jeudi 25 août 2005

Toucher les nuages

Toucher les nuages, oui...

Quelle journee ! Incroyable ! Je suis encore un peu sur l’adrenaline (a moins que ca ne soit le retour d’un bon % d’oxygene disponible !). Voici l’histoire :

Tout cela a commence par hasard. J’avais certains plans pour aujourd’hui, mais des le debut de la journee, il y a eu des changements. Par contre, le ciel etait d’un superbe bleu pratiquement sans nuages au-dessus de Quito. J’ai donc ete tente de retourner par el teleferiqo a 4050 m pour prendre des photos des sommets enneiges des plus hauts volcans des Andes.
Bien entendu, le temps de m’organiser, de prendre un bus, de marcher pour atteindre la plate-forme de depart a 3200 m, de faire la file pour les billets, puis la file pour monter dans les cabines, puis le trajet en telepherique, une heure et quelque a passe… et les nuages avaient remplis le ciel ! J’ai pu apercevoir un peu du commet du Cotopaxi en montant en telepherique, mais une fois en haut, niet, tout camouffle dans les nuages. Ces choses-la se produisent toujours ici… En ville, on dit que Quito est une femme, qui change d’humeur vingt fois par jour sans preavis :)

Je flane donc en haut, admirant tout de meme la vue de Quito, et remarque que je ne ressens aucun etourdissement ; on dirait que mon systeme s’est habitue a l’altitude.
Je decide donc de prendre le sentier pour monter au mirador a 4100 m ou je suis alle la derniere fois. De la, je remarque alors quelques personnes hors-terrain un peu plus loin, de l’autre cote de la barriere marquee « passage interdit ». Bien entendu, les responsables du parc du telepherique ne sont pas responsables de toute la montagne… mais je vois bien que ces 12-15 personnes (fort probablement des equatoriens) sont sur un sentier. J’hesite, je suis nord-americain, apres tout, et habitue aux regles… mais je suis aussi francais, alors je suis aussi habitue a tordre une regle ou deux selon les circonstances. :)
Parenthese ici : il existe un sentier qui part de Quito, monte vers Cruz Loma (le sommet ou est maintenant la plate-forme de 4050m du telepherique) et le sommet du Rucu Pichincha (a 4627 m d’altitude, a son pic rocheux le plus haut). Il est tres fortement deconseille de gravir le Rucu par ce sentier pour des raisons de securite, les vols et agressions de touristes et locaux par des gangs de rues sont abondantes. Ainsi, jamais je n’ai envisage, ni l’an dernier, ni cette annee, l’ascension du Rucu. Fin de la parenthese.
Le sentier qu’ont emprunte ces gens monte sur une petite butte qui surplombe l’endroit ou je me trouve par environ 100m. Comem aucun garde nesemble preter attention a ce qu’ils font, ni a moi, je passe la cloture et prend le meme sentier.
Je les rattrape au bout d’une dizaine de minutes, il faut aller lentement, l’air semble rare, la pente est abrupte. Je les passe un par un, pour me retrouver au « sommet » en meme temps que les premiers a y arriver. De la, je dirige mon regard en arriere et vois deja une bonne difference d’altitude entre a plate-forme du telepherique et notre point de vue. De l’autre cote, le sentier continue… et monte vers le Rucu…
Autre parenthese : il faisait un ciel superbe a Quito lors de mon depart, j’avais chaud en T-shirt, j’ai tout de meme apporte mon chandail en coton a manche longue, mais rien de plus. De plus, n’ayant pas prevu une ascension, l’ayant improvise en voyant les autres sur le sentier, je n’ai meme pas de nourriture, ni meme de bouteille d’eau, puisqu’il y en a a vendre a la plate-forme. Fin de la seconde parenthese.
Je me trouve donc, a 4200 m d’altitude, le vent commence a se faire plus insistant et plus froid, je n’ai ni eau ni nourriture, mais le sentier devant moi est tentant. Je pourrais redescendre a 4050 m pourdu ravitaillement, mais l’idee de redescendre m’effleure a peine l’esprit : si je rebrousse chemin, je sais que je ne reviendrai pas, le 100 m de gain d’altitude supplementaire a deja ete un bon exercice pour mon cœur et mes poumons.
Je reflechis un instant, puis me dit que le prochain point sur le sentier n’est pas si haut, ni si loin, que je peux au moins voir ou ca me menera de suivre un peu le sentier. Apres tout, je ne suis pas si loin de la plate-forme et je peux redescendre si je ne me sens pas bien ou si j’ai trop froid.
Ainsi, d’un petit sommet a un autre (le sentier valse, vous grimpez, puis descendez un peu entre deux pointes, puis remontez plus haut que la pointe precedente poru atteindre la suivante), je monte lentement, laissant les autres de plus en plus loin derriere moi.
Le sentier offre des vues absoluments incroyables. Le volcan Pichincha, lors d’eruptions passees, a laisse des trainees de lave qui ont formees des coulees profondes entre ses sommets et flans, les perspectives sont impressionantes.
Je fais une petite pause pour evaluer la situation a chaque sommet supplementaire atteint. Je regarde derriere moi : la plate-forme devient de plus en plus petite et eloignee. Je tente d’estimer mon altitude, je prends mon pouls, calcule le nombre de respirations que je prends a la minute… puis je continue vers un autre pic. Un a la fois, sans savoir jusqu’ou j’irai, sans meme penser atteindre le Rucu, qui trone loin devant, et toujours si haut ! A un moment, j’estime avoir passe la barre des 4300 m d’altitude.

Il s’ecoule une heure dix minutes entre le moment ou je quitte le parc officiel a 4100 m et le moment ou je decide que je ne peux pas aller plus loin. Je respire a un rythme de 60 inspirations/expirations completes la minute, mon cœur bat a 168 pulsations minute. J’ai l’impression que l’air rare et froid passe comme de la vitre dans mes poumons.
Mais je peux voir un des bords du cratere du Rucu Pichincha. La seule chose qui se dresse entre moi et ce cratere, c’est le « sommet » du Rucu, une gigantesque pointe rocheuse de plus de 25 m de haut, qu’il est impensable de gravir, sans tout le serieux equipement d’escalade requis pour ce genre d’entreprise. J’ai donc atteint le point le plus eleve du Rucu Pinchincha accessible a pied sans cable, clips et crampons et tout.

Bref, je me trouve - a quelques metres pres - a 4600 m au-dessus du niveau de la mer.

Une partie des sentiments tres forts qui m’habitent est peut-etre du au fait qu’a cette altitude, mon systeme peut compter sur seulement 70% du niveau d’oxygene normalement disponible au niveau de la mer. Le cœur et les poumons doivent compenser, mon sang doit produire plus de globules rouges ! Par comparaison, le niveau d’oxygene disponible a 4100 m est de 79%. Ca descend vite a cette altitude !
Un regard en arriere me confirme que j’ai grimpe haut ; la plate-forme de 4050 m est minuscule en bas… et Quito est incroyablement loin, a 2850 m, je ne peux meme plus distinguer les edifices. Un regard vers le sud, et je peux avoir avec etonnement le sommet du volcan Atacazo, un peu en contrebas, avec son 4463 m d’altitude. La vue de ce sommet plus bas que moi donne le vertige. Les emotions sont difficiles a controler : Je voudrais crier, mais l’energie et l’air me manquent, j’en ai les larmes aux yeux. Je n’ai absolument aucune base de comparaison en ce qui concerne ce qui me passe par la tete et le corps a ce moment, c’est vous dire comment je me sens.

Je realise alors qu’a cet instant precis, je suis l’etre humain le plus haut perche sur la terre dans un rayon d’un peu plus de 50 km.

L’idee donne des frissons (a moins que ca ne soit le vent et le froid qui se sont intensifies tout du long). Je touche les nuages… en realite, je fait mieux que ca ; je vois plusieurs groupes nuageux qui sont en contre-bas, du cote de Lloa et du Mont Ungui. Enfin, j’apercois un avion qui vient de decoller de l’aeorpuerto mariscal Sucre, et qui monte et monte… il doit etre a environ 3500 m, il est si bas, et en meme temps si haut au-dessus de la ville, que c’est difficile a assimiler comme vision. Ca a l’air irreel.
Je prends le temps d’admirer la vue, de profiter du moment, de prendre quelques photos, et apres une dizaines de minutes a toucher les nuages, j’entame ma descente.
Ca va me prendre un peu moins de temps pour rejoindre la plate-forme. Je croiserai quelques rares personnes qui tentent aussi de monter vers le Rucu, sans savoir s’ils vont s’y rendre. Il y a un groupe de 5 qui a l’air fort determine, suivi de trois jeunes filles qui s’arreterons aux alentours de 4300 m (je les prendrai en photo, de loin, alors que leur silhouettes se dessinent contre l’horizon).
De retour a 4050 m , je me restaure et me rehydrate un brin, me repose, et joue a cache-cache avec le Cotopaxi, qui se camoufle derriere les nuages, tentant d’eviter une photo qui le revele entier.
Puis, apres avoir passe un peu plus de 4h a plus de 4000 m d’altitude, je rentre a Quito.
Je suis fatigue, mais aussi euphorique, et je ne peux resister a la tentation de partager cette expedition tellement improvisee.

Je le realise a peine, encore, mais aujourd’hui, j’ai vaincu le Rucu Pichincha, qui devient le point le plus haut ou j’ai mis les pieds sur cette planete.

Hugues,
25 aout 2005, 18h05, heure de Quito, Equateur.

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