samedi 27 décembre 2014

Pourquoi je ne parlerai pas d'austérité avec les beaux-frères aux partys des fêtes (2)

Note: On devrait lire l'introduction de ce billet, qui trouve son origine il y a plus de deux ans.
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Après avoir survolé les impacts des politiques d'austérité, la question de la dette et celle des finances publiques, je concluais - dans la première partie de ce billet - qu'on était en mesure de questionner la compétence du gouvernement Couillard.
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Un mot sur la compétence en politique.
Quand on parle de réviser les programmes pour qu'ils soient plus efficaces, qu'ils conviennent mieux à notre situation économique ou démographique, personne ne peut être contre.
Quand on improvise les solutions sans se baser sur des faits ou des études, mais qu'on y va à l'idéologie ou à la va-vite, ça démontre une grande incompétence en la matière.
L'exemple des tarifs de garderie est patent. Peut-être faut-il moduler les tarifs de garde en fonction du revenu - même si je ne suis pas pour cette avenue à cette étape de la discussion, ça ne veut pas dire que je ne changerai pas d'idée si on me démontre le bien fondé de cette idée - mais il faudrait donc en discuter, avec des gens spécialisés, étudier la question en regard des faits et des données, comparer ce qui s'est fait et se fait ailleurs avec les impacts de telles mesures, bref, faire son travail avec compétence. Dans ce dossier, la ministre accouche d'un projet de loi en quelques semaines, et avoue quelques jours plus tard n'avoir jamais pensé à l'impact de sa réforme sur l'intégration des femmes au marché du travail.
Les exemples dans les dossiers relevant de l'Éducation sont légion, le ministre Bolduc étant devenu l'image même de l'incompétence en la matière - un rôle fort utile au reste du gouvernement et au premier ministre qui peuvent avoir l'air, par comparaison, moins incompétent.
Dans n'importe quel domaine - le mien comme celui de mon beau-frère - autant d'incompétence que ce qui a été démontré par les ministres du gouvernement Couillard aurait été récompensé par une sérieuse remise en question, voire un renvoi pur et simple. Pas en politique, où on tolère l'incompétence comme nulle part ailleurs, en acceptant souvent stupidement que la démocratie se résume à faire un X aux quatre ans pour les moins pires parmi les incompétents.
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Où s'en va donc le Premier Ministre avec tout ça?
On est en mesure de se demander pourquoi notre Premier Ministre et ses ministres les plus influents refusent de voir les évidences énoncées dans la première partie de ce billet, pour qui veut bien se documenter sérieusement sur ces questions. L'affaire est d'autant plus étonnante de la part de dirigeants au profil scientifique comme le sont nos ministres-médecins. Après tout, selon le chercheur David Stukler, cité auparavant, si on avait appliqué les règles de base de la recherche en médecine aux politiques d'austérité, il y a longtemps qu'on les aurait abandonné, tellement leurs effets secondaires néfastes sont dramatiques.
Pourquoi donc?
À cause d'une des choses les plus dangereuse chez un dirigeant: une idéologie qui lui tient lieu de Bible. Notre Premier Ministre et ses ministres les plus influents préfèrent jouer le présent et l'avenir du Québec et des québécois sur une idéologie politique plutôt que des faits, des études et des données.
Antoine Robitaille rapporte que pour Philippe Couillard, l'inspiration suprême lui vient d'un livre écrit par deux économistes anglais d'extrême droite (qui considèrent que les réformes Thatcher n'étaient qu'une demi-révolution et auraient dû aller bien plus loin!). En fait, loin de voir la révolution culturelle Reagan-Thatcher comme un échec (la crise boursière et la crise économique de 2008+ découle directement des dérèglementation et réduction de l'état issus de cette époque), ils trouvent qu'elle n'a été qu'un demi-succès et invitent donc le monde à aller plus loin dans cette direction.
Mathieu Bock-Côté commente cette source d'inspiration du Premier Ministre. Dans un billet clair et concis compte-tenu du sujet, le sociologue explique que «Dans l’imaginaire thatchérien, il y a un grand soir: c’est celui où les forces attachées à l’État providence s’effondrent enfin et où le nouveau modèle de société fondé sur le primat du marché peut enfin s’installer en paix».
Voilà où va notre gouvernement; déconstruire le modèle sur lequel le Québec s'est créé, politiquement et économiquement, pour le remplacer par le modèle que l'on vénère, sans l'avouer franchement, et sans l'avoir annoncé en campagne électorale. (Ce lien détaille quelques écarts entre la "réalité-Couillard" et la "fiction-électorale" présentée en campagne.Voilà un bon argument contre les tenants de la démocratie réduite à un X aux 4 ans).
L'historien et politicologue Jean-François Nadeau commente également cette idéologie de laquelle se réclame le Premier Ministre avec une remarque qui donne froid dans le dos: «Il a fallu onze ans à Thatcher pour conduire sa contre-révolution et asseoir une domination néolibérale qui a fait école. Au Québec, le ministre des Finances, Carlos Leitão, affirme qu’en deux ans il aura atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixés».
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Un mot sur le respect de la fonction de chef d'État.
Lors des dernières élection - notre occasion aux quatre ans d'exercer la démocratie selon plusieurs - le Parti Libéral n'a que peu parlé de son programme, se contentant d'accuser les péquistes de secrètement vouloir faire un référendum sur la souveraineté du Québec et d'ainsi créer de l'incertitude, une horreur qui allait plomber l'économie du Québec pour des années. On nous promettait alors l'effet Libéral qui, en éliminant cette incertitude, allait créer 250 000 emplois. Le reste du programme Libéral est à peu près passé sous silence (mais il est intéressant de noter qu'il prévoyait annuler la hausse des tarifs de garderie planifiée par le PQ à 9$ sur deux ans) et plutôt indexer ces tarifs. On nous promettait aussi de ne pas hausser les taxes ni les impôts, et de stimuler l'économie et de créer des centaines de milliers d'emploi (ce lien, déjà évoqué, fait un survol de ces promesses comparées à la réalité).
Fraîchement arrivés au pouvoir, le gouvernement Couillard s'est aussi empressé de dénoncer le trou secret laissé dans les finances publiques par le gouvernement précédent, un trou de 5,8 milliards selon eux. Or ce déficit de 5,8 milliard n'existe pas, il est totalement fictif, un grossier mensonge utilisé pour manipuler l'opinion publique. Le déficit prévu par le PQ avant les élections est, à quelques détails près, exactement le même que celui prévu par le PLQ lors de sa dernière mise à jour économique! L'économiste Gérald Fillion le rappelle en comparant l'ensemble des données; «Entre les projections du Parti québécois en février et celles du Parti libéral en ce moment, il y a quelques différences, mais elles ne sont pas énormes. Au final, le déficit prévu par le PQ en 2013-2014 est plus important de 300 millions de dollars, ce qui est une goutte d’eau dans un budget de 100 milliards».
Après les mensonges en campagne électorale, ceux sur le déficit réel du Québec et enfin, ceux sur la nécessité des politiques d'austérité (qu'il appelle rigueur budgétaire dans un spin médiatique pour utiliser des mots moins... austères dès qu'il réalise l'impopularité du terme "austérité"), il est difficile de croire que Philippe Couillard a lui-même le respect requis envers la fonction de chef d'état.
J'aurai moi-même plus de respect pour la fonction de chef d'État quand celui qui l'occupe en aura et cessera de me mentir en plein visage sans même tenter de cacher son mensonge.
Mon beau-frère a raison quand il dit qu'on doit avoir du respect pour la fonction de chef d'État, je trouve dommage que le Québec semble incapable de voter et se doter de politiciens qui soient dignes de cette fonction et qui ne la respectent pas eux-mêmes.
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Conclusion - Terre plate / Terre ronde.
L'immense somme de connaissances économiques sur les effets néfastes des politiques d'austérité, l'importance réelle et le rôle de la dette et des finances publiques - dont je n'ai fait qu'effleurer les points majeurs ici - devrait écraser totalement toute tentative de défendre les politiques actuelles du gouvernement, point.
Pour moi, c'est un peu comme si le gouvernement Couillard tentait de nous faire croire que la Terre est plate, immobile et au centre de l'univers et qu'il faut donc adopter des politiques de navigation maritime et spatiale en conséquence, alors que toute la science nous prouve qu'elle est ronde et qu'elle tourne plutôt autour du soleil *.
Or, la Terre est ronde, docteur Couillard... et elle tourne, oserais-je vous rappeler.
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(*) Cet élément de réflexion sur les scientifiques m'avait frappé en 2012 - en plein conflit étudiant - alors que je discutais justement avec un chimiste diplômé qui, malheureusement, semblait se refuser à appuyer ses opinions sur des faits et données solides, et se contentait alors de répéter les lieux communs et utiliser les raccourcis intellectuels issus de la propagande du gouvernement Charest. Une triste constatation en général, mais qui était particulièrement décourageante venant d'un scientifique.

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