Compte tenu des limites imposées pour la longueur des commentaires sur les billets de ce blogue, je me permet de publier la suite de mon billet sur le ton de certaines informations du site de Radio-Canada dans un nouveau billet.
J'invite d'abord le lecteur à lire mon précédent billet sur le sujet, et de parcourir les commentaires.
Suite à la suggestion d'informer l'ombudsman de Radio-Canada de mon opinion, j'ai expédié le texte du billet à Mme Julie Miville Dechêne. Sa réponse, ainsi que celle de Soleïman Mellali, rédacteur en chef, information, internet et services numériques de Radio-Canada, apparaissent au bas de ce précédent billet.
Voici ce que j'ai envoyé ce matin à Mme Miville Dechêne, à la suite de cette réponse.
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Bonjour Madame Miville-Dechêne,
J'ai bien reçu une réponse, de M. Soleiman Mellali.
Comme je ne suis pas réellement satisfait de cette réponse, je vous fait donc suivre mes commentaires et la réponse en question.
J'expédie simultanément cette réponse à M. Mellali par la même occasion.
Hugues Morin
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Cher Monsieur Mellali,
Vous me répondez :
«Vous estimez que nos articles sont biaisés « par leur attitude et non par la présence explicite d'un commentaire éditorial ». J'avoue que je ne vois pas ce que vous voulez dire par « attitude » à propos d'un article et si vous n'y avait (sic) pas trouvé de commentaire éditorial, je vois encore moins où est le problème.
[...]
nous ne reprenons pas à notre compte les affirmations[...]nous les citons et c'est au lecteur de se faire une opinion.
[...]
Nous situons politiquement le président Rafael Correa pour une meilleure compréhension du contexte et nous n'hésitons pas à le faire lorsqu'il s'agit d'un homme politique de droite.»
Pour bien me faire comprendre, voici d’abord quelques exemples illustrant ce que je veux dire. J'invente ici, à titre d'exercice, cinq énoncés où n’apparaissent que des faits, mais qui insistent sur un angle qui invite les lecteurs à se faire une opinion à partir de cet angle:
Le premier ministre Stephen Harper – qui s’était prononcé pour la participation du Canada à l’invasion de l’Irak – a annoncé aujourd’hui la prorogation du parlement.
L’ex-premier ministre Trudeau – un ami personnel du leader communiste cubain Fidel Castro, qu’il a visité à plusieurs reprises à Cuba – était de passage...
Le chef du parti conservateur du Canada – qui s’était prononcé pour la participation du Canada à l’invasion de l’Irak en 2003 en support au président George W. Bush – a confirmé que les troupes canadiennes en Afghanistan y resteraient pour encore un an.
Paul Martin – qui était premier ministre lors du scandale des commandites – a décidé de publier ses mémoires politiques.
Le Canada – où quatre élections générales ont eu lieu au cours des huit dernières années, et qui est gouverné par un gouvernement minoritaire depuis six ans – tente d’obtenir un siège au conseil de sécurité des Nations Unies.
Et voici, pour être certain de bien illustrer mon propos, deux autres exemples: Je créé une fois de plus des énoncés, annonçant cette fois-ci la même nouvelle, mais l’encadrant de faits – et non de commentaire éditorial explicite – pour établir le « contexte »:
Le premier ministre Harper, au pouvoir depuis quatre ans, a demandé la prorogation du parlement. Il a expliqué que suite à l’analyse de son plan de relance de l’économie, le gouvernement devait prendre le temps de faire le point et a qualifié la demande de «procédure de routine ».
En demandant la prorogation du parlement pour une seconde fois en deux ans à la gouverneure générale – une personne non élue – Stephen Harper, qui avait publiquement supporté l’invasion de l’Irak par les américains sous George W. Bush, a qualifié cette procédure rarement utilisée de «procédure de routine».
Voilà pour les illustrations.
Si rappeler « l’alliance » de M. Correa avec son homologue vénézuelien est simplement de le situer politiquement pour une meilleure compréhension du contexte, je me demande alors pourquoi on le fait systématiquement à chaque fois que l’on parle du président équatorien. J’avais souligné la présence de cette référence dans les deux articles récents sur site de la SRC, or si on effectue une recherche sur Rafael Correa dans la section Nouvelles du site, on tombe inévitablement sur cette référence contextuelle. Par exemple, elle apparaît aussi dans l’article «Victoire assurée pour Correa» d’avril 2009 («La décision de cet allié d’Hugo Chavez de...»).
Or il n’est pas vrai que ce genre de mise en contexte par association est pratiqué sur le site de la SRC pour les leaders dont les politiques sont de centre ou de droite. En faisant la recherche dans la même section Nouvelles du site pour Alan Garcia (Pérou), Sebastian Pinera (Chili), Laura Chinchilla (Costa Rica), Juan Manuel Santos (Colombie) ou d’autres leaders d’ailleurs dans le monde, aucun document ne mentionne la proximité d’idées avec d’autres leaders comme c’est le cas avec les dirigeants socialistes.
Fait intéressant: En effectuant une recherche sur Evo Morales (Bolivie), on tombe inévitablement sur des articles mentionnant son « alliance » avec le président Chavez. Par exemple, dans « Morales Triomphe », de décembre 2009 (« Allié du président Hugo Chavez, Evo... »).
Autre fait intéressant: La même recherche, dans la même section du site, avec Tony Blair (Royaume Uni) nous donne une panoplie d’articles. Dans aucun de ces articles ne peut-on lire une phrase de mise en contexte qui mentionne l’alliance de M. Blair avec le gouvernement de George W. Bush, même dans les articles récents de mai ou septembre 2010 où l’on revient sur leur décision de s’allier lors de l’invasion de l’Irak.
Pour revenir à M. Correa, j’aurais compris que dans un premier article, on situe le contexte politique en évoquant Hugo Chavez si cette information avait été pertinente dans le cadre des événements. Or j’ai beau chercher, je ne vois toujours pas le rapport entre l’alliance Correa-Chavez et ce qui se passait en Équateur jeudi et vendredi dernier. J’aurais aussi compris si cette alliance et les politiques socialistes de Rafael Correa avaient été en cause. Or c’est même l’inverse, les policiers rebelles manifestaient contre l’adoption de mesures d’austérité, qui sont à l’opposé de politiques socialistes! Ainsi, l’évocation du nom de Chavez m’apparaît une bien piètre mise en contexte. Son utilisation systématique dès que l’on parle d’un leader latino-américain de gauche est donc ce que j’entends par procédé insidieux.
À titre de comparaison, je vous invite à consulter les articles de la section Nouvelles sur les troubles politiques qu'a eu à affronter le président Garcia au Pérou en 2009, pour rester dans la même région du globe, et vous n'y trouverez aucune mention "contextuelle" de ses alliances politiques.
Ce qui ne semblait pas assez clair dans l’explication de mon « opinion », c’est que la répétition systématique d’un fait, lorsqu’il n’est pas directement relié aux événements dont la nouvelle nous fait part, est une manière de faire éditorial sans avoir l’air de le faire. (Je n’ai jamais mentionné, dans mes exemples ci-haut si j’étais contre l’invasion de l’Irak ou non, ni si je partageais l’opinion de Stephen Harper sur la question, mais j’ai implicitement invité le lecteur à se ranger d’un côté en insistant sur ces éléments de contexte). C’est de ça dont je parlais quand je mentionnais que les articles m’apparaissaient biaisés par leur attitude et non par la présence explicite d'un commentaire éditorial. L’apparition systématique du nom d’Hugo Chavez dans les nouvelles sur Rafael Correa ou Evo Morales m’apparaît donc, pour m’exprimer assez clairement cette fois-ci, un commentaire éditorial implicite, mais éditorial tout de même.
Vous concluez :
« Nous espérons avoir réussi à vous convaincre de notre bonne foi. »
Ce à quoi je réponds que oui. Oui je crois à votre bonne foi.
Oui je crois maintenant que ces références systématiques n’étaient pas volontaires.
Vous expliquez d’ailleurs:
« Nous sommes un site d'information en continu et une même nouvelle peut être rédigée à 4h30 du matin par un de nos journalistes, revue par son chef de pupitre, puis actualisée tout au long de la journée par d'autres journalistes et révisée par un autre chef de pupitre et ce, jusqu'à minuit. »
J’imagine que ceci explique cela.
C’est un peu ce qui m’attriste aujourd’hui, d’ailleurs. De constater que loin d’être une nouvelle orientation de la SRC, cette manière de faire est simplement devenu une habitude, devant la pression de fournir une information en continu. On copie-colle une référence à Chavez (ou Castro) sans même se rendre compte qu’on manque de jugement. On le fait systématiquement sans même réaliser que c’est devenu une habitude. On ne réalise même pas que l’on répète à chaque fois un procédé créé par certains médias douteux, car c’est en train de devenir la norme. Les journalistes et chefs de pupitres ne le voient même plus passer tellement c’est usuel.
Je m’étonne toutefois que cette bonne foi ne vous ait pas conduit à vérifier ce dont je parlais, à consulter les pages de la section Nouvelles du site de la SRC pour vérifier ce qu’on y écrivait sur les leaders de gauche ou de droite, avant de m’écrire que vous faisiez la même chose pour les hommes politiques de droite. (Dans tous les cas, leur "contexte" est situé avec variété et absence de biais systématique, ce qui est très bien).
Si cette pratique douteuse avait été une nouvelle orientation de la SRC, j’aurais pu m’indigner, me plaindre de cette politique, mais devant votre bonne foi, je ne peux que m’attrister de voir ce que devient le journalisme à la SRC, et je ne vois pas ce que je peux faire de plus que d'avoir porté ce fait à votre attention.
Hugues Morin
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Magistralement exprimé.
RépondreSupprimerLoin de moi l'idée de me prétendre spécialiste de l'Amérique du Sud et encore moins en communication/journalisme, mais les propos de Radio-Canada ne me semblait pas aussi odieux que ta réaction laissait entendre. Que Chavez et Correa soient proches c'est, en principe, un fait, et non pas un opinion. Mais j'avoue que la façon dont c'était présenté était boiteuse. Il faut pas oublier que la plupart gens lisent les nouvelles en diagonale (surtout les nouvelles internationales) que ce soit sur R-C ou Cyberpresse. Et puis, dans un texte de 500 mots que l'information soit biaisée par un manque d'information me semble inévitable à partir du moment qu'on connait quelque peu le sujet dont il est question.
RépondreSupprimerCe qui m'irritait dans l'article c'était l'utilisation incorrecte de l'expression "Coup d'État" (soit de détourner l'organisation de l'État de l'interne (d'un élu ou d'une personne déjà en autorité, à la façon dont Napoléon (parmi tant d'autres, dont Hitler) a détourné l'État pour s'auto-proclamer empereur. Cette situation est bien différente qu'une tentative d'un petit groupe de renverser un gouvernement par la force pour prendre le pouvoir soi même, ce qui est à mon avis un putsch.
L'ironie de la chose c'est qu'il semble bien se passer un "coup d'État" simplement en prolongeant l'état d'urgence, sur la base d'une nouvelle tentative de rébellion quelque part, par quelqu'un dans le pays...
Mais bon l'Amérique du Sud, et le monde, en a vu bien d'autres ;))
P.S. J'espère bien que j'exagère pour rien.
Istvan,
RépondreSupprimerLe "contexte" dans lequel évolue le site de la SRC n'excuse pas le manque de professionnalisme (s'il y a manque, on verra bien ce que dira l'ombudsman). Ici, l'info n'était pas biaisée par manque d'espace, mais plutôt par l'accolade systématique du nom de Chavez dès qu'on parle d'un politicien de gauche.
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Concernant la proximité de Correa et Chavez, je ne la conteste pas, loin de là, et sa mention ne m'aurait pas irrité si ce n'était que cette mention est devenue un automatisme qui m'agace, à la longue.
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Ce n'étaient pas des propos odieux, mais si j'ai réagit avec force - cette fois-ci - c'est que je trouve désolant et inquiétant que ce genre de laisser-aller journalistique semble devenir la norme et que plus personne ne se rende compte de son aspect insidieux.
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Et oui, on juge plus durement les informations publiées sur un sujet que l'on connaît bien.
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Merci de tes précisions sur la nuance entre coup d'état et putsch; j'avais moi-même erré en utilisant le terme coup d'état au lieu de putsch.
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J'espère aussi que tu exagères pour rien.
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Hugues
Salut Hugues,
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec tes observations et je te remercie pour le temps que tu as consacré à écrire à Radio-Canada. Continue!
Joël Champetier
Question de clore cette discussion, j'ai reçu la réponse de l'ombudsman de Radio-Canada. On retrouve cette réponse sur le site de l'ombudsman, section "conclusions", daté du 29 octobre 2010 (PDF): http://www.radio-canada.ca/apropos/lib/v3.1/pdf/Revision_articles_web_equateur.pdf
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La conclusion générale est que "Les deux articles respectent les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada."
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J'ai répondu à l'ombudsman:
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Mme Miville-Dechêne, j'accepte sans problème votre conclusion selon laquelle "Les deux articles respectent les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada."
Je continue toutefois de croire que l'utilisation abusive d'un même fait bien qu'il représente une vérité, lorsque répété toujours de la même manière, fini par créer une impression de biais, sinon un biais.
Si l'idée de chacune des "associations" du nom de Chavez avec les autres leaders socialistes était de rappeler l'appartenance des pays en cause à l'Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA), il n'aurait pas été très compliqué de mentionner ce fait à titre de contexte au lieu de copier-coller le nom de Chavez dans la phrase.
Merci encore de votre traitement de ma plainte, vous avez fait preuve d'un grand professionnalisme, ce qui est quand même rassurant.
Hugues Morin
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Pour situer le contexte de traitement de cette plainte, je mentionne que le rapport annuel de 2008-2009 de l'ombudsman de Radio-Canada fait état de 768 plaintes et commentaires reçus.
RépondreSupprimerDe ce nombre, 406 ont été transmis aux directeurs pour réponse.
De ces 406, 35 ont demandées une révision de l'ombudsman suite aux réponses des directeurs.
De ces 35, 22 ont été jugées non fondées, 7 fondées en partie et 4 fondées. Ainsi, dans un tiers des plaintes révisées, l'ombudsman a jugé que la plainte était au moins en partie fondée.
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J'aurais pu croire que statistiquement, j'errais probablement en me plaignant; 11 des 406 cas de l'an dernier étaient fondés en partie, les autres non. (Peu de gens se plaignent donc en ayant raison et je ne me considère pas plus malin que les autres).
Par contre, on peut aussi conclure de ces chiffres que la SRC offre un excellent service d'informations, puisque relativement peu de plaintes n'obtiennent pas une réponse satisfaisante des directeurs.
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Enfin, je peux dire que mes commentaires et ma plainte ont été traité avec respect et sérieux par l'ombudsman de Radio-Canada. En fait, elle est allé plus loin que son mandat ne lui demande et j'ai eu un échange de courriel privé fort intéressant avec Julie Miville-Dechêne, qui s'est même donné la peine de consulter ce blogue et les commentaires y apparaissant.
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