des effets de la guerre civile, le gouvernement précédent avait démilitarisé plusieurs zones, et avait fermé plusieurs bases militaires. Se servant de la violence locale et de la présence des narcotrafiquants, le gouvernement actuel remilitarise donc certains secteurs et ouvre de nouvelles bases militaires.
L’action est pourtant controversée, car même si souvent, les gens font plus confiance à l’armée que la police (que tout le monde dit corrompue), les coïncidences font que ces nouvelles présences militaires se retrouvent pratiquement toujours aux abords des installations de grandes corporations étrangères. On dirait donc que le gouvernement investis le budget militaire dans la défense des intérêts corporatifs et étrangers de ses principaux appuis politique plus qu'au profit de ses citoyens.


L’information et la presse écrite

La liberté de presse existe. En théorie. Mais en pratique, elle n’est pas appliquée au sens ou on l’entend habituellement. Certes, le comité international de transparence a fait publier des informations pertinentes, mais il n’existe aucune ligne éditoriale qui fasse écho au combat pour les droits humains, ni aux inégalités qui règnent partout au pays entre une toute petite élite très riche et la population ladino et indigène particulièrement exploitée.
On lit des généralités sur les iniquités au pays, sur le besoin de changer cette société qui ne parvient pas à fournir des services minimaux à ses citoyens, mais on ne semble jamais vouloir pointer du doigt un système fiscal désuet ni l’élite appuyant la gouvernance comme étant les causes directes de la plupart des problèmes sociopolitiques du Guatemala.
Il ne semble pas y avoir de conspiration du silence ou de censure directe, mais les nouvelles font état des faits bruts, sans nécessairement les mettre en contexte et les éditorialistes se contentent de généralités.
Par exemple, le meurtre d’un défenseur des droits humains - même celui d’une figure aussi cruciale et populaire que Victor Galvez Pérez en octobre 2009 - a été rapportée dans les médias de manière succincte et factuelle (date, identité de la victime, nombre de balle, etc.) mais sans jamais relier cet assassinat aux activités de l’homme et sans jamais mentionner qu’il n’y avait pas eu d’enquête sur l’attaque dont il avait été victime quelques mois à peine auparavant. On évite également de mentionner contre quels intérêts internationaux il se battait depuis des années dans sa lutte et qui aurait eu tout intérêt à le voir disparaître ainsi
(voir aussi Note 2 - détails publiés, en français et en-dehors du Guatemala).
On observe le même phénomène en ce qui concerne les droits des travailleurs. Si le Guatemala possède sa loi du travail donnant des droits aux travailleurs - dont le droit de syndicalisation - il ne se fait rien lorsque ces droits sont bafoués. Cette loi – comme presque toutes les lois du pays - n’est pas mise ne application par le gouvernement. Le récent cas des travailleurs de la compagnie d’eau embouteillée Agua Salvavidas est patent et, dans ce cas précis, révélateur de l’importance du contrôle qu’exercent les grandes sociétés sur l’appareil gouvernemental et l’appareil judiciaire du Guatemala.

Résignation

Je disais en conclusion de mon premier billet sur le sujet que les habitants du Guatemala que j’ai rencontré ou même simplement croisé semblent faire preuve d’une résignation qui est triste à constater, face à leur vie, et à leur espoir d’une vie meilleure. En tant que voyageur observateur, je dois avouer que je vois mal comment ne pas faire preuve de résignation, sinon de pessimisme, quand note quelle genre de gouvernance le pays a besoin pour améliorer la situation sociale de ses citoyens.
Et tant que le contrôle effectif de l’exécutif et du judiciaire par les grandes corporations locales et étrangères ne sera pas brisé, je trouve ça triste à dire, mais j’ai très peu d’espoir que le Guatemala se sorte de ses problèmes un jour.
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Note 2:
"L’assassinat de Víctor Gálvez Pérez, un militant dénonçant les impacts sociaux et environnementaux des activités de l'entreprise DEOCSA-Union Fenosa, à Malacatan, département de San Marcos, a suscité de vives réactions. Le 24 octobre dernier, il a été criblé d'au moins dix balles au sortir d’une réunion. Gálvez Pérez avait déjà alerté les autorités concernant les manœuvres d'intimidation et les agressions dont il était l'objet depuis plusieurs mois. Selon les informations recueillies par l'OPDH, les procédures de médecine légiste n'auraient pas été suivies adéquatement par les agents de la Police nationale civile et du Ministère public, ce qui soulève évidemment des doutes quant à la réelle volonté des autorités de mettre fin à l'impunité concernant les agressions de militants."
- Revue de l’actualité, PAQG, hiver 2009.
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[Ce texte est basé sur des lectures de documents et de journaux locaux, ainsi que sur des discussions avec des habitants du Guatemala, des touristes de passage ou des étrangers établis ici depuis quelques mois comme volontaires ou travailleurs. L'ensemble de ces informations sont teintées par les observations personnelles de l'auteur lors de son séjour de l'été 2005 et son présent séjour au Guatemala. Ce texte n'accuse personne mais fait état de la situation au Guatemala telle que perçue par son auteur].
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1 commentaire:

  1. Aurélien m'autorise à reproduire ici le commentaire à ce billet qu'il m'avait expédié en privé.
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    Bonjour à vous,
    Je ne sais pas vraiment par où commencer, tant ce courriel est spontané et imprévu. Le fait est que je viens juste de tomber sur vôtre blog, et ayant moi-même vécu au Guate pendant une année, j'ai été saisi par le propos que vous teniez.
    Vos réflexions, notamment dans le billet "Observations sociopolitiques", me paraissent très juste ainsi que je vôtre conclusion (malheureusement). Pour avoir côtoyé de très près la population Guatémaltèque dans sa diversité - pour tout dire, j'habitais avec une famille issue de la classe "moyenne (si tant est qu'il y en ait une), ai fréquenté pendant quelques temps des établissements scolaires (privé et
    publique), travaillé dans une casse automobile, et passé beaucoup avec des guatémaltèques de toutes conditions (travailleurs, architecte,
    universitaire, lycéen, entrepreneurs, chômeurs, agriculteurs...) - il apparait, effectivement, que la résignation s'impose comme l'état d'esprit le plus répandu.
    J'étais présent lors de la campagne électorale de 2007, et je peux vous l'affirmer, la majorité des Guatémaltèques n'ont plus AUCUNE confiance en la politique; parfois au point d'en oublier leur propre passé. Le FRG (fondé par Rios Montt...) a ainsi récolté 7% des voix, soit le double des voix obtenues par Rigobeta Menchu. Pire, Colom l'actuel président, a
    été élu alors que la plus grande partie des électeurs savaient qu'il
    était en lien avec les narcos et les mafieux qui pourrissent ce pays.
    Plus que le seul individu Colom, c'est l'ensemble de la UNE qui est
    coupable.
    Vous revenez largement sur la violence mais je pense que vous êtes encore en dessous de la réalité. Entre la mara salvatrucha, la mara trece, les narco-trafiquant, les violences aux femmes qui sont pratiquement culturelles (sic) et la libre circulation des armes à feu,
    "l'insécurité" (je n'aime pas ce terme mais parfois il faut faire des concessions) a encore de beaux jours devant elle.
    Merci pour vos articles, O combien justes. Continuez!
    Cordialement
    Aurélien.
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