vendredi 3 février 2012

Une "chute à piton" à Val-Jalbert?

La semaine dernière, plusieurs médias ont parlé du projet de centrale hydro-électrique de Val-Jalbert, ce qui a attiré mon attention sur l'existence du projet ainsi que sur les problématiques qu'il soulève.
Ce projet qui est sur la table depuis des années fait soudainement la manchette puisque la Fondation Rivières a expédié, en janvier dernier, une lettre au Ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs lui faisant part de sa demande officielle d'audiences publiques sur ce projet.
Le projet en question semble suivre jusqu'à maintenant un cours normal de consultation de la population et de support des MRC locales ainsi que du conseil des Montagnais de la région. Le site du projet fournit quelques documents et se pare des atours d'un projet sérieux réalisé avec respect des communautés et de l'environnement.
En principe, donc, les promoteurs ne devraient pas craindre les audiences publiques du BAPE.
La lettre expédiée par la Fondation Rivières au ministre soulève toutefois plusieurs points importants, auxquels les promoteurs ne répondent pas sur leur site ni dans les documents qu'ils offrent en appui au projet.
Chute Ouiatchouane, vue du haut, avec
le Lac St-Jean, en arrière plan (2005)
"Le projet tel que présenté en consultation affectera considérablement le caractère naturel du site et aura un impact majeur sur l’environnement, altérant de façon significative et permanente l’ensemble des écosystèmes avoisinants. Il s’agit en plus d’un site historique situé dans un parc régional, à proximité du milieu habité, donc d’un bien public dont le sort ne peut être décidé sans une large consultation."
Le site du village historique situé le long des deux chutes de la rivière Ouiatchouan fait partie intégrante de mon enfance. Ayant grandi à Roberval, j'allais sur le site au moins une fois l'an pendant mes années d'enfance, et j'y suis retourné pour faire de la randonnée ou de la photo à plusieurs reprises depuis mon départ du Lac St-Jean. Pour le Lac St-Jean, Val-Jalbert est certainement un des plus importants sites récréo-touristiques de toute la région, autant en terme de beauté qu'en terme économique; avec le Jardin Zoologique de St-Félicien, c'est probablement le plus gros attrait touristique de la région. On ne parle donc pas simplement d'une rivière, ou d'une chute, mais d'un des poumons économiques de l'industrie touristique.
La Fondation pose d'ailleurs une question pertinente: "Veut-on visiter une centrale hydroélectrique, voir une chute naturelle ou voir un site historique ? Est-il dans l’intérêt commun que ces options soient toutes confondues donnant un piètre résultat pour chaque aspect?"
Les gens du Lac St-Jean devraient avoir le droit d'en débattre lors d'audience publique et non derrière des portes closes. Après tout, les retombées (positives comme négatives) toucheront l'ensemble de la région et devront être assumées par la population après coup.
La Fondation remet également en cause l'aspect économique du projet. On le sait depuis quelques années déjà, les calculs d'Hydro-Québec semblent faire peu de sens quand vient le temps d'établir la rentabilité d'un projet. Invité au Téléjournal de Radio-Canada ce jeudi (2 février), le Premier Ministre du Québec, Jean Charest, expliquait à Céline Galipeau que le coût du mégawatt est calculé sur une formule de "piscine" (donc de coût moyen) et que tant que les contrats de vente d'électricité sont au-dessus de ce coût moyen, on fait du profit.
J'ai une opinion différente sur la question et voici en quelques mots en quoi la position d'Hydro (et du PM) ne fait aucun sens en terme comptable et économique. Si notre coût moyen de production avant Val-Jalbert est de 4 cents le KWh et que l'on vend de l'électricité à 6c le KWh, on fait bien 2c de profit brut du KWh. Par contre, si le coût de production à Val-Jalbert est de 7,5c le KWh, on perdra 1,5c du KWh vendu qui proviendra de cette centrale, et ce même si le coût moyen (la "piscine" du PM) demeurera à peine plus élevé que le 4c actuel.
Ainsi, dans le projet actuel de Val-Jalbert, l'électricité produite par une société privée régionale est revendue à Hydro à un coût plus élevé que les contrats de vente qu'Hydro signe actuellement pour l'électricité.
La Fondation tient ici le point crucial de ce projet, puisque cet aspect ne touche pas seulement les gens du Lac St-Jean, mais bien tous les Québécois, en particulier ceux qui ont un compte d'électricité, surtout en cette époque où divers intervenants sur la scène politique parlent de plus en plus de revoir à la hausse les tarifs d'électricité.
Enfin, j'avais déjà remarqué l'effort considérable que la société qui est promoteur du projet avait mis sur son site pour avoir une image "verte" (jusque dans son nom de domaine); ça semblait presque trop. Cet aspect est également souligné par la Fondation Rivière dans sa lettre au Ministre:
Chute Maligne, en amont de la rivière (2005).
"Par ailleurs, le projet nécessiterait des travaux considérables tels déboisement, dynamitage, bétonnage, transport, ligne aérienne, poste de transformation, routes, déblais, etc. qui transformeraient le paysage et auraient un impact significatif sur les écosystèmes. Bien que des efforts d’amenuisement aient été proposés, les bouleversements résiduels quantifiés dans l’étude d’impact sont d’une ampleur que le projet ne peut être qualifié de « projet vert ». L'étiquette « verte » que certains donnent au projet relève davantage d'une logique de relation publique que de reposer sur un ensemble de mesures concrètes et appropriées."
L'ensemble du projet de centrale électrique à Val-Jalbert s'inscrit dans le cadre plus large de privatisation des ressources naturelles entreprise depuis des années par le gouvernement de Jean Charest. On l'a vu avec les gaz de schiste, on le voit avec le Plan Nord. Cette politique énergétique est d'ailleurs fortement contestée par divers intervenants de plusieurs milieux.
Évidemment, certains ont déjà commencé à critiquer la position de la Fondation - c'est devenu une habitude de traiter tout questionnement sur un projet en terme "d'opposé au progrès et au développement économique" ou encore "d'écolo extrémiste". Mais je pense que les questions posées dans la lettre au Ministre méritent réponse et méritent considérations de la part de la population. Je ne crois donc pas qu'il soit déraisonnable de demander des audiences publiques sur le projet.
Personnellement, je serais évidemment très triste de voir que la splendide beauté naturelle qu'est la chute Ouiatchouane de Val-Jalbert devienne un attrait touristique automatisé, une "chute à piton" comme l'appelle la Fondation Rivières, puisque si le projet se réalise, c'est par un mécanisme contrôlé que l'on aura ou non une chute selon les besoins en eau de la centrale électrique, et cette chute ne sera "activée" que pendant l'été lors des heures d'ouverture du parc de Val-Jalbert. On aura alors échangé un parc et une beauté naturelle pour une attraction mécanisée du genre que l'on peut voir à Vegas ou dans les parcs de Disney. Une partie de mon enfance et de mes souvenirs disparaîtront avec l'arrivée du mécanisme. Pour ma culture et mon coin de pays, ça serait une grande perte à mes yeux.
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