mercredi 11 novembre 2015

Connexion/déconnexion en voyage suite à l'évolution technologique...

... Ou du dépaysement et de la dématérialisation des accessoires et artéfacts de voyage.

Avant de partir en voyage, je fais toujours un peu de lecture, question de défricher un peu ce qui peut être intéressant ou non à visiter à destination. L'idée n'est pas de tout voir avant de partir – en fait, j'essaie souvent de ne voir que peu de photos et me contente de quelques descriptions. Ce genre d'exercice fait partie de ce que j'appelle «faire ses devoirs» avant un voyage. Ça permet à la fois de savoir un peu d'avance quelles régions, quelles villes et quels lieux ou sites semblent les plus intéressants pour le voyageur - chacun ses priorités et ses goûts, alors on ne peut ni se fier à la popularité d'un site, ni aux conseils de connaissances, à moins de savoir ce qu'ils aiment et n'aiment pas et partager certains intérêts avec eux. (Faire ses devoirs implique plus que ça, bien entendu, ça implique aussi de déterminer/stimuler les intérêts envers le pays ou la région visité. Créer ou raviver des références personnelles (cinéma, littérature, art, etc.).

Parallèlement à cet exercice vient l'achat d'un guide de voyage. Sans dicter quoi voir et où aller, le guide est utile pour donner quelques pistes intéressantes, mais est surtout essentiel quand vient le temps de planifier certains déplacements ou hébergements. Des listes d'auberge, des temps de trajets en bus ou en train, des cartes sommaires des villes, un peu de contexte historique sur certains sites, ce genre d'information est très utile une fois sur place.
Chaque voyageur a ses guides favoris, ses éditeurs de prédilection. Il y a plusieurs années, je voyageais avec les «Let's Go», qui demeurent à mon sens ce qui s'est fait de mieux pour les voyageurs indépendants sur un budget raisonnablement bas. Mais l'éditeur a vendu la collection et depuis, ils ne couvrent que quelques destinations. Je voyage donc avec les livres publiés chez Rough Guide depuis. Ils sont moins concentrés en termes d'information utile au voyageur au budget serré (ils ratissent plus large côté clientèle), mais ils sont plutôt bien faits.
J'ai voyagé à quelques rares occasions avec les plus connus des guides, les Lonely Planet. Je n'aime pas cette collection, pour plusieurs raisons : Comme ils sont très populaires, en suivant ce qu'ils proposent, vous vous retrouver au milieu d'un cirque de touristes, et souvent des touristes trap. Aussi, ils sont tellement populaires qu'ils ont peu besoin de se mettre à jour et qu'il arrive souvent que leurs informations soient désuètes.
Pour la Scandinavie, aucun guide récemment publié (donc à jour) n'existait à part le Lonely Planet. Je l'ai donc acheté, parcouru, et emporté avec moi... et je ne l'aime pas beaucoup. Il m'est très peu utile en fait, et j'ai dû l'augmenté de cartes trouvées ici et là car à part les capitales, il n'en comporte peu ou pas. Des dizaines de pages inutiles sur des restos ou hôtels de luxe, mais très peu d'information sur les trajets possibles en train/bus (coût, temps, etc.)... bref... je n'avais pas aimé mes précédentes expériences avec eux, celle-ci est la dernière chez cet éditeur sans le moindre doute. C’est sans l’ombre d’un doute le voyage où j’ai le moins consulté mon guide, le laissant plus souvent qu’autrement dans le fond d’un casier à l’auberge pour économiser son poids dans mon sac de jour.
(D’ailleurs, ceux qui me suivent depuis le début de ce court voyage noteront avec étonnement que ni Kolding ni Haderslev ne figuraient même dans ce guide).

Le temps des guides papier achève de toute manière. Pas seulement parce que des versions numériques existent et sont achetées par les voyageurs se déplaçant avec un téléphone ou une tablette, mais aussi et surtout parce qu’avec la prolifération de ces accessoires connectés, l’utilité des guides devient marginale. On peut accéder à un tas d’applications et de guides locaux, incluant les sites des transporteurs et des auberges.

Rares artéfacts physiques de la Scandinavie
Une parenthèse pour exprimer que je trouve dommage la disparition prochaine de ces guides. En plus d’être des compagnons souvent utiles même si jamais parfait et souvent incomplet, ils faisaient parti de l’expérience de voyage ; fouilles, notes, ajouts, barbouillages en marge, résultats d’appels dans des auberges, etc. Tout ça faisait non seulement parti du voyage lui-même, mais en laissait des traces physiques ; un souvenir de voyage qui renfermait des éléments uniques que l’on ne note plus aujourd’hui. Avec le voyage numérique (réservation d’auberge, cartes, transport, suivi de budget et journal papier, etc.), on ne laisse plus de traces du voyage autre que dématérialisée. Pour un amateur d’artéfacts comme moi, c’est une triste disparition d’éléments physiques qui avaient une grande signification.

Remarquez, depuis quelques voyages, même moi, qui est de l’ancienne école, sans tablette ni téléphone, je voyage tout de même désormais avec un petit ordinateur avec lequel je reste connecté régulièrement avec du wifi. Je me souviens encore de plusieurs voyages (jusqu’en 2010) où je devais chercher les cafés internet pour pouvoir consulter mes courriels et publier quelques billets sur mon blogue… évidemment, ici aussi j’ai été poussé à faire un choix, puisqu’avec la prolifération du wifi et des ordinateurs portables de plus en plus petits et abordables, il y a eu la disparition quasi totale des cafés internet. Les auberges offraient auparavant des postes fixes pour les sans-portables, ce qui est maintenant fort rare (j’ai quand même vu deux auberges avec des ordinateurs à la disposition des clients pendant ce court séjour-ci).

Tout ceci s’est fait progressivement, bien entendu, ça fait quelques années que je vois se dématérialiser les éléments du voyage comme plusieurs de ceux de notre vie quotidienne. Et puis il faut avouer que sur plusieurs aspects, ces technologies facilitent la vie du voyageur : plus besoin de s’arrêter dans une cabine ou un locutorio pour faire une douzaine d’appels pour chercher un hébergement ; quelques clics sur des sites spécialisés le jour-même ou quelques jours plus tôt si vous connaissez votre itinéraire, et hop, l’hébergement est réglé et vous avez même une carte virtuelle sur votre ordinateur pour vous y rendre. Même chose pour gérer les problèmes avec les compagnies d'aviation pour les vols modifiés, retardés, annulés: en ligne ou par téléphone, plus besoin de se pointer à l'aéroport et attendre des heures en file (en principe: en pratique, ça ne marche pas réellement comme ça pour diverses raisons liées à la structure du domaine du transport aérien, mais c'est une autre histoire et une longue avec ça donc passons).

Typique billet virtuel
D’autres exemples du changement inexorable? Au Danemark, tous mes billets de trains interurbains à l’extérieur du Grand Copenhague ont été réservés par internet car c’était moins cher que d’aller au comptoir ou dans les machines dans les gares. Il s’agit d’un incitatif pour que les gens utilisent de plus en plus ce genre de technologie. Dans mon auberge de Stockholm, il y a des frais supplémentaires si vous payez cash au lieu d’avec une carte bancaire ou de crédit.
D’ailleurs, autre parenthèse, parlant des auberges, il y a une longue tradition de voyageurs se rencontrant dan les auberge, s’intéressant plus ou moins aux histoires de voyage des autres, partageant parfois des conseils, échangeant sur leur expérience, se retrouvant même parfois dans une autre auberge d’une autre ville sur le parcours… je ne tente pas ici d’idéaliser le phénomène, je ne suis jamais le plus sociable des voyageurs dans une auberge, mais j’ai noté dans mes derniers voyages – et celui-ci en particulier puisque je voyage en solo – que cet aspect a pratiquement disparu totalement de la vie en auberge. Chaque voyageur a son téléphone ou sa tablette (sauf quelques croutons comme moi avec un petit portable), et généralement, autour de la table de cuisine commune ou dans les salons communs, chacun est dans son monde numérique.

Voyager avec un ordinateur portable (et jour de lessive).
J’ai beau être de la vieille école – le voyage indépendant, sans trop d’accessoires – la plupart des sites visités au cours de ce voyage proposaient des informations supplémentaires en plusieurs langues sur des applications téléphoniques (quand ce n’étaient pas les seules informations disponibles). Même les transports en commun s’y mettent. En Suède, dans les trois grandes villes, il n’y a plus de guichets à l’entrée des stations ; vous pouvez acheter un titre virtuel en ligne, et le contrôleur qui passe scanne alors un code disponible sur votre téléphone qui valide votre passage. Pour le moment, vous pouvez tout de même encore acheter au dépanneur du coin un titre papier valide.

Pour revenir sur la disparition des artéfacts, ce voyage-ci sera celui duquel je ramènerai le moins de ce genre de petits souvenirs qui ne coutent rien. Les billets de train virtuels – un fichier PDF avec code-barre – n’ont rien de bien exotiques à rapporter, bien que j’ai réussi à n’en réserver un en danois, alors il n’est pas en anglais au moins. Même chose pour les auberge, dont les sites de réservation déterminent votre langue et vous envoie la confirmation et la documentation en français (ou anglais), éliminant du même coup tout dépaysement ou exotisme. Il me reste bien quelques cartes usées et barbouillées, mon dernier Lonely Planet, et – ultime souvenir physique pas encore éliminé – quelques pièces de monnaie à ajouter à ma collection internationale personnelle accumulée patiemment au cours de tous mes voyages. Remarquez, ceci aussi finira par disparaître ; des pays scandinaves envisagent de plus en plus de faire disparaître leur monnaie papier de la circulation par divers incitatifs à payer avec les cartes.

Tous ces changements ont eu un impact significatif sur mon dépaysement au cours de ce court voyage en solo, dépaysement qui a été réduit à son strict minimum. En effet, plus souvent connecté que jamais au cours d’un voyage – le wifi gratuit était disponible partout, cafés, restos, gares de trains et de bus, dans les trains – j’ai peu rencontré de locaux autrement que dans les sites/auberges du circuit touristique – j’ai heureusement pu compter sur l’étrangeté (pour moi) des langues danoises et suédoises et sur les détails habituels que sont les devises, les noms de rue, la culture locale. En ayant une connexion régulière à Internet, j’ai donc pris plus souvent mes courriels, lu régulièrement (parfois par réflexe) des nouvelles du pays en mon absence, et donc, été moins déconnecté/dépaysé/ailleurs qu’auparavant. Et on notera que je n’avais « que » le wifi, et pas constamment. Avec un téléphone/tablette et un forfait connecté en permanence, je ne pense pas que je pourrais voyager et me sentir réellement en voyage/ailleurs.

Je pense bien que pour un prochain voyage, bien que je voyagerai avec la technologie maintenant nécessaire vu la disparition des alternatives, je le ferai peut-être sans trop consulter mes courriels, sans fréquenter les réseau sociaux, quitte à ne même pas bloguer pendant le voyage, mais plutôt après... ce sera probablement la seule manière de réellement se sentir ailleurs, déconnecté.

Enfin, comme je n’ai pas plus d’idée comment conclure que je ne savais où je m’en allais en débutant ce billet sur la dématérialisation, je terminerai par le constat que comme pour le reste, je n’aurai pas le choix de m’adapter – je le suis déjà en grande partie en voyageant avec un petit portable très performant – et tenter de trouver le dépaysement ou les souvenirs d’une autre manière que celle que j’avais adopté jusqu’à maintenant. J’ai un peu l’impression que c’est la fin d’une ère, que ce voyage a marqué une modification dans la manière, et donc également une modification de l’expérience et du dépaysement en voyage. En ce sens, il aura au moins contribué à alimenter ma réflexion continuelle sur le voyage et le dépaysement.

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