dimanche 11 novembre 2007

Survivre au cinéma québécois... en anglais?

Jeudi soir dernier, je suis allé voir un film au cinéma. Un film québécois, que j'ai vu en version originale... anglaise. Ce film, c'est le nouveau film d'Émile Gaudreault, Surviving my mother. Ne vous étonnez pas si vous cliquez sur ce lien; le site officiel est en français, la bande-annonce qu'on y trouve l'est également (post-synchronisée).
Si vous me connaissez, vous savez probablement que pour moi, la langue d'un film importe peu, en autant que si je ne la comprends pas, il y ait des sous-titres dans une langue que je comprenne. Alors de prime abord, je n'ai rien contre le fait de tourner des films en anglais, même au Québec.
Pourtant, certains (comme dans cet article paru dans Le Soleil) semblent lancer la pierre au réalisateur Émile Gaudreault et son scénariste Steve Galluccio pour un tel choix. J'ai entendu les animatrices et invitées de La Fosse aux lionnes, à la télé, faire le même reproche au film.
Surviving my mother nous met en fait devant un étrange choix: celui de voir un film en version originale anglaise où le trois quart des comédiens, bien connus du public francophone, sont des québécois francophones eux-mêmes, ou bien voir le film en version doublée en français... dans lequel les comédiens se doublent eux-mêmes. La version française (Comment survivre à sa mère) offre donc de voir des comédiens connus qui parlent avec leur propre voix, mais en ayant un mouvement de lèvres qui ne correspond pas.
Ce qui n'aide pas le film non plus, c'est cette épouvantable bande-annonce que j'avais vu il y a quelques semaines à peine dans un cinéma, dans laquelle le doublage semblait être fait avec incompétence, rien de moins.
(J'ai appris depuis que le réalisateur a supervisé tout le doublage du film, qui semble adéquat, d'après ce qu'on en dit depuis sa sortie, mais qu'il n'était évidemment pas responsable de la bande-annonce - un autre cas de distributeur qui tire dans le pied de son film).
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Pour m'intéresser de près et de loin à ce genre de question sur le cinéma, mon premier réflexe, en écoutant les lionnes l'autre jour, a été de me demander: quelle était la structure de financement du film? Un rapide coup d'oeil au générique laisse voir quelques acteurs canadiens anglais dans des premiers rôles, ce qui laisse penser qu'une partie du financement prévoyait peut-être que le film serait tourner en anglais. Sachant que le financement de films au Québec et au Canada dépend presque toujours de la Sodec et de Téléfilm Canada, je me disais que le projet avait peut-être été soumis en anglais pour des raisons de financement, puisque les enveloppes fançaise et anglaise de Téléfilms sont séparées et indépendantes.
J'étais étonné de lire des reportages ou d'entendre des discussions sur le film de Gaudreault tourné en anglais alors que les intervenants ne semblaient pas réaliser qu'ici, les créateurs ont parfois le choix entre tourner en anglais ou ne pas tourner du tout (ou bien tourner en anglais cette année ou tourner en français éventuellement dans 5 ans). Les lionnes mentionnaient Denys Arcand, qui a tourné deux films en anglais (Love and human remains et Stardom) et que d'après elles, ce n'étaient justement pas ses meilleurs films. Elles oubliaient de mentionner qu'Arcand avait choisi cette avenue puisqu'il était alors incapable de financer ses films en français au Québec!
J'ai donc vu le film de Gaudreault comme il a été tourné, en anglais. Et si l'étrangeté de voir quelques comédiens québécois jouer en anglais est bien présente au début du film, le sentiment s'estompe rapidement devant la qualité du film lui-même; comme dans tout bon film, on oublie les acteurs et on ne voit plus que les personnages, peu importe dans quelle langue ils s'expriment.
Le pseudo débat sur la langue de Surviving my mother ne nuira pas, je l'espère, à l'exploitation du film en salles, car même si ce n'est pas le film du siècle, ça demeure un film intéressant, alternant habilement comédie et drame. Le scénario, qui donne parfois l'impression de s'éparpiller un brin avant de vous ramener vers sa trame principale, ne tombe jamais dans la facilité. Quelques éléments étranges étaient pourtant risqués (le prêtre, the yellow woman) mais la réalisation aide le tout avec quelques trouvailles habiles. Je pense à cette manière de rendre les dialogues-courriels, par exemple.
Bref, n'hésitez pas à voir le film, il est intéressant et plutôt original.
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Quand au débat sur la langue au cinéma québécois, jamais je ne reprocherai à un créateur de s'être tourné vers l'anglais pour tourner un film, même québécois, si c'était là la manière d'obtenir son financement. Ce n'est pas parce que le Québec manque de projets de films, ni de gens qui ont des idées originales (voir cette discussion sur le Forum du site officiel de Patrick Senécal, un ami et écrivain qui a plusieurs scénarios en projet et en attente de financement pour vous donner une idée).
On devrait plutôt se demander comment il se fait que nos créateurs ont tant de difficulté à obtenir leur financement (un problème qui ne date pas d'hier et dont on a parlé dans les médias l'an dernier), mais on ne saurait leur reprocher de se tourner vers d'autres options pour pratiquer leur art, puisque c'est parfois leur unique solution pour survivre... au cinéma québécois.

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