dimanche 17 décembre 2006

Apocalypto... mais, c'est décevant.

Après vous avoir expliqué en quoi le film Apocalypto était un bon film, voici le moment de vous expliquer pourquoi j'ai été déçu par le film de Mel Gibson. Parce que oui, malgré tous les bons points soulevés dans le billet précédent, j'ai éprouvé une déception en voyant Apocalypto.
Cette déception, elle est due à deux choses.
La première, c'est de la faute de personne, c'est juste que Gibson n'a pas nécessairement fait le film que j'aurais voulu voir. Ces choses-là se produisent, et cet état de fait ne remet ni en question le talent ou les choix du réalisateur, ni les qualités de son film. C'est juste que j'aurais tellement aimé voir un bon film à gros budget sur la civilisation Maya que je ne peux qu'être déçu qu'Apocalypto ne soit pas ce film et ne soit qu'un film de poursuite et d'action - aussi bien fait soit-il, techniquement.
La seconde chose est plus grave, car elle découle entièrement des choix de scénario et de réalisation.
Le film est soit trompeur, soit bourré d'erreur, soit les deux.
Je parle ici de détails ou de points importants en terme historique, ethnologique, scientifique, etc. Bref, du jeu avec la réalité en prétendant nous présenter la réalité.
Le site web du film mentionne clairement que le film se passe à l'époque Maya, et fait tout un plat de la culture maya et du fait que la totalité des dialogues soient en langue Maya (avec sous-titres). Cet aspect du film est un de ses points forts, l'ensemble a l'air réel puisque les mayas parlent mayas.
Deux éléments majeurs du film viennent pourtant contredire totalement que ce soient des mayas dont nous parlons dans ce film. Le premier élément est temporel. Sans vouloir dévoiler un des punchs du film, il est clair que l'action se passe quelque part entre 1519-1520. Si ce n'est pas le cas, alors Gibson a fait une erreur chronologique absolument gigantesque, inexcusable et ridicule. Donc le film se passe aux alentours de 1519. Or la civilisation maya a connu deux périodes; la période dite Classique, qui va grosso-modo de l'an 250 à l'an 900 avec des points culminants autour de l'an 400-500 suivi d'un lent déclin. Puis, après quelques siècles où la civilisation dominante était Toltec (entre 900 et 1100), il s'est opéré une renaissance de la grande civilisation Maya, pour ce que l'on appelle généralement l'époque Post-classique et qui va d'environ 1100 à 1440.
Ainsi, déjà, en situant son film à la fin des années 1510, Gibson se tire dans le pied s'il met en scène la civilisation Maya.
Or, entre la fin de la civilisation Maya et la colonisation espagnole, il y a eu une autre civilisation dominante au Mexique; les Aztèques, mais j'y reviendrai.
Le second élément majeur concerne les scènes que l'on nous montre dans le film, dans la grande cité maya. Je ne révèle rien en disant que le film détaille plusieurs scènes de sacrifices humains dans ce que l'on pourrait même qualifier d'orgie de sacrifices. Or bien que les mayas aient pratiqué le sacrifice humain, il prenait une forme beaucoup plus tranquille, plus respectueuse: Dans la civilisation maya, c'était un honneur d'être sacrifié, et le sacrifice était un acte religieux, qui se déroulait sur des autels conçus spécifiquement pour ces cérémonies.
Sans vouloir entrer dans les détails, il n'en demeure pas moins que la civilisation maya n'a jamais effectué des sacrifices à la chaîne, d'esclaves, du haut des pyramides et temples, avec le sang et les têtes coupées qui déboulent les marches de pierres.
Par contre, et c'est là un point essentiel à tout ce qui précède, les Aztèques sont reconnus pour avoir effectué de tels sacrifices, et de l'avoir fait du haut des temples, avec le sang coulant dans les escaliers et les gens du peuple en bas se répartissant les membres des sacrifiés.
En considération de ces deux points majeurs, on serait porté à croire que Gibson et les scénaristes ont fait l'erreur grossière de confondre civilisation Maya et civilisation Aztèque.

On pourrait par contre s'intéroger sur le choix de la langue du film, puisque les Aztèques parlaient principalement le Nahuati - dialecte toujours parlé dans certaines régions du Mexique aujourd'hui.
D'autres détails aussi énervant parsèment le film; dès les premières minutes, on voit que le village de Patte de Jaguar est situé près de l'océan. La grande cité maya est située au plus à un jour et demi de marche, en suivant le scénario de près. Bref, toute l'action se passe non loin de l'Atlantique, donc au Yucatan d'aujourd'hui. De plus, le punch du film lui, se passe très près de l'île de Cozumel, donc on comprend que l'action se déroule dans la péninsule du Yucatan d'aujourd'hui. Remarquez, cette localisation serait cohérente avec la période post-classique Maya, qui dominaient ce coin de planète jusqu'à un siècle auparavant. Les Aztèques, pour les curieux, avaient une civilisation beaucoup plus centrée dans l'actuelle Vallée de Mexico, soit la région autour de la capitale moderne du pays - et donc très très très loin d'où se déroule le film. Or à quelques reprises pendant le film, on traverse une rivière d'une étonnante largeur, qui comporte même une chute impressionnante, quasi de la hauteur des chutes du Niagara, bien qu'ayant un moins fort débit et une largeur un peu plus modeste. Le problème, c'est qu'il n'y a aucune rivière digne de ce nom au Yucatan, c'est même une des particularité étonnante de cette péninsule.
Bref, en accumulant ce genre d'incohérences géographiques et historiques, Gibson réalise un film qui agace à toutes les quinze minutes et vient donc réduire de beaucoup l'impact dramatique d'Apocalypto.
Je pourrais continuer avec d'autres exemples, le plus patent étant la scène de l'éclipse totale de soleil - je n'ai pas poussé la curiosité jusqu'à vérifier s'il y en avait eu une de visible du Yucatan entre 1518-1520 :) - mais le problème c'est que cette éclipse est suivie la nuit même par une belle scène de pleine lune! Comment la Nouvelle Lune du jour de l'éclipse a-t-elle pu se transformer en Pleine Lune la nuit, alors que dans l'univers où l'on vit, ça prends 14 jours pour passer de l'une à l'autre? Comme ces deux scènes se suivent presque dans le film, il est impossible de ne pas s'apercevoir de l'erreur, grossière, cette fois.
Enfin, tout un paquet de petits clichés et hasards qui soulignent à gros traits le message trop évident que veut passer le cinéaste agacent aussi par moments.
Je reproche donc au scénariste et au réalisateur un manque de cohérence et un manque de sérieux dans le traitement de leur sujet, d'avoir trop jouer avec l'Histoire réelle tout en prétendant faire un film avec une toile de fond Historique. Cette prétention outrepasse la limite de la mauvaise foi, et comme je ne sais pas s'ils l'ont fait par paresse, par ignorance ou par simple mépris en se disant que les spectateurs ne verraient pas la différence, je ne peux qu'éprouver une déception à propos d'Apocalypto.
Voilà.

2 commentaires:

  1. Anonyme10:13 AM

    Enfin bon certes certains de tes points sont pertinents pour les puristes historiques mais Gibson n'a pas non plus réalisé un documentaire... C'est un film "fortement basé sur les faits historiques" mais cela reste tout de même un récit fictif. Et soyons honnête les incohérences ont dues toucher 1 spectateur sur 10 000. Cela n'est pas un cours d'histoire ou d'ethnologie mais un moyen de faire passer de la culture à travers le cinéma et pour le grand public. Les incohérences sont notables seulement si le téléspéctateur possèe une connaissance du sujet assez pointues. Pour un parfait abordage du sujet mieux vaut s'adresser à un documentaire qui lui doit se soumettre à des règles strictes en matière de cohérence et de retransciption. Rendons à César ce qui appartient à César. Critique bien trop facile à mon goût d'un film qui n'a pas la prétention d'être la référence historique de telle ou telle civilisation. (Maya, Aztèque..) Pour ce qui est de tes remarques qui sont je le rappelle pertinentes et intéressantes, je suis pour ta volonté de rétablir le récit historique mais de là à lui jeter la pierre. Non. Ce film n'y est pas tenu.

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  2. Cher anonyme, je t'invite à t'identifier la prochaine fois, question que chacun ait le courage de ses opinions :-)
    Sinon, il faudrait aussi lire ce billet-ci, l'autre volet de cette critique, qui complète mon opinion sur l'oeuvre de Gibson:
    http://espritvagabond.blogspot.com/2006/12/apocalypto-voir-pour.html

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