jeudi 9 août 2007

Dans les mines du Cerro Rico

Je planifie depuis plusieurs jours de parler longuement des mines du Cerro Rico et de ma visite de certaines galeries à l'intérieur de la montagne qui a produit le plus d'argent (métal) au monde.
Par manque de temps - et les notes de voyages qui s'accumulent en plus - je vous livre ici en vrac mes observations sur le sujet.
Voir aussi mes notes et les commentaires qui ont suivi un précédent billet.
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Le Cerro Rico ("riche sommet") est donc une montagne qui fait face à la ville de Potosi. À plus de 4000 m au-dessus du niveau de la mer, Potosi, la ville la plus haute du monde, ne serait jamais devenu une grande ville sans la veine d'argent contenue dans la montagne, précieux métal découvert dès l'arrivée des espagnols dans la région. A un moment, l'exploitation de la mine a fait de Potosi la plus grande ville des Amériques, avec une population de 200 000. Aujourd'hui, la ville comporte tout de meme environ 120 000... et les mines du Cerro Rico y sont toujours exploitées.

Originalement, le Cerro Rico était un sommet se dressant à plus de 5000 m, mais aujourd'hui, sa cime s'élève à 4824 m. Au fil des siècles et du creusage et du dynamitage qui y a eu lieu, le Cerro s'est lentement affaissé, et a perdu en cours de route toute végétation, laissant un cone de roc dominer le paysage de Potosi. Il y a, aujourd'hui, plus de 30 mines actives exploitées dans la montagne, le tout en un labyrinthe de galleries sur 14 niveaux souterrains. 3 mines sont corporatives, et utilisent des outils plus modernes (comem des perceuses à air comprimé), mais la plupart sont des mines coopératives.

Les conditions de vie des travailleurs ici vont de passables à misérables.
Historiquement, plus de 8 millions de personnes sont mortes dans l'exploitation des mines du Cerro Potosi. On parle bien entendu d'indigènes, puisque ceux-ci étaient "gratuits" pour les propriétaires espagnols (alors que le Lama ne l'était pas, pas plus que l'esclave noir), puisque les dirigeants catholiques avaient déterminés que les indigènes n'avaient pas d'ames. Il y a eu plusieurs centaines d'esclaves noirs aussi (l'importation d'esclaves africains par le Brésil était alors légale), mais ceux-ci se sont avérés peu résistant à l'altitude et à l'hiver perpétuel de Potosi et mourraient généralement avant d'avoir passé un mois dans les mines.

Aujourd'hui, à part l'esclavage, peu de choses ont changées au Cerro Potosi en terme de modernité. Les quelques 7000 mineurs qui y travaillent (dont un millier sont des enfants) le font majoritairement à la main - creusant quelques trous à l'aide de marteau et d'un pic, pour y enfouir de la dynamite. Ils doivent fournir tout leur équipement (lampe, bottes, dynamite, etc), mais sont maitres de leurs heures et leur travail dans les quelques 25 mines coopératives. Chaque mineur sort du minerai et le vend à un camion de transport qui se rend en ville, le mineur est payé selon la qualité et la quantité du minerai, mais n'a plus aucun controle une fois le camion parti et souvent, les acheteurs estiment la qualité à rabais pour éviter de bien payer les mineurs.

Tout de meme, depuis quelques années, la valeur de l'argent s'est appréciée sur le marché mondial, et un mineur qui travaille 8h par jour (aucune pause diner, mais ils machent de la coca pour éviter la faim - coca qu'ils doivent évidemment se procurer à meme leur revenu) pendant 5-6 jour, peut, en exploitant une veine intéressante, se faire 500 dollar en un mois.

Lorsque vous visitez les mines du Cerro Rico, il est de bonne manière d'apporter un présent aux mineurs que vous aller croiser - après tout, ils y travaillent et ont toujours besoin de matériel, et on est loin de l'attraction touristique typique ou tout n'est là que pour épater le visiteur ou pour rendre la chose "typique", justement. Au Cerro Rico, que de la réalité.

C'est pourquoi avant de plonger dans les souterrains des mines, nous avons acheté quelques produits utiles, comme de la coca, des boissons gazeuses, et... de la dynamite (avec détonnateur et mèche, en vente libre ici, oui, oui). Pour l'anecdote, notre petit groupe a fait un essai en faisant exploser - près de la surface - deux batons de dynamite; une expérience troublante et amplement suffisante pour moi, je n'aurais pas voulu me trouver à l'intérieur lors des explosions réelles dans les galeries. (J'ai filmé notre explosion, je vais tenter de placer ca sur le web bientot).

Puis nous avons descendu au second niveau des galleries, nous sommes baladés, j'ai ramassé un petit caillou qui contient certainement du zinc et de la pyrite, peut-etre meme un peu d'argent.

Aujourd'hui, le minerai du Cerro est pratiquement tout exploité, contrairement à l'époque coloniale où les espagnols ne voulaient que l'argent le plus pur, chaque métal utile du Cerro Rico est extrait de nos jours.

Avec autant de couloirs, de grottes, et de crevasses, d'échelles et de niveaux, il est ardu de comprendre comment est planifié l'ensemble de tout ca parmi les plus de 30 mines qui co-existent dans la montagne. Chaque groupe de mineurs (souvent travaillant par 4-8) prépare chaque jour une à deux explosions de plus de 10 batons de dynamite... J'ai donc posé la question à un groupe de huit mineurs: comment faites-vous pour savoir quoi faire exploser et quoi laisser là? Comment faites-vous pour ne pas faire effondrer les galleries? Leur réponse - toute latino - vague allait de "l'expérience", "les plus vieux savent quoi ne pas faire exploser", "l'habitude", "l'instinct"... On m'a confirmé qu'aucun ingénieur ne planifie les opérations, que chaque mineur qui entre dans les galleries peut décider de placer ici et là des batons de dynamite en espérant trouver une veine intéressante...Rien de rassurant, évidemment, chacun improvise, la plupart suivent les veines de minerais, et des accidents se produisent, et le Cerro Rico voit son sommet descendre avec le temps et les galleries qui s'effondrent...

Alors vous prenez votre lampe frontale, et vous quittez le Cerro Rico avant 13h, heure générale des premières explosions de dynamite de la journée... Et pourquoi ne pas laisser un petit présent au Tio, sorte de dieu de la mine (et amant occasionnel de Pachamama (la mère-terre)) grace à qui on trouve ces précieux métaux... Ah, mais en hommage au Tio (à qui on laisse des feuilles de coca ou des cigarettes alumées), il faut aussi boire une shot d'alcool. Et l'alcool de circonstance est une production locale d'alcool de canne à sucre à 96%... Un peu fort, je dois avouer - et avec une odeur d'alcool à friction - mais pas si mauvais à petite dose, et pas pire que le 94% que mon grand-père avait l'habitude de boire... habitude qui ne l'a pas empeché de vivre jusqu'à 96 ans, justement. (J'ai pensé: À grand-papa ti-Louis, en buvant mon 96% au coeur des mines du Cerro Rico).
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