vendredi 18 novembre 2011

The Shock Doctrine (le film)

Dans la foulée de plusieurs documentaires récents dénonçant les excès de notre système capitaliste déréglementé et l'incapacité de notre système politique à en prendre le contrôle, voici un autre film à voir: The Shock Doctrine. Le film est adapté d'un livre homonyme, signé par la canadienne Naomi Klein.
Le film défend l'hypothèse que les tenants du capitalisme ultra-libre ont toujours profité d'un état de choc pour imposer leurs vues sur l'économie. On démontre ensuite les conséquences de ces politiques, dans des lieux que mêmes les néolibéraux ne mentionnent jamais quand ils tentent de démontrer que leurs politiques peuvent réussir. Au final, on se rend bien compte que ces politiques d'extrême droite n'ont réussi nulle part, à part bien entendu réussir à créer une classe de super-riches au détriment de tous les autres citoyens et des états partout où elles ont été appliquées.
Il y a deux éléments importants que ce film nous apprend.
Le premier est l'historique de l'implantation des politiques néolibérales de libéralisation des marchés. On pense souvent que la chose a débuté sous les gouvernements de Thatcher et Reagan, mais le film remonte un peu plus loin dans le temps et rappelle que ces politiques - sous les conseils de leur plus ardent et plus connu défenseur; Milton Friedman - ont été appliquées au Chili, après le coup d'état qui a permis au Général Pinochet de prendre le pouvoir en renversant le gouvernement Allende élu démocratiquement (tuant le président au passage). Nous savons tous à quel point les politiques du Chili ont engendré de le pauvreté et une gigantesque crise économique, problèmes qui ont été "contenus" par Pinochet en établissant un régime totalitariste basé sur la terreur. Le film rappel avec aplomb l'amitié liant Pinochet et Thatcher; certaines scènes donnent d'ailleurs froid dans le dos. The Shock Doctrine rappelle aussi que les mêmes politiques - sous l'influence des mêmes conseillers - ont été appliqués par le régime militaire Argentin ayant renversé le gouvernement d'Isabel Peron... avec les mêmes résultats catastrophiques et menant également à un régime totalitaire, répressif et d'une rare violence (que les argentins appellent aujourd'hui "le génocide civil").
Le second élément nouveau apporté par le film repose sur la théorie développée par Naomi Klein; théorie selon laquelle la Stratégie du Choc (économique) est utilisée de la même manière que celle de la Thérapie du choc étudiée dans les années 50 à l'Université McGill. Ainsi, en faisant le parallèle entre ces deux applications d'un même concept, on nous explique que l'humain est prêt à accepter de collaborer à beaucoup de choses sans trop se poser de questions quand il est en état de choc, ou en état de survie. On le comprend bien quand il s'agit d'un individu (et les camps de tortures de la CIA le montrent bien), mais Klein élargi cette application aux sociétés.
Ce qui nous ramène à l'implantation des politiques néolibérales; qui le sont toujours après qu'une société ait subie un choc; Guerres, catastrophes écologiques, coups d'état, etc. Après un choc, les néolibéraux s'imposent sans que les sociétés n'aient le temps de réagir ou de remettre en question leurs raisonnement ou leurs intentions. Parfois, il s'agit d'opportunisme (catastrophes naturelles), parfois, c'est un choc planifié (coups d'état commandités, guerres). Ce fut évidemment le cas au Chili et en Argentine, et ce fut le cas au Royaume Uni où, par un "heureux hasard", le pays a dû s'unir dans la guerre des îles Malouines au moment où Thatcher imposait ses politiques.
Le film poursuit son exploration d'autres chocs; du tsunami qui a frappé l'Asie à la "war on terror" et l'invasion de l'Irak de Bush, en passant par les changements politiques post-Katrina à la Nouvelle Orléans. On donne les exemples du Sri Lanka qui a chassé les petits propriétaires des rives (par "sécurité") pour vendre les terres à des promoteurs privés immobiliers pour la construction d'hôtels de luxe. On donne l'exemple des politiques économiques imposées à l'Irak par le gouvernement américain avant même les premières élections. On donne des exemples du système d'éducation privatisé à la Nouvelle Orléans après Katrina.
Le film met enfin en parallèle les conséquences de ces politiques; protestations civiles violentes, répression, camps de concentration, etc.
Et ça va plus loin: on illustre comment les États-Unis eux-mêmes sont un régime autoritaire à leur manière: On donne l'exemple de Guantanamo, qui est un véritable camp de concentration où les États-Unis ont ouvertement pratiqué la torture, emprisonnant sans procès pour des mois, voir des années, des innocents qui n'ont finalement jamais été accusés. Guantanamo (ou les prisons d'Iraq sous le régime américain) n'étaient en rien différents des camps de Pinochet ou du régime militaire argentin.
Voilà pour le propos. Côté cinéma, l'ensemble du film est bien ficelé, ne s'éparpille pas, illustre son propos de documents et d'archives visuelles fortes et pertinentes. Si vous voyez le film en DVD, il y a un excellent supplément sous la forme d'un panel de discussion filmé après la projection du documentaire au festival de Sundance. Les réalisateurs y parlent des concepts développés dans le film, en compagnie de l'auteure Naomi Klein et du fondateur de Sundance, Robert Redford. On y apprend entre autres à quel point les penseurs du néolibéralisme réagissent rapidement quand arrive un choc; on y cite le prêt conditionnel qui avait été proposé rapidement à Haïti par le FMI, comme un bon exemple de contrôle outrancier sur une société en état de choc et dans l'incapacité de refuser l'aide, même si cette aide est accompagnée de conditions de libéralisation majeure de l'économie du pays qui ne sert en rien les intérêts d'Haïti.
Naomi Klein souligne que la seule manière de se battre contre un tel état économique est de protester, haut et fort, afin de forcer la main aux élus.
En ce sens, les mouvements "occupy" qu'on voit apparaître un peu partout sont un signe de cette protestation. Et les récents démantèlements et l'adoption graduelle d'une ligne dure envers les manifestants pacifiques commencent à ressembler au contrôle policier/militaire que les régimes ultra-capitalistes doivent mettre en place pour continuer à exploiter les sociétés. Avec l'instauration de ces politiques dans divers pays d'Europe récalcitrants, on pourra voir que les manifestations vont s'accentuer et que les régimes en place adopteront une ligne de plus en plus dure. The Shock Doctrine ne saurait donc être plus actuel.
Pour ma part, comme j'imagine que les cinéastes ont dû faire des choix d'adaptation, je vais jeter un oeil du côté du livre dans les prochaines semaines.
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2 commentaires:

  1. Istvan6:11 PM

    Hmm ce n'est pas du totalitarisme ici. Il ne faut pas confondre totalitarisme et autoritarisme, qui sont deux concepts peut-être similaires à première vue, mais très différents dans l'application, dans le réel. Bien que les deux régimes combinent en partie le terrorisme étatique, le total de totalitarisme veut dire que l'idéologie/partie s'incrustent dans tous les aspects de la vie et remplacent toute la société civile (voir 1984, l'idéal-type du régime totalitaire et voir : http://en.wikipedia.org/wiki/Totalitarianism).

    Tu devras donc parler ici d'autoritarisme dans ton texte.

    PS : "un régime totalitariste de terreur"... c'est un pléonasme ;)

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  2. Merci Istvan, tu as raison d'établir la distinction. J'ai donc corrigé la mention dans le texte.
    Pour le pléonasme, je suis moins d'accord, on pourrait imaginer un régime totalitaire qui n'est pas basé essentiellement sur la terreur, alors j'ai modifié la phrase, mais conservé les deux termes :-)
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