mercredi 7 juillet 2004

L’échelle Trépanier du dépaysement – Une ébauche.
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Je dois l’idée de ce texte à mon ami Mathieu Trépanier et à son frère Olivier. Ils sont tous deux globetrotters et ont développé un concept encore un peu flou pour mesurer le dépaysement auquel fait face le voyageur qui aime sortir des sentiers battus. Je dis mesurer, mais en réalité, ils recherchent encore des critères précis pour pouvoir juger et/ou coter les endroits visités en terme de dépaysement. Mathieu m’a parlé de cette idée à plusieurs reprises, mais jamais en des termes très précis. Á l’origine, Mathieu et Olivier appelaient l’idée L’échelle du Roots. Je préfère quand a moi lui donner le nom de ses inventeurs. C’est donc sur cette idée, sur mes discussions avec Mathieu et mon expérience personnelle que ce texte est basé. Il leur doit donc tout, et c’est pourquoi je l’ai intitulé ainsi.
Comme j’ai parfois l’esprit organisé, je fixerais l’échelle Trépanier comme une sorte de thermomètre qui va de zéro à dix. Comme nous graduons le dépaysement, zéro représente la vie normale, dans son pays, à la maison, confortable dans ses habitudes. Dix, à l’opposé, représente le dépaysement le plus total imaginable.
Ce concept n’est pas absolu, remarquez, mais relatif. Un exemple simple : parachutons deux québécois à Vancouver. Le premier vis à Montréal et parle déjà anglais, le second vient de Amqui, en Gaspésie et ne parle pas anglais. Vancouver, pour ces deux individus, ne se situe pas du tout au même niveau sur l’échelle Trépanier. En réalité, le simple passage de Amqui à Montréal aurait déjà un effet sur notre gaspésien hypothétique et vice versa pour notre Montréalais. Il s’agit d’un exemple où le dépaysement est léger, évidemment.
Maintenant que le concept est établi, et ses limites définies, voyons un peu si nous pouvons développer certains critères.
Le premier qui me vient à l’esprit est la langue. C’est un critère majeur, je pense bien, car c’est après tout, le moyen par lequel nous communiquons le plus avec notre environnement. À la limite, même les accents locaux peuvent être source de dépaysement.
En vrac, j’ai identifié plusieurs critères, mais pour les fins de cette ébauche de théorie, je ne pousse pas encore la réflexion assez loin pour me lancer dans un classement a ce stade. Ainsi, on peut penser aux coutumes, à l’histoire et au folklore, au climat, au paysage, la faune, la flore, à la cuisine, à la technologie disponible, aux vêtements, au régime politique, à la culture (littéraire, cinématographique, musicale…), à l’économie et aux produits de consommation disponibles.
J’oublie certainement plusieurs critères et j’invite ainsi tous les intéressés à contribuer á l’évolution de ce texte à combler les trous.
Je n’ai donc pas encore réussi à élaborer une théorie solide pour cette échelle Trépanier du dépaysement, et ma tâche en est compliquée par deux facteurs; l’individualité et l’adaptabilité.
Je procèderai donc par l’exemple, encore une fois.
Imaginez partir dans un pays étranger. Le fait d’ignorer la culture et les coutumes locales, le folklore, etc., causera un minimum de dépaysement. Le niveau dépend de où vous êtes et qui vous êtes. Un montréalais à Paris, par exemple, n’ira pas bien plus loin que 1 ou 2 sur l’échelle, compte-tenu des critères ci-haut mentionnés.
Autre exemple, plus personnel celui-là : Quito Equateur. Langue et culture différentes, histoire et folklore inconnus, paysage différent, faune et flore nouvelle… Bref, je monte pas mal dans mon échelle Trépanier (4?). Par contre, Quito est une grande ville, avec produits de consommations courants (même si différents de chez moi), un code vestimentaire vaguement similaire au mien et les quelques autres différences (comme le fonctionnement du transport en commun) sont éliminées par le temps, grâce à l’adaptabilité. Mon adaptabilité me fait redescendre d’un cran, autrement dit.
Par contre, quand je vais à Lloa et que je fais du cheval avec des élèves, sans selle, en plein champ, je remonte d’un cran! Puis, je me rends dans un café Internet, à 10 minutes à pied du McDo de la zone touristique, et c’est Céline Dion qui chante dans les hauts parleurs du café. Je frôle alors le zéro absolu!
Je dis « frôle » car selon ma théorie (embryonnaire), il n’est pas réellement possible de se trouver complètement à zéro en pays étranger, à moins bien sûr d’être dans un environnement contrôlé et calqué sur notre vie à la maison… mais même là, le climat, ou les étoiles, ou un autre détail nous fera grimper de quelques dixièmes de points.
Je parle ici de court terme. Le long terme fini par faire gagner l’adaptabilité sur le dépaysement et sans nous ramener totalement à un zéro absolu nous permet peut-être d’intégrer les nouvelles données à notre définition de départ et de définir ainsi une nouvelle échelle de référence.
Même si toute expérience sur l’échelle Trépanier du dépaysement est relative, il faut bien établir quelques critères. J’ai bien l’intention de peaufiner l’idée de Mathieu et Olivier un peu plus en lui apportant quelque chose de plus structuré et concret.
Mais entre temps, ce sont les frères Trépanier qui me fournissent le critère ultime qui semble une nécessité pour atteindre le dix sur leur échelle. Avant de le dévoiler, imaginons une ville d’un pays au système politique différent, au climat, paysage, langue et culture autres, et disons, une ville sans McDo… C’est déjà un peu plus haut, non? Vous voyez le genre de critères concrets? Eh bien pour atteindre 10, il faudrait se trouver aussi dans un endroit où il n’y a pas de Coca-Cola. C’est le critère 10 fixé par les frères Trépanier, et j’endosse ce critère (qui fait partie des produits de consommation, un critère important de dépaysement).
Afin de contribuer à cette idée, je placerai pour ma part, à 9, un critère tout aussi arbitraire, et c’est la connaissance et/ou présence de Winnie the Pooh.
Je termine avec deux expériences concrètes et leur classement sur l’échelle selon nous. A Lloa (qui est un exemple pratique pour moi), nous avons un village de 200 habitants, avec une école de rang. On n’y voit pas de touristes, il y a une église et trois magasins-épiceries. On y mange du riz à tous les repas, avec des bananes frites et parfois du maïs séché puis rôti. Personne, personne n’y connaît ni les Beatles ni Leonardo de Vinci.. On y parle espagnol ou Quechua et un habitant sur 20 possède une voiture. On s’y déplace a cheval. Il n’y a ni eau courante ni toilettes dans les maisons, à part quelques rares exceptions dans le village. On se réveille au chant du coq, on trait les vaches pour avoir notre lait frais et on habite au pied d’un volcan actif. Ici, on n’a jamais entendu les noms de Michelangello ou de Shakespeare. Pourtant, à Lloa, les enfants connaissent Winnie the Pooh et les trois magasins vendent du Coca Cola. Je situe donc Lloa a environ 7 sur l’échelle, puisqu’on y trouve tout de même des bus qui mènent vers Quito et d’autres repères existent aussi.
Je laisse maintenant l’exemple ultime aux frères Trépanier. C’est l’anecdote qui a inspiré Mathieu et Olivier lors des premières discussions Roots.
L’anecdote est vécue par un ami de voyage français de Mathieu. Il était passager dans une pirogue pour se rendre du point A (Guatemala) au point B (Mexique). Le conducteur est un livreur de haricots rouges et de haricots noirs armé d'un fusil pour protéger sa cargaison. Durée du trajet: quelques jours. Dodo : dans la pirogue avec les haricots comme lit. Villages traversés : quelques-uns et aucune route ou avion potentiel. Le seul moyen de livraison est cette pirogue. Bien entendu, le conducteur-livreur n'a aucun lien avec une quelconque agence de voyage ou club aventure. Notre voyageur n'a pas débarqué dans ces villages mais il pense que seul les éléments essentiel a la vie y parviennent.
Ni lui ni Mathieu n’a pu vérifier mais tous doutent de la présence de coca-cola dans ces villages. Ainsi, nous considérons donc cette expédition a 10 sur l’échelle Trépanier du dépaysement.

Voilà.
Contributions bienvenues.

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