Comme j'ai fait référence à quelques reprises lors de la relation de mes aventures péruviennes récentes aux diverses agitations socio-politiques au pays des Incas, je me suis dit qu'un petit article sur l'état des choses permettrait peut-etre d'éclairer mes amis lecteurs sur la situation. Voilà donc la raison principale de ce billet. Accessoirement, j'ajouterais que j'essaie généralement de comprendre un peu ce qui se passe autour de moi et dans les pays où je voyage, je m'efforce de lire la presse nationale pour saisir certains aspects des enjeux politiques. Le tout influence à chaque fois mes propres positions et convictions politiques, évidemment.
Le Président actuel du Pérou, Alan Garcia, a été élu en 2006, il y a un peu moins d'un an. Garcia avait déjà dirigé le Pérou de 1985 à 1990, menant l'économie du pays littérallement en ruine. Lors de la fin de son mandat en 1990, sa gestion avait été considérée comme un échec total. Après avoir perdu les élections de 2001, il a donc repris le pouvoir l'an dernier en promettant surtout d'amoindrir les différences entre les riches et les pauvres du pays, et en mettant un frein aux politiques de droite du gouvernement précédent.
Garcia a remporté ses élections, mais son parti n'a pas la majorité au congrès péruvien. Par contre, il n'y a aucune entente ni alliance entre les 3 partis d'opposition, ce qui laisse la voie relativement libre à ses politiques économiques jusqu'à maintenant.
L'ancien président Alberto Fujimori est accusé de corruption et de crimes contre les droits humains et est en attente de procès s'il met les pieds au pays. Il est actuellement en détention à domicile au Chili, mais la cour supreme du Chili a refusé de l'extrader au Pérou pour qu'il soit jugé. Parallélement, le Pérou a perdu sa cause contre ce meme Chili sur un litige de frontière martitime entendu au tribunal international de La Haye.
Le gouvernement Garcia est vu comme trop sympatisant avec le Chili et l'affaire Fujimori, bien que totalement indépendante des actions du président Garcia, nuit à son image publique.
Est-il utile de rappeler que le Chili est le pays qui a laissé mourir en paix son ancien dictateur Pinochet sans jamais le juger pour ses crimes? Ce fait reviens soiuvent dans les médias d'ici quand on parle de l'affaire Fujimori.
Situation économique du Pérou.
Depuis son entrée en fonction, le gouvernement Garcia a signé un traité de libre-échange avec les Etats-Unis et des pourparlers pour signer le meme genre de traité avec le Canada ont justement débuté aujourd'hui, lundi 16 juillet.
Le gouvernement Garcia favorise grandement des politiques économiques néo-libérales - une attitude vaguement basée sur les politiques chiliennes - en stimulant l'investissement privé au pays, qu'il soit national ou étranger. Le résultat de ses politiques est que l'économie du pays est en progression, meme si cette progression est lente. Par contre, l'encadrement de ces politiques est controversé, puisque l'écart entre les riches et les pauvres du pays semble se creuser plutot que s'amoindrir.
Malgré ses ressources naturelles (or, argent, cuivre et pétrole), le pays souffre encore de son histoire politique chaotique valsant entre politiques désastreuses et corruption. Le pays est donc un pays en développement et meme si sa situation économique n'est pas aussi dramatique que par le passé, plus de 52% de sa population vit sous le seuil de la pauvreté - et considérant le cout de vie ici, c'est dire que plus de la moitié des péruviens n'ont pratiquement rien, ni biens ni revenus.
Dans la province de Puno, par exemple, le % de la population vivant sous ce seuil atteint 76.1%.
Le fait que plus de 85% des péruviens retraités n'ait pas de pension n'aide en rien les statistiques de revenus. Tous les intervenants s'entendent pour dire que les programmes sociaux sont soient inefficaces ou carrément inexistants, résultat de douze ans de politiques néo-libérales.
Pourtant, une étude récente, rapportée par le supplément économique du journal El Comercio mentionne que les professionnels péruviens arrivent au 4 rang en terme de salaires, en Amérique Latine, après les professionnels de Puerto Rico, du Chili et du Mexique. La meme étude stipule que les cadres péruviens ont un salaire qui les classe au 3e rang en Amérique Latine aprés ceux du Chili et du Vénézuela. Dans les deux cas, on parle évidemment de la strate suppérieure de la population.
Depuis quelques semaines déjà, la situation sociale s'est agitée au pays. Un des déclencheurs des diverses manifestations anti-gouvernementales a été la nouvelle Loi sur l'évaluation des enseignants, que le gouvernement tient responsable de la médiocrité du système d'éducation péruvien. Résultat de ce projet de Loi; le syndicat des enseignants a déclenché une grève générale illimité partout au pays. Diverses manifesations publiques ont eues lieu parallèlement à l'arret de travail des enseignants, qui accusent le gouvernement d'utiliser cette loi pour faire des mises à pied massives et injustifiées.
Les travailleurs des mines s'en sont melés peu après, protestant entre autres contre l'absence de droits syndicaux, mais surtout contre la contamination des eaux potables engendrées par l'opération des mines. Ce sont eux qui ont débuté les blocages routiers, dans le sud du pays. Ils ont été rapidement appuyés par les populations locales, puisque tout le sud considère que les politiques d'investissement privé favorisent grandement le nord du pays (Lima et nord) au détriment du sud (Arequipa, Tacna, Cusco, Puno), ce qui semble etre confirmé par les divers analystes des médias. Le résultat de ces manifestations et blocages routiers a complètement isolé certaines régions du sud du reste du pays; au moment d'écrire ceci, il n'y a plus de circulation entre les secteurs de Puno-Cusco-Juliaca et ceux d'Arequipa-Lima.
Les agriculteurs du sud, mécontents des politiques du gouvernement Garcia depuis le début de son mandat ont donc emboité le pas dans ce qui semble devenir une manifestation générale de la population péruvienne contre son gouvernement. Les agriculteurs demandent entre autres l'élimination de la taxe sur les fertilisants (il semble que ceux du nord en importent illégalement de l'Équateur, où sans cette taxe, il est meilleur marché) et un meilleur accès au crédit pour acquérir de la machinerie agricole. Plus de 2500 paysans ont envahis la ville de Andahuaylas il y a quelques jours et la manifestation a dégénéré en violences et arrestations. Les agriculteurs ont imité les travailleurs des mines et bloqué la route vers Abancay, toujours dans la partie sud du pays. Aujourd'hui, on estime le nombre de paysans à avoir envahi quelques villes à 10 000.
La situation a ateint un point culminant les 11 et 12 juillet dernier, quand tout le pays a été paralysé par une grève générale, et qu'aucun transport n'était en fonction. Les travailleurs de la construction ont donc emboité le pas aux autres manifestants et la crise semble avoir atteint toutes les strates de la société péruvienne.
(Photo: Dans le train Cusco-Aguas Calientes)
Pendant ces deux jours, les choses se sont réchauffées un peu trop; à Juliaca, les manifestants ont "pris" l'aéroport en otage pendant quelques heures, détruisant les phares de la piste et provoquant l'anulation de tous les vols de soir et de nuit avant de quitter les lieux. À Ollantaytambo, entre Cusco et Aguas Calientes, des manifestants ont lancé des pierres sur le train menant les touristes au Machu Picchu, forcant l'arret du train et le retour vers Cusco.
La ville d'Arequipa a été isolée et tout transport vers le sud du pays a été interrompu.
Enfin, à Trujillo, les enseignants en grève ont lancé des oeufs sur le Président Garcia en visite.
Réaction du gouvernement à la crise.
La première réaction du président Garcia a été de blamer les partis d'opposition et de crier au complot de l'opposition pour déstabiliser le pays, un argument qui semble ridicule, puisque la crise concerne non seulement les syndicalistes, les partisans de la gauche, mais aussi plusieurs nationalistes de droite qui reprochent au gouvernement de "chiliniser" le pays.
Par la suite, Alan Garcia a qualifié les groupes de manifestants (agriculteurs, enseignants, travailleurs des mines et de la construction), de "dangereux communistes", une réaction qui a été ridiculisée dans tous les médias.
Enfin, suite aux dernières manifestations, le président a annoncé qu'il adoptait la ligne dure (main de fer) pour contrer les agitations et ramener la paix au pays. La population n'a pas l'air de vouloir emboiter le pas à cette réaction, et tous les éditorialistes semblent dire que c'est une erreur et que le gouvernement devrait écouter les manifestant et entreprendre des dialogues et négociations sur les points en litige avant que la désobéissance civile n'atteigne des proportions incontrolables.
Concernant la Loi sur l'évaluation des enseignants, le ministre de l'éducation a signifié qu'il exigeait un retour au travail des enseignants avant meme de considérer une négociation sur la question de la Loi, ce que le syndicat refuse.
En plus de ridiculiser la réaction simpliste du président Garcia, l'éditorialiste de La Republica explique que la crise vient surtout de frustrations généralisées contre l'ensemble des politiques de droite du gouverment Garcia qui n'a pas tenu ses promesse électorales. Il mentionne qu'à son avis, les politiques néo-libérales ont été profitables, mais seulement pour une poignée de privilégiés et d'investisseurs déjà plus riches que le reste de la population, d'où la crise.
L'éditorialiste d'El Correo fait appel au gouvernement sur la nécessité de ne pas adopter la ligne dure et de dialoguer avec les divers intervenants.
Celui de l'hebdo Domingo se concentre sur les oubliés du conflit en éducation: les élèves, qui en sont à leur 11e journée sans cours. L'éditorialiste est d'avis que ca prend une Loi pour redresser le systeme d'éducation péruvien déficient et qu'il est certain que les enseignants sont en partie responsable de l'état de l'éducation au pays.
L'éditeur d'El diario de Cusco rappelle aux manifestants que le tourisme est une des industries les plus importantes du Pérou et que leurs actions nuisent grandement à cette industrie fragile. L'éditorial fait état du fait que le tourisme est la principale ressource économique de toute la région de Cusco. Il mentionne des touristes quittant le pays décus (de ne pas avoir vu le Machu Picchu pour cause de train bloqué) et jurant de ne plus jamais remettre les pied dans ce pays.
Dans El diario de Cusco, toujours, la chambre de commerce de Cusco publie une lettre ouverte aux manifestants et au gouvernement, expliquant les impacts économiques désastreux de la crise sur toute la région (agences, boutiques, restaurants, attraits, etc).
Au sujet de la grève dans l'enseignement, El Diario se positionne contre le syndicat des enseignants, tout en précisant que ce n'est certainement pas le projet de Loi actuel qui règlera la situation de l'éducation au Pérou.
Conséquences directes actuelles.
Bien qu'il soit impossible d'analyser et de saisir l'ensemble des conséquences actuelles du conflit généralisé, certains chiffres sont déjà apparus dans les médias. Le Machu Picchu, par exemple, a perdu environ 2500 visiteurs, on parle de manque à gagner dans le secteur des transports de 70% depuis le début de la crise, par rapport à la meme période l'an dernier. Seulement à Tacna, près de la frontière avec le Chili, on estime à 35 000 soles (plus de 10 000$ CDN) la perte de revenus des 3 jours du 11 au 13 juillet dernier. Les journaux avancent une chute de 20% du tourisme et donc des retombées du tourisme qui est justement concentré au sud du pays, une estimation de 6-7 millions de soles de manque à gagner a été avancée (environ 2 millions de $ CDN). Les impacts immédiats se font déjà sentir; à Arequipa et Tacna, par exemple, les commercant ont commencé à augmenter les prix des produits de première nécessité, puisque les blocus et les problèmes de transport et d'approvisinnement engendrent la rareté de certains biens.
Une véritable crise socio-politique, la pire que le Pérou ait connu depuis des années selon les analystes des médias.
Difficile de prévoir comment les choses vont tourner. On pourrait croire que vu l'importance du mouvement, le gouvernement Garcia n'aura pas d'autres choix que de plier un peu et d'assouplir ses politiques de droite, mais ce genre d'action est beaucoup plus complexe. En stimulant l'investissement (étranger surtout) au Pérou, le gouvernement s'est engagé par contrat, souvent en garantissant des emprunts à l'investissement, il ne peut donc tout simplement pas faire volte-face sans précipiter le pays dans une crise économique. Par contre, il devra voir à équilibrer la redistribution des richesses au pays s'il ne veut pas totalement perde le controle et plonger le pays dans le chaos et la désobéissance civile. La "prise" de Juliaca et celle du train d'Aguas Calientes sont des actes quasi isolés pour le moment, mais il ne faudrait pas que ces actes se multiplient souvent pour que la situation empire rapidement, surtout si Garcia poursuit l'idée d'adopter la ligne dure avec l'armée et la police nationale.
La centaine d'arrestations de chefs syndicaux à Lima les 11 et 12 juillet dernier sont pour le moment très mal vus dans tout le pays. Le président a beau apparaitre quasiment tous les jours à la télé pour appeler au calme et justifier ses politiques (à grand renfort de chiffres confirmés par les observateurs internationaux selon lesquels l'économie progresse), la population pauvre (et majoritaire) du pays ne l'entend pas ainsi et exige sa part de cette renaissance économique.
Il faut aussi mettre les choses en perspectives et comprendre la culture politique du Pérou - les manifestations et grèves - et un peu de désobéissance civile - font à toute fin pratique partie de la culture du pays, qui a connu des moments bien pires dans son histoire - meme récente.
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Après avoir parcouru Lima, Arequipa, Puno, Cusco et Juliaca, avoir assisté à deux manifestations des travcailleurs de la mine et traversé deux blocus, à Ayaviri et Juliaca, pris un vol de Juliaca à Cusco sous surveillance militaire et asisté à deux manifestations des enseignants, à Arequipa et Cusco, je termine donc la rédaction de ce survol de la crise péruvienne, de Cusco, Pérou, le 16 juillet 2007.
Hugues Morin, voyageur et observateur
(Photo: Sur la route, près de Cusco).
(Photo: Sur la route, près de Cusco).
bonjour de France où souvent le phénomène de manifestation reste fréquemment le derniers recours pour seulement s'attabler pour négocier ; force est de constater que les dirigeants n'écoutent pas la rue et leurs légitimes revendications, si la population en arrive à ces extrémités, c'est qu'elle est exaspérée et c'est aussi pour dénoncer ce manque cruel de dialogue et de compréhension ... merci de continuer à faire tes chroniques car cela m'éclaire vraiment sur la situation réelle du pays.. philstmartin@hotmail.fr
RépondreSupprimerbonjour de France où souvent le phénomène de manifestation reste fréquemment le derniers recours pour seulement s'attabler pour négocier ; force est de constater que les dirigeants n'écoutent pas la rue et leurs légitimes revendications, si la population en arrive à ces extrémités, c'est qu'elle est exaspérée et c'est aussi pour dénoncer ce manque cruel de dialogue et de compréhension ... merci de continuer à faire tes chroniques car cela m'éclaire vraiment sur la situation réelle du pays.. philstmartin@hotmail.fr
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