Voici un dernier billet concernant ma nouvelle i-Robot, publiée dans Solaris 184.
C’est bien beau d’écrire une nouvelle-hommage, mais si l’intention n’est ni de faire un pastiche ni de faire une caricature, encore faut-il situer cette nouvelle dans un univers personnel et y donner souffle à ses idées propres. Ce billet clos ma série de notes sur ce texte en s’attardant à l’univers que j’ai mis en scène et certains de ses éléments, dont quelques-uns ont également un lien avec Asimov (le lecteur peut aussi consulter mes deux billets de références sur les liens avec l'oeuvre d'Asimov).
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Il est apparu une référence imprévue à l’univers d’Asimov lors de la rédaction de cette nouvelle. Cette histoire s’intègre dans un univers que j’ai commencé à explorer avec les nouvelles Au plus petit café du monde (Solaris 163, 2007) et La petite brune aux yeux verts (Solaris 180, 2011), toutes deux situées dans cet univers science-fictionnel où existent le bureau, l’Ascenseur et leurs calculs sur les probabilités de diverses trames, diverses Histoires, pour certains humains ou l’humanité dans son ensemble. C’est seulement en rédigeant i-Robot que j’ai songé que ces éléments de mon univers étaient une sorte de version personnelle de la psychohistoire, inventée et développée par Asimov dans son grand cycle de Foundation. Après tout, la psychohistoire est une science prédictive basée sur la théorie des grands nombres et des calculs probabilistes, éléments que j’évoque également dans mes nouvelles relevant de cet univers personnel.
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Bien que je n’aie pas daté les événements se déroulant dans i-Robot, il est relativement facile de comprendre qu’ils se situent dans un futur relativement proche (moins de 20 ans est l’indication la plus aventureuse que je ferai à ce sujet). Il y a encore des voitures et des vols transatlantiques, mais la terre a subi d’importantes catastrophes climatiques (plutôt prévisibles) et le nombre de passagers prenant l’avion pour traverser l’océan semble avoir diminué drastiquement. J’ai aussi indiqué ici et là quelques repères géopolitiques qui me semblent à la fois crédibles et prévisibles à moyen-long terme. L’aspect primordial de la « sécurité » de certains pays industrialisés me semble avoir pris un chemin irréversible, par exemple. J’ai appliqué le même raisonnement aux écarts entre plus riches et plus pauvres dans les sociétés occidentales où se déroule la nouvelle, avec quelques impacts sociaux prévisibles et quelques avancées technologiques d’abord accessibles aux mieux nantis, de même qu'ils ont un accès privilégié à des ressources de plus en plus limitées.
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Certains lecteurs imagineront peut-être que les manifestations pour/contre les droits des robots sont une référence ou un clin d’œil au printemps érable – puisque quelques lecteurs sauront que j’ai activement suivi l’actualité et les activités sociales pendant la crise – mais en fait, c’est une coïncidence. Mes notes et une première version de i-Robot prévoyaient déjà ces éléments, dès février 2012, puisqu’ils sont issus d’une partie de mes recherches dans le cadre de la préparation de cette nouvelle.
En effet, je suis tombé sur un texte de Kate Darling, du MIT intitulé Extending Legal Rights to Social Robots, qui traite spécifiquement du droit des robots, et des éléments qui composeront certainement cet aspect de nos relations avec les robots dans un futur proche. L’article, qui découle d'une présentation faite lors d'un congrès intitulé We Robot 2012, explore comment les sentiments humains que l’on projette vers certains objets pourraient mener à des lois protégeant les droits des robots humanoïdes (comme sont apparues les lois protégeant les droits des animaux). J’ai donc trouvé tout naturel d’intégrer ces considérations dans l’arrière-plan science-fictionnel de ma nouvelle. D’ailleurs, Darling cite clairement cet aspect de la SF dans son essai : «Long before society is faced with the larger questions predicted by science fiction, existing technology and foreseeable developments may warrant a deliberation of “rights for robots” based on the societal implications of anthropomorphism.»
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Mes robots ne diffèrent pas énormément de ceux d'Asimov – à part peut-être leur aspect plus primitif (mais les premiers robots des nouvelles d’Asimov l’étaient aussi) – dans le sens où je mets en scène des robots asimoviens par opposition au modèle de Frankenstein. Je n’ai pas eu à faire de choix conscient à ce sujet, puisque l’évolution de l’informatique et de la robotique moderne nous montre que nous avons tendance à fabriquer des machines utiles et conviviales plus que des monstres qui se retourneront contre nous. Nous n’avons pas intégré « Les Trois lois de la robotique » d’Asimov dans nos robots, mais implicitement, nous tentons de créer des outils qui nous soient plus utiles que nuisibles.
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Il y a un écho très Kantien dans cet aspect de mes robots, d’après moi, même si on n’en voit pas beaucoup et que l’intrigue de la nouvelle ne relève pas de la robotique au sens où Asimov le faisait. Cet écho est le prolongement de l’argument philosophique selon lequel nos actions envers les créatures non-humaines sont révélatrices de notre morale. Bien que je n’aie pas eu besoin explicitement de cet écho dans le texte, comme je partage ce point de vue élaboré par Kant, j’ai imaginé que les relations humains-robots évolueraient en ce sens lors de son élaboration. Qui sait si je ne revisiterai pas cet univers dans d’autres textes à l’avenir ?
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Une dernière note, en terminant. Les robots de mon histoire sont pratiquement tous connectés à Internet, et en permanence. Et cette connexion est claire en ce qui concerne la série des i-Robot. Asimov ayant écrit ses histoires entre 1939 et 1992, rien ne lui aurait permis d’imaginer que des robots, même relativement primitifs à comparer aux humanoïdes qu’il a mis en scène comme R. Daneel Olivaw, seraient équipés d’une connectivité permanente au réseau mondial et à ses innombrables capacités.
Ceci dit, plus tard dans sa carrière, Asimov a clairement vu que les balbutiements d’Internet allaient mener vers ce que l’on connaît actuellement du réseau. Dans une discussion datant de 1990, l’auteur mentionne que les gens seront bientôt connectés en permanence grâce à leur ordinateur sur une bibliothèque mondiale globale, où ils pourront consulter tous les documents disponibles à volonté.
On peut d’ailleurs visionner cet interview ici.
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Voilà donc pour les réflexions qui ont menées à la création de cet univers de proche avenir spécifique dans lequel j’ai installé l’intrigue de ma nouvelle asimovienne. Je termine en soulignant la remarquable intelligence d’Asimov dans sa vision du futur et des robots. Il a écrit la très grande majorité de ses histoires de robots entre 1940 et 1970 et il m’a pourtant été relativement facile d’intégrer une bonne partie de cette vision dans une nouvelle écrite en 2012.
Merci encore, Isaac Asimov, j’ai adoré revisiter votre univers, votre œuvre et vos idées.
C’est bien beau d’écrire une nouvelle-hommage, mais si l’intention n’est ni de faire un pastiche ni de faire une caricature, encore faut-il situer cette nouvelle dans un univers personnel et y donner souffle à ses idées propres. Ce billet clos ma série de notes sur ce texte en s’attardant à l’univers que j’ai mis en scène et certains de ses éléments, dont quelques-uns ont également un lien avec Asimov (le lecteur peut aussi consulter mes deux billets de références sur les liens avec l'oeuvre d'Asimov).
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Il est apparu une référence imprévue à l’univers d’Asimov lors de la rédaction de cette nouvelle. Cette histoire s’intègre dans un univers que j’ai commencé à explorer avec les nouvelles Au plus petit café du monde (Solaris 163, 2007) et La petite brune aux yeux verts (Solaris 180, 2011), toutes deux situées dans cet univers science-fictionnel où existent le bureau, l’Ascenseur et leurs calculs sur les probabilités de diverses trames, diverses Histoires, pour certains humains ou l’humanité dans son ensemble. C’est seulement en rédigeant i-Robot que j’ai songé que ces éléments de mon univers étaient une sorte de version personnelle de la psychohistoire, inventée et développée par Asimov dans son grand cycle de Foundation. Après tout, la psychohistoire est une science prédictive basée sur la théorie des grands nombres et des calculs probabilistes, éléments que j’évoque également dans mes nouvelles relevant de cet univers personnel.
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Bien que je n’aie pas daté les événements se déroulant dans i-Robot, il est relativement facile de comprendre qu’ils se situent dans un futur relativement proche (moins de 20 ans est l’indication la plus aventureuse que je ferai à ce sujet). Il y a encore des voitures et des vols transatlantiques, mais la terre a subi d’importantes catastrophes climatiques (plutôt prévisibles) et le nombre de passagers prenant l’avion pour traverser l’océan semble avoir diminué drastiquement. J’ai aussi indiqué ici et là quelques repères géopolitiques qui me semblent à la fois crédibles et prévisibles à moyen-long terme. L’aspect primordial de la « sécurité » de certains pays industrialisés me semble avoir pris un chemin irréversible, par exemple. J’ai appliqué le même raisonnement aux écarts entre plus riches et plus pauvres dans les sociétés occidentales où se déroule la nouvelle, avec quelques impacts sociaux prévisibles et quelques avancées technologiques d’abord accessibles aux mieux nantis, de même qu'ils ont un accès privilégié à des ressources de plus en plus limitées.
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Certains lecteurs imagineront peut-être que les manifestations pour/contre les droits des robots sont une référence ou un clin d’œil au printemps érable – puisque quelques lecteurs sauront que j’ai activement suivi l’actualité et les activités sociales pendant la crise – mais en fait, c’est une coïncidence. Mes notes et une première version de i-Robot prévoyaient déjà ces éléments, dès février 2012, puisqu’ils sont issus d’une partie de mes recherches dans le cadre de la préparation de cette nouvelle.
En effet, je suis tombé sur un texte de Kate Darling, du MIT intitulé Extending Legal Rights to Social Robots, qui traite spécifiquement du droit des robots, et des éléments qui composeront certainement cet aspect de nos relations avec les robots dans un futur proche. L’article, qui découle d'une présentation faite lors d'un congrès intitulé We Robot 2012, explore comment les sentiments humains que l’on projette vers certains objets pourraient mener à des lois protégeant les droits des robots humanoïdes (comme sont apparues les lois protégeant les droits des animaux). J’ai donc trouvé tout naturel d’intégrer ces considérations dans l’arrière-plan science-fictionnel de ma nouvelle. D’ailleurs, Darling cite clairement cet aspect de la SF dans son essai : «Long before society is faced with the larger questions predicted by science fiction, existing technology and foreseeable developments may warrant a deliberation of “rights for robots” based on the societal implications of anthropomorphism.»
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Tiré de Québec en toutes lettres 2012 |
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Il y a un écho très Kantien dans cet aspect de mes robots, d’après moi, même si on n’en voit pas beaucoup et que l’intrigue de la nouvelle ne relève pas de la robotique au sens où Asimov le faisait. Cet écho est le prolongement de l’argument philosophique selon lequel nos actions envers les créatures non-humaines sont révélatrices de notre morale. Bien que je n’aie pas eu besoin explicitement de cet écho dans le texte, comme je partage ce point de vue élaboré par Kant, j’ai imaginé que les relations humains-robots évolueraient en ce sens lors de son élaboration. Qui sait si je ne revisiterai pas cet univers dans d’autres textes à l’avenir ?
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Une dernière note, en terminant. Les robots de mon histoire sont pratiquement tous connectés à Internet, et en permanence. Et cette connexion est claire en ce qui concerne la série des i-Robot. Asimov ayant écrit ses histoires entre 1939 et 1992, rien ne lui aurait permis d’imaginer que des robots, même relativement primitifs à comparer aux humanoïdes qu’il a mis en scène comme R. Daneel Olivaw, seraient équipés d’une connectivité permanente au réseau mondial et à ses innombrables capacités.
Ceci dit, plus tard dans sa carrière, Asimov a clairement vu que les balbutiements d’Internet allaient mener vers ce que l’on connaît actuellement du réseau. Dans une discussion datant de 1990, l’auteur mentionne que les gens seront bientôt connectés en permanence grâce à leur ordinateur sur une bibliothèque mondiale globale, où ils pourront consulter tous les documents disponibles à volonté.
On peut d’ailleurs visionner cet interview ici.
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Voilà donc pour les réflexions qui ont menées à la création de cet univers de proche avenir spécifique dans lequel j’ai installé l’intrigue de ma nouvelle asimovienne. Je termine en soulignant la remarquable intelligence d’Asimov dans sa vision du futur et des robots. Il a écrit la très grande majorité de ses histoires de robots entre 1940 et 1970 et il m’a pourtant été relativement facile d’intégrer une bonne partie de cette vision dans une nouvelle écrite en 2012.
Merci encore, Isaac Asimov, j’ai adoré revisiter votre univers, votre œuvre et vos idées.
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