mardi 27 avril 2004

La pluie tombe
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Montréal 25 avril. Je suis dans un taxi, qui roule lentement dans le tunnel Ville-Marie. Nous suivons l’autoroute 20, direction Toronto, mais nous nous arrêterons éventuellement bientôt, à peine sorti de Montréal, la ville, mais toujours sur l’île. Trois personnes à bord à part le chauffeur, qui, étrangement, est totalement muet. Peut-être sent-il la tristesse que nous ressentons tous. Suzie est à côté de moi, un ami est assis à l’avant.
Cet ami, il porte le nom de mon arrière grand-père. C’est étrange, car tout au monde aurait dû nous séparer, jamais nous n’aurions dû devenir amis. Nous sommes originaires de deux pays différents, nous avons des mentalités différentes, nous avons dix-sept ans de différence, j’aime voyager, lui non... enfin, la vie en aura décidé autrement et nous avons donc été amis, le temps d’une saison, le temps d’un court séjour au Québec pour chacun de nous.
Il est de ces amitiés qui vous changent, que vous en soyez conscient ou non. Il m’apparaît évident, aujourd’hui, que je ne suis plus exactement le même Hugues que celui que j’étais avant que cet ami n’entre dans ma vie. Et Dieu sait qu’il n’est pas entré par la porte la plus facile. Notre amitié éventuelle avait tout contre elle, mais elle se sera développée malgré cela.
Le taxi poursuit sa route, le compteur tourne et mon ami prépare son argent canadien alors que nous approchons de notre destination. Dans quelques heures, il devra utiliser une autre monnaie pour payer sa prochaine course de taxi.
Nous arrivons enfin à Dorval, l’aéroport de Montréal, où mon ami doit prendre son avion.
Après la longue attente à l’enregistrement, l’enregistrement des bagages excédentaires et le règlement de tous les frais, nous n’avons plus qu’une heure avant son embarquement.
Le temps file plus vite dans ces moments-là, évidemment, et chacun d’entre nous est triste. Ce temps qui fait partie de notre amitié à tous les trois. J’aurai trente-huit ans dans trois jours, il en a eu vingt-et-un la semaine précédente. Pourtant, nous sommes tous les deux ici ce soir à partager le même sentiment et la même amitié.
Après les adieux, un long moment dans la file d’embarquement, à se redire adieu dix fois, vingt fois, à distance, puis un dernier regard...
Et la pluie tombe...
Après un long moment devant les portes d’embarquement, nous quittons l’aérogare, Suzie et moi. Il fait froid dehors tout à coup. Nous cherchons l’endroit où nous prendrons l’autobus qui nous ramènera vers la ville. Nous attendons vingt minutes, abrité de la pluie mais pas du vent, et ces vingt minutes paraissent cent fois plus longues que l’heure qui les a précédées. Nous voudrions être chez nous. Nous sommes ensembles mais nous nous sentons un peu seuls malgré tout.
L’autobus 204 arrive, nous montons, puis nous descendons quelques minutes plus tard au terminus Dorval, où nous devons attendre une correspondance pendant vingt autres minutes.
Une fois dans le métro Du Collège, nous décidons de demeurer simplement sur la ligne orange jusque chez nous plutôt que de prendre des correspondances. Nous sommes dans les sous terrains et pourtant, je sens encore la pluie qui tombe dehors.
À la station Place d’Armes, un groupe de jeunes attend la rame en sens inverse, sur le quai en face de nous. Un garçon fait un salut à Suzie, puis une jeune fille l’imite... Suzie leur fait un signe de la main et bientôt, alors que notre train repart vers Champs de Mars, toute la classe nous salue de la main, comme ça, sans raison. Ils ont peut-être sentis la pluie eux aussi ce soir.
Le métro me laisse à Mont-Royal, où je descends, vêtu de la veste imperméable de Suzie, cette veste qui est identique à la mienne, à part sa couleur, et qui nous a accompagné en Europe l’an dernier. C’est que je n’avais pas apporté la mienne, je n’avais pas prévu la pluie, et je dois aller chercher quelques affaires avant de rentrer chez moi. J’embrasse Suzie sur le front et lui dis que je la rejoins dans une demi-heure.
Dehors, la pluie tombe toujours, peut-être même un peu plus fort maintenant que nous ne sommes plus ensembles, Suzie et moi. Je marche d’un pas rapide sur Marie-Anne et utilise les clefs que mon ami m’a confiées pour monter dans l’appartement que je considère encore comme chez lui.
Il nous a laissé quelques affaires, je devrai venir les chercher le lendemain et remettre ses clefs au concierge de l’immeuble. Mais pour ce soir, quelques petites choses me semblaient essentielles à rapporter avec nous. Son appartement presque vide est d’une tristesse imprévue, intense. J’enfouis quelques affaires dans un sac en toile à fermeture à cordon et repars sous la pluie avec ce baluchon vers la station de métro.
À mon retour à l’appartement, Suzie est assise par terre, m’attendant. Quelques-uns des biens que notre ami nous a donnés se retrouvent ici et là dans notre appartement en désordre.
Nous mangeons un peu, en silence.
Le trajet de l’aéroport à notre appartement aura pris presque deux heures et demie. Cet appartement, nous le quitterons tour à tour d’ici le mois prochain.
Je prépare un bain pour Suzie. Nous avons besoin de repos, et de silence.
Dehors, la pluie tombe toujours. Et nous avons l’impression qu’elle ne cessera jamais.
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