Crise en pause; bons et mauvais côtés
Je profite d'une petite pause dans le débat social pour aborder un thème que je veux aborder depuis des semaines. J'ai un peu manqué de temps, mais il faut aussi dire que les événements se succédaient assez rapidement et je ne voyais pas le moment propice pour aborder le sujet, qui est délicat.
Au moment d'écrire ce billet, le climat est toujours tendu. Le concerts de casseroles vont probablement diminuer, et éventuellement se transformer en autre chose. L'Assemblée Nationale est en vacances, il est donc clair que le gouvernement demeurera sur la position qu'il a adoptée le plus clair du temps depuis février; ne rien faire et attendre. Règlements municipaux et Loi 78 sont contestés devant les tribunaux, mais le jugement n'a pas encore été rendu. La fête de l'argent (des chars et des poupounes) du Grand Prix est passée, sans attaque terroriste, et les festivals ne semblent pas (plus) craindre les manifestants. Le beau temps règne sur le Québec depuis une semaine, et nous sommes à une semaine de la grande manifestation annoncée pour le 22 juin et la Fête Nationale deux jours plus tard. Bref, c'est peut-être la période la plus calme depuis le début du conflit.
Mon sujet délicat, c'est l'effritement du tissu social que la crise va provoquer au Québec.
Je suis de ceux qui pensent que cette crise a un côté positif pour le Québec; elle provoque les débats, les remises en questions d'idées politiques, interpelle le citoyen sur le modèle social du Québec, sur certains choix sociaux que l'on croyaient acquis et secoue le vieux débat sur la question nationale. Personnellement, j'y vois un mouvement sain pour la société. Je parle évidemment de ceux qui se questionnent, et s'interrogent sur ces sujets, pas des dérives extrémistes, des injures, des chroniques haineuses et de la démagogie étalée sans gène ni retenue.
Car bien que le débat soit sain, ces effets secondaires sont dangereux, socialement, puisque le tissu social, la paix sociale, reposent généralement sur le lien de confiance que les citoyens ont envers les institutions; judiciaires, gouvernementales, policières, etc. Cette crise a ébranlé sérieusement cette confiance pour plusieurs citoyens, dont je suis.
Rupture sociale
Dans les derniers mois, plusieurs groupes de citoyens ont émis de sérieux doutes sur leur relation de confiance au système judiciaire (le cas Turcotte, celui du jeune qui a tué une enfant avec sa voiture, etc). La crise a permis d'ajouter - avec les injonctions impossibles à appliquer et non-respectées pour la majorité - une autre voie de contestation du système judiciaire, supposément indépendant du politique. Le sort réservé au jugement attendu sur le réglement municipal et à la Loi 78 contestée en diront long sur ce lien de confiance.
Les institutions gouvernementales ont aussi souffert énormément. Pas seulement avec l'insatisfaction envers le parti au pouvoir, mais avec un mouvement de désobéissance civile pacifique sans équivalent dans les 40 dernières années au Québec; jamais de ma vie je n'avais vu autant de citoyens "ordinaires" défier une Loi votée à l'Assemblée Nationale, publiquement, sans gène, et à répétition. On a aussi vu qu'aucun parti d'opposition (PQ, QS et CAQ) n'a profité de la crise, ni de l'insatisfaction envers le parti au pouvoir, signe que les citoyens n'ont que peu de confiance en leur institution gouvernementale (même si ce syndrome était déjà présent dans le cynisme qui dominait avant la crise).
Mais c'est peut-être le lien avec les institutions policières qui aura le plus souffert. Il s'agit pourtant du lien, parmi les trois institutions citées, qui est toujours le plus fragile, même en tant de paix sociale.
Pour ma part, après ce que j'ai vu, ma confiance envers les policiers (en général) est fortement ébranlée, quasi réduite à néant (*).
Et non seulement je suis un modéré, mais originaire d'une famille où l'un des membres était policier. Dans ma jeunesse, cet oncle policier était non seulement quelqu'un que j'aimais, mais que j'admirais pour ce qu'il faisait pour la société. Pourtant, la police ne me considère pas comme un modéré, comme j'ai pu le voir lors de mes discussions avec certains agents alors que mon seul signe distinctif était de porter un carré de feutre rouge. Je suis conscient qu'il y a des bavures (parfois seulement des exceptions), et j'estime raisonnable de souhaiter un organe de contrôle meilleur que celui que nous avons actuellement, où la police enquête sur la police. Or la police ne partage pas cet avis, nie totalement les nombreux abus policiers qui se sont produits pendant la crise, et nie les ordres politiques qu'elle a clairement reçu.
Il existe des centaines d'exemples; assez pour ne plus parler, justement, d'exception. D'où la rupture du lien de confiance. Je mentionnerai - pratiquement au hasard - l'animatrice de CUTV se faire battre à coup de matraque, et supplier: "arrêtez, arrêtez". Elle ne manifestait même pas, mais filmait pour la télé universitaire.
Aussi, après avoir tiré sur un manifestant avec un fusil à balles de plastique, un policier du SPVM qui s’écrie: «Tiens! Dans les fesses, mon calisse.». Cette scène, reprise par TVA, a aussi été vue à plus de 220 000 reprises sur YouTube. Difficile de nier cette attitude après avoir vu ça.
Sans parler directement d'effritement du tissu social, Patrick Lagacé a signé il y a quelques semaines une chronique approchant de ce sujet, en amalgamant certains arguments et dérives de part et d'autre du débat social. Sur la relation de confiance police-citoyen, il mentionne les confidences anonymes d'un contact policier: "On verra si t'as pas envie, des fois, de fesser un peu plus fort que tu devrais."
Vous noterez que le policier ne remet pas en cause le fait qu'il "doit" fesser sur quelqu'un. Incroyable. Mais ça explique beaucoup de chose. Le problème que j'ai, c'est que les lecteurs verront son commentaire comme une excuse acceptable. Comme citoyen qui est (automatiquement) à la merci des policiers s'ils décident d'abuser, je pense que ce genre de raisonnement va mener éventuellement à des commentaires du genre: "Je m'excuse, j'étais fatigué après plusieurs quarts de 14h, alors j'ai tiré à bout portant, j'aurais dû viser les jambes."
Et je ne parle même pas de questionner sur qui il a "fesser un peu plus fort que tu devrais "; à voir les dizaines de vidéo en ligne, ça arrive souvent que c'est sur des gens qui n'ont absolument rien fait d'autre que d'exprimer une opinion politique pacifiquement.
Cette simple phrase me terrorise donc, rien de moins, car elle signifie que c'est acceptable, excusable, et que ça pourrait m'arriver au coin de la rue. Une fois encore, ceci illustre assez bien pourquoi je crois que le lien de confiance citoyen-policier est celui qui a le plus souffert.
La famille, les amis
A part les relations qui nous lient avec les citoyens anonymes qui nous entourent et qui sont régit par les institutions sociales, il existe également un autre élément au tissu social, peut-être encore plus important; c'est le tissu social immédiat, celui de la famille et des amis, connaissances et collègues. Ce sont ces gens qui forment le noyau de relations personnelles qui cimente la vie de la plupart des gens. Ce tissu là aussi est menacé par la crise; j'en explorerai quelques avenues dans la seconde partie de ce billet.
--
(*) Ne prenons qu'un exemple, celui du jeune accusé de méfait dans le métro (briques déposées, pas l'affaire des engins fumigènes). La police s'est servi de son appel quand il a découvert le corps de sa soeur, pour le suivre et l'arrêter sur la route alors qu'il se rendait à ses funérailles en compagnie de sa famille. Comme j'ai participé à plusieurs marches de quartier, illégales selon la Loi 78 (au moins une douzaine), s'il arrivait que j'ai besoin de la police, j'hésiterais. 12 * 5 000 $ d'amende représentent un risque minimal de 60 000$ si jamais je tombais sur un policier revanchard qui décidait de ressortir des photos de manifestations - les policiers nous prennent en photo au coin de Beaubien St-Denis certains soirs de casseroles). Je ne ferai donc pas volontairement appel à la police désormais. Ça va prendre du temps aussi avant que je n'oublie les commentaires réducteurs (voir agressifs) de certains policiers face à mon seul port du carré rouge, lors de discussions pourtant cordiales avec certains de leurs collègues.
Je profite d'une petite pause dans le débat social pour aborder un thème que je veux aborder depuis des semaines. J'ai un peu manqué de temps, mais il faut aussi dire que les événements se succédaient assez rapidement et je ne voyais pas le moment propice pour aborder le sujet, qui est délicat.
Au moment d'écrire ce billet, le climat est toujours tendu. Le concerts de casseroles vont probablement diminuer, et éventuellement se transformer en autre chose. L'Assemblée Nationale est en vacances, il est donc clair que le gouvernement demeurera sur la position qu'il a adoptée le plus clair du temps depuis février; ne rien faire et attendre. Règlements municipaux et Loi 78 sont contestés devant les tribunaux, mais le jugement n'a pas encore été rendu. La fête de l'argent (des chars et des poupounes) du Grand Prix est passée, sans attaque terroriste, et les festivals ne semblent pas (plus) craindre les manifestants. Le beau temps règne sur le Québec depuis une semaine, et nous sommes à une semaine de la grande manifestation annoncée pour le 22 juin et la Fête Nationale deux jours plus tard. Bref, c'est peut-être la période la plus calme depuis le début du conflit.
Mon sujet délicat, c'est l'effritement du tissu social que la crise va provoquer au Québec.
Je suis de ceux qui pensent que cette crise a un côté positif pour le Québec; elle provoque les débats, les remises en questions d'idées politiques, interpelle le citoyen sur le modèle social du Québec, sur certains choix sociaux que l'on croyaient acquis et secoue le vieux débat sur la question nationale. Personnellement, j'y vois un mouvement sain pour la société. Je parle évidemment de ceux qui se questionnent, et s'interrogent sur ces sujets, pas des dérives extrémistes, des injures, des chroniques haineuses et de la démagogie étalée sans gène ni retenue.
Car bien que le débat soit sain, ces effets secondaires sont dangereux, socialement, puisque le tissu social, la paix sociale, reposent généralement sur le lien de confiance que les citoyens ont envers les institutions; judiciaires, gouvernementales, policières, etc. Cette crise a ébranlé sérieusement cette confiance pour plusieurs citoyens, dont je suis.
Rupture sociale
Dans les derniers mois, plusieurs groupes de citoyens ont émis de sérieux doutes sur leur relation de confiance au système judiciaire (le cas Turcotte, celui du jeune qui a tué une enfant avec sa voiture, etc). La crise a permis d'ajouter - avec les injonctions impossibles à appliquer et non-respectées pour la majorité - une autre voie de contestation du système judiciaire, supposément indépendant du politique. Le sort réservé au jugement attendu sur le réglement municipal et à la Loi 78 contestée en diront long sur ce lien de confiance.
Les institutions gouvernementales ont aussi souffert énormément. Pas seulement avec l'insatisfaction envers le parti au pouvoir, mais avec un mouvement de désobéissance civile pacifique sans équivalent dans les 40 dernières années au Québec; jamais de ma vie je n'avais vu autant de citoyens "ordinaires" défier une Loi votée à l'Assemblée Nationale, publiquement, sans gène, et à répétition. On a aussi vu qu'aucun parti d'opposition (PQ, QS et CAQ) n'a profité de la crise, ni de l'insatisfaction envers le parti au pouvoir, signe que les citoyens n'ont que peu de confiance en leur institution gouvernementale (même si ce syndrome était déjà présent dans le cynisme qui dominait avant la crise).
Mais c'est peut-être le lien avec les institutions policières qui aura le plus souffert. Il s'agit pourtant du lien, parmi les trois institutions citées, qui est toujours le plus fragile, même en tant de paix sociale.
Pour ma part, après ce que j'ai vu, ma confiance envers les policiers (en général) est fortement ébranlée, quasi réduite à néant (*).
Et non seulement je suis un modéré, mais originaire d'une famille où l'un des membres était policier. Dans ma jeunesse, cet oncle policier était non seulement quelqu'un que j'aimais, mais que j'admirais pour ce qu'il faisait pour la société. Pourtant, la police ne me considère pas comme un modéré, comme j'ai pu le voir lors de mes discussions avec certains agents alors que mon seul signe distinctif était de porter un carré de feutre rouge. Je suis conscient qu'il y a des bavures (parfois seulement des exceptions), et j'estime raisonnable de souhaiter un organe de contrôle meilleur que celui que nous avons actuellement, où la police enquête sur la police. Or la police ne partage pas cet avis, nie totalement les nombreux abus policiers qui se sont produits pendant la crise, et nie les ordres politiques qu'elle a clairement reçu.
Il existe des centaines d'exemples; assez pour ne plus parler, justement, d'exception. D'où la rupture du lien de confiance. Je mentionnerai - pratiquement au hasard - l'animatrice de CUTV se faire battre à coup de matraque, et supplier: "arrêtez, arrêtez". Elle ne manifestait même pas, mais filmait pour la télé universitaire.
Aussi, après avoir tiré sur un manifestant avec un fusil à balles de plastique, un policier du SPVM qui s’écrie: «Tiens! Dans les fesses, mon calisse.». Cette scène, reprise par TVA, a aussi été vue à plus de 220 000 reprises sur YouTube. Difficile de nier cette attitude après avoir vu ça.
Sans parler directement d'effritement du tissu social, Patrick Lagacé a signé il y a quelques semaines une chronique approchant de ce sujet, en amalgamant certains arguments et dérives de part et d'autre du débat social. Sur la relation de confiance police-citoyen, il mentionne les confidences anonymes d'un contact policier: "On verra si t'as pas envie, des fois, de fesser un peu plus fort que tu devrais."
Vous noterez que le policier ne remet pas en cause le fait qu'il "doit" fesser sur quelqu'un. Incroyable. Mais ça explique beaucoup de chose. Le problème que j'ai, c'est que les lecteurs verront son commentaire comme une excuse acceptable. Comme citoyen qui est (automatiquement) à la merci des policiers s'ils décident d'abuser, je pense que ce genre de raisonnement va mener éventuellement à des commentaires du genre: "Je m'excuse, j'étais fatigué après plusieurs quarts de 14h, alors j'ai tiré à bout portant, j'aurais dû viser les jambes."
Et je ne parle même pas de questionner sur qui il a "fesser un peu plus fort que tu devrais "; à voir les dizaines de vidéo en ligne, ça arrive souvent que c'est sur des gens qui n'ont absolument rien fait d'autre que d'exprimer une opinion politique pacifiquement.
Cette simple phrase me terrorise donc, rien de moins, car elle signifie que c'est acceptable, excusable, et que ça pourrait m'arriver au coin de la rue. Une fois encore, ceci illustre assez bien pourquoi je crois que le lien de confiance citoyen-policier est celui qui a le plus souffert.
La famille, les amis
A part les relations qui nous lient avec les citoyens anonymes qui nous entourent et qui sont régit par les institutions sociales, il existe également un autre élément au tissu social, peut-être encore plus important; c'est le tissu social immédiat, celui de la famille et des amis, connaissances et collègues. Ce sont ces gens qui forment le noyau de relations personnelles qui cimente la vie de la plupart des gens. Ce tissu là aussi est menacé par la crise; j'en explorerai quelques avenues dans la seconde partie de ce billet.
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(*) Ne prenons qu'un exemple, celui du jeune accusé de méfait dans le métro (briques déposées, pas l'affaire des engins fumigènes). La police s'est servi de son appel quand il a découvert le corps de sa soeur, pour le suivre et l'arrêter sur la route alors qu'il se rendait à ses funérailles en compagnie de sa famille. Comme j'ai participé à plusieurs marches de quartier, illégales selon la Loi 78 (au moins une douzaine), s'il arrivait que j'ai besoin de la police, j'hésiterais. 12 * 5 000 $ d'amende représentent un risque minimal de 60 000$ si jamais je tombais sur un policier revanchard qui décidait de ressortir des photos de manifestations - les policiers nous prennent en photo au coin de Beaubien St-Denis certains soirs de casseroles). Je ne ferai donc pas volontairement appel à la police désormais. Ça va prendre du temps aussi avant que je n'oublie les commentaires réducteurs (voir agressifs) de certains policiers face à mon seul port du carré rouge, lors de discussions pourtant cordiales avec certains de leurs collègues.
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