vendredi 9 décembre 2011

Pour un Québec conscient (1)

J'ai beaucoup parlé activisme, économie et politique ces derniers mois, et souvent, d'un point de vue international et non pas local.
Or, autour de moi, j'ai souvent l'impression d'être une sorte de bizarroïde, à dénoncer les abus de la droite et du néolibéralisme et que mes inquiétudes semblent très éloignées des préoccupations des gens que je croise. Aussi, le mouvement des indignés, qui a pris moins d'ampleur - ou s'est manifesté d'une manière plus calme que dans d'autres villes comme Madrid ou New York - a été traité par les médias comme un petit soubresaut social, pas menaçant, et presque sympathique, mais somme toute inoffensif. Ces observations m'ont amené à me questionner sur les relations du Québec avec cette situation mondiale.
Le Québec et la crise
D'abord, il importe de mentionner que le Québec a été moins touché jusqu'à maintenant par la crise financière et économique qui a débuté en 2008 (et qui n'est pas terminée). Bien que les raisons soient nombreuses, la première repose sur le bon état relatif des finances publiques au Canada et au Québec (malgré les discours de la droite qui hurlent contre nos déficit). La seconde raison est aussi fort simple; la réglementation des institutions financières au pays est beaucoup moins ouverte qu'elle ne l'est aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, pour nommer deux des pays les plus touchés par la crise financière. Notez que cette variable est valide partout dans le monde; il n'y a qu'à regarder ce s'est passé en Irlande et en Islande, par exemple alors que ces pays étaient cités comme des modèles à suivre par les tenants de la droite auparavant -, et par ceux qui auraient souhaité une réorientation des politiques au Québec et au Canada. La droite d'aujourd'hui remise sous le tapis de l'oubli ces exemples patents de ses échecs, mais elle a toujours agit ainsi, alors ce n'est pas nouveau.
Nous avons donc été socialement moins touchés. Plusieurs québécois n'ont ainsi vécu aucun impact depuis le début de la crise. Difficile alors de s'indigner ou de manifester contre le système.
Ensuite, il importe de mentionner que nous étions mieux outiller pour faire face à une crise. Le Québec a de bonnes politiques sociales et des politiques de redistributions de la richesse qui sont loin d'être idéales, mais qui sont bien meilleures que celles des États-Unis. Il y a certes un fort endettement des ménages, encouragé par la propagande du crédit et de la consommation outrancière promue par la droite, mais on est loin des seuils atteints chez nos voisins du sud et d'une gigantesque bulle qui ne pouvait qu'éclater un jour.
Bref, être un peu plus à gauche du spectre économique a grandement aidé le Québec.
À ce sujet, on peut lire "Les Défis du Québec", un texte de Jean-François Lisée paru dans Pour une gauche efficace et dans lequel il cite l'économiste de droite Norma Kozhaya dans un article de La Presse datant de mai 2006, et il analyse les données économiques du Québec depuis 30 ans. Il conclut:
"Si on résume le tout, on constate que: 1) les riches sont plus nombreux et plus riches au Canada anglais et aux États-Unis qu'au Québec; 2) les 20% les plus pauvres de la population sont mieux nantis au Québec qu'ailleurs sur le continent; 3) la classe moyenne québécoise a grosso modo le même niveau de vie que la classe moyenne anglocanadienne et américaine."
Information et conscience sociale
Les gouvernements actuels ne semblent pas vouloir que le québécois moyen soit conscientisé par la crise. Évidemment, ils n'ont rien à gagner à montrer du doigt un système économique qui leur permet de rester au pouvoir et dont ils ont fait la promotion depuis leur arrivée au pouvoir (tant à Québec qu'à Ottawa). Et malgré quelques éléments divergents ici et là, les médias dans leur ensemble ne semblent pas non plus réaliser que la situation mondiale vous nous rattraper, à voir comment ils se contentent plus souvent qu'autrement de relayer les communiqués ou réactions des politiciens ou des économistes et conseillers financiers qui n'ont d'yeux que pour le marché boursier, plutôt que de critiquer ces positions qui ont pourtant démontrées à l'échelle planétaire leur échec cuisant.
Parce que malgré les belles paroles de Jean Charest et l'indifférence de Stephen Harper, la crise mondiale nous rattrapera bientôt. La crise nous rattrapera pour la simple raison que le délai est dû essentiellement au fait que nous sommes des fournisseurs de matières premières. Quand les américains et européens cessent de consommer, les producteurs et fabricants de biens de consommation en Chine et en Inde ralentissent leur production, et donc, éventuellement, ont besoin de moins de ressources primaires. Certains vous diront même que la crise nous a déjà rattrapé et que ça ne fait que commencer. Malheureusement, la fiscalité canadienne est maintenant dans un état lamentable et atrophié, donc le fédéral aura bien de la difficulté à trouver une marge de manoeuvre pour affronter les problèmes quand ils surviendront (ils "devront" alors couper dans les programmes et services, ce qui aura plutôt des conséquences navrantes).
Au Québec, si on cessait de vouloir atrophier la fonction publique, de brader nos ressources naturelles à un prix dérisoire et de vouloir produire des nouveaux kilowatts d'électricité que nous vendront à perte, peut-être serions nous mieux placé encore.
Le Québec est-il conscient?
Malgré le manque d'information directe, on peut espérer que les québécois soient tout de même conscients de ce qui se passe. Il est toutefois difficile de comprendre où nous nous situons en tant que société quand les médias nous balancent tout et son contraire. Par contre, on pouvait lire dans Le Devoir des 26-27 novembre dernier, que 81% des québécois sont inquiets de la situation économique.
"Pas moins de 81 % des Québécois se disent «très préoccupés» ou «assez préoccupés» par l'état de l'économie de la province. Ils sont aussi préoccupés par l'état de l'économie canadienne dans une proportion de 76 %."
Paradoxalement, le québécois moyen a beau être inquiet, il se jettera quand même dans la consommation pour le temps des fêtes comme si tout était encore rose. Isabelle Masse de La Presse mentionne une étude du Conseil québécois du commerce de détail selon laquelle "59% des Québécois estiment «que la situation économique actuelle influencera peu ou pas du tout leurs intentions d'achats». C'est 7% de moins qu'en 2010. De quoi réjouir le père Noël!"
Il y a surtout de quoi réjouir les actionnaires du Père Noël, d'après moi.
Alors, protégé jusqu'à maintenant, mais de plus en plus conscient qu'une période difficile est à nos portes, le québécois est-il intéressé pour autant à cette crise? Et plus important, le Québec actuel est-il porteur de solutions à cette crise?
Ces questions seront abordées dans un second billet.
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1 commentaire:

  1. Si tout le monde était d'accord sur l'analyse des événements, s'entendre sur les actions serait facile...

    Je vois les choses un peu différemment. D'une part, la situation du Canada (qui n'est pas nécessairement en plus brillante posture que tous les autres pays de l'OCDE que Harper voudrait nous le faire croire) n'est pas acquise. Le Canada a échappé au gros de la crise parce que (1) ses ressources naturelles ont continué à trouver preneur (en Chine, par exemple) et parce que (2) le marché immobilier continue à planer (ses deux atouts contribuant à la bonne santé des banques). D'autre part, la situation du Québec reste menacée par une dette financière et démographique — moins que ne le disent certains, mais nettement plus qu'on l'entend parfois.

    Or, le Canada n'est pas à l'abri si une nouvelle récession (partie de l'Europe ?) touchait cette fois la Chine. Et le Québec n'est pas à l'abri d'un krach immobilier : celui-ci pourrait être nettement plus prononcé ailleurs au Canada, mais il pourrait être plus prolongé au Québec. Le reste du Canada bénéficie d'une démographie plus dynamique susceptible de relancer la demande à plus ou moins long terme. En cas de krach immobilier, les banques souffriraient nettement plus.

    Cela dit, j'incline effectivement à croire que, sur la Terre plate de Thomas Friedman, l'ultime avantage compétitif des sociétés sera l'harmonie sociale. La capacité de vivre-ensemble. Car les ressources naturelles peuvent s'acheter, le capital technologique peut déménager et la main-d'oeuvre se trouver, tandis qu'il ne sert plus à grand-chose d'être une société du savoir quand toutes le sont. Ce qui va peut-être compter dans un monde où il n'y a plus de sources de richesse d'accès faciile, c'est la capacité des sociétés de se prendre en main et de s'organiser. Les Allemands parlent de Gemeinschaft pour évoquer ce sentiment de solidarité collective qui unit un groupe et l'Allemagne a réussi à survivre à la récession en faisant appel à ce sens de la communauté.

    Dans la mesure où il existe un tel sens de la solidarité collective au Québec et dans le reste du Canada, je suis moyennement optimiste pour la suite des choses, même s'il est clair qu'il reste du travail à faire pour incorporer toute la société dans la communauté majoritaire, tant au Québec qu'ailleurs au Canada.

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