jeudi 8 octobre 2015

Henning Mankell, Wallander, mon père et moi.

Henning Mankell
L'écrivain Henning Mankell est décédé cette semaine. Un décès qui m'attriste énormément, puisque j'étais, comme des centaines de milliers de personnes, un de ses fervents lecteurs. Après mon ami Joël Champetier, qui nous a quitté ce printemps, le départ de Henning Mankell allait faire de 2015 une année qui me priverait de deux de mes auteurs favoris.
Pour la plupart des gens qui connaissent le nom, Mankell était le créateur des romans mettant en scène l'inspecteur Kurt Wallander. Quand je le rencontre, Kurt Wallander approche de la cinquantaine, se pose beaucoup de question sur sa société, est un peu pessimiste, plus pessimiste que quand il était jeune… et il me rappelle inévitablement un lecteur qui se reconnaît en lui.
Wallander est né en 1948, mais l'action de la majorité des romans où il apparaît se déroule dans les années 90 (action des romans et publication: 1991 à 1998).
Il y a donc un décalage de temps et de générations entre le personnage et ce lecteur-ci des romans de Mankell. Mais Wallander rêve souvent de changer de vie, d'avoir une maison, d'adopter un chien… Et ceux qui me connaissent depuis plus de quinze ans savent que j'ai moi-même fait un changement de vie assez radical à peu près en même temps que lui (1998 dans son cas), un facteur qui allait nous unir dans cet étrange univers qui se créé entre l'auteur, le personnage, l'histoire réelle et fictive et le lecteur.
Avec mon père - et ma mère - à Rome
Au fil des romans de la série, la relation père-fils des Wallander est particulièrement intéressante, et je trouve parfois qu'elle fait écho à ma propre relation avec moi père. Au point où ils font un voyage à Rome ensemble dans un des roman, un projet que mon père et moi avions depuis quelques années et qui s'est justement réalisé au début de l'été 2014. Lors de ce voyage, comme Kurt Wallander, j'ai eu l'impression d'être un peu dur envers mon père, et j'en ai parfois éprouvé des remords. Et comme lui, j'ai pourtant trouvé exceptionnel de me retrouver là, en Italie, avec mon père, et de l'y voir partager quelques instants avec moi. Deux de mes univers se rejoignaient alors. L'univers de mon père, de ma famille, de mon enfance, et celui de mes voyages, de mes explorations du monde, celui de cette aventure que j'ai entreprise après mon changement de vie.
Henning Mankell est l'auteur que j'ai lu dans le plus de langues différentes, puisque je ne peux pas le lire dans sa version originale, le suédois. Je l'ai donc découvert en français, puis lu en anglais et lu également en espagnol. Je lis Mankell depuis une quinzaine d'années – c'est dire que l'auteur est justement apparu dans ma vie au moment où celle-ci allait changer profondément. J'ai adopté l'auteur et ses univers fictionnels comme partie intégrante de cette nouvelle vie et je le lis avec beaucoup de plaisir depuis.
Ses romans sont tous fondés sur des thématiques sociales, thèmes qui s'apparentent souvent aux questions que je tente parfois d'explorer au Québec : racisme, identité, avancée de la droite, corruption et mafias étrangères, politique internationale, évasion fiscale et contrôle par les super-riches. Les intrigues policières qui sont les prétextes à ces réflexions sociales sont typiques des polars scandinaves. Certains penseront évidemment à Steig Larsson en lisant cette description, mais Mankell est également une des figures les plus importantes de ce genre.
Ce genre auquel Mankell a fortement contribué à donner ses lettres de noblesses, il a été créé, en quelques sortes, par un couple d'auteurs suédois, Maj Sjowall et Per Wahloo, dans les années 70. Ces deux auteurs ont alors publié une série de dix romans mettant en scène l'insecteur Martin Beck. Ils utilisent le polar comme prétexte – comme loupe – pour examiner la société suédoise de leur époque. Digne descendant de cette approche, Kurt Wallander, qui partage beaucoup de traits de caractères avec Martin Beck, est en quelques sortes le fils spirituel de celui-ci, et permet à Henning Mankell de réaliser à son tour un examen de la société suédoise, scandinave, européenne et mondiale de son époque grâce à ses romans.
Tous les romans de Wallander reposent donc sur le postulat selon lequel le crime est relié à un problème social sous-jacent. Mieux encore, comme le polar scandinave est généralement réaliste, Wallander est loin d'être parfait. Comme Martin Beck dans la série de Sjowall et Wahloo, Wallander se trompe, part dans la mauvaise direction, se déçoit lui-même et se questionne constamment. En plus, dans le ton, on est très loin des feux-roulants américains huilés avec précision et remplis de gadgets technologiques à la CSI. Lire Wallander, c'est donc passer une majorité du temps à le voir hésiter, tenter de régler ses problèmes personnels et ses relations troubles avec son ex-femme, sa fille, ses collègues… ou son père.
Les histoires de la série Wallander se déroulent à Ystad, en Scanie, dans le sud de la Suède, mais elles ont aussi des échos ailleurs, comme en Lituanie (Riga), en Afrique du Sud, en République Dominicaine ou encore chez le voisin, le Danemark. La série avait donc tout pour me plaire, et c'est avec une certaine tristesse que j'en ai lu l'épisode ultime cette année; une brillante et émouvante novella au titre étrangement prémonitoire («An event in automn») qui précède légèrement le dernier roman, et où Wallander est désormais aux prises avec la maladie d'Alzeimer. Malgré cette tristesse de voir partir un personnage attachant, j'avais au moins la présence réconfortante de son auteur, qui continuait d'écrire… malgré un diagnostic de cancer, qui devait l'emporter cette semaine.
Que conclure, sinon que depuis le temps que je dis que la Scandinavie est une destination haut placée sur ma liste, je crois bien que l'heure est venue de faire mes bagages.
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