Je lis de la science-fiction depuis environ trente ans. J'ai connu des périodes plus calmes, des périodes endiablées, mais je lis assez régulièrement de la SF, parmi le corpus de lecture qui occupe mon temps annuellement.
Pourtant, il y a moins de deux semaines, j'ai ressenti un choc pour la première fois.
Je vous parlais l'autre jour de la sortie de Solaris 180.
Quelques jours plus tard, je parcourais ses pages avec bonheur sans me douter de ce qui m'attendait.
J'avais d'abord lu l'excellente et exotique nouvelle d'Alain Bergeron ainsi que l'étonnante nouvelle lauréate du prix Solaris 2011 (un très bon texte de Josée Lepire). La curiosité m'a porté ensuite vers une nouvelle d'Yves Meynard, qui - oh surprise - reluque plus vers le fantastique que la SF. Une thématique très classique mais l'écriture d'Yves est efficace et toujours agréable à lire.
Puis, je me suis penché du côté de la toujours intéressante rubrique de Mario Tessier, qui cette fois, signe un passionnant article sur l'hypothèse Sapir-Whorf en SF, article qui a réveillé mon envie de relire 1984 d'Orwell.
Puis, de retour à la fiction, j'ai lu la nouvelle du même Mario Tessier, un texte original et ludique, intitulé Lettre à mon arrière-arrière-grand-père.
Et c'est là que c'est arrivé. J'ai frappé ce que j'appelle maintenant ma singularité climatique de lecteur SF. Et même si la nouvelle de Mario Tessier n'est pas responsable de ce fait, c'est en lisant celle-ci que je l'ai réalisé.
Lettre à mon arrière-arrière-grand-père emprunte un style que je trouve assez typique de l'âge d'or de la SF. En ce sens - et c'est un compliment - le texte m'a rappelé quelques textes d'Arthur C. Clarke. On parle presque d'un petit traité de futurologie présenté sous forme de littérature de SF, bien mené, rempli de petites trouvailles scientifiques agréables à lire, et avec une jolie conclusion.
Le problème avec la SF qui couvre une partie du monde tel qu'on le connaît (l'aïeul en question est décédé en 1998) et une partie du monde situé dans un futur proche, c'est que cette SF ne m'apparaît plus crédible. En tout cas plus crédible si l'auteur ne fait pas un effort considérable pour rendre ce futur proche (un demi à un siècle dans notre futur, disons) crédible compte tenu de ce que nous savons sur l'écologie, l'économie et la population planétaire actuelle. Sans entrer dans le détail, disons qu'une histoire de SF se déroulant en tout ou en partie en 2045, par exemple, peut difficilement éviter ces questions ou les reléguer au second plan en une phrase, sinon, je n'accepte pas le postulat qui veut que l'humanité telle que nous la connaissons ait simplement continué son chemin en évoluant mine de rien.
Malgré mon appréciation littéraire du texte de Mario Tessier, je n'ai pas pu embarquer réellement dans l'histoire, et donc y croire, puisque je n'ai pas réussi à suspendre suffisamment mon incrédulité pour accepter le postulat de la société qu'elle évoque (à peine), entre 2010 et 2100. On mentionne 2034, des guerres et des catastrophes écologiques, mais on n'explique pas de manière satisfaisante pour ce lecteur-ci comment on a réussi en tant qu'espèce à survivre ce passage autrement qu'en migrant sur la Lune ou ailleurs. Compte tenu de ce que je connais de la société actuelle, impossible, me dis mon cerveau, à moins que l'on me donne des éléments me montrant comment ça a pu se faire.
Bref, j'ai frappé un mur comme lecteur, ma singularité de lecteur SF: Le point (2011 dans mon cas) à partir duquel les auteurs de SF doivent imaginer l'inimaginable pour permettre de situer leur histoire dans un futur relativement proche du nôtre. Et justifier leur approche sans contredire ma connaissance de la situation mondiale. J'appelle ça ma singularité climatique, mais le concept englobe à la fois les criants problèmes climatiques de la planète, les problèmes démographiques et les problèmes économiques, puisque les écarts entre riches et pauvres vont finir par causer des crises sociopolitiques bien plus violentes que ce que l'on voit actuellement.
Cette réalisation a été un choc, au sens où je n'avais jamais véritablement réfléchi spécifiquement à cette question. Je remarque que c'est peut-être aussi un peu la faute de Daniel Sernine, qui, dans La Suite du temps, offre un panorama SF de cette période tellement crédible que la réalité rattrape lentement, mais sûrement, sa fiction. Difficile après ça d'accepter un postulat complètement différent.
L'ironie de cette réalisation à la lecture d'un numéro historique où Solaris devient la revue qui détient un record de longévité ne m'a pas échappé, mais n'a en rien calmé mon énervement face à ma nouvelle situation de lecteur SF... singulier.
J'ai ensuite songé aux nouveaux lecteurs, les jeunes qui découvrent les auteurs de l'âge d'or, comme je l'ai moi-même fait au milieu des années 80... Ces jeunes qui lisent Clarke ou Isaac Asimov arrivent-ils à y croire compte tenu du monde d'aujourd'hui? J'imagine que j'y arriverais toujours, en sachant que je lis des textes écris des décennies avant que la situation devienne ingérable, ou même critique, mais je n'ai pas eu le courage de vérifier. J'ai bien trop peur de gâcher mes excellents souvenirs de certains de ces romans pour tenter le coup.
Ainsi, pour le moment, j'en suis à me demander si je suis le seul lecteur de SF à avoir atteint ce mur de la singularité climatique. Je me dis que non. Je me dis que des lecteurs comme Sernine, justement, ont peut-être atteint ce point il y a longtemps, car il dépend de la croyance (la foi, allais-je écrire) que l'on a en l'humain de survivre à lui-même. Et dans mon cas, cette croyance, qui s'émiette depuis des années, s'est vraiment effondrée en 2011. Il faudrait bien qu'un écrivain/essayiste plus talentueux et connaisseur que moi en la matière s'attaque au problème, ça ferait un article intéressant... Quelqu'un comme Mario Tessier, peut-être?
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Pourtant, il y a moins de deux semaines, j'ai ressenti un choc pour la première fois.
Je vous parlais l'autre jour de la sortie de Solaris 180.
Quelques jours plus tard, je parcourais ses pages avec bonheur sans me douter de ce qui m'attendait.
J'avais d'abord lu l'excellente et exotique nouvelle d'Alain Bergeron ainsi que l'étonnante nouvelle lauréate du prix Solaris 2011 (un très bon texte de Josée Lepire). La curiosité m'a porté ensuite vers une nouvelle d'Yves Meynard, qui - oh surprise - reluque plus vers le fantastique que la SF. Une thématique très classique mais l'écriture d'Yves est efficace et toujours agréable à lire.
Puis, je me suis penché du côté de la toujours intéressante rubrique de Mario Tessier, qui cette fois, signe un passionnant article sur l'hypothèse Sapir-Whorf en SF, article qui a réveillé mon envie de relire 1984 d'Orwell.
Puis, de retour à la fiction, j'ai lu la nouvelle du même Mario Tessier, un texte original et ludique, intitulé Lettre à mon arrière-arrière-grand-père.
Et c'est là que c'est arrivé. J'ai frappé ce que j'appelle maintenant ma singularité climatique de lecteur SF. Et même si la nouvelle de Mario Tessier n'est pas responsable de ce fait, c'est en lisant celle-ci que je l'ai réalisé.
Lettre à mon arrière-arrière-grand-père emprunte un style que je trouve assez typique de l'âge d'or de la SF. En ce sens - et c'est un compliment - le texte m'a rappelé quelques textes d'Arthur C. Clarke. On parle presque d'un petit traité de futurologie présenté sous forme de littérature de SF, bien mené, rempli de petites trouvailles scientifiques agréables à lire, et avec une jolie conclusion.
Le problème avec la SF qui couvre une partie du monde tel qu'on le connaît (l'aïeul en question est décédé en 1998) et une partie du monde situé dans un futur proche, c'est que cette SF ne m'apparaît plus crédible. En tout cas plus crédible si l'auteur ne fait pas un effort considérable pour rendre ce futur proche (un demi à un siècle dans notre futur, disons) crédible compte tenu de ce que nous savons sur l'écologie, l'économie et la population planétaire actuelle. Sans entrer dans le détail, disons qu'une histoire de SF se déroulant en tout ou en partie en 2045, par exemple, peut difficilement éviter ces questions ou les reléguer au second plan en une phrase, sinon, je n'accepte pas le postulat qui veut que l'humanité telle que nous la connaissons ait simplement continué son chemin en évoluant mine de rien.
Malgré mon appréciation littéraire du texte de Mario Tessier, je n'ai pas pu embarquer réellement dans l'histoire, et donc y croire, puisque je n'ai pas réussi à suspendre suffisamment mon incrédulité pour accepter le postulat de la société qu'elle évoque (à peine), entre 2010 et 2100. On mentionne 2034, des guerres et des catastrophes écologiques, mais on n'explique pas de manière satisfaisante pour ce lecteur-ci comment on a réussi en tant qu'espèce à survivre ce passage autrement qu'en migrant sur la Lune ou ailleurs. Compte tenu de ce que je connais de la société actuelle, impossible, me dis mon cerveau, à moins que l'on me donne des éléments me montrant comment ça a pu se faire.
Bref, j'ai frappé un mur comme lecteur, ma singularité de lecteur SF: Le point (2011 dans mon cas) à partir duquel les auteurs de SF doivent imaginer l'inimaginable pour permettre de situer leur histoire dans un futur relativement proche du nôtre. Et justifier leur approche sans contredire ma connaissance de la situation mondiale. J'appelle ça ma singularité climatique, mais le concept englobe à la fois les criants problèmes climatiques de la planète, les problèmes démographiques et les problèmes économiques, puisque les écarts entre riches et pauvres vont finir par causer des crises sociopolitiques bien plus violentes que ce que l'on voit actuellement.
Cette réalisation a été un choc, au sens où je n'avais jamais véritablement réfléchi spécifiquement à cette question. Je remarque que c'est peut-être aussi un peu la faute de Daniel Sernine, qui, dans La Suite du temps, offre un panorama SF de cette période tellement crédible que la réalité rattrape lentement, mais sûrement, sa fiction. Difficile après ça d'accepter un postulat complètement différent.
L'ironie de cette réalisation à la lecture d'un numéro historique où Solaris devient la revue qui détient un record de longévité ne m'a pas échappé, mais n'a en rien calmé mon énervement face à ma nouvelle situation de lecteur SF... singulier.
J'ai ensuite songé aux nouveaux lecteurs, les jeunes qui découvrent les auteurs de l'âge d'or, comme je l'ai moi-même fait au milieu des années 80... Ces jeunes qui lisent Clarke ou Isaac Asimov arrivent-ils à y croire compte tenu du monde d'aujourd'hui? J'imagine que j'y arriverais toujours, en sachant que je lis des textes écris des décennies avant que la situation devienne ingérable, ou même critique, mais je n'ai pas eu le courage de vérifier. J'ai bien trop peur de gâcher mes excellents souvenirs de certains de ces romans pour tenter le coup.
Ainsi, pour le moment, j'en suis à me demander si je suis le seul lecteur de SF à avoir atteint ce mur de la singularité climatique. Je me dis que non. Je me dis que des lecteurs comme Sernine, justement, ont peut-être atteint ce point il y a longtemps, car il dépend de la croyance (la foi, allais-je écrire) que l'on a en l'humain de survivre à lui-même. Et dans mon cas, cette croyance, qui s'émiette depuis des années, s'est vraiment effondrée en 2011. Il faudrait bien qu'un écrivain/essayiste plus talentueux et connaisseur que moi en la matière s'attaque au problème, ça ferait un article intéressant... Quelqu'un comme Mario Tessier, peut-être?
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Salut Hugues,
RépondreSupprimerTrès intéressant comme article. Personnellement, je me souviens d'avoir vu, ti-cul, des dessins de voitures volantes dans un vieux livre des années 1960 qui projetait les années 2000, ça avait tellement l'air loin dans le temps (et ça devait être en 1988...).
En 2011, ma mélancolie de SF c'est de réaliser, non pas que je n'irais jamais dans l'espace (un rêve d'enfance qui semblait atteignable à l'époque) mais je doute que je vais voir l'humain aller sur Mars... on est loin de la Fédération ou de Trantor... et de l'esprit de 1969...
D'un autre côté, si la vision du futur de la SF classique est un peu moins "réaliste", ça reste quand même une vision intéressante et optimiste qui reste quand même, à mon avis, crédible, même si ça ne pourra pas ce faire dans 50 ou 100 ans, mais peut-être dans 200 ou 300 ans. Parce que est-ce qu'on peut lire et aimer la SF sans avoir un petit fond d'optimisme à quelque part ?
Istvan,
RépondreSupprimerJ'éprouve moi aussi une certaine mélancolie à l'idée que je ne verrai jamais les voitures volantes ou n'irai jamais dans l'espace. Dans "mon" enfance, ça semblait particulièrement crédible.
Mon problème ne vient pas du fait que la SF classique soit moins "réaliste", ou que ce qu'elle prévoit ne se réalise que dans 200 ou 300 ans au lieu de 50 ou 100, mais que ce qu'elle prévoit est "impossible" à réaliser tout court, compte tenu de la situation actuelle. J'ai donc besoin, pour qu'elle fonctionne, qu'on m'explique comment cet impossible a été possible, sinon, j'embarque plus.
Quand à l'optimisme, j'imagine que tu as raison, il y a un petit fond quelque part, mais il commence à être de plus en plus petit, et de plus en plus au fond...
Salut Hugues,
RépondreSupprimerJe suis heureux que tu détectes un relent d'age d'or dans ma nouvelle (et surtout de Clarke, mon auteur préféré) puisque c'est un peu le thème de la nouvelle. En effet, elle est racontée par un vieil auteur de SF à l'ancienne (d'où la mention d'astronefs, un mot que nous ne pouvons plus employer dans la SF d'aujourd'hui). Le protagoniste cherche à se libérer de la pensée de cette époque mais ne peut le faire à cause de son conditionnement.
Je crois que c'est probablement notre cas, à toi comme à moi, qui avons lu les grands classiques du genre et qui avons de la difficulté à nous plonger dans les oeuvres d'aujourd'hui. Mais je ne crois pas que cela doive nous faire oublier le plaisir que nous avions à lire la SF d'autrefois. Et si tu te rappelle avec nostalgie des oeuvres de Clarke, c'est sans doute qu'elles devaient avoir des qualités intrinsèques que le futur d'aujourd'hui ne peut lui enlever.
La nouvelle que j'ai écrite est une des façons que j'ai trouvé de me confronter à cette réalité. Et je ne crois pas que ce sera la dernière car la situation demeurera.
J'ai le même problème que toi lorsque je regarde ma bibliothèque. Je ne pourrai probablement pas écrire des trucs aussi sophistiqués que ceux de Swanwick, Ryman et d'autres, puisque ma vision de la technologie est différente de la leur et que les problèmes de société qu'ils rencontreront ne seront pas les miens.
Mais il ne faut pas non plus désespérer de la chose. Il s'écrit beaucoup de trucs sur les zombies qui ne sont pas meilleurs que ceux que l'on écrivait sur les pod people des années 50.
Comme le fait remarquer Istvan, je reste attaché à la vision optimiste de cette vieille SF de mon enfance. Reste optimiste, toi aussi.
À la prochaine,
Mario Tessier
Merci Mario, pour ton commentaire.
RépondreSupprimer"Et si tu te rappelle avec nostalgie des oeuvres de Clarke, c'est sans doute qu'elles devaient avoir des qualités intrinsèques que le futur d'aujourd'hui ne peut lui enlever."
Sais-tu, je pense bien que tu as raison. C'est une belle manière de dire les choses, Clarke aurait apprécié :-)
Mais les nouveaux textes, écrits en 2011, me sont impossibles à apprécier autant, s'ils ne passent pas ce "test" de la survie.