mercredi 12 janvier 2011

Dieu et le Diable chez Patrick Senécal (1)

Je viens de terminer ma lecture de Contre Dieu, un court roman de Patrick Senécal publié chez Coup de tête en 2010. Les lecteurs considèreront probablement ce roman comme une oeuvre mineure de l'auteur, si on le compare aux plus ambitieux projet tels Le Vide ou Hell.com publiés avant cet opus. Pourtant, c'est un roman qui étonne par sa fougue et par la concentration d'autant d'événements en si peu de pages, par un auteur qui nous a habitué à des romans aux scènes nombreuses et élaborées ainsi qu'à de généreux dialogues.
Si la thématique religieuse - inscrite dans le titre même de l'ouvrage - semble étrange, à première vue, de la part d'un auteur de suspense et d'horreur du 21e siècle, elle ne surprendra pas celui qui a lu les autres romans de Senécal au fil des ans. En effet, rares sont les auteurs d'horreur contemporains de cet âge à avoir autant exploré l'opposition entre Dieu et le Diable, qu'il s'agisse de personnages directement impliqués dans ses histoires ou de rôles incarnés par les protagonistes. J'irais même jusqu'à dire que s'il y a une thématique qui surplombe la quasi totalité des oeuvres de Patrick Senécal, c'est bien celle des valeurs judéo-chrétiennes.
Ainsi, c'est dans l'ordre des choses que Patrick signe enfin un roman où Dieu est un personnage important. Certes, le lecteur-lamda ne verra pas le roman de ce point de vue immédiatement, mais pour qui a l'habitude des pirouettes littéraires, la persistance du narrateur et le twist sur lequel l'auteur termine son récit ne faisait aucun doute dès les premières pages du roman. Ceci n'enlève rien au plaisir de lire Contre Dieu, notez bien, car en terme de pirouette littéraire, c'est parfaitement réussi.
La narration au "tu" est quelque chose de rare et qui ne fonctionne que dans des circonstances particulières. Elle a pour effet de renforcer l'identification du lecteur (sauf si on lui rappelle trop souvent le nom du protagoniste ou insiste trop sur des détails personnels de sa vie, deux pièges qu'évite Senécal) et d'accentuer l'effet de proximité des événement. Ce parti-pris narratif trouve tout son sens dans l'écriture rapide et rythmée de Patrick, qui a en plus ajouté l'amusante idée d'écrire tout le roman comme une longue et unique phrase. Les rares éléments de dialogues (monologues) sont intégrés comme les reflets des pensées/souvenirs du protagoniste et l'utilisation de virgules et de changements de tons permet de ponctuer la narration et la rendre agréable, sans pour autant avoir recours au point. On comprend évidemment que ces deux choix ne pouvaient pas engendrer un roman de 350 pages conventionnels; sa lecture en aurait été ardue.
Malgré son nombre restreint de mots, Contre Dieu n'est pas une nouvelle; l'action se déroule sur plusieurs jours, mets en scène un certain nombre de personnages secondaires gravitant dans de nombreux décors; certes, les descriptions relèvent de la suggestion, et les états d'âmes sont concentrés sur le personnage principal, mais cette intimité et cette densité littéraire servent bien le propos de l'auteur et du roman.
Au final, c'est peut-être la thématique religieuse trop appuyée qui est le seul élément un peu plus faible de ce roman. C'est un peu réducteur, de ramener la détresse et le désespoir à une croyance religieuse où Dieu représente le Bien - l'ultime but si on fait les choses comme il faut. Sous-entendu de cette croyance dominante du personnage: si on est un "juste", rien d'horrible devrait nous arriver. J'imagine que les démons de Patrick ne le laissent pas s'éloigner trop facilement de ces valeurs qui surplombent l'ensemble de son oeuvre romanesque (j'y reviendrai en détails dans un prochain billet).
Pour le moment, je conclus de ma lecture que Contre Dieu est à la fois une bonne histoire et un défi littéraire réussi.
Enfin, je m'en voudrais d'oublier le superbe petit film promotionnel qui a été réalisé pour souligner la parution de Contre Dieu.



--
Pour les amateurs de coïncidences amusantes, je m'autorise une auto-citation. Le passage ci-bas est tiré d'une courte histoire que j'ai écrite en 2000 et publié en 2004. La couverture et le titre du roman de Patrick m'ont tout de suite rappelé cette histoire. Autre coïncidence: cette histoire - qui n'a aucun autre rapport avec le roman de Patrick - s'intitulait Synchronicité.

«... il rêve d’être seul avec la neige, d’être seul... [il] voudrait que Dieu existe, pour de vrai, et non pas seulement dans la tête des hommes. Il voudrait que Dieu existe parce que seul dans la neige, loin de la ville, et du bruit, il aurait pu rencontrer Dieu. Et tuer Dieu. Car Dieu a été méchant. Dieu lui a menti. Il lui a fait croire qu’Il était un bon Dieu.»
- Hugues Morin, Synchronicité.
---

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

L'Esprit Vagabond vous remercie de vous identifier (ou signer votre commentaire). Assumez vos opinions!
L'Esprit Vagabond est un blogue privé et ne publie pas de commentaires anonymes.