mardi 8 février 2011

Dieu et le Diable chez Patrick Senécal (2)

J'irais même jusqu'à dire que s'il y a une thématique qui
surplombe la quasi totalité des oeuvres de Patrick Senécal,
c'est bien celle des valeurs judéo-chrétiennes.
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Introduction
Ce n'est pas à la légère que j'ai écrit ce commentaire lors de la publication de mon billet-critique sur le court roman Contre Dieu, de Patrick Senécal. En fait, c'était une idée qui me trottait dans la tête depuis un certain temps déjà, et ma lecture de Hell.com et de Contre Dieu a ramené cette idée à l'avant plan et m'a décidé à écrire le petit article qui suit (i).
Depuis 5150 Rue des Ormes, peuplé de justes et d'injustes et centré sur l'interprétation des humains de la Loi (divine) avec un grand L, jusqu'à Hell.com au sujet duquel l'auteur disait que s'il était le diable, aujourd'hui, il serait sur Internet, il est virtuellement impossible de lire Senécal sans plonger dans les valeurs judéo-chrétiennes. Et ce, même si la chose étonne de la part d'un auteur relativement jeune qui n'a pas grandi dans le Québec pré-révolution tranquille. Elle pourrait aussi étonner de la part d'un auteur fantastique, mais Senécal n'a jamais vu l'intérêt de mettre en scène l'horreur sous sa forme fantastique traditionnelle (vampires, loups-garous, etc). Les "monstres" de Senécal sont toujours humains et symbolisent, par leurs valeurs, Dieu et le Diable. «Quand je veux faire réfléchir à quelque chose, on dirait que je ne peux le faire qu’en étant réaliste» (ii).
L’auteur explore donc le monde dans des romans dominés par les valeurs judéo-chrétiennes et où l’absence de ces valeurs réfère immédiatement à des concepts reliés au Mal.

Sur le Seuil: contre le Diable
Si on regarde la surface des choses, le roman de Patrick Senécal où Dieu ou le Diable sont le plus présents est certainement Sur le Seuil. Dans ce roman - et sous l’apparence d’un roman de fantastique horrifique conventionnel - Senécal nous raconte une histoire dont le point central est le Mal avec un grand M, sa transmission et son omnipotence une fois installé chez l'humain. De plus, sous le couvert d’une version personnelle de The Omen, oeuvre qui racontait ouvertement l’avènement/retour du Diable parmi les humains, l’auteur nous ouvre les portes de sa conception du Mal et de l’Enfer. Les origines et la transmission de ce Mal nous est raconté via ceux qui ont assisté à certaines cérémonies, ou bien ceux qui ont voulu le combattre. Dans le cas précis de Sur le Seuil, ces scènes proviennent de membres du clergé, qu’ils soient chrétiens ou rebelles, et la cérémonie ultime du roman est une version personnelle d’une messe satanique à l’intérieur même d’une église. On peut difficilement demander plus religieux comme référent du Bien et du Mal. Ceci dit, en fantastique horrifique, il n’est pas rare – et c’est même le concept le plus répandu – d’utiliser des éléments religieux ou des renégats de la religion pour évoquer le Bien ou le Mal; Dieu ou le Diable. Senécal pige ici dans la grande marmite du fantastique horrifique contemporain comme bien d’autres avant lui.

Les justes et les injustes de 5150 et du Talion
«La concrétisation parfaite du combat
entre le Bien et le Mal, entre les Justes
et les Non-Justes!» (iii).
Dans 5150 Rue des Ormes, on suit les mésaventure de Yannick Bérubé, qui a est tombé par hasard sur une famille dysfonctionnelle dominée par Jacques Beaulieu, lequel séquestre Yannick suite à ses malencontreuses découvertes. Toute l’histoire de ce roman se déroule donc autour de l’affrontement entre Yannick et Jacques, vu du point de vue de la victime de cette séquestration. Au fil du roman, on assiste toutefois à des éclaircissements sur la situation et sur le dilemme devant lequel Jacques est placé. Beaulieu a une très haute opinion de ses actes et se défini comme un juste ultime, quelqu’un qui s’est donné comme mission d’appliquer une sorte de justice divine, face à tous les non-justes qui sévissent. Sévir contre Yannick serait injuste, mais le libérer signifierait la fin de sa mission (divine). D’où le dilemme.
«Heureux ceux qui ont faim et soif
de la justice, car ils seront rassasiés!» (iv)
Si les références chrétiennes directes sont réservées au personnage secondaire de la femme de Jacques, Maude, dans son délire religieux, on ne peut pas ignorer l’influence chrétienne dans les concepts de justice (punir le Mal) et d’injustice (faire le mal) qui caractérisent la motivation de Jacques.
Avec le titre du roman suivant, Les sept jours du Talion, Senécal endosse directement une référence biblique célèbre; le thème de la vengeance, la Loi du Talion; œil pour œil dent pour dent...
«Vous croyez que ce genre d'actions est une solution?
Bruno se tourna vers la journaliste, la dévisagea un
moment puis répondit avec nonchalance:
- Non» (v).
«Vous avez appris qu’il a été dit: œil pour œil,
et dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne
pas résister au méchant. Si quelqu’un te
 frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre» (vi).
Tout le roman est donc une réflexion sur cette référence judéo-chrétienne. Le roman raconte l’histoire d’un homme qui, après le viol et le meurtre de sa fillette, décide de prendre la justice en main. Il enlève le coupable de ce crime horrible et le séquestre dans le but de le torturer.
«Si Dieu existe, effectivement il est
neutre. Mais cette neutralité-là
peut être très révoltante et ça vient
ébranler nos paramètres relatifs
au bien et au mal» (vii).
Mais outre la réflexion sur la vengeance, on note un effet miroir intéressant de ce roman avec 5150 Rue des ormes. En effet, Le Talion raconte en quelque sorte l’histoire de Bruno Hamel qui tient Anthony Lemaire séquestré avec pour but de punir ce "non-juste". Autrement dit, mis à part les considérations morales, nous avons ici un roman qui raconte une histoire similaire à 5150 rue des Ormes, mais du point de vue du séquestreur plutôt que de celui du séquestré. (Et bien que les films adaptés de ces deux romans soient sortis à quelques mois d'intervalle, personne ne semble avoir fait ce lien non plus au cinéma).
Le déroulement et la finale du Talion montrent une évolution de l’ancien testament (le talion) au nouveau testament (le pardon), avec une morale qui indique que l’application de la lettre de la Loi du Talion ne mène pas à la rédemption.
«Pardonne-nous nos offenses, comme nous 
pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés» (viii).

Les riches et les pervers du Vide et de Hell.com
«C’est un suspense, un thriller, mais en
 même temps,  j’avais le goût de me
défouler sur un phénomène qui se
déroule en ce moment, qui est la
téléréalité. Mais ça me sert à moi à
 parler du vide existentiel» (ix).
«Gardez-vous des faux prophètes. Ils
viennent  à vous en vêtements de
brebis, mais  au dedans ce sont
des loups ravisseurs» (x).
Dans Le Vide, Patrick Senécal raconte plusieurs histoires parallèles, mais essentiellement, le pivot central du roman repose sur Maxime Lavoie, le milliardaire héritier de l’empire familial érigé sur des entreprises. Dans ce roman qui dénonce les effets pervers de la télé-réalité et l’influence du pouvoir pour le pouvoir sur l’esprit humain, le romancier ne peut se détacher des valeurs judéo-chrétiennes rattachées à l’image du Bien et du Mal. Par exemple, on notera que la corruption de l’esprit et des actes vient d’abord de l’argent et du pouvoir. Ici, il s'agit surtout d'un trait culturel-religieux québécois, trait qui est présent dans un grand pan de notre littérature de la première moitié du 20e siècle, que de trouver l'argent suspect, de s'en méfier, et de l'associer au malin; Un homme et son péché est l'illustration parfaite de ce fait. Mais trait culturel ou non, il reste inspiré de valeurs judéo-chrétiennes. On peut aussi remarquer que le "vide existentiel" auquel fait référence l'auteur fait écho à l'absence de croyance, et que l'argent/pouvoir rappelle le veau d'or de l'Exode.
«Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la
rouille détruisent, et où les  voleurs percent et dérobent; mais
amassez-vous des trésors dans le ciel, où la teigne et la rouille
 ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent.
 Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur» (xi).
On notera également que les actes répréhensibles ou pervers sont d’abord des actes sexuels et des perversions sexuelles diverses. Le roman entier est basé sur une scène horrible entièrement ancrée dans de telles perversions sexuelles. Le Vide raconte essentiellement la descente aux enfers de ces usagers du Mal, les dommages collatéraux qu’ils causent et pointe carrément le doigt vers l’absence de Dieu (ou de force supérieure déterminante du Bien) ou bien le silence de ce dernier. On notera également que si le riche détenant le pouvoir ne peut avoir l'âme sereine - malgré ses tentatives de vouloir faire le bien via son entreprise, Lavoie se voit entraîné vers le Mal – l' intellectuel n'est pas épargnés pour autant, comme l’illustre bien le psychologue qui donne d’abord un sens à sa vie grâce à des perversions sexuelles avant lui aussi de plonger dans le Mal.
«Ne nous laissez pas succomber à la tentation» (xii).
Comme Les sept jours du Talion répondait à 5150 Rue des Ormes, l’auteur applique également un effet de continuité de l’exploration d’un thème (du vide existentiel) avec son roman suivant: Hell.com. Ici encore, nous suivons l’histoire d’un milliardaire héritier de l’empire familial érigé sur des entreprises, et sa descente aux Enfers. Daniel Saul remplace donc Maxime Lavoie dans cette nouvelle exploration de l’enfer. Dans Hell.com, comme dans Le Vide, le Mal avec un grand M vient d’abord du pouvoir et ce pouvoir, dans notre monde, vient de l’argent et la richesse.
«Je voulais aussi montrer à quoi pourrait ressembler
 le Mal organisé, organisé par des gens qui
 comprennent qu'il y a de l'argent à faire avec le vice» (xiii).
Ce "vice", qui renvoie immédiatement à des penchants ou habitudes reprouvées par la morale religieuse, est une fois de plus représenté initialement par des actes sexuels inhabituels et des perversions sexuelles diverses.
«Mais moi, je vous dis que quiconque regarde 
une femme pour la convoiter a déjà commis
 un adultère avec elle dans son cœur» (xiv).
Aussi, il y a deux parallèles religieux assez évident dans le personnage de Daniel Saul. Le premier est Jésus, qui, selon la littérature chrétienne, accompli sa destinée après un chemin de croix souffrant. Il en va de même avec Saul dans Hell.com. Et les références à cet effet ne manquent pas dans le roman: «Tandis que les ténèbres l'envahissent, il songe confusément qu'il s'agit là de sa seconde chute» (xv) Puis, «Daniel est traversé par une pensée aussi absurde qu'incongrue: ... je tombe pour la troisième fois...» (xv).
Le second parallèle vient de son nom, qui est révélateur. Loin d’être un anodin patronyme répandu au Québec, Saul est le nom original de Paul de Tarse (Saint-Paul), personnage d’une importance majeure dans le nouveau testament et dans l’évolution de l’église chrétienne. Il est aussi intéressant de noter que l’histoire de Daniel Saul, sa descente vers les bas fonds et son chemin de croix/chemin de Damas rédempteur, n’est pas sans rappeler la destinée de Saint-Paul, qui, après avoir été envoyé à Damas pour persécuter les chrétiens, rencontre le Christ et se converti; un retournement de conviction qui lui donne l'accès au ciel, à Dieu. On notera que la conclusion rédemptrice de Hell.com trouve son apogée dans un épilogue où Daniel est - symboliquement - devenu Dieu.
«Mais délivrez-nous du mal. Amen» (xvi).

Conclusion: Contre Dieu - et pour Malphas? (xviii).
«Je peux comprendre que, quand tu as tout fait pour être quelqu'un de
bien et que tout ça t'est enlevé pour rien, la colère et la révolte sont
tout à fait admissibles. Même si, au bout du compte, c'est une réaction
qui ne mène à rien» (xviii).
Avec le très court roman Contre Dieu, l’auteur aborde plus ouvertement la thématique explorée dans Le Vide et Hell.com. L’absence de Dieu – ou la conviction qu’il n’existe pas – est suffisante pour que l’humain se tourne vers le Mal, vers le Diable. Dans le cas de ce roman, combattre le Bien (Dieu) en faisant le Mal devient la motivation principale du protagoniste.
Ainsi, avec ces six romans, Senécal semble démontrer que la conviction que Dieu n’existe pas est suffisante pour se tourner vers le Mal. Comme le dit un protagoniste du Vide«Il faut souffrir pour comprendre... il faut se rendre compte que rien n'a de sens» (xix).
Les protagonistes de 5150 ou du Talion justifient essentiellement leurs actes selon des concepts de justices judéo-chrétiens. Ceux du Vide, de Hell et de Contre Dieu se tournent directement vers le Mal dès la conviction de l’existence de Dieu disparue.
Chacun à sa manière, les protagonistes de Senécal sont tous croyants car lorsqu'ils perdent leur confiance en Dieu et que leurs repères religieux tombent, cette nouvelle "absence de sens" de la vie justifie alors de se tourner vers le Mal. Comme aucun n'a le réflexe de se tourner vers le Bien, malgré l'absence de sens, le lecteur est forcé de croire que seul Dieu peut apporter un sens au Bien, dans ces six romans. Le Bien pour le bien, sans avoir à être endossé par des motivations religieuses et des croyances en l'Être supérieur, ne semble donc jamais une avenue dans les romans de Senécal.

Références
1. Les quatre romans suivants sont cités à parti de leur édition en format de poche parue aux Éditions Alire.
- 5150 Rue des Ormes, 2001
- Les sept jours du Talion, 2002
- Le Vide (en deux volume, Vivre au Max et Flambeaux), 2008
- Hell.com, 2009
2. Le roman Sur le Seuil a été publié par les Éditions Alire, en 1998.
3. Le roman Contre Dieu a été publiée aux Éditions Coup de tête, en 2010.

Notes
(i) Le lecteur notera que cet article ne porte aucun jugement critique littéraire des romans cités ou de l'oeuvre de Patrick Senécal. L'auteur explore seulement une facette de l'oeuvre de Senécal via ses observations sur six romans choisis.
(ii) P. Senécal, en entrevue avec Steve Laflamme, Alibis #25.
(iii) 5150 Rue des Ormes, p. 220.
(iv) Évangile de Mathieu, chapitre 5, verset 6.
(v) Les sept jours du Talion, p.333.
(vi) Évangile de Mathieu, chapitre 5, versets 38 et 39.
(vii) P. Senécal, en entrevue avec Nora Merola, MSN Divertissment.
(viii) Notre-Père, version française la plus courante, telle que récitée par l'église catholique romaine.
(ix) P.Senécal, en entrevue avec MC Delisle, sur C'est ma vie... je n'y peux rien!
(x) Évangile de Mathieu, chapitre 7, verset 15.
(xi) Évangile de Mathieu, chapitre 6, versets 19-21.
(xii) Notre-Père, version française la plus courante, telle que récitée par l'église catholique romaine.
(xiii) P. Senécal, en entrevue avec Josée Boudreau, Brins d'éternité #25.
(xiv) Évangile de Mathieu, chapitre 5, verset 28.
(xv) Hell.com, p.464 et p.498.
(xvi) Notre-Père, version française la plus courante, telle que récitée par l'église catholique romaine.
(xvii) Le prochain roman annoncé de Patrick Senécal sera le premier de sa série intitulée "Malphas". À moins qu'il ne s'agisse d'un hasard, Malphas est le nom d'un démon bien connu des amateurs de magie rituelle et d'évocation démoniaque.
(xviii) P.Senécal, en entrevue avec Nora Merola, MSN Divertissment.
(xix) Le Vide - Flambeaux, p. 99.
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1 commentaire:

  1. Anonyme10:51 AM

    moi qui n'etant pas une amatrice de lecture , j'ai dévoré tout ses livre ,je suis contente davoir connu cet auteur surtout que ses livre sont teinté d'une touche de morale . merci beaucoup mr. sénécal maintenant jattend avec impatience le tome 2 de malphas

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