jeudi 5 juillet 2007

Machu Picchu: L'Empire Inca au bout d'un escalier temporel

J'ai les poumons en feu, mon coeur bat à 140 pulsasions minutes. Je suis trempé. Je consulte ma montre; il est 5h45 du matin, les premières lueurs de l'aube se pointent à l'est, au-delà des montagnes. Quatre personnes sont dans les marches devant la porte qui se dresse devant moi. Ma respiration se régularise un peu, mon coeur se calme lui aussi.

Je viens d'arriver en haut d'un excalier temporel, qui, après 50 minutes, m'a ramené plus de 450 ans en arrière.

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Je me passe la tete sous une eau glaciale mais bienvenue, ma respiration est revenue à la normale. En moins de 5 minutes, une centaine de personnes ont rejoint les autres - ils viennent d'arriver en autobus. Mes deux compagnons de voyage arrivent par l'escalier à leur tour, eux aussi en sueur après l'exigente montée d'Aguas Calientes jusqu'à l'entrée du site.

6h00 AM. Les portes ouvrent et nous accédons à la cité perdue du Machu Picchu, qui a été isolée et ignorée du reste du monde pendant 400 ans avant d'etre découverte en 1911.

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Je reve du Machu Picchu depuis longtemps et j'ai élaboré divers plans pour en intégrer la visite à un de mes voyages, intégration, qui ne s'est réalisée qu'aujourd'hui, lors de l'ouverture des portes du site archéologique.

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Ma montre m'a tiré du sommeil à 4h00 AM pile. Après avoir ingurgité un gateau sec et sans saveur et quelques biscuits au miel avec un lait au chocolat, je me suis préparé pour ma courte mais importante randonnée. Parti avec 15 minutes de retard sur l'horaire - gracieuseté du caractère relax et un peu trop latino déjà, de mes compagnons de voyage - j'ai quitté le confort de l'auberge à 4h45 d'un bon pas. Après 20 minutes, j'avais descendu l'avenue principale du village, emprunté la route qui longe la rivière sur 1.5 km et atteint le pont d'où part le sentier. Ce dernier est constitué d'une série d'escaliers de roches qui entrecoupent une route en zigzag de 7 km dans la montagne.

Cet escalier de roche permet le déplacement sur environ 800 mètres de gain d'altitude et environ 450 ans dans le temps. En haut, vous accédez à la mieux conservée de toutes les anciennes cités Incas.

Les escaliers en serpentins, qui se succèdent, sont formés de marches larges et hautes, exigentes. Rapidement, je réalise que je vais trop vite, mon coeur s'emballe et mon souffle se fait court. Je suis partagé entre la volonté de ralentir le pas et celle d'atteindre la cité avant le lever du soleil. J'ajuste ma lampe frontale et trouve enfin mon rythme. Malgré le froid ambiant, mon corps se réchauffe rapidement.

Je rattrape quelques randonneurs nocturnes, passe devant la plupart d'entre eux et ils rejoignent mes deux compagnons parmi les lueurs qui apparaissent à l'occasion en contrebas. Les zigzags du sentier rocheux et la végétation de la foret humide qui l'entourre rendent le repérage des bornes et des autres randonneurs difficile.

Vers 5h30, le sommet apparait toujours très haut devant moi et les premières lueurs de l'aube font palir le ciel à l'est, entre les montagnes. Malgré la fatigue musculaire qui se fait déjà plus présente, je conserve mon rythme, accélérant meme un brin. À 5h35, la lune et l'aube suffisent à éclairer mon chemin et j'éteins donc ma lampe frontale. Sa sangle, serrée autour des rebords de mon chapeau, est humide et chaude.

Enfin, après la dernière longue et abrupte série de marches de pierre, j'atteins le haut de mon escalier temporel.

Il est 5h45.
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Lors de mon entrée sur le site, quelques autres bus ont déchargés d'autres touristes d'Aguas Calientes. Environ 300-350 personnes pénètrent donc sur les premières terrasses des ruines Incas du Machu Picchu. De ce nombre, environ une douzaine ont fait la randonnée pour atteindre à pied le Machu Picchu.

Les visiteurs se séparent rapidement en trois "groupes". Les premiers empruntent le chemin de la visite courte pour accéder directement au coeur des ruines de la cité et s'y éparpillent.

Les seconds, membres de tours guidés, se répartissent en groupuscules de 20-30 ici et là sur les premières terrasses. Les autres - dont je suis - empruntent le chemin de la visite longue, et grimpent quelques centaines de mètres pour atteindre les plus hautes terrasses, surplombant la cité, avec le sommet du Huayna Picchu en arrière-plan.

L'ensemble du site est si vaste que les quelques centaines de visiteurs n'arrivent pas à lui donner un air peuplé - ce qui semble parfait pour une visite agréable en ce qui me concerne.

Le calme des hautes terrasses et l'arret de l'exercice physique- combinés à la sueur refroidie sur mes vetements - me laissent frissonnant dans la brise du matin.

Comme le Machu Picchu est entourré de hauts sommets, il faudra attendre un bon 45 minutes pour qu'Inti, le Dieu Soleil, lance ses premiers rayons sur nous et la cité Inca.

Une fois sorti de sa cachette, ses rayons nous atteignent enfin. En moins de 20 minutes, sa bienveillante chaleur nous pénètre et nous rempli d'une énergie nouvelle. Ses puissants rayons réveillent mes doigts à moitié engourdis, réchauffent mon visage et me font réaliser à quel point ce Dieu Soleil est important pour la vie à une époque où elle dépend tant des éléments naturels. Inti chasse l'humidité froide de ce matin d'hiver péruvien et fait briller la cité Inca à mes pieds.

Je suis pret à m'y perdre pour les prochaines heures.
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La visite - guidée ou non - classique du Machu Picchu par des groupes organisés, s'effectue au départ de Cusco. Le premier train arrive en gare à Aguas Calientes vers les 11h00 AM, et un bus monte les premiers groupes à l'entrée du site archéologique vers 11h30. Avant cette heure, seuls les visiteurs ayant couché à Aguas Calientes accèdent à la cité. Bref, les 5 heures entre 7h00 et midi sont les meilleures pour le voyageur qui veut éviter les foules, les files d'attente devant les structures et les photos de ruines comprenant des centaines de touristes entassées. Pour un voyageur tel que moi - qui aime prendre son temps, se laisser impregner par un site, son histoire, ses histoires, son ambiance, sa voix - il est impossible de visiter une cité telle que le Machu Picchu en 5 heures seulement. Par contre, comme le site est étendu, certains de ses points d'intérets sont moins accessibles et moins visités que d'autres. Le gros des visiteurs, qui innonde les ruines en fin d'avant-midi, doit reprendre le train vers 16h; ils visitent donc les points essentiels du site, concentrés dans les ruines de la ville-meme, et repartent.

Voilà donc pourquoi, après une heure trente à explorer les hautes terrasses et profiter du lever du Soleil sur le site, j'ai passé les quatre heures et demi suivantes à l'exploration des ruines principales de l'ancienne cité.

Rocher funéraires, porte principale, palais de l'Inca, temples, plazas, monuments et le temple du soleil, les structures se suivent en procurrant l'émerveillement et la fascination. Personnellement, depuis ma visite de l'ancienne cité Maya de Tikal, au nord du Guatemala, je n'ai jamais rien vu de pareil. Ce n'est pas seulement l'étendue du site qui surprend, mais aussi le génie - il n'y a pas d'autre mot - de l'architecture Inca. L'existence-meme de certaines structures, principalement la taille et la précision des gigantesques pierres taillées, dépasse tout simplement l'imagination.

Ces premières heures sont nécessaires pour accepter que vos yeux ne vous trompent pas, pour ressentir profondément votre présence en ces lieux. En imaginer la présence et la vie des Incas au Machu Picchu ne viendra que plus tard. Il y a une limite à ce que le cerveau peut assimiler en si peu de temps. Souvent, je dois m'asseoir et faire des pauses juste pour reprendre mon souffle devant tant de beauté. Le degré de conservation des structures et édifices est étonnant, particulièrement pour le voyageur ayant visité plusieurs sites historiques en Amérique comme en Europe. L'isolation complète du site pendant plus de 400 ans y est évidemment pour beaucoup. Et comme l'existence de la cité était ignorée des conquistadors espagnols, aucune bataille n'a eu lieu sur ce site, le protégeant donc également de la destruction subie par d'autres sites.

Comme la cité est pratiquement divisée en deux parties par une longue plaza centrale reliant les terrasses au pied de Huayna Picchu, j'ai d'abord exploré son flan ouest, dont les bords sont constitués de terrasses abruptes plongeant vers un précipice d'environ 800 mètres vers la rivière au fond. Trois heures sont donc consacrées à l'exploration de ces édifices, les plus importants de la cité. À ce moment de ma journée, il est 10h30 et une décision s'impose.
Mes compagnons et moi avons atteint la base du sentier menant au sommet de Huayna Picchu. L'ascension est permise, mais le nombre de randonneurs est limité et l'entrée ferme à 13h. La cime de la "jeune montagne" se dresse environ 550 m au-dessus de nos tetes et peut etre atteinte par un abrupt et très étroit sentier qui tourne littérallement autour du pic jusqu'à son sommet. En haut, une structure modeste impressionne par son emplacement. Ce que les autorités locales évitent de mentionner, c'est que bon an mal an, quelques visiteurs malchanceux ou imprudents perdent la vie sur le Huayna Picchu. Infarctus, morsures de serpents ou chutes mortelles de son sentier étroit ne sont pas monnaie courrante mais se produisent une à deux fois par année.

Comme la randonnée demande une bonne heure et demie aller-retour, je décide de consacrer mon temps à autre chose - ce ne sont pas les points d'intérets qui manquent dans la cité. Après quelques hésitations, mes deux copains renoncent eux aussi au Huayna Picchu. Pour ma part, jamais je ne regretterai cette décision, vu le déroulement ultérieur de ma journée.

Près de deux heures seront d'abord consacrées à l'exploration de la partie est de la cité. Portails, zone industrielle, zone funéraire, habitations des nobles et autres merveilles se succédent et se livrent à mes sens, provoquant à chaque nouvelle découverte des exclamations et des soupirs d'incrédulité.

Vers midi trente, je rejoins donc le point central du site, situé au croisement des terrasses, de la plaza centrale et de l'escalier transversal principal. C'est le moment de justifier ma décision de ne pas gravir Hyana Picchu; j'entreprends l'ascension de l'ancienne voie Inca qui était, il y a 450 ans et des poussières, la voie d'accés au Machu Picchu.

Cette roure de roche d'un mètre de large, à flan de montagne, s'élève lentement mais constamment sur environ 2 km de long. J'emprunte donc le chemin des Incas pendant 45 minutes, qui me mènent, après un gain d'environ 700 m d'altitude, à Intipunku - La Porte du Soleil.

De ce point de vue imprenable, nous avons une vue stupéfiante du Machu Picchu, de Huayna Picchu et de la rivière, serpentant tout autour, à 1500 m en contrebas de notre position. Pour l'anecdote, je mentionne que j'ai croisé deux personnes en me rendant à la porte du soleil, qu'un autre visiteur m'y a rejoint et que trois autres ont été croisés lors du retour vers la cité du Machu Picchu. Sur les quelques 600-700 visiteurs qui ont arpenté les ruines en cette journée, le Chemin des Incas et la porte du soleil sont étonnamment calmes. Et agréablement calmes pour ce visiteur-ci. Aussi, d'Intipunku, j'ai réalisé que nous étions plus haut que le sommet de Huayna Picchu, et que nous disposions d'un meilleur point de vue sur toutes les ruines de l'ancienne cité Inca du Machu Picchu.
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Comme nous étions arrivés à Aguas Calientes par le train de la veille, notre retour vers Cusco se faisait par le train au départ d'Aguas Calientes à 15h55 et nous devions etre à la gare vers 15h30.
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À 13h30, nous quittions donc Intipunku pour redescendre, d'abord de 700 m sur la voie Inca vers Machu Picchu, puis de 800 m vers la rivière et Aguas Calientes. Le trajet total de retour - par la voie Inca et le sentier en escaliers emprunté au petit matin - nous prendra une heure trente minutes. De retour au village d'Aguas Calientes, nous avons récupéré nos bagages laissés en consigne le matin, et nous sommes montés dans le train de 16h, soit douze heures après que ma montre m'ait tiré du sommeil.

Aguas Calientes, les autres passagers, une cerveza cusqueña achetée avant l'embarquement, les officiels de Perurail et un brin de fatigue m'ont ramenés dans le temps - un saut de plus de 450 ans en avant... Le train s'est mis en mouvement, et le trop plein d'émotions provoqué par ce voyage temporel chez les Incas, l'émerveillement inévitable ressentie pendant toute la journée, tout ca a pris le dessus... et je me suis donc mis à écrire.
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Ca va me prendre du temps avant d'assimiler totalement l'expérience de ma visite du Machu Picchu - de la randonnée à 4h45 du matin à la Porte du Soleil - un des sites les plus impressionnants que j'ai pu voir dans ma vie. J'ai beau etre en route pour d'autres lieux, j'ai encore l'impression d'y etre et l'impression que Machu Picchu restera longtemps en moi.

Pour le moment, je me contente donc de jeter ces quelques impressions sur papier pour laisser une relation à chaud des 12 heures que j'ai vécues au Machu Picchu. Je suis particulièrement heureux de la manière dont j'ai abordé cette cité; à pied. Je vois mal comment on peut réellement ressentir le site et son histoire en se contentant du standard train-bus-visite-bus-train qui laisse au mieux 4h pour profiter de la cité Inca. En y accédant à pied, j'ai vécu l'entrée au Machu Picchu de manière unique, et j'ai senti le lever d'Inti avec chaque cellule de mon corps, une expérience déjà exceptionnelle en soi.

L'exploration des ruines en toute liberté, et avant l'arrivée de la masse principale des touristes, m'a aussi permis de profiter davantage du site et ses merveilles - sans parler des innombrables opportunités de souvenirs-photos (vous en trouverez quelques-unes ici). Enfin, la randonnée sur la voie Inca jusqu'à Intipunku est venue courronner l'exploration de ce lieu aussi exceptionnel que mythique.
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On pourrait facilement consacrer 3-4 jours à l'exploration du site complet du Machu Picchu - du sommet de Huayna Picchu aux terrasses isolées à 600 m en contrebas, en passant par le temple de la lune - à 2h de marche entre le Huayna Picchu et un plus petit sommet à l'est. Mais pour ce mois de juillet 2007, je devrai me contenter de ces 12 merveilleures et innoubliables heures... Et par le fait meme, vous aussi chers amis lecteurs de ce journal de voyage.

Au-revoir Machu Picchu.


Hugues Morin, 4 juillet 2007, dans le train Aguas Calientes-Cusco, Pérou.
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2 commentaires:

  1. Anonyme4:39 PM

    En tout cas, le lendemain de ta visite, Hugo, Machu Picchu était «élue» Merveille du Monde, dans le cadre du concours international dont tu avais naguère parlé sur ce blogue...

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  2. Daniel,
    Oui, je sais, j'ai vu ca...
    Avec les autres merveilles elues, ca m'en fait trois de visitees (Chitchen Itza et Le Colisee de Rome etant les deux autres a mon palmares).
    Mais je voulais revenir sur ce concours, alors quand j'aurai quelques minutes... :-)

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