lundi 25 février 2008

Los hermanos, le changement et les médias de masse.

Je ne ferais pas un retour sur Cuba et sa politique, mais l'actualité m'interpèle puisque suite aux élections de janvier dernier, l'Assemblée Nationale de Cuba vient de choisir ses dirigeants, et a annoncé hier soir, sans grande surprise, que Raul Castro devenait le président du pays.
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On a pu lire plusieurs réactions uniformes - sans grande surprise non plus - dans les médias généralistes d'ici.
Le site de La Presse relaye trois articles de l'agence France-Presse sur l'absence de changement à l'horizon, citant au passage la porte-parole de la maison Blanche sur le sujet:
«La seule chose qui ait changé hier, c'est qu'un nouveau dirigeant est apparu, mais rien n'indique qu'on permettra aux Cubains de rechercher un avenir de liberté et de prospérité»
J'imagine que cette porte-parole ne signifie pas liberté et prospérité comme dans d'autres pays d'Amérique Latine démocratiques et capitalistes que j'ai visité et qui ont été «aidés» par les intervention américaines par le passé, comme le Guatemala ou le Nicaragua... À moins qu'elle ne signifie l'exploitation des richesses naturelles au profit de quelques individus comme ce fut longtemps le cas en Bolivie ou en l'Équateur?
Le Devoir publie un article mixte de l'AFP et de l'Associated Press qui est un peu plus subtil, mais répète essentiellement la même chose.
Le site de Radio-Canada s'inspire du communiqué de l'AFP et de celui de Reuters dans un article relayant une fois de plus l'opinion américaine, ajoutant toutefois l'opinion plus nuancée et ouverte de la France, mais ne va pas jusqu'à se demander si les cubains (vivant à Cuba, s'entends) veulent vraiment d'un système capitaliste.
Tous ces articles semblent sous-entendre que les choses iraient tellement mieux à Cuba avec beaucoup de changement (lire: une ouverture directe au capitalisme à l'américaine) et que l'arrivée de Raul Castro n'est pas nécessairement un signe de ce changement tant souhaité. Mais souhaité par qui?
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Pour répondre à cette question pourtant intéressante, il faut aller du côté de la presse étrangère et jeter un oeil à un article de l'écrivain Brésilien Frei Betto, publié le 19 février dernier. (Une version anglaise est aussi disponible).
Betto a effectué de nombreuses visites à La Havane, il connaît bien la politique et la société cubaine, et il agit à titre de conseiller du gouvernement de Lula da Silva au Brésil sur les questions sociales. (Et il connaît bien la dictature (la vraie) puisqu'il a été emprisonné par la dictature militaire au Brésil à la fin des anneés 60). Enfin, il travaille activement à lutter contre la pauvreté au Brésil et en Amérique Latine via le programme Faim Zéro.
Je cite donc ici deux extraits de son article (puisqu'il est particulièrement évocateur de mon opinion sur Cuba suite à ma visite sur place et mes nombreuses discussions avec des cubains qui y vivent).
Car si plusieurs cubains souhaitent du changement, ils le font comme presque tous les habitants de pays pauvres souhaitent du changement, tout le monde souhaite avoir un pays doté d'une meilleur économie, et où l'on peut profiter d'un bon niveau de vie. Les cubains que j'ai rencontré, par contre, ne semblent pas vouloir ce niveau de vie pour seulement une petite portion de la population au détriment des autres...
La parole à Frei Betto, donc:
«Il se trompe celui qui croit que le retrait de Fidel signifie le commencement de la fin du socialisme à Cuba. Dans les secteurs significatifs de la société cubaine, il n'y a aucun symptôme d'aspiration à un retour du capitalisme. Pa même pas chez les évêques de l'Eglise catholique. À part quelques-uns, qui désire que le futur de Cuba soit l'équivalent du présent du Honduras, du Guatemala ou du Nicaragua?»
[...]

«Nous espérons cependant que Cuba n'enlève pas des entrées à La Havane deux affiches qui nous remplissent de honte, nous les latino-américains qui vivons dans des îles d'opulence entourées de misère: "Chaque année 80 000 enfants meurent victimes de maladies curables, aucun d'eux n'est cubain", et "Cette nuit 200 millions d'enfants dormiront dans les rues du monde. Aucun d'eux n'est cubain.".»

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En terminant, si la situation était telle que les américains tentent de nous faire croire (et que les grandes agences de presse se contente de relayer à grand renfort de citations américaines), les cubains vivant à Cuba devraient souhaiter tout un changement, non? Alors pourquoi ne souhaitent-ils pas autant de changement?

La réponse se trouve peut-être en partie dans le plus récent rapport du Programme des Nations Unies pour le développement dans lequel est publié l'Indice du Développement Humain... Si le Canada se classe fièrement 4e sur les 177 pays étudiés (les USA sont 12e, derrière la France qui est 10e), Cuba fait tout de même partie du groupe de pays à "haut développement humain", en 51e place, devant le Mexique (52e), le Brésil (70e).

Dans le groupe classé "moyen développement humain", on retrouve le Panama (62e), le Bélize (80e), le Pérou (87e), L'Équateur (89e), le Salvador (103e) le Nicaragua (110e), le Honduras (115e), la Bolivie (117e) et le Guatemala (118e), pour ne nommer que quelques-uns des pays de l'Amérique Latine "profitant" de la liberté et la prospérité américaine...

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[Notes:

1. Au classement de l'IDH 2007-2008, le pays latino-américain le mieux classé est l'Argentine (38e), pays au long historique de politiques socialistes... et pays natif de Che Guevara :-).

2. Si je mentionne que j'aurais aimé que les médias de masse d'ici abordent la question autrement que par la "lorgnette américaine", c'est que ce sont eux qui donnent le ton à l'opinion publique qui dépend de l'information qu'on lui donne pour prendre position].

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