samedi 26 février 2011

Oscars 2011: Mes prédictions

Après la publication de mes choix pour les Oscars 2011, voici le moment de me commettre avec des prédictions. On pourrait croire que cette année, il y a peu de catégories qui risquent de causer la surprise. Mais en fait, c'est l'inverse, puisque c'est justement quand on croit que les dés sont jetés que les résultats, s'ils diffèrent, causent le plus de surprises.
Oscars 2011: Les prédictions de l'Esprit Vagabond.
Le jeu des prédictions est toujours risqué, car en réalité, les résultats des Oscars dépendent de beaucoup d'éléments, qui ne sont pas toujours limité à un vote dans une catégorie. Le passé, la tradition, la composition de l'académie, tout ceci vient influencer le résultat. Même si on prétend souvent que les Golden Globes sont une bonne assise pour les prédictions, je n'y crois pas beaucoup, personnellement, puisque les Globes sont remis par un petit groupe de journalistes étrangers (aucun n'étant un membre votant de l'académie aux Oscars) et comporte des catégories souvent différentes. Les meilleurs indicateurs pour certaines catégories d'Oscars demeurent les syndicats de professionnels, car souvent, ils sont constitués de membres qui sont également membres de l'académie. Il y a aussi l'effet du passé (comment un acteur qui est "dû" après plusieurs bonnes performances voit ses chances augmenter, alors que le gagnant de l'année précédente voit les siennes diminuer, par exemple). Et dans le cas de la catégorie du meilleur film, le système de votation changé récemment (voir au bas de ce billet pour explications) intervient directement dans le résultat final. Bref, c'est un jeu, mais un jeu amusant, pour qui a l'occasion de jouer.
Allons-y donc avec mes prédictions dans les catégories d'acteurs.
Meilleur acteur: Colin Firth. L'acteur britannique a remporté tous les honneurs dans les autres galas, incluant celui de la Screen Actor's Guild qui regroupe beaucoup de membres votant aux Oscars. Si ce n'était pas un indicateur suffisant, on pourra remarquer que Jeff Bridges, excellent dans True Grit, a été récompensé pour un rôle un peu similaire l'an dernier avec Crazy Heart... alors que Colin Firth repartait bredouille malgré une superbe performance dans A Single Man, un des films les plus touchants de l'année dernière. Eisenberg et Franco sont encore jeunes, le film de Bardem n'a pas été assez largement distribué, et The King's Speech a le double avantage d'être le genre film qu'apprécie l'académie, et d'avoir le vent dans les voiles. Tout joue donc en faveur de Colin Firth.
Meilleure actrice: Nathalie Portman. Seule Annette Bening aurait semble-t-il des chances de causer la surprise. Mais comme on parle d'une performance dans une comédie, cette chance est très mince. Je n'ai pas vu les autres performances, à part Jennifer Lawrence, qui est encore jeune, mais on dirait que les autres nominations sont déjà des récompenses pour les actrices nommées et qu'elles n'ont pas de réelles chances pour cet Oscar face à la performance de Portman.
Meilleure actrice de soutien: Halee Steinfeld. Tout ce que vous lirez sur les Oscars cette année vous indiquera de miser sur Melissa Leo. Allez-y. Pour ma part, je pense que Halee Steinfeld causera une double surprise. Je donne probablement trop de poids à mon choix personnel dans cette évaluation, mais historiquement, ce n'est jamais une bonne idée pour un film d'avoir deux performances en nomination dans la même catégorie aux Oscars. Je pense donc que Melissa Leo a des chances moindre, par un phénomène de division de vote avec Amy Adams, pour ceux qui ont beaucoup aimé les performances d'acteurs dans The Fighter. Or ceux-ci sont déjà moins nombreux que les votants qui ont donné à True Grit ses 10 nominations. Remarquez, la véritable surprise devrait venir de The King's Speech, s'il a réellement le vent dans les voiles, il se pourrait que ce vent permette à Helena Bonham Carter de l'emporter, surtout qu'elle n'a jamais obtenu l'Oscar, mais j'en doute. Seule ombre au tableau pour Steinfeld: son âge. L'académie récompense rarement de jeunes acteurs, mais sa présence dans cette catégorie plutôt que dans celle de meilleure actrice aide grandement les partisans de sa performance. Je demeure donc confiant de ma prédiction à contre courant.
Meilleur acteur de soutien: Christian Bale. Voici où se situera la reconnaissance pour The Fighter. Le seul autre acteur ayant la moindre chance de causer une surprise dans cette catégorie, c'est Geoffrey Rush, s'il profite d'une vague favorisant The King's Speech. J'imagine que quelques semaines de plus lui aurait peut-être même suffit pour déclasser Bale, mais je pense qu'il n'en est pas là et les catégories d'acteurs sont généralement celles qui résistent le mieux aux grandes vagues aux Oscars. (Cette observation vaut également pour Helena Bonham Carter dans la catégorie précédente).
Scénaristes et réalisateurs
Côté scénario, les choses semblent plus faciles à prévoir car les deux films qui s'affrontent principalement à titre de meilleur film ne s'affrontent pas ici; la compétition est ainsi divisée et les surprises potentielles moins probables.
Meilleur scénario adapté: The Social Network. L'affaire est dans le sac pour Aaron Sorkin, puisque la compétition réelle de cette catégorie provient de 127 Hours et de True Grit. S'il est vrai que l'académie apprécie beaucoup le travail des frères Coen, il est aussi vrai qu'ils ont déjà remporté l'Oscar du scénario, par deux fois,et pas plus tard qu'en 2008. Reste donc 127 Hours, mais Boyle et Beaufrois ont également été récompensé d'un Oscar pour leur dernière collaboration en 2009. Toy Story 3 et Winter's Bone avaient d'excellents scénarios, mais ni très oscarisables, ni assez révolutionnaires pour l'emporter malgré cet aspect. The Social Network l'est.
Meilleur scénario original: The King's Speech. D'abord, le film est sur une lancée et il s'agit d'un type de film particulièrement apprécié de l'académie par le passé. Ensuite, malgré l'originalité d'Inception, les films de science-fiction n'ont jamais la cote aux Oscars pour les catégories autres que techniques. La seule possibilité pour Inception serait de profiter d'un effet de mauvaise conscience d'avoir exclus Christopher Nolan de la catégorie meilleur réalisateur, mais Nolan, ignoré autant comme scénariste que comme réalisateur pour The Dark Knight en 2009, n'est définitivement pas dans la mire de l'académie. Enfin, le scénario n'est pas le point le plus fort de The Fighter, et The Kids are All Right est une comédie, un genre beaucoup moins souvent récompensé, surtout à l'Oscar du scénario.
Meilleur réalisateur: Tom Hooper. J'avoue qu'ici, j'ai changé souvent d'avis avant de fixer ma prédiction sur Hooper. Malgré le vent favorable qui profitait à David Fincher, il est victime de plusieurs éléments. D'abord, la vague qui semble porter The King's Speech avantage définitivement son réalisateur. De plus, dans les 10 dernières années, il n'est arrivé que 3 fois où cet Oscar n'a pas été remis au réalisateur du film oscarisé à titre de meilleur film (cette prédiction est donc reliée à cette dernière catégorie, voir ci-bas). Aussi, il semble que The Social Network est un peu sur un backlash, étant sorti très tôt en saison, et ayant eu une lancée pré-Oscar un peu prématurée. Enfin, Hooper a remporté le Director's Guild Award pour The King's Speech. Or dans les 60 dernières années, il n'existe que six cas de réalisateurs ayant remporté l'Oscar sans ce prix, et un seul dans les 10 dernières années. Évidemment, 2011 pourrait être une de ces exceptions.
Meilleurs films
Dans les quatre catégories récompensant les films eux-mêmes, mes prédictions collent à mes choix, à part la récompense ultime. Mais deux de ces catégories sont volatiles te risquées au niveau des prédictions (il s'agit également de deux catégories amalgames: Documentaire et Film en langue étrangère).
Meilleur documentaire: Inside Job. Cette catégorie, par la diversité des thèmes abordés au fil des ans par les films en nomination, est particulièrement difficile à prédire, surtout que c'est ma première tentative en ce sens. Même si Restrepo a des chances, puisque la guerre est toujours éducative pour les américains qui semblent toujours gardés dans l'ignorance de ses effets, je pense qu'elles sont tout de même relativement minces. Gasland semblait avoir du potentiel, mais il est relativement rare de voir l'académie récompenser un documentaire écologique (l'exception confirmant cette règle est ce film éducatif animé par Al Gore, personnage déjà connu et très apprécié à Hollywood). Inside Job me semble l'incontournable pour cette catégorie, mais il se peut que les membres de l'académie, des amateurs d'art, quand même, soit un peu hésitant devant un film aussi informatif, cartésien dans son approche, et ayant pour thème la finance internationale. Reste que le film est narré par Matt Damon, et dénonce des politiques de droite, ce qui ne déplaira pas à l'académie, dont la majorité semble pencher à gauche. Si j'ai longuement hésité dans cette catégorie, c'est que je pense qu'étrangement, le film qui a le plus de chance de battre Inside Job à l'oscar, c'est Exit Through the Gift Shop, pour son ton décalé, sa réalisation originale, et son sujet: l'art. Ces éléments, ajoutés la la rumeur selon laquelle Banksy devrait alors monter sur scène pour recevoir son prix (et donc s'identifier?) pourraient jouer en faveur de ce film.
Meilleur film d'animation: Toy Story 3. Aucun doute possible. Depuis que cette catégorie existe, il n'y a qu'à deux reprises que Pixar ait vu un de ses films en nomination ne pas remporter la statuette. En 2007, Happy Feet l'avait remporté sur Cars, un Pixar mineur (si vous me permettez ce qualificatif). Et il faut remonter à 2002 pour trouver l'autre, alors que Monsters Inc s'était incliné devant le premier Shrek. Si ça ne suffisait pas pour prédire le résultat de cette catégorie, les nominations à titre de meilleur film et de meilleur scénario qu'obtient Toy Story 3 seraient déjà une indication qu'il est imbattable dans cette catégorie-ci.
Meilleur film étranger: Incendies. Difficile d'établir une prédiction éclairée quand on n'a vu qu'un seul des films en lice. Soyons donc (un peu) chauvin, puisque Incendies a tout de même des chances. Car c'est une course à trois, on dirait. Si In a Better World est promu par le même distributeur et flotte sur son succès aux Golden Globes, pouvez-vous me dire combien de gagnants de cette catégorie aux Globes ont remportés l'Oscar équivalent dans les 10 dernières années? Un seul (en 2005). Reste donc Biutiful, qui est réalisé par un cinéaste déjà apprécié par l'académie (et jamais récompensé, en plus). Biutiful a aussi mérité une nomination à Javier Bardem ce qui lui donne un avantage sur Incendies. Il reste que Biutiful éparpille donc un peu ses efforts promotionnels entre cette catégorie et celle de l'acteur Bardem. Je demeure donc sur mes positions avec Incendies.
Meilleur film: The King's Speech. Le film était déjà parmi les favoris, il semble maintenant au sommet de sa lancée et a remporté plusieurs autres prix. C'est aussi le film qui a le plus de nominations, avec 12, signe de son appréciation généralisée, dont 6 sont obtenues dans des catégories majeures (incluant trois pour les acteurs, un bloc de votant important à l'académie). Son plus proche rival, The Social Network, en a peut-être 8, mais seulement 4 dans des catégories majeures (et 1 pour les acteurs). Aussi, tel que mentionné ci-haut, l'Oscar du meilleur réalisateur ne vient que très très rarement sans que le film ne gagne, et Hooper devrait l'emporter après son Director's Guild Award. On peut aussi ajouter que le système de votation l'avantage légèrement. Ce nouveau système permet plus facilement de gagner si vous êtes le film le plus largement aimé (*). Enfin, The King's Speech, en plus d'être exactement le genre de film que l'académie aime récompenser, profite aussi d'un certain essoufflement de The Social Network, sorti très tôt en saison, ce qui n'est jamais favorable pour les Oscars.
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Commentaires, contradictions? Et nous verrons le résultat demain soir!
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(*) Et ce même si un autre film vous devance au premier tour, à moins de ramasser une majorité absolue, ce que The Social Network ne fera pas. Par exemple, si j'étais votant, mes choix indiqueraient Inception comme premier choix, mais celui-ci ne gagnant pas, ultimement, c'est mon second choix qui obtiendrait mon vote, et ce vote irait à The King's Speech. Il est clair par plusieurs indicateurs que même les gens ne supportant pas The King's Speech ou The Social Network comme premier choix placeront le drame anglais plus haut sur leur liste.

vendredi 25 février 2011

Oscars 2011: Mes choix

Voici venu le temps de vous faire part de mes choix pour les Oscars 2011! Le gala approche d'ailleurs à grands pas, puisqu'il aura lieu ce dimanche! je n'ai évidemment pas eu le temps de voir tous les films en nominations, mais j'ai quand même couvert 93 nominations sur 105 dans les 20 catégories principales. J'exclus d'emblée les catégories de courts - je n'ai vu qu'un court en nomination et celle du maquillage, où je n'ai vu aucun film. Quelques omissions étaient inévitables vu l'accès limité à certains films, ou leur sortie très récente (Rabbit Hole, Another Year, Biutiful, par exemple). Je me promets bien de voir ces films plus tard. Pour les autres, il s'agit de choix personnels; mon intérêt pour Salt, par exemple, est trop bas pour qu'une nomination dans la catégorie du montage-son ne me convainque de dépenser 5$ pour louer le DVD. Comme j'ai tout de même vu près de 90% des nominations dans les 20 autres catégories, mon gala en sera d'autant plus intéressant.
L'an dernier, je mentionnais l'occasion de publier mes choix et prédictions, que l'année 2009 n'avait pas été un très grand cru pour les Oscars. Cette année, difficile de se plaindre, tellement les films de qualités abondent.
Notez que je ferai part de mes prédictions - ce qui est différent - dans un billet à part.
Oscars 2011: Les choix de l'Esprit Vagabond.
Je débute donc sans plus de préambule, avec les catégories d'acteurs.
Meilleur acteur: Colin Firth. Oui, Jeff Bridges est excellent dans True Grit, oui, Jesse Eisenberg est excellent dans The Social Network et James Franco porte 127 Hours sur ses épaules. Mais Colin Firth est merveilleux dans The King's Speech. Le film ne serait définitivement pas aussi bon sans sa performance remarquable et profondément humaine.
Meilleure actrice: Nathalie Portman. Ici, mon problème c'est que je n'ai pas vu Blue Valentine ni Rabbit Hole, mon choix se limite donc à trois actrices, et j'avoue avoir longuement hésité entre Portman et Jennifer Lawrence, qui était vraiment convaincante dans Winter's Bone. Mais l'interprétation de Portman dans Black Swan est marquante à plusieurs points de vue et sa contribution à l'ambiance trouble et angoissante du film est particulièrement importante. Black Swan est un film qui vous cloue sur votre siège tout le long de la projection et le talent de Portman y est pour beaucoup.
Meilleur acteur de soutien: Christian Bale. John Hawkes était brillant dans Winter's Bone, et j'ai beaucoup aimé le toujours excellent Geoffrey Rush dans The King's Speech. Quand à Christian Bale, il est toujours très bon, mais là, il se surpasse et mène à lui seul The Fighter, un bon film, à un niveau supérieur. Je suis de ceux qui croient que les autres acteurs et le réalisateur ont été emportés par cette performance. Je crois que ce film est surestimé, avec autant de prix et nominations, mais l'interprétation de Christian Bale demeure le fait marquant de ce film.
Meilleure actrice de soutien: Halee Steinfeld. Incontournable, et en ce qui me concerne, la révélation de l'année du côté des acteurs/actrices. En fait, je lui aurait donné une nomination à l'Oscar de la meilleure actrice, et le choix entre elle et Nathalie Portmant aurait alors été difficile. L'académie m'aura facilité le choix en la plaçant dans une catégorie à part. Tel que mentionné ci-haut, je pense que The Fighter est surestimé. C'est certainement le cas de Amy Adams, qui était très bonne, mais loin de ce que Steinfeld offre comme performance dans True Grit.
Scénaristes et réalisateurs
Cette année 2010 a aussi été considérablement riche en bons scénarios, ce qui est toujours un plaisir pour le cinéphile que je suis car - j'ai déjà mentionné ceci je crois - sans une bonne histoire, je suis incapable d'apprécier un film pour ses seules autres qualités. Pour le raconteur et le lecteur d'histoires que je suis, le scénario est la base et un élément essentiel pour faire un bon film.
Meilleur scénario adapté: The Social Network. Il faut avouer que de raconter cinématographiquement une histoire de geek/nerd d'informatique, incluant des explications techniques, des gens qui tapent au clavier, qui programment et qui passent leur temps sur Internet ou leur ordinateur, et réussir avec autant de brio, il fallait être particulièrement inventif. Si j'ai beaucoup aimé 127 Hours, son scénario demeure assez conventionnel et l'histoire (quasi un monologue) offre peu d'occasion de glisser des dialogues percutants. Je suis habituellement un très grand fan des frères Coen, et je fais parti de ceux qui ont beaucoup aimé True Grit, mais les frères ont déjà fait mieux, alors pour un Oscar, mon hésitation a surtout été du côté de Winter's Bone, qui comporte un scénario fascinant et une histoire prenante. J'avais aussi un faible pour Toy Story 3, ce qui montre aussi toute la richesse de cette catégorie. Finalement, mon choix se porte sur The Social Network, en particulier à cause de l'habile manière de raconter cette histoire et des répliques savoureuses du personnage semi-antipathique de Zuckerberg.
Meilleur scénario original: Inception. Le nom de la catégorie dit tout: original. C'est un jeu de mot de ma part, mais comme il s'agit du scénario le plus original de l'année, le plus inventif, le plus intelligemment construit dans ses moindres détails, comment choisir un autre film pour cet Oscar-ci? Le seul autre choix de mon point de vue aurait été The King's Speech, puisque le scénario de The Fighter m'est apparu très conventionnel et que malgré toutes ses qualités - dont celle de mettre en scène des personnages attachants et originaux - The Kids are All right est moins impressionnant comme expérience cinéma et dépend beaucoup plus de l'interprétation de ses acteurs.
Meilleur réalisateur: David Fincher. Que voulez-vous que je fasse? L'académie a limité mes choix! Mon véritable choix pour cet Oscar était définitivement Christopher Nolan (Inception). Une fois ce choix évident éliminé de la liste, j'aurais choisi Danny Boyle sans hésitation, tant son travail sur 127 Hours est superbe et d'une fluidité remarquable. Comme aucun des deux n'est en nomination, je me rabat donc sur Fincher, qui fait un très bon travail avec The Social Network. Cette catégorie démontre bien où les membres de l'académie et moi avons une interprétation différente des qualités d'un bon réalisateur. J'avoue que j'ai tendance à sous-estimer l'aspect "directeur d'acteurs" du travail de réalisation. Ce fait explique d'ailleurs que Nolan et Boyle n'ait pas été retenus cette année, n'ayant pas su (ou eu besoin de) tirer des performances exceptionnelles de leurs acteurs. Ceci dit, les choix de caméra de Fincher font également de The Social Network un bien meilleur film qu'il ne paraissait sur papier (voir mes commentaires sur le scénario), et le fait que ça semble avoir été réalisé sans effort est tout à l'honneur de Fincher.
Meilleurs films.
Dans les catégories des meilleurs films, j'en ajoute une cette année - puisque j'ai eu la chance de voir 4 des 5 films en nomination à titre de meilleur documentaire (long).
Meilleur documentaire: Inside Job. Le sujet traité, la qualité de la narration, du montage, des documents cités, font de ce documentaire un des meilleurs films de l'année, toutes catégories confondues. J'avais aussi un faible pour Gasland, mais Inside Job est une film d'une facture plus professionnelle et est basé sur une recherche plus  systématique, fouillée et exhaustive de son sujet. (On peut consulter ce billet si on veut en savoir plus sur mon appréciation des films en nomination dans cette catégorie).
Meilleur film d'animation: Toy Story 3. Les attentes étaient élevées et les deux films précédents des réussites incontestables. Les créateurs de Pixar ont une fois de plus réalisés un classique, un film qui traversera (comme les deux premiers) les générations. Impossible de trouver mieux cette année, malgré toutes les qualités de How to Train Your Dragon.
Meilleur film étranger: Incendies. Je ne veux pas être chauvin (mais je le suis, hehehehe), même si je dois avouer que je n'ai pas eu l'occasion de voir les autres films de la catégorie (je verrai définitivement Biutiful, puisque je suis un grand fan d'Alejandro Gonzalez Inarritu). En fait, si je me permets de mettre Incendies sur ma liste, c'est essentiellement parce que c'est l'un des 10 meilleurs films que j'ai vu cette année, alors je vois mal comment un autre film de cette catégorie pourrait faire mieux à mes yeux.
Meilleur film: Inception. C'est le film qui m'a le plus impressionné cette année. C'est le film dont le premier visionnement m'a le plus fasciné, c'est le film que j'avais hâte de revoir, que je devais revoir absolument et c'est aussi un film qui est encore aussi bon au second visionnement qu'il ne l'était au premier. C'est un film qui combine un scénario intelligent et complexe à une réalisation inventive et des effets visuels impressionnants. C'est aussi un des meilleurs divertissements de l'année 2010. Malgré tout le bien que je pense de The King's Speech (qui demeure un de mes films préférés de 2010), aucun film ne combinait tous les aspects ci-haut mentionnés avec un degré de réussite aussi élevé que Inception.
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Vous êtes invités à commenter, ou à laisser vos propres choix en commentaires.
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TINA

Certains des lecteurs qui suivaient mes aventures en Amérique du Sud en 2007 - ou encore en Amérique Centrale en 2010, se souviendront peut-être de mon utilisation personnelle de l'expression TISA (devenue TILA par extension en Amérique Centrale), en référence aux choses qui peuvent paraître incroyables pour un étranger mais qui sont tout à fait normales pour un local. Cette expression était bien sûr une référence à TIA, popularisée par le personnage interprété par Leonardo DiCaprio dans Blood Diamonds (TIA: This is Africa). Si elle était sérieuse et dramatique dans ce contexte, je n'ai pour ma part utilisé l'acronyme que dans des situations amusantes.
Après mon utilisation de This is South America (ou Latin America, selon ma localisation), me voici donc avec une petite anecdote typiquement TINA!
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Le projet était pourtant simple: faire le trajet Montréal-Dolbeau-Mistassini pour aller s'installer au Lac St-Jean pendant une dizaine de jours. Hum... J'allais apprendre qu'avec l'aide de la malchance et de l'hiver, rien n'est jamais simple.
Habituellement, nous faisons le trajet en autobus jusqu'à Alma puis attrapons un lift vers Dolmis. Mais cette semaine, nous avons eu un coup de chance; Dominic, le frère de Suze, venait avec sa conjointe Justine, pour un suivi médical à Montréal. Comme le rendez-vous était le mercredi en avant-midi, et qu'ils prévoyaient repartir le jour même, ils nous ont offert de nous embarquer pour la portion Montréal-St-Félicien, où nous devions attraper un lift vers Dolmis.
Comme Dominic et Justine avaient déjà effectué le trajet aller la veille (le mardi), j'ai proposé de conduire pour la portion Montréal-St-Félicien de notre trajet. Nous avons quitté Montréal vers 13h en empruntant l'autoroute 40 vers Trois-Rivières, avons fait une pause repas à Yamachiche (où Justine voulait manger Thaï; et oui, ça m'a étonné de trouver un restaurant Thaï à Yamachiche), puis avons filé vers Shawinigan pour prendre la route 155 qui longue le St-Maurice vers La Tuque.
À peine passé 16h, le pneu avant droit crève soudainement et nous devons nous arrêter sur le bas côté. Le soleil jouait déjà à cache-cache avec le sommet des montagnes situées de l'autre côté du St-Maurice depuis un moment, il choisi ce moment-là pour disparaître. Nous activons les feux clignotants d'urgence du véhicule et nous nous installons donc pour changer de roue. Je monte le cric et Dominic s'attaque aux écrous. La roue de secours sur ces véhicules (Dodge Caravan 1999) est située sous la valise arrière, et est libérée via un système de vis à encrage située dans la valise. J'entreprends donc de dévisser le mécanisme de l'intérieur, pendant que Dominic retire la roue portant le pneu crevé. Nous réalisons assez rapidement que le mécanisme de la roue de secours semble coincé. Après un temps, malgré nos efforts conjoints, on doit se rendre à l'évidence, nous ne parviendrons pas à dégager la roue de secours. Le véhicule est âgé et cette roue n'a jamais été utilisée; de la rouille s'est installée et a complètement bloqué le mécanisme; rien à faire.
Alors que la luminosité diminue et que l'obscurité s'installe à son tour, la température descend de manière perceptible. Je dois mentionner que comme il s'agit de mon premier hiver en trois ans, je ne suis pas particulièrement bien équipé pour faire face au froid sur une longue période de temps; mes bottes de randonnée ne sont pas très isolées, mes petits gants de ville non plus. Bref, après environ une demi-heure de perte de temps, nous commençons à trouver que le froid n'aide en rien les manoeuvres. Le trafic, plutôt intense en nombre de véhicules lourds, n'aide pas non plus à se sentir en sécurité sur le bord de la route. Justine étant abonnée au CAA, elle sort sa carte et son cellulaire. Mais en tentant de faire l'appel, elle verrouille le clavier par mégarde; quelque chose qu'elle n'avait jamais fait sur cet appareil. Elle n'a donc aucune idée comment le déverrouiller. Notre cellulaire servira donc (heureusement), mais le signal est faible et intermittent. Justine doit, comme dans les films, tenir l'appareil à une certaine hauteur, et avec un certain angle pour augmenter la capacité du signal reçu. Elle fini donc par joindre quelqu'un du CAA, qui veut évidemment savoir où nous sommes exactement.
Or nous l'ignorons.
Je sais, ça a l'air stupide, mais c'est un fait. Pour ma part, ça fait des années que je n'ai pas emprunté cette route-là (le bus passe par Québec, et j'ai eu à faire à quelques reprises à Québec ou Saguenay en route vers le Lac). En plus, ça n'a jamais été une route que j'ai beaucoup fréquenté, et les villes et villages de l'époque sont maintenant tous plus ou moins fusionnés, alors je porte peu attention aux panneaux annonçant tel ou tel village.
J'informe Justine que je sais toutefois que nous sommes quelque part entre Rivière Matawin (si ça s'appelle encore comme ça) et La Tuque, mais pas rendus à Rivière-aux-Rats (qui est en fait fusionné avec La Tuque aujourd'hui). Je sais aussi que nous avons passé la seconde route menant vers St-Tite - et St-Séverin, je pense à mes amis Joël et Valérie à chaque fois que je passe ces croisements sur la 155. Ce n'est pas très précis, et le gars à l'autre bout nous informe que sans localisation précise, il ne peut envoyer quelqu'un. Je n'ai pas réellement porté attention à chaque borne kilométrique rencontrée, mais je sais que nous avons passé le km 62 (et que La Tuque doit être à environ 25-30 km de notre position). C'est encore trop vague, et le court segment droit où nous nous sommes immobilisés n'offre absolument aucun repère. Suze part donc en expédition vers l'avant - statistiquement, nous avons toutes les chances de voir une borne kilométrique d'ici 500-750 m. C'est le cas; Suze me crie que nous sommes juste avant le km 75, information que je relaye à Justine qui n'a pas bougé de peur de perdre le signal. On nous informe enfin que l'aide est en route... et qu'elle nous parviendra d'ici les 45 prochaines minutes.
Comme Justine est enceinte (le petit est dû pour la mi-avril), et que la température continue de descendre, nous décidons de redémarrer le véhicule pour nous réchauffer. Malheureusement, les clignotants d'urgence semblent avoir été trop énergivores pour le pouvoir de la vieille batterie du véhicule; elle est presque morte et ne parvient pas à fournir assez pour redémarrer.
Woops.
Justine s'installe tout de même à l'intérieur, mais nous préférons ne pas tous monter, car le petit cric montre des signes de faiblesses et la dernière chose qui nous manque est bien d'endommager plus sérieusement le véhicule. Le temps passe, la température chute un peu plus, l'obscurité domine maintenant les environs, on voit seulement les véhicules qui approchent par la lueur de leurs phares. Un véhicule sur cinq est une fourgonnette ou une voiture, les autres sont des poids lourds.
J'ai les mains gelées, les pieds gelés, le visage et le nez gelés, je fais des aller-retour sur 50 m derrière le véhicule pour tenter de limiter les pertes de chaleur corporelles, mais je demeure prudent, car je suis complètement invisible aux véhicules si je m'éloigne trop des clignotants qui fonctionnent faiblement. Isolés sur une route régionale, bercés par le bruit des poids lourds, aspergés par un mélange de poussière de roche, de calcium et de résidus de neige, figés par le froid, bref, c'est le confort...
This is North America.
Nous allons passer presqu'une heure à attendre les secours. À son arrivée, l'homme en charge de la remorque tente à son tour de dégager notre roue de secours. En vain, et malgré ses outils et équipements. Nous devons donc replacer notre roue originale et son pneu crevé pour lui permettre de nous remorquer. Il nous emmène enfin de l'autre côté de La Tuque, à 44 km de notre position en direction du Lac St-jean (heureusement), où un garagiste s'attaque à nos problèmes(*). Après de nombreux efforts et un temps considérable, il parvient à détruire le mécanisme pour libérer la roue de secours et la poser. Il recharge la batterie et permet donc au véhicule de redémarrer. Entre temps, nous sommes parvenus à nous réchauffer, à nous restaurer un brin, bref à recharger nos batteries à nous aussi. Nous faisons le plein d'essence, puis nous reprenons la route vers le Lac St-Jean. Il est 19h30.
Vers 20h45, nous atteignons Chambord, au Lac St-Jean, puis Roberval et St-Félicien, où nous avons rendez-vous pour changer de véhicule. Justine et Dominic reprennent courageusement la route vers Chibougamau, à 235 km de St-Félicien, où ils demeurent et où Justine travaille le lendemain matin. Nous filons vers Dolmis, que nous atteindrons peu après 22h.
Nous aurons mis un peu plus de 9h pour faire le trajet Montréal-Dolmis. Comme quoi les pays du sud n'ont pas l'exclusivité des mésaventures de déplacement en indépendant. Lorsque ce genre de choses arrive dans mes voyages (je pense au Pérou, à la Bolivie, au Guatemala ou au Vietnam, par exemple), je rigole et perd beaucoup de temps, mais je vais vous dire une bonne chose: Je ne gèle jamais. D'ailleurs, quand ce genre de mésaventure m'arrive ailleurs, je n'hésite pas à sortir mon appareil et prendre des photos. Mais mercredi dernier, ça risquait trop de me coûter un doigt, alors je n'ai pas osé. D'où l'absence d'images sur ce billet.
TINA.
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(*) Je remercie sincèrement le conducteur de la remorque, qui a fait une sévère entorse aux règles de sécurité habituelles en acceptant de nous embarquer tous les 4 dans sa cabine (chauffée, aaaahhhh), malgré le manque d'espace et de ceintures. L'alternative aurait été de laisser deux d'entre nous geler sur place pendant les 45 minutes qu'il aurait mis à refaire le trajet aller-retour. Je remercie également avec autant de sincérité Jocelyne Blouin de ne pas avoir annoncé des températures de -35 ce soir-là, en Mauricie.

mardi 22 février 2011

Oscars 2011: Les jouets contre les dragons

Aux Oscars de cette année, comme à ceux de l'an dernier, s'il y a une catégorie dont l'issue ne fait que peu de doute, c'est bien celle de Meilleur film d'animation. En effet, des trois films en nomination, The Illusionist, How to Train Your Dragon et Toy Story 3, ce dernier se retrouve également en nomination dans la catégorie du Meilleur film. S'il est d'un niveau suffisant pour se retrouver dans cette catégorie et que les autres ne le sont pas, le sort de cet Oscar semble joué d'avance en faveur du film de Pixar. Si on ajoute à cette analyse le fait que Pixar ait produit cinq des neuf gagnants dans cette catégorie depuis qu'elle existe (2001), il ne reste que peu de place pour les deux autres cette année.
J'ai tout de même voulu juger par moi-même et après avoir vu Toy Story 3 il y a un temps, j'ai récemment loué How to Train Your Dragon.
Si l'histoire de Hot to Train Your Dragon est relativement simple, elle est par contre menée avec beaucoup d'aplomb par Dean DeBlois et Chris Sanders, un duo de créateurs qui avaient déjà produit le savoureux Lilo & Stitch en 2002. Maintenant passés à Dreamworks, ils nous offrent un des meilleurs films d'animation de ce studio, dont les films - souvent très drôles et souvent des séries - sont essentiellement orientées vers de l'humour de second degré ou encore des références à la culture populaire (On pense à Shrek, Shark Tale ou Madagascar). Ici, nous avons plutôt un beau et bon petit film original, qui est d'abord porté par des personnages sympathiques (y compris les dragons, d'abord présentés comme des bêtes sanguinaires). Le dragon night fury Toothless rappelle à l'occasion les expressions de Stitch. Le film mélange avec habileté des décors splendides, un message positif sans être trop naïf, et un univers de fantasy dans une mythologie qui a encore échappé à la surexposition au cinéma: celle des Vikings.
Enfin, le film surprend parfois pas son intensité - notamment une scène finale impressionnante et une chute qui étonne par ses conséquences. Bref, si ça n'avait été du hasard faisant revivre les jouets de Toy Story la même année, How to Train Your Dragon aurait eu de très sérieuses chances pour un Oscar.
Comme je l'ai dit ci-haut, Toy Story 3 est définitivement le meilleur film d'animation que j'ai vu cette année. En fait, je devrais plutôt dire que c'est un des meilleurs films que j'ai vu cette année, tous genres confondus. Pourtant, donner suite aux deux excellents films (de 1995 et 1999) représentait un défi de taille. Évidemment, les techniques d'animation et l'expertise de Pixar en matière d'innovation pouvaient laisser augurer le meilleur en terme visuel, mais encore fallait-il pouvoir raconter une nouvelle histoire originale qui soit à la hauteur des films précédents et à la hauteur des attentes créés par une suite.
Le réalisateur Lee Unkrich en était peut-être à sa première réalisation officielle, mais il avait déjà oeuvré sur plusieurs films de Pixar depuis 1999, incluant comme assistant réalisateur sur trois longs métrages d'animation, dont Toy Story 2. Il relève le défi avec brio, réalisant un film qui réussi l'exploit d'être poignant et d'une drôlerie et d'une inventivité renouvelées et mené avec un rythme soutenu. Certaines scènes sont parmi les plus belles scènes que j'ai pu voir dans des films du genre et l'humanité qui se dégage de ces jouets est absolument incroyable. Ce degré de perfection est rare au cinéma (d'ailleurs, en animation, la dernière fois que j'ai éprouvé une telle admiration, c'était pour les 40 premières minutes de WALL-E, 40 minutes de pure génie cinématographique issues du même studio). Je soupçonne d'ailleurs la présence d'Andrew Stanton à titre de co-scénariste (histoire) comme étant en partie responsable de cet aspect humain du film.
Si les Oscars n'étaient pas historiquement concentrés sur les catégories d'acteurs "live" et que ces catégories soient souvent importantes dans l'appréciation d'un film en nomination, Toy Story 3 aurait eu tout ce qu'il fallait pour remporter l'Oscar du meilleur film. Et le degré d'excellence qu'il atteint devrait faire réfléchir l'académie sur la pertinence de créer une catégorie spéciale pour ces acteurs qui jouent les voix dans les films d'animation, car leur interprétation est pour beaucoup dans la réussite de ce genre de film.
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Note: Je n'ai pas eu l'occasion de voir The Illusionist, le film du français Sylvain Chomet qui avait été récompensé pour Les Triplettes de Belleville, mais ce que j'ai lu sur le film ne me permet pas de croire qu'il a une chance pour cet Oscar.
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lundi 21 février 2011

Des Archives du Lotus et du prochain film de Spielberg

Je reviens avec un billet sur mon ami Tintin, puisque je suis tombé par hasard sur un album de collection, une sorte de making of de l'album Le Lotus Bleu, qui est accessible via une méthode spéciale de commercialisation. Et au moment où je me préparais à écrire ce billet, j'ai vu les premières images du prochain film de Spielberg, justement adapté des aventures de Tintin.
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Les tintinophiles ne manquent jamais de matériel à se mettre sous le monocle; Au mois d'où de l'année dernière, je me plongeais justement dans la lecture d'un numéro spécial de la revue Philosophie ainsi que dans le livre Tintin et le Québec.
Par la même occasion, j'ai noté une publicité pour un album intitulé Les Archives Tintin le Lotus Bleu, offert à un prix dérisoire.
N'y voyant que peu de risque, j'ai commandé l'item, qui est parvenu rapidement chez moi, et que j'ai payé, sans scam à l'horizon. En réalité, le livre fait partie d'uen série complète de making of des aventures de Tintin; l'éditeur me proposait de commander ensuite Les Archives sur Tintin au Tibet. Ce second album coûtait un peu plus cher (mais encore bien en deçà du prix habituel de ce genre de chose), mais on pouvait voir que les suivants seraient vendus à prix conséquent à leur valeur. La méthode consistant à accrocher le tintinophile avec un ou deux albums pas trop chers pour qu'ensuite, hameçonné, il ne résiste pas aux suivants (surtout que ceux-ci sortent dans un ordre précis et que vous ne pouvez pas choisir lesquels vous voulez ou non, l'affaire s'arrêtant dès votre premier désistement). La chose n'est pas nouvelle, bien que j'ai l'impression qu'elle est beaucoup moins courantes depuis l'avènement d'Internet, d'eBay et toutes les librairies en-ligne.
Pour ma part, limitant mes dépenses de choses matérielles et refusant toujours d'accumuler trop d'objet - surtout des objets de collection - je me suis donc tenu au Lotus Bleu, que j'ai offert à mon père... après l'avoir lu.
Les Archives Tintin, si j'en juge par Le Lotus Bleu, se divisent en trois sections principales; la première est une mise en contexte de l'album en question: actualités à l'époque de sa création, inspirations, objets et croquis divers, photographies, documentation d'Hergé et contexte de création. Le milieu de l'album est une reproduction de la BD dans sa version standard couleur. Enfin, une dernière section traite des autres projets d'Hergé à la même époque, et dresse une liste bibliographiques des diverses éditions de l'album.
Les Archives du Lotus sont particulièrement intéressantes au niveau du contexte historiques et des faits ayant inspirés Hergé. Il faut dire qu'il s'agit d'un album-phare des aventures de Tintin et j'imagine que ce n'est pas un hasard si cette collection a été lancée avec ce titre. Le livre a aussi le mérite de publier de superbes illustrations - quelques-une inédites - ayant servi de points de départ, de promotions spéciales, d'esquisses ou encore faisant partie de la première publication de l'oeuvre, en noir et blanc (celle de gauche apparaissait déjà sur la couverture d'un petit cahier à spirale qui m'accompagne depuis quelques années pour prendre des notes). De ce point de vue, certains dessins valent à eux seuls le prix de ce premier volume.
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Un faisant quelques recherches en vue de la publication de ce billet (essentiellement pour en apprendre plus sur la collection et sa commercialisation), je suis tombé sur les premières photos du prochain film de Steven Spielberg: The Adventures of Tintin: The Secret of the Unicorn. Le film sera réalisé en motion capture et je suis très intrigué de voir le résultat, ayant des sentiments partagés en ce qui concerne cette technique cinématographique et tentant d'imaginer ce que ça va faire d'entendre Tintin en anglais.
La première photo est tirée du Crabe au Pince d'Or, puisque Spielberg combine quelques aventures pour se permettre de raconter la rencontre de Tintin et Haddock dès le premier film. C'est une jolie photo numérique.
La seconde photo semble déjà plus convaincante et il faut avouer qu'il aurait été ardu de créer la même impression de "voir" la BD avec des acteurs en chair et en os tout en demeurant crédible.
Le film est annoncé pour la fin décembre 2011, alors nous avons amplement le temps d'en entendre parler. Pour les amateurs, je mentionne qu'il s'agit d'une co-production de Spielberg et de Peter Jackson, et que c'est ce dernier qui est censé réaliser le film suivant. Les deux cinéastes prévoient produire trois longs métrages sur les aventures de Tintin.
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dimanche 20 février 2011

Chevron en Équateur et activisme à la Yes Men

Chevron / Texaco en Équateur
Vous aurez peut-être entendu la nouvelle de la condamnation de la compagnie Chevron par un tribunal équatorien suite à un litige environnemental qui dure depuis plus de 17 ans. Texaco, maintenant propriété de Chevron, déversait alors les déchets toxiques de ses forages équatoriens dans la forêt amazonienne. On ne parle pas ici de petits déversements ou de déversement accidentel, mais bien d'une pratique courante; On estime que Texaco a déversé 18 milliards de gallons de résidus et de boues toxiques sans aucun traitement préalable, en Amazonie.
Surnommé "Le Tchernobyl de l'Amazonie", ce désastre environnemental a fait l'objet d'un film documentaire en 2009 intitulé Crude, auquel ont participé le président actuel de l'Équateur, Rafael Correa ainsi que les cofondateurs de la Rainforest Foundation, le musicien britannique Sting et l'actrice et productrice Trudy Styler. Malgré les tentatives d'empêcher la présentation du film, celui-ci a remporté plusieurs prix dans des festivals (dont Sundance) et a reçu un accueil unanime de la critique (95% au tomatomètre).
Évidemment, la compagnie a déjà annoncé qu'elle n'entendait ni respecter le jugement de la cour, ni se soumettre à la sentence; une amende de 9,5 milliards de dollars. Et si Chevron a déclaré qu'elle irait en appel, la poursuite en appellera également de la sentence, réclamant plutôt des dommages de 27 milliards, soit le coût minimal du nettoyage estimé du fiasco Texaco (et on estime le coût total environnemental à 40 milliards).
Si vous voulez en savoir plus sur cette histoire, il existe un site d'information sur la campagne pour la justice en Équateur qui s'intitule très justement Chevron Toxico.
Plutôt que de reconnaître ses responsabilités, Chevron agit comme toutes les grandes corporations et a plutôt investit dans une vaste campagne publicitaire pour se refaire une image.
Poussant le cynisme assez loin, la page web de Chevron affiche le slogan: "Finding newer, cleaner ways to power the world".
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Yes Men et autres activistes
Les Yes Men sont un duo d'activistes qui oeuvre en organisant des canulars ambitieux. Ils personnifient souvent des porte paroles d'entreprises ou organisations qu'ils ciblent. Par exemple, à Copenhague en 2009, ils ont lancé une fausse campagne d'Environnement Canada signifiant que le Canada allait adopter des normes strictes en matière de réduction de gaz à effet de serre. Faux sites internet, faux communiqués de presse, fausses réactions internationales, les Yes Men sont bien organisés.
Pour l'anecdote, le gouvernement avait alors accusé à tort le porte-parole d'Équiterre d'être responsable et avait accidentellement fait fermer (illégalement) plus de 4000 sites internet en faisant des pressions (illégales) sur les fournisseurs d'hébergement du faux site d'Environnement Canada. L'idée derrière ce canular était qu'en forçant le Canada à nier une aussi bonne nouvelle et en rétablissant les faits sur notre absence de contraintes réelles, le pays paraissait particulièrement déficient. Ils avaient visé le Canada vu sa position de cancre de Copenhague.
Vous avez peut-être entendu parler des Yes Men par d'autres de leurs canulars, ou bien par un de leurs deux films documentant certaines de ces farces politiques (Dow Chemicals, Haliburton, Exxon...).
Leur célèbre fausse édition du New York Times du 4 juin 2009 (imprimée et distribuée largement à New York et Los Angeles le 12 novembre 2008) est encore disponible en ligne sur le faux site qu'ils avaient créé pour l'occasion. Les nouvelles délirantes qu'ils y publient donnent des idées pour ceux qui voudraient faire de même ailleurs...
Si je vous parle des Yes Men, c'est que Chevron est devenue leur plus récente cible. Comme la compagnie réagissait à sa condamnation en Équateur par un investissement massif dans une campagne pour redorer son image (dont le slogan est "We Agree, do you?"), les Yes Men ont décidé de les "appuyer" en lançant leur propre campagne de publicité Chevron.
D'ailleurs, la plupart des affiches qui sont reproduites dans ce billet proviennent de leur banque d'affiches publicitaires de Chevron, qu'ils vous invitent à utiliser, reproduire, imprimer, distribuer, et apposer un peu partout.
Cette autre affiche (à droite) provient d'une seconde fausse campagne publicitaire de Chevron organisée par les activistes du site True cost of Chevron, qui s'attarde non seulement au désastre environnemental en Équateur, mais aux dommages causés par Chevron partout dans le monde. Ces affiches jouent sur l'image générale que tente de se donner Chevron ("Human Energy").
(Parenthèse canadienne)
Au Canada, Chevron opère deux sites distincts dans les sables bitumineux en Alberta. Des communautés d'Alberta, de Colombie Britannique, de Saskatchewan et des Territoires du Nord Ouest s'opposent constamment aux nouveaux développements et à l'expansion des sites déjà exploités. Sur le site True Cost of Chevron, un des chefs amérindiens mentionne que "We have to slow down industry to let us catch up. ... If we continue to let industry and government behave the way they've been behaving the last 40 years, there will be no turnback because it will be the total destruction of the land." (Preuve que ce ne sont pas tous les résidents des prairies qui sont en faveur de cette exploitation sauvage et déréglementée favorisée par le gouvernement Conservateur).
Les détails de l'impact de ces sites - et de tous les autres sites exploités par Chevron - sont disponibles dans des rapport annuels alternatifs de Chevron préparés par le site et disponibles en ligne.
Au Canada, ne cherchez pas les stations de Chevron (ou les stations d'essence Texaco), car Texaco Canada a été vendue en 1989 à Imperial Oil et ses stations sont devenues des stations Esso.
Deux notes intéressantes
Pour revenir au dossier équatorien, dont le désastre environnemental s'est étendu entre 1972 et 1993, un article publié sur le site de l'organisme Oil Watchdog rappelle que si Chevron avait réglé ce dossier en payant les sommes demandées, l'entreprise aurait payé moins cher que ce qu'elle a encourue au fil des ans en frais juridiques et en contre-promotions (incluant un documentaire commandité en sa faveur pour contrer l'effet d'un reportage de l'émission 60 Minutes). L'organisme a également publié une fausse publicité (ci contre) pour dénoncer l'attitude de Chevron.
Aux États-Unis, Condoleezza Rice était une des membres du conseil d'administration de Chevron et en charge du comité sur les politiques publiques de la compagnie, avant de devenir principale conseillère sur la sécurité nationale, puis secrétaire d'état de George W. Bush. Pour l'honorer, Chevron avait d'ailleurs nommé un de ses pétrolier en son nom, mais a du se raviser suite à la controverse ainsi crée.
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jeudi 17 février 2011

L'Esprit Vagabond activiste?

Même si plusieurs billets de ce blogue traitent de sujet politiques ou sociaux, je préfère me servir de cette tribune pour faire réfléchir plutôt que d'inciter à prendre action (*). À chacun ses choix et chacun ses causes.
Pourtant, je peux remarquer, depuis quelques mois, que je m'implique plus directement dans certaines causes, et que ces causes semblent toutes avoir un point commun: la lutte contre l'avancée de la droite au Canada et au Québec.
Parmi les sujets traités récemment, on note la crise économique mondiale, l'idéologie révolutionnaire, l'état du Canada, l'histoire impérialiste en Afrique et le gaz de schiste, par exemple. On peut voir une certaine tendance et ce n'est pas un hasard.
Droit et accès à l'information au Canada
Hier, je signais une pétition du groupe de pression Avaaz concernant une décision du CRTC qui semble absolument incroyable: La permission aux journalistes de publier des informations qu'ils savent fausses.
En un mot, on veut modifier la règle actuelle, qui interdit à un journaliste (ou un réseau d'information) de publier une information qu'il sait être fausse. Cette nouvelle permission est ainsi une porte ouverte à des campagnes de désinformations et, pour le lecteur/auditeur, la fin de la confiance portée à la profession de journaliste. Il n'y a qu'à consulter ce billet d'octobre dernier pour réaliser que l'on touche ici une corde sensible en ce qui me concerne. Le quotidien Le Devoir soulignait d'ailleurs la semaine dernière l'inquiétude des journalistes à ce propos. Rue Frontenac abonde dans le même sens cette semaine.
Mon collègue, l'auteur et blogueur Jean-Louis Trudel, avait déjà soulevé la question, identifiant du même coup l'origine de ce dossier, qui est directement relié à la nouvelle chaîne d'information de droite crée par Québécor. Cette entreprise qui intègre des éminents conseillers conservateurs, a d'abord tenté de s'imposer en se finançant à même les redevances versées aux chaînes câblées par les abonnés (j'avais alors également signé une pétition menée par Avaaz demandant au CRTC de ne pas accorder ce privilège à cette nouvelle chaîne). Maintenant, ils tentent d'obtenir le droit de publier des fausses informations sous le couvert du journalisme. La situation est plus qu'inquiétante, elle est carrément dangereuse et elle est développée avec l'aval du gouvernement conservateur.
Si vous vous demandez si c'est possible d'avoir une chaîne d'information continue qui cherche à biaiser l'opinion publique en présentant des faussetés sous le couvert de nouvelles, je vous invite à visionner le documentaire Outfoxed, qui démontre comment opère la chaîne américaine Fox News; c'est terrifiant, preuves à l'appui. On nous aurait présenté, il y a dix ans, un film d'anticipation avec ce sujet montré de la sorte, que l'on aurait trouvé toute l'affaire bien trop grosse, impossible, peu crédible, exagérée. C'est pourtant la réalité. (Et il n'y a qu'à écouter de la radio-poubelle pour comprendre que c'est possible ici aussi).
Pour ceux qui ignoraient l'affaire, je mentionne également que ce même CRTC avait récemment donné raison à Bell Canada qui demandait de permettre la facturation des services Internet à l'usage, ouvrant ainsi la porte à des tarifs encore plus élevés et dictés par votre accès à l'information sur le monde.
Est-ce utile de préciser que le gouvernement conservateur a procédé récemment à des nominations partisanes au CRTC et dans divers secteurs des médias? Est-ce une coïncidence si depuis, l'organe a tenté de limiter notre accès internet, et tente désormais de permettre la diffusion d'information journalistique erronée (une attaque directe aux bases mêmes de toute démocratie qui se respecte)?
Démocratie et ressources naturelles au Québec
Pas plus tard que la semaine dernière, je parlais du film documentaire Chercher le courant, (**) qui invite à la réflexion sur l'état de la gestion des ressources naturelles au Québec. J'en profitais pour soulever l'épineuse question de la mainmise du privé sur les ressources collectives et la démocratie au Québec.
Compte tenu de ce dossier (médiatisé dans l'affaire des gaz de schiste) et de la protection qu'il accorde à l'industrie de la construction (qu'il a lui-même appelé dans de délicieux lapsus "l'industrie de la corruption"), j'avais également signé la pétition demandant la démission du premier ministre Jean Charest, pétition qui vient d'être déposée (hier) à l'Assemblée Nationale avec 247 379 noms. En réaction à cette pétition, le représentant du gouvernement et du Parti Libéral du Québec, le ministre - tenez vous bien - "responsable de la Réforme des institutions démocratiques et de l’Accès à l’information", a simplement mentionné que le gouvernement ne permettra plus ce genre de pétition sur le site de l'Assemblée Nationale. Comme quoi on croit, au gouvernement, que c'est inacceptable de donner comme ça la parole aux simples citoyens. Une question au ministre: pense-t-il la même chose des lobbyistes?
Droits d'auteur au Canada
Plusieurs collègues auteurs et blogueurs ont attiré mon attention sur le dossier de la Loi C-32 sur le droit d'auteur, que le gouvernement conservateur actuel semble continuer à promouvoir au détriment... des auteurs et du droit d'auteur.
Jean-Louis Trudel est de ceux qui avaient sonné l'alarme en janvier dernier, rappelant les tentatives précédentes des conservateurs en la matière. J'avais mentionné le dossier au passage dans ma rétrospective de la gouvernance conservatrice au Canada, fin 2010, référant à une métaphore intéressante publiée dans La Presse. Depuis lundi, un vidéo donne le point de vue de quelques auteurs canadiens sur la question et est disponible sur Youtube. Enfin, Un site consacré à la question invite à la mobilisation (notamment par une pétition contre le projet de loi C-32, que j'ai également signée).
Cette bataille fait l'objet de plusieurs textes engagés, dont l'éditorial de Daniel Sernine dans le dernier numéro de la revue Lurelu (à laquelle j'ai moi-même collaboré en 2010 et qui m'a versé des droits d'auteur). L'écrivain et rédacteur en chef mentionne: "De partout sur la planète, les protestations affluent, car le projet C-32 est l’une des premières lois à imposer le concept pernicieux et flou d’«usage équitable». Qui plus est, ce projet de loi ne respecte pas les traités internationaux auxquels a adhéré le Canada".
Un film sur des activistes américains qui fait réfléchir
Avant-hier, j'ai visionné un film documentaire qui avait reçue une nomination aux Oscars en 2004. Le sujet est un groupe d'activistes américains qui s'opposaient à la guerre au Vietnam et qui a évolué jusqu'à poser des actions violentes (incluant des bombes), mais organisées pour éviter de faire des victimes. Outre son intérêt documentaire sur cette période dense de l'histoire américaine, The Weather Underground pose la question de savoir jusqu'où nous sommes prêts à aller dans notre activisme pour défendre nos idées et nos droits en démocratie? Et pour défendre la démocratie elle-même?
C'est un peu la réflexion que je voulais faire ici, en mentionnant mes récentes implications, compte tenu que l'on vit dans un pays où la démocratie s'effrite de plus en plus. Devant un tel constat, on ne peut que réagir par le cynisme, ou l'activisme.
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(*) Un de mes amis me disait à la blague qu'il ne me voyait pas descendre dans les rues du Québec à scander des slogans révolutionnaires, mais qu'il pouvait m'imaginer le faire dans les rues d'Amérique Latine. La ligne entre les deux est pourtant mince.
(**) Le producteur a mentionné être en négociation pour une télédiffusion éventuelle. D'ici là, vous pouvez écouter le point de vue du réalisateur et du narrateur lors de leur passage à l'émission Tout le monde en parle qui sera diffusée dimanche le 20 février prochain.
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"Ne soyez pas cons" est tiré d'une affiche électorale parallèle réalisée en 2008 par des étudiants en design de l'UQAM.

mercredi 16 février 2011

Cuba: Une odyssée africaine méconnue

Je suis récemment tombé sur un film documentaire absolument incroyable, intitulé Cuba: Une odyssée africaine. Si je reviens sur ce film ici, ce n'est pas sans rapport avec mon commentaire sur le diptyque de Steven Soderbergh sur le Che dans lequel il évite l'épisode africain de l'implication de Che Guevara dans le mouvement révolutionnaire.
Cuba: Une odyssée africaine vient en partie répondre au manque de documentation visuelle sur cette période de la vie du Che. Mais ce film fait beaucoup plus que ça. Il dresse un portrait étonnant de l'implication politique et militaire de Cuba en Afrique, et de l'impact que cette présence a eu sur les mouvements révolutionnaires africains face aux vestiges du colonialisme et à l'impérialisme occidental (américain) naissant.
Le film de la française d'origine libanaise Jihan El Tahri raconte, en trois heures, l'ensemble de l'histoire de la présence cubaine en Afrique. De l'arrivée clandestine du Che en support à la révolution congolaise à la victoire militaire des troupes envoyées par Fidel en support au gouvernement de gauche en Angola, le film inclus l'ensemble des joueurs présents sur le terrain: ONU, États-Unis, France, Afrique du Sud (régime de l'Apartheid), Belgique, Portugal, URSS. C'est la guerre froide telle que vécue par les africains.
La version DVD se divise en deux parties; et chaque partie est un complet documentaire en soi. La première partie se concentre sur l'historique, la révolution congolaise à laquelle Che Guevara a collaborée, ainsi qu'à l'appui cubain pour l'indépendance de la Guinée-Bissau. La seconde partie est consacrée à l'implication massive de Cuba dans son soutien à l'indépendance de l'Angola, soutien qui mènera également à l'indépendance de la Namibie et à la libération de Nelson Mandela.
Si ce documentaire est une merveilleuse source d'informations et de documents inédits, il faut surtout saluer la cinéaste pour avoir donné la parole aux premiers intervenants dans ces conflits historiques. La liste des participants au film est d'ailleurs impressionnante: leaders cubains, leaders congolais, guinéens, sud-africains, angolais, directeurs locaux de la CIA, membres du politburo soviétique, etc. À travers les commentaires parfois candides de ceux-ci - et avec 30 ans de recul - on comprend beaucoup mieux les enjeux qui ont dominé les 25 ans que couvrent le film. Pour qui s'intéresse à l'histoire et à la compréhension de la situation du monde dans lequel on vit, c'est aussi une plongée fascinante dans l'histoire contemporaine du continent africain, souvent méconnue. Il y a beaucoup de choses qui ne changent pas, en politique internationale, et ce film rappelle à quel point les grandes puissances considèrent toujours les pays pauvres comme des cours arrières ou des terrains de jeu où exercer leur puissance.
Enfin, outre la mine d'information fascinante que fourni le film, il mène également à la réflexion sur les intérêts internationaux en Afrique; il est particulièrement intéressant de remarquer que de tous les pays et factions présents dans ces conflits, un seul n'avait rien à y gagner; Cuba ("Pas de pétrole, ni diamants"). Cette constatation est en quelque sorte une preuve de plus de l'intégrité idéologique des internationalistes cubains, au contraire des défenseurs autoproclamés de la démocratie (capitaliste) qui n'hésitent pas à supporter des régimes autoritaires quand ils protègent leurs intérêts.
L'actualité des dernières semaines en Tunisie et en Égypte nous montre d'ailleurs encore comment la défense américaine de la démocratie est dotée d'une éthique élastique - si ses relations avec la Chine et Cuba n'étaient pas une preuve suffisante de leur incohérence.

Che Guevara vu par Steven Soderbergh

En cette fin d'hiver 2011, comme nous parlons beaucoup de révolution, j'attire votre attention sur deux films sortis sur nos écrans en 2009 et disponibles depuis 2010 en DVD. Les deux films de Soderbergh dont je veux parler ici constituent un diptyque biographique des deux révolutions menées par Ernesto Guevara en Amérique Latine.
Le premier film, Che: Part One (aussi appelé "The Argentine"), raconte la portion de l'histoire du Che que l'on connaît le plus; celle de la révolution cubaine. L'apport du film se situe à deux niveaux. Le premier, c'est que le scénario est basé sur le livre de Guevara (Pasajes de la guerra revolucionaria)*, ce qui lui donne une saveur particulière et personnelle. Cette adaptation force aussi le réalisateur à éviter quelques lieux communs, au profits de scènes moins connues de cette période pourtant médiatisée de la vie du Che - notamment les avancées et les combats de la guerilla cubaine. Le second apport du film se situe avant la révolution, dans le second voyage du Che en Amérique Latine (le premier était superbement montré dans Diarios de Motocicleta), voyage qui le mena, via la tentative de révolution pacifique du Guatemala réprimée par la violence, à la rencontre historique avec Fidel Castro.
Le film met en vedette Benicio Del Toro dans le rôle titre, et j'avoue que si je n'étais pas absolument convaincu de ce choix avant le visionnement, ça n'a pas été long pour Del Toro de me convaincre. Demian Bichir, qui joue Fidel, est lui aussi impressionnant. J'avais craint que Soderbergh n'ait que coupé un long film en deux, mais en fait, pour ceux qui ont vu The Argentine, c'est un film complet en soi et parfaitement satisfaisant, si jamais vous voulez vous arrêter là.
La seconde partie, Che: Part Two (ou "Guerrilla"), raconte l'histoire beaucoup moins connue de la participation du Che à la guerrilla bolivienne après sa démission du gouvernement cubain et son retour clandestin de l'Afrique. Si Soderbergh évite complètement l'épisode congolais de Guevara, c'est que comme pour le premier film, ce second opus est lui aussi basé sur un livre d'Ernesto (El diario del Che en Bolivia)*. Ce second opus est plus sombre que le premier. Bien entendu, comme on raconte l'histoire d'une tentative révolutionnaire réprimée dans la violence et qui s'est aussi soldée par l'assassinat pur et simple de Che Guevara suite à sa capture, ce second film est beaucoup moins entraînant que le premier, qui culminait avec la victoire révolutionnaire. Aussi, comme le journal de campagne du Che se concentrait beaucoup sur les actions et avancées, combats et négociations politiques avec l'opposition, le déroulement de l'histoire est un peu plus ardu à suivre. Avec un minimum de connaissance de la Bolivie et de la politique de l'époque, on arrive toutefois à s'immerger dans l'histoire, malgré son dénouement inexorable.
Soderberg réalise ici deux films quasi documentaires tout en subtilité - avec quelques chansons mais pas de musique en arrière plan, jouant du noir et blanc et de la couleur, refusant le point de vue glorifiant allant généralement de paire avec les films biographiques, et laissant le spectateur le soin de forger son opinion sur les questions soulevées par les convictions et les actions de son sujet.
Le seul point où le cinéaste se permet d'être plus présent est dans son choix d'acteurs; une distribution de luxe, qui comprend dans des rôles secondaires Julia Ormond, Franka Potente, Matt Damon, Lou Diamond Phillips et même le québécois Marc-André Grondin (dans le rôle de l'écrivain français Régis Debray).
Ce diptyque représente un bel ajout aux documentaires historiques sur la vie d'Ernesto Guevara; et avec le film de Walter Salles sur le premier voyage du Che en Amérique Latine, l'ensemble dresse un portrait assez complet des activités du révolutionnaire en terre latino américaine.
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* Pour ceux que la lecture des livres intéresse, quelques chapitres de chacun sont disponibles en ligne, en version anglaise.

dimanche 13 février 2011

Chercher le courant et la démocratie au Québec

Après avoir récemment visionné plusieurs excellents documentaires, sur des sujets aussi variés que les arts, les gaz de schistes ou la crise économique mondiale, je suis allé voir un documentaire québécois qui révèle au grand public des informations rien de moins que scandaleuses. Vous croyez ne pas être concerné? Avez-vous un compte chez Hydro-Québec? Alors vous êtes concerné.
C'est très simple: Si vous voulez savoir pourquoi - et au profit de qui - votre compte augmentera significativement d'ici 10 ans, voyez ce film. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la phrase qui apparaît en haut de l'affiche du film est «Si vous payez un compte d'électricité, vous devez voir ce film».
Le film en question, c'est Chercher le courant, de Nicolas Boisclair et Alexis de Gheldere.
Les deux cinéastes sont accompagnés de deux environnementalistes lors d'une descente en canot de 46 jours de la source de la rivière La Romaine, jusqu'à son embouchure. Ils veulent documenter cette rivière et son écosystème, avant la réalisation du projet hydroélectrique d'Hydro-Québec. Parallèlement à leur aventure, les cinéastes s'informent sur le projet d'Hydro-Québec. Car le projet d'harnacher la rivière La Romaine n'est pas rentable mais Hydro-Québec ira tout de même de l'avant. Le film explore les effets de ce projet sur le Québec, ses origines et les alternatives qui sont ignorées par Hydro-Québec et le gouvernement du Québec.
Le film est bien documenté, présenté clairement, avec une série de faits pertinents, et est narré par Roy Dupuis, qui est allé rejoindre l'équipe en cours de route avec un groupe concerné par l'impact environnemental du projet.
J'ai particulièrement apprécié Dupuis qui, dès le début, mentionne que ce n'est ni à lui ni aux environnementalistes de décider ce qui se fait ou ne se fait pas au Québec, mais bien aux citoyens du Québec. Par contre, pour se faire, il faut que ces citoyens soient bien informés (ce que le film contribue à faire) et qu'ils soient écoutés. Par l'historique de ce projet et des orientations prises par Hydro-Québec depuis 10 ans, le film explique en quoi on ne tient pas compte de l'opinion des citoyens dans le dossier énergétique au Québec.
Le film Chercher le courant est présenté au moins jusqu'à jeudi 17 février au Cinéma du Parc à Montréal. Je vous invite à aller le voir, ainsi qu'à visiter le site officiel du film. (Un blogue permet de suivre les aventuriers au jour le jour lors de leur expédition en 2008). Sinon, ailleurs en province, d'autres représentations sont listées sur une section spéciale du site. Suite à la présentation du film, Hydro Québec a répondu par court communiqué, qui n'est pas sans rappeler le genre de réplique suffisante et sans sources vérifiables que fournissent les entreprises privées lorsqu'elles sont acculés au pied du mur face au grand public.
La réponse des créateurs du film à cette réplique d'Hydro-Québec est à l'image de ce dernier; posée, documentée, complète et sérieuse (*). Hydro-Québec a refusé toutes les demandes d'entrevue des cinéastes lors de la préparation du film.
Sinon, les grands médias en parlent: Cyberpresse, le Devoir ont chacun un article sur la question. Chercher le courant a aussi une page sur Facebook si vous êtes plus du genre médias sociaux.
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Après coup, on ne peut s'empêcher de faire le lien entre ce dossier et celui des gaz de schiste, avec cette implication des mêmes acteurs dans les affaires gouvernementales et le dossier énergétique du Québec (je parle d'André Caillé et de Lucien Bouchard). Pour le gouvernement actuel, on connait déjà la position du premier ministre Jean Charest sur l'importance du privé dans les priorités de l'État.
D'ailleurs, à qui profite cet entêtement d'Hydro-Québec et du gouvernement libéral dans le dossier de la Romaine, sinon aux compagnies privées qui seront les sous-traitants d'Hydro sur ces chantiers? Sans vouloir faire des liens où il n'y en a pas, est-ce vraiment un hasard, de retomber dans le cercle de la construction, et des liens entre cette industrie avec le gouvernement actuel? Une fois de plus, impossible d'ignorer les nettes préférences du premier ministre et du parti libéral du Québec envers les profits des entreprises privées au détriment de l'état, au détriment de la société québécoise, au détriment de l'environnement québécois.
On peut donc se demander quel genre de démocratie nous avons si Hydro-Québec, qui est une société d'état, adopte un comportement identique (et socialement irresponsable) à celui des grandes corporations privées. De la part du privé, on comprend que les intérêts de celles-ci les poussent à des décisions sans aucune éthique sociale, mais de la part d'une société d'état, c'est scandaleux et inacceptable.
On est donc en droit de se demander: Qui gouverne actuellement le Québec (et Hydro-Québec), si ce ne sont les représentants du peuple que sont les élus?
La devise des premiers grands projets d'Hydro après la nationalisation de l'électricité était Maîtres chez nous. Malheureusement, nous devons maintenant comprendre que ce n'est plus le cas.
Je vous laisse sur cette citation, reproduite dans un article du Devoir et partiellement reprise en introduction au film Chercher le courant:
C'est à propos du projet Grande-Baleine que Jean Charest a écrit dans son autobiographie: «Je dis souvent qu'il ne faut jamais sous-estimer la capacité des gouvernements de se tromper. S'il y a une chose qui me fait frémir, c'est quand j'entends des gens dire: "Après tout, c'est le gouvernement, ils doivent savoir ce qu'ils font". Il ne faut jamais présumer qu'ils savent ce qu'ils font.» (Cité par Michel David, "Le Rouleau Compresseur", Le Devoir, 31 août 2010).
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(*) Je ne veux pas dévoiler le contenu du film et m'y substituer, mais j'attire votre attention sur le sérieux scientifique du projet: On ne parle pas d'un projet d'hurluberlus ici, on parle de citoyens québécois intelligents et fiers des réalisations passées d'Hydro-Québec, fiers du "Maître chez nous" de la belle époque, mais conscient du fait que des puissantes rivières à harnacher à bas coût, au Québec, il n'y en a plus et qui se questionnent sur les motivations d'Hydro-Québec et du gouvernement du Québec.

mardi 8 février 2011

Dieu et le Diable chez Patrick Senécal (2)

J'irais même jusqu'à dire que s'il y a une thématique qui
surplombe la quasi totalité des oeuvres de Patrick Senécal,
c'est bien celle des valeurs judéo-chrétiennes.
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Introduction
Ce n'est pas à la légère que j'ai écrit ce commentaire lors de la publication de mon billet-critique sur le court roman Contre Dieu, de Patrick Senécal. En fait, c'était une idée qui me trottait dans la tête depuis un certain temps déjà, et ma lecture de Hell.com et de Contre Dieu a ramené cette idée à l'avant plan et m'a décidé à écrire le petit article qui suit (i).
Depuis 5150 Rue des Ormes, peuplé de justes et d'injustes et centré sur l'interprétation des humains de la Loi (divine) avec un grand L, jusqu'à Hell.com au sujet duquel l'auteur disait que s'il était le diable, aujourd'hui, il serait sur Internet, il est virtuellement impossible de lire Senécal sans plonger dans les valeurs judéo-chrétiennes. Et ce, même si la chose étonne de la part d'un auteur relativement jeune qui n'a pas grandi dans le Québec pré-révolution tranquille. Elle pourrait aussi étonner de la part d'un auteur fantastique, mais Senécal n'a jamais vu l'intérêt de mettre en scène l'horreur sous sa forme fantastique traditionnelle (vampires, loups-garous, etc). Les "monstres" de Senécal sont toujours humains et symbolisent, par leurs valeurs, Dieu et le Diable. «Quand je veux faire réfléchir à quelque chose, on dirait que je ne peux le faire qu’en étant réaliste» (ii).
L’auteur explore donc le monde dans des romans dominés par les valeurs judéo-chrétiennes et où l’absence de ces valeurs réfère immédiatement à des concepts reliés au Mal.

Sur le Seuil: contre le Diable
Si on regarde la surface des choses, le roman de Patrick Senécal où Dieu ou le Diable sont le plus présents est certainement Sur le Seuil. Dans ce roman - et sous l’apparence d’un roman de fantastique horrifique conventionnel - Senécal nous raconte une histoire dont le point central est le Mal avec un grand M, sa transmission et son omnipotence une fois installé chez l'humain. De plus, sous le couvert d’une version personnelle de The Omen, oeuvre qui racontait ouvertement l’avènement/retour du Diable parmi les humains, l’auteur nous ouvre les portes de sa conception du Mal et de l’Enfer. Les origines et la transmission de ce Mal nous est raconté via ceux qui ont assisté à certaines cérémonies, ou bien ceux qui ont voulu le combattre. Dans le cas précis de Sur le Seuil, ces scènes proviennent de membres du clergé, qu’ils soient chrétiens ou rebelles, et la cérémonie ultime du roman est une version personnelle d’une messe satanique à l’intérieur même d’une église. On peut difficilement demander plus religieux comme référent du Bien et du Mal. Ceci dit, en fantastique horrifique, il n’est pas rare – et c’est même le concept le plus répandu – d’utiliser des éléments religieux ou des renégats de la religion pour évoquer le Bien ou le Mal; Dieu ou le Diable. Senécal pige ici dans la grande marmite du fantastique horrifique contemporain comme bien d’autres avant lui.

Les justes et les injustes de 5150 et du Talion
«La concrétisation parfaite du combat
entre le Bien et le Mal, entre les Justes
et les Non-Justes!» (iii).
Dans 5150 Rue des Ormes, on suit les mésaventure de Yannick Bérubé, qui a est tombé par hasard sur une famille dysfonctionnelle dominée par Jacques Beaulieu, lequel séquestre Yannick suite à ses malencontreuses découvertes. Toute l’histoire de ce roman se déroule donc autour de l’affrontement entre Yannick et Jacques, vu du point de vue de la victime de cette séquestration. Au fil du roman, on assiste toutefois à des éclaircissements sur la situation et sur le dilemme devant lequel Jacques est placé. Beaulieu a une très haute opinion de ses actes et se défini comme un juste ultime, quelqu’un qui s’est donné comme mission d’appliquer une sorte de justice divine, face à tous les non-justes qui sévissent. Sévir contre Yannick serait injuste, mais le libérer signifierait la fin de sa mission (divine). D’où le dilemme.
«Heureux ceux qui ont faim et soif
de la justice, car ils seront rassasiés!» (iv)
Si les références chrétiennes directes sont réservées au personnage secondaire de la femme de Jacques, Maude, dans son délire religieux, on ne peut pas ignorer l’influence chrétienne dans les concepts de justice (punir le Mal) et d’injustice (faire le mal) qui caractérisent la motivation de Jacques.
Avec le titre du roman suivant, Les sept jours du Talion, Senécal endosse directement une référence biblique célèbre; le thème de la vengeance, la Loi du Talion; œil pour œil dent pour dent...
«Vous croyez que ce genre d'actions est une solution?
Bruno se tourna vers la journaliste, la dévisagea un
moment puis répondit avec nonchalance:
- Non» (v).
«Vous avez appris qu’il a été dit: œil pour œil,
et dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne
pas résister au méchant. Si quelqu’un te
 frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre» (vi).
Tout le roman est donc une réflexion sur cette référence judéo-chrétienne. Le roman raconte l’histoire d’un homme qui, après le viol et le meurtre de sa fillette, décide de prendre la justice en main. Il enlève le coupable de ce crime horrible et le séquestre dans le but de le torturer.
«Si Dieu existe, effectivement il est
neutre. Mais cette neutralité-là
peut être très révoltante et ça vient
ébranler nos paramètres relatifs
au bien et au mal» (vii).
Mais outre la réflexion sur la vengeance, on note un effet miroir intéressant de ce roman avec 5150 Rue des ormes. En effet, Le Talion raconte en quelque sorte l’histoire de Bruno Hamel qui tient Anthony Lemaire séquestré avec pour but de punir ce "non-juste". Autrement dit, mis à part les considérations morales, nous avons ici un roman qui raconte une histoire similaire à 5150 rue des Ormes, mais du point de vue du séquestreur plutôt que de celui du séquestré. (Et bien que les films adaptés de ces deux romans soient sortis à quelques mois d'intervalle, personne ne semble avoir fait ce lien non plus au cinéma).
Le déroulement et la finale du Talion montrent une évolution de l’ancien testament (le talion) au nouveau testament (le pardon), avec une morale qui indique que l’application de la lettre de la Loi du Talion ne mène pas à la rédemption.
«Pardonne-nous nos offenses, comme nous 
pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés» (viii).

Les riches et les pervers du Vide et de Hell.com
«C’est un suspense, un thriller, mais en
 même temps,  j’avais le goût de me
défouler sur un phénomène qui se
déroule en ce moment, qui est la
téléréalité. Mais ça me sert à moi à
 parler du vide existentiel» (ix).
«Gardez-vous des faux prophètes. Ils
viennent  à vous en vêtements de
brebis, mais  au dedans ce sont
des loups ravisseurs» (x).
Dans Le Vide, Patrick Senécal raconte plusieurs histoires parallèles, mais essentiellement, le pivot central du roman repose sur Maxime Lavoie, le milliardaire héritier de l’empire familial érigé sur des entreprises. Dans ce roman qui dénonce les effets pervers de la télé-réalité et l’influence du pouvoir pour le pouvoir sur l’esprit humain, le romancier ne peut se détacher des valeurs judéo-chrétiennes rattachées à l’image du Bien et du Mal. Par exemple, on notera que la corruption de l’esprit et des actes vient d’abord de l’argent et du pouvoir. Ici, il s'agit surtout d'un trait culturel-religieux québécois, trait qui est présent dans un grand pan de notre littérature de la première moitié du 20e siècle, que de trouver l'argent suspect, de s'en méfier, et de l'associer au malin; Un homme et son péché est l'illustration parfaite de ce fait. Mais trait culturel ou non, il reste inspiré de valeurs judéo-chrétiennes. On peut aussi remarquer que le "vide existentiel" auquel fait référence l'auteur fait écho à l'absence de croyance, et que l'argent/pouvoir rappelle le veau d'or de l'Exode.
«Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la
rouille détruisent, et où les  voleurs percent et dérobent; mais
amassez-vous des trésors dans le ciel, où la teigne et la rouille
 ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent.
 Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur» (xi).
On notera également que les actes répréhensibles ou pervers sont d’abord des actes sexuels et des perversions sexuelles diverses. Le roman entier est basé sur une scène horrible entièrement ancrée dans de telles perversions sexuelles. Le Vide raconte essentiellement la descente aux enfers de ces usagers du Mal, les dommages collatéraux qu’ils causent et pointe carrément le doigt vers l’absence de Dieu (ou de force supérieure déterminante du Bien) ou bien le silence de ce dernier. On notera également que si le riche détenant le pouvoir ne peut avoir l'âme sereine - malgré ses tentatives de vouloir faire le bien via son entreprise, Lavoie se voit entraîné vers le Mal – l' intellectuel n'est pas épargnés pour autant, comme l’illustre bien le psychologue qui donne d’abord un sens à sa vie grâce à des perversions sexuelles avant lui aussi de plonger dans le Mal.
«Ne nous laissez pas succomber à la tentation» (xii).
Comme Les sept jours du Talion répondait à 5150 Rue des Ormes, l’auteur applique également un effet de continuité de l’exploration d’un thème (du vide existentiel) avec son roman suivant: Hell.com. Ici encore, nous suivons l’histoire d’un milliardaire héritier de l’empire familial érigé sur des entreprises, et sa descente aux Enfers. Daniel Saul remplace donc Maxime Lavoie dans cette nouvelle exploration de l’enfer. Dans Hell.com, comme dans Le Vide, le Mal avec un grand M vient d’abord du pouvoir et ce pouvoir, dans notre monde, vient de l’argent et la richesse.
«Je voulais aussi montrer à quoi pourrait ressembler
 le Mal organisé, organisé par des gens qui
 comprennent qu'il y a de l'argent à faire avec le vice» (xiii).
Ce "vice", qui renvoie immédiatement à des penchants ou habitudes reprouvées par la morale religieuse, est une fois de plus représenté initialement par des actes sexuels inhabituels et des perversions sexuelles diverses.
«Mais moi, je vous dis que quiconque regarde 
une femme pour la convoiter a déjà commis
 un adultère avec elle dans son cœur» (xiv).
Aussi, il y a deux parallèles religieux assez évident dans le personnage de Daniel Saul. Le premier est Jésus, qui, selon la littérature chrétienne, accompli sa destinée après un chemin de croix souffrant. Il en va de même avec Saul dans Hell.com. Et les références à cet effet ne manquent pas dans le roman: «Tandis que les ténèbres l'envahissent, il songe confusément qu'il s'agit là de sa seconde chute» (xv) Puis, «Daniel est traversé par une pensée aussi absurde qu'incongrue: ... je tombe pour la troisième fois...» (xv).
Le second parallèle vient de son nom, qui est révélateur. Loin d’être un anodin patronyme répandu au Québec, Saul est le nom original de Paul de Tarse (Saint-Paul), personnage d’une importance majeure dans le nouveau testament et dans l’évolution de l’église chrétienne. Il est aussi intéressant de noter que l’histoire de Daniel Saul, sa descente vers les bas fonds et son chemin de croix/chemin de Damas rédempteur, n’est pas sans rappeler la destinée de Saint-Paul, qui, après avoir été envoyé à Damas pour persécuter les chrétiens, rencontre le Christ et se converti; un retournement de conviction qui lui donne l'accès au ciel, à Dieu. On notera que la conclusion rédemptrice de Hell.com trouve son apogée dans un épilogue où Daniel est - symboliquement - devenu Dieu.
«Mais délivrez-nous du mal. Amen» (xvi).

Conclusion: Contre Dieu - et pour Malphas? (xviii).
«Je peux comprendre que, quand tu as tout fait pour être quelqu'un de
bien et que tout ça t'est enlevé pour rien, la colère et la révolte sont
tout à fait admissibles. Même si, au bout du compte, c'est une réaction
qui ne mène à rien» (xviii).
Avec le très court roman Contre Dieu, l’auteur aborde plus ouvertement la thématique explorée dans Le Vide et Hell.com. L’absence de Dieu – ou la conviction qu’il n’existe pas – est suffisante pour que l’humain se tourne vers le Mal, vers le Diable. Dans le cas de ce roman, combattre le Bien (Dieu) en faisant le Mal devient la motivation principale du protagoniste.
Ainsi, avec ces six romans, Senécal semble démontrer que la conviction que Dieu n’existe pas est suffisante pour se tourner vers le Mal. Comme le dit un protagoniste du Vide«Il faut souffrir pour comprendre... il faut se rendre compte que rien n'a de sens» (xix).
Les protagonistes de 5150 ou du Talion justifient essentiellement leurs actes selon des concepts de justices judéo-chrétiens. Ceux du Vide, de Hell et de Contre Dieu se tournent directement vers le Mal dès la conviction de l’existence de Dieu disparue.
Chacun à sa manière, les protagonistes de Senécal sont tous croyants car lorsqu'ils perdent leur confiance en Dieu et que leurs repères religieux tombent, cette nouvelle "absence de sens" de la vie justifie alors de se tourner vers le Mal. Comme aucun n'a le réflexe de se tourner vers le Bien, malgré l'absence de sens, le lecteur est forcé de croire que seul Dieu peut apporter un sens au Bien, dans ces six romans. Le Bien pour le bien, sans avoir à être endossé par des motivations religieuses et des croyances en l'Être supérieur, ne semble donc jamais une avenue dans les romans de Senécal.

Références
1. Les quatre romans suivants sont cités à parti de leur édition en format de poche parue aux Éditions Alire.
- 5150 Rue des Ormes, 2001
- Les sept jours du Talion, 2002
- Le Vide (en deux volume, Vivre au Max et Flambeaux), 2008
- Hell.com, 2009
2. Le roman Sur le Seuil a été publié par les Éditions Alire, en 1998.
3. Le roman Contre Dieu a été publiée aux Éditions Coup de tête, en 2010.

Notes
(i) Le lecteur notera que cet article ne porte aucun jugement critique littéraire des romans cités ou de l'oeuvre de Patrick Senécal. L'auteur explore seulement une facette de l'oeuvre de Senécal via ses observations sur six romans choisis.
(ii) P. Senécal, en entrevue avec Steve Laflamme, Alibis #25.
(iii) 5150 Rue des Ormes, p. 220.
(iv) Évangile de Mathieu, chapitre 5, verset 6.
(v) Les sept jours du Talion, p.333.
(vi) Évangile de Mathieu, chapitre 5, versets 38 et 39.
(vii) P. Senécal, en entrevue avec Nora Merola, MSN Divertissment.
(viii) Notre-Père, version française la plus courante, telle que récitée par l'église catholique romaine.
(ix) P.Senécal, en entrevue avec MC Delisle, sur C'est ma vie... je n'y peux rien!
(x) Évangile de Mathieu, chapitre 7, verset 15.
(xi) Évangile de Mathieu, chapitre 6, versets 19-21.
(xii) Notre-Père, version française la plus courante, telle que récitée par l'église catholique romaine.
(xiii) P. Senécal, en entrevue avec Josée Boudreau, Brins d'éternité #25.
(xiv) Évangile de Mathieu, chapitre 5, verset 28.
(xv) Hell.com, p.464 et p.498.
(xvi) Notre-Père, version française la plus courante, telle que récitée par l'église catholique romaine.
(xvii) Le prochain roman annoncé de Patrick Senécal sera le premier de sa série intitulée "Malphas". À moins qu'il ne s'agisse d'un hasard, Malphas est le nom d'un démon bien connu des amateurs de magie rituelle et d'évocation démoniaque.
(xviii) P.Senécal, en entrevue avec Nora Merola, MSN Divertissment.
(xix) Le Vide - Flambeaux, p. 99.
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