samedi 19 novembre 2011

L'amour, les émotifs et les débutants anonymes

Le titre de ce billet renvoie directement à un délicieux petit film européen, Les Émotifs Anonymes. Je n'en avais pas parlé ici, par manque de temps et parce que j'avais envie de traiter d'autres sujets au moment où je l'ai vu, mais l'envie de vous en parler a refait surface cette semaine, après avoir vu le film The Beginners, qui m'a rappelé Les Émotifs, sur un autre registre.
Réalisé par Jean-Pierre Améris, Les Émotifs Anonymes raconte l'histoire de Jean-René, propriétaire d'une chocolaterie au glorieux passé qui n'est jamais arrivée à se renouveler. Maladroit, nerveux en présence des autres, célibataire par défaut, il mène une vie de reclus, consulte un psy et cherche à engager un représentant pour éviter que la chocolaterie ne perde ses derniers points de vente. Angélique se présente pour le poste, sur un malentendu: elle croyait que l'on cherchait un chocolatier. Elle est timide et nerveuse, elle n'ose pas avouer qu'elle ne connait rien à la vente, et Jean-René l'engage sur un coup de tête après une timide et brève entrevue. Ils tombent évidemment amoureux l'un de l'autre, mais sont tous deux trop émotifs pour risquer d'avouer leur sentiment envers l'autre. S'en suit un jeu de peut-être, d'avancées légères, d'allusions rétractées aussitôt, de tentatives maladroites, de fuites et d'angoisses grandissantes.
Ce film, qui repose sur les deux comédiens et leur personnage, est un autre bijou de petit film qui, sans grande ambition, vous font passer les meilleurs moments devant un écran. Benoit Poelvoorde et Isabelle Carré forment un couple inhabituel et charmant, touchant et drôle, qui nous rappelle en version intense tout plein de sentiments et d'idées qui nous passent tous par la tête en amour. Leur jeu fin fait de ce film une comédie dramatique où le drame n'est jamais lourd malgré tout, un film dont le scénario n'est pas structuré autour d'une série de rebondissements mais plutôt autour des passions qui nous habitent et des élans qui nous poussent à aller de l'avant, malgré nos dérives intérieures. Jamais burlesque ou grotesque, le film fait toutefois souvent rire, et c'est donc un excellent feel good movie, malgré un sujet plus sérieux qu'il n'y paraît.
Si j'ai repensé à ce film en voyant The Beginners, c'est que cette autre comédie dramatique, américaine, cette fois-ci, est également un film sur les angoisses personnelles reliées aux relations amoureuses. Contrairement aux Émotifs Anonymes, toutefois, The Beginners est plus dramatique, triste même, mais ne tombe jamais dans le mélo ni le tragique. Comme son cousin européen, ce film de Mike Mills ne repose pas sur des rebondissements et de l'action. Au contraire, le scénario est construit autour de la relation hésitante entre Oliver, qui vient de perdre son père, et Anna, actrice constamment en déménagement pour des tournages et qui passe sa vie dans des hôtels. Le film est également déconstruit, puisqu'il explore également la relation d'Oliver avec son père pendant les dernières années de la vie de celui-ci. C'est qu'à la mort de sa mère, Oliver a eu la surprise de voir son père lui avouer qu'il était gai. Ce coming out à 75 ans a remis remettre en perspective les souvenirs d'enfance d'Oliver et ses propres relations amoureuses.
Comme plusieurs films intimistes réussis, The Beginners est rempli de petites trouvailles, de silences importants, de dialogues sensibles et justes, bref, c'est un excellent film pour qui accepte de se laisser porter par les sentiments qu'il explore plutôt que de chercher la course poursuite et la montée d'adrénaline. Le mutisme d'Anna lors de sa première rencontre avec Oliver et ses origines (françaises, donc son accent en anglais et ses expressions françaises) fournissent une touche d'exotisme parfaitement appropriée à son histoire. L'omniprésence d'Arthur, le chien de son père, qu'Oliver a adopté, porte également à la réflexion sur les relations d'amitiés sous une autre forme. Les dialogues entre Oliver et Arthur sont d'ailleurs une des belles trouvailles du film. Dans le rôle d'Oliver, Ewan McGregor offre une interprétation subtile, tout en retenue. Mélanie Laurent, superbe dans sa fragilité, est aussi touchante en Anna, et les scènes entre les deux sont parmi les plus justes du film. Mais The Beginners ne serait pas l'excellent film qu'il est sans Christopher Plummer, qui joue Hal, le père d'Oliver, avec grâce. On ne s'étonnerait pas de le voir nominé aux prochains Oscars.
Les Émotifs Anonymes et The Beginners sont donc deux films qui se répondent parfois, et qui explorent certaines avenues similaires, mais qui réussissent à offrir un traitement personnel et original, l'un dans la comédie l'autre dans le drame, et que je suis bien content d'avoir eu l'opportunité d'apprécier.
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