On n'aurait pas nécessairement pensé que le cinéma pourrait s'avérer une bonne source d'informations sur la crise économique mondiale, qui a débuté il y a déjà plus de deux ans. Pourtant, la semaine dernière, la conjoncture m'a fait visionner quelques documentaires et quelques fictions sur le sujet. Voici donc un survol de mon exploration cinématographique de la crise.
Mais avant de parler cinéma, si la chose vous intéresse, à la télé, Radio-Canada diffuse les vendredi à 21h une émission en trois volets, intitulée Krach - Les dessous de la crise économique mondiale, qui informe sur les causes techniques et les sur les principales institutions impliquées dans la crise (d'abord américaine). Le documentaire est également disponible sur tou.tv un peu après sa diffusion.
Si on cherche quelque chose de plus ambitieux, alors on peut se tourner vers un étonnant documentaire québécois signé Richard Brouillette: L'encerclement. Le film de Brouillette, sorti en 2008, ne se penche pas du tout sur la crise, mais plutôt sur l'histoire de ce que l'on appelle aujourd'hui le néolibéralisme, ses origines, son discours, ses critiques et l'impact qu'il a sur la démocratie. Autrement dit, c'est un film sur l'idéologie qui a mené à la crise. Il s'agit d'un long film (160 min), en noir et blanc, essentiellement constitué d'interviews avec des penseurs, des économistes, des professeurs, des tenants de la droite comme de la gauche, qui ne sont jamais pressés dans le temps ou dans leurs propos par le documentariste. Si le film démarre lentement, il trouve un certain rythme et devient presque un suspense intellectuel. D'un grand intérêt pour qui s'intéresse aux impacts de la pensée néolibérale qui domine actuellement chez nous (au Québec comme au Canada), le film étire un peu son élastique quand il attribue une intention néolibérale à la création du FMI et de la Banque Mondiale (je suis plutôt de l'avis que les missions et intentions de ces deux institutions ont été détournées à un moment, bien plus tard qu'après la deuxième guerre mondiale). Sinon, le propos ouvert de Brouillette est fascinant et d'une cohérence à toute épreuve, compte tenu qu'il donne la libre parole aux penseurs de toutes allégeances.
Un autre documentaire - dont une version fiction existe aussi - a attiré mon attention, et il s'agit d'un film intitulé Casino Jack and The United States of Money. Le film raconte l'histoire de Jack Abramoff, un puissant lobbyiste de Washington qui s'est retrouvé dans l'eau chaude après un scandale politique et financier démontrant qu'il opérait illégalement sur plusieurs fronts. Plus que le personnage lui-même, qui avait un accès quasi direct à la présidence sous l'époque de George W. Bush, l'intérêt du film repose sur la critique qu'il permet de faire du système de lobby de Washington - où on peut carrément acheter les votes des sénateurs ou des représentants - ainsi que sur les politiques néolibérales qui ont contribué à précipiter la crise économique mondiale. Pour qui s'intéresse plutôt à la crise économique et ses causes profondes, l'intérêt de Casino Jack and The United States of Money est toute la section sur Saipan, la plus grande île du commonwealth américain des Îles Mariannes du Nord, où on a pratiqué le libre marché dans ce qu'il a de plus pur - absence de réglementation quasi totale - profitant du fait que le commonwealth est exempt de plusieurs lois fédérales américaines, comme celle sur l'immigration et celle sur le travail. Ce segment à lui seul vaut amplement le coût de location du film. Les néolibéraux qui réclament toujours moins de réglementation des marchés et plus de liberté devraient voir ce segment pour découvrir ce qu'il advient quand l'état s'absente et laisse le marché s'auto-réguler: importation de travailleur à bas salaires, conditions de vie et de travail lamentables, corruption, l'histoire dégénère jusqu'à l'esclavage, rien de moins, avec des travailleurs du textiles enchaînés 18h par jour à leur machine et n'ayant aucune possibilité de s'en sortir après qu'on leur ait confisqué leur passeport. Le film, présenté à Sundance en janvier 2010, est maintenant disponible en vidéo.
Sinon, une version fiction (que je n'ai pas vu), mettant en vedette Kevin Spacey, est sorti aux États Unis en décembre dernier après une présentation en septembre 2010 au Festival de Toronto. Le film - canadien - est encore présenté dans les cinémas.
Ce n'est pas un hasard si j'ai gardé la fiction pour la fin. Et par une amusante coïncidence, cette fiction est d'un réalisateur dont j'ai justement parlé récemment dans le cadre d'un commentaire sur un de ses films... documentaires. Je parle ici d'Oliver Stone, qui a ressuscité son personnage fétiche de Gordon Gekko (Wall Street, 1987) dans une suite intitulée Wall Street: Money Never Sleeps en 2010. Même si cette suite a reçu un accueil timide, et qu'elle est moins acérée que l'original, il reste intéressant de voir la critique économique version Oliver Stone, surtout que le film prend sa source dans la crise économique mondiale. Il n'est pas non plus déplaisant de revoir Michael Douglas en forme dans le rôle de Gekko. Accessoirement, le montage brillant et les superbes images de New York vaudraient à eux seuls le visionnement de ce film, pour qui aime la manière d'Oliver Stone. Le cinéaste n'est pas toujours subtil, mais demeure un très habile raconteur d'histoire, et sait bien rythmer une intrigue avec sa caméra.
Je me suis permis un doublé Wall Street, en revoyant d'abord l'original de 1987 - qui a étonnamment bien vieilli, à part le design des ordinateurs, la coiffure de Daryl Hannah et la taille des téléphones sans fil. Stone se permet d'ailleurs un clin d'oeil amusant à cette évolution technologique dans l'introduction de Money Never Sleeps alors que Gekko sort de prison. Les nouveaux personnages de la suite sont crédibles et intéressants - et constituent en fait le coeur critique du film - mais j'avoue que je ne suis pas un grand fan de Shia Labeouf, qui - heureusement - ne tente pas de refaire le rôle tenu avec panache par Charlie Sheen en 1987. Bud Fox fait même une apparition surprise dans Money Never Sleeps, un film qui mérite mieux que l'accueil mitigé que la critique lui a réservé.
Enfin, je termine ce survol sur un film que je n'ai pas vu - Je l'ai raté la semaine dernière au Cinéma du Parc, qui le passait trop tard pour moi en semaine, mais que je me promets bien de louer dès sa sortie en mars prochain en vidéo.
Je parle de Inside Job, de Charles Ferguson. Il s'agit d'un documentaire - narré par Matt Damon - qui explore lui aussi les dessous de la crise, mais surtout la vague de déréglementation et de corruption qui a précédé la crise. Le film s'annonce d'ailleurs avec humour: "The film that cost $20,000,000,000,000 to make". Avec la panoplie de prix et nominations qu'il a reçu, il ne serait pas non plus étonnant de voir Inside Job en nomination aux Oscars.
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Mais avant de parler cinéma, si la chose vous intéresse, à la télé, Radio-Canada diffuse les vendredi à 21h une émission en trois volets, intitulée Krach - Les dessous de la crise économique mondiale, qui informe sur les causes techniques et les sur les principales institutions impliquées dans la crise (d'abord américaine). Le documentaire est également disponible sur tou.tv un peu après sa diffusion.
Si on cherche quelque chose de plus ambitieux, alors on peut se tourner vers un étonnant documentaire québécois signé Richard Brouillette: L'encerclement. Le film de Brouillette, sorti en 2008, ne se penche pas du tout sur la crise, mais plutôt sur l'histoire de ce que l'on appelle aujourd'hui le néolibéralisme, ses origines, son discours, ses critiques et l'impact qu'il a sur la démocratie. Autrement dit, c'est un film sur l'idéologie qui a mené à la crise. Il s'agit d'un long film (160 min), en noir et blanc, essentiellement constitué d'interviews avec des penseurs, des économistes, des professeurs, des tenants de la droite comme de la gauche, qui ne sont jamais pressés dans le temps ou dans leurs propos par le documentariste. Si le film démarre lentement, il trouve un certain rythme et devient presque un suspense intellectuel. D'un grand intérêt pour qui s'intéresse aux impacts de la pensée néolibérale qui domine actuellement chez nous (au Québec comme au Canada), le film étire un peu son élastique quand il attribue une intention néolibérale à la création du FMI et de la Banque Mondiale (je suis plutôt de l'avis que les missions et intentions de ces deux institutions ont été détournées à un moment, bien plus tard qu'après la deuxième guerre mondiale). Sinon, le propos ouvert de Brouillette est fascinant et d'une cohérence à toute épreuve, compte tenu qu'il donne la libre parole aux penseurs de toutes allégeances.
Un autre documentaire - dont une version fiction existe aussi - a attiré mon attention, et il s'agit d'un film intitulé Casino Jack and The United States of Money. Le film raconte l'histoire de Jack Abramoff, un puissant lobbyiste de Washington qui s'est retrouvé dans l'eau chaude après un scandale politique et financier démontrant qu'il opérait illégalement sur plusieurs fronts. Plus que le personnage lui-même, qui avait un accès quasi direct à la présidence sous l'époque de George W. Bush, l'intérêt du film repose sur la critique qu'il permet de faire du système de lobby de Washington - où on peut carrément acheter les votes des sénateurs ou des représentants - ainsi que sur les politiques néolibérales qui ont contribué à précipiter la crise économique mondiale. Pour qui s'intéresse plutôt à la crise économique et ses causes profondes, l'intérêt de Casino Jack and The United States of Money est toute la section sur Saipan, la plus grande île du commonwealth américain des Îles Mariannes du Nord, où on a pratiqué le libre marché dans ce qu'il a de plus pur - absence de réglementation quasi totale - profitant du fait que le commonwealth est exempt de plusieurs lois fédérales américaines, comme celle sur l'immigration et celle sur le travail. Ce segment à lui seul vaut amplement le coût de location du film. Les néolibéraux qui réclament toujours moins de réglementation des marchés et plus de liberté devraient voir ce segment pour découvrir ce qu'il advient quand l'état s'absente et laisse le marché s'auto-réguler: importation de travailleur à bas salaires, conditions de vie et de travail lamentables, corruption, l'histoire dégénère jusqu'à l'esclavage, rien de moins, avec des travailleurs du textiles enchaînés 18h par jour à leur machine et n'ayant aucune possibilité de s'en sortir après qu'on leur ait confisqué leur passeport. Le film, présenté à Sundance en janvier 2010, est maintenant disponible en vidéo.
Sinon, une version fiction (que je n'ai pas vu), mettant en vedette Kevin Spacey, est sorti aux États Unis en décembre dernier après une présentation en septembre 2010 au Festival de Toronto. Le film - canadien - est encore présenté dans les cinémas.
Ce n'est pas un hasard si j'ai gardé la fiction pour la fin. Et par une amusante coïncidence, cette fiction est d'un réalisateur dont j'ai justement parlé récemment dans le cadre d'un commentaire sur un de ses films... documentaires. Je parle ici d'Oliver Stone, qui a ressuscité son personnage fétiche de Gordon Gekko (Wall Street, 1987) dans une suite intitulée Wall Street: Money Never Sleeps en 2010. Même si cette suite a reçu un accueil timide, et qu'elle est moins acérée que l'original, il reste intéressant de voir la critique économique version Oliver Stone, surtout que le film prend sa source dans la crise économique mondiale. Il n'est pas non plus déplaisant de revoir Michael Douglas en forme dans le rôle de Gekko. Accessoirement, le montage brillant et les superbes images de New York vaudraient à eux seuls le visionnement de ce film, pour qui aime la manière d'Oliver Stone. Le cinéaste n'est pas toujours subtil, mais demeure un très habile raconteur d'histoire, et sait bien rythmer une intrigue avec sa caméra.
Je me suis permis un doublé Wall Street, en revoyant d'abord l'original de 1987 - qui a étonnamment bien vieilli, à part le design des ordinateurs, la coiffure de Daryl Hannah et la taille des téléphones sans fil. Stone se permet d'ailleurs un clin d'oeil amusant à cette évolution technologique dans l'introduction de Money Never Sleeps alors que Gekko sort de prison. Les nouveaux personnages de la suite sont crédibles et intéressants - et constituent en fait le coeur critique du film - mais j'avoue que je ne suis pas un grand fan de Shia Labeouf, qui - heureusement - ne tente pas de refaire le rôle tenu avec panache par Charlie Sheen en 1987. Bud Fox fait même une apparition surprise dans Money Never Sleeps, un film qui mérite mieux que l'accueil mitigé que la critique lui a réservé.
Enfin, je termine ce survol sur un film que je n'ai pas vu - Je l'ai raté la semaine dernière au Cinéma du Parc, qui le passait trop tard pour moi en semaine, mais que je me promets bien de louer dès sa sortie en mars prochain en vidéo.
Je parle de Inside Job, de Charles Ferguson. Il s'agit d'un documentaire - narré par Matt Damon - qui explore lui aussi les dessous de la crise, mais surtout la vague de déréglementation et de corruption qui a précédé la crise. Le film s'annonce d'ailleurs avec humour: "The film that cost $20,000,000,000,000 to make". Avec la panoplie de prix et nominations qu'il a reçu, il ne serait pas non plus étonnant de voir Inside Job en nomination aux Oscars.
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