lundi 28 juin 2010

Entretien avec deux stagiaires au Burkina Faso

Comme je m'intéresse beaucoup à la coopération internationale depuis les dernières années - et que j'écris sur le sujet depuis un moment sur ce blogue, il me semblait naturel de profiter de la présence de stagiaires de ma connaissance au Burkina Faso dans le cadre d'un projet de coopération pour m'entretenir avec eux de leur projet sur place. Voici le résultat de nos premiers échanges formels sur le sujet.
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Hugues Morin (HM): Vous avez suivi quelques sessions de préparation au séjour en Afrique. Malgré cela, quel élément vous a le plus surpris depuis votre arrivée? Le plus amusé, ou dérangé...

Suzie Nadeau (SN): Ce qui m'a le plus surpris dans mes premieres heures au Burkina Faso, c'est le sous-développement de la capitale. On nous avait tellement dit que c'était une ville vibrante et remplie d'énergie, avec une panoplie d'activites culturelles, que je m'attendais à voir une ville beaucoup plus développée... Le centre correspond plutôt à ma perception de ce que devrait être une capitale, mais tout autour... wow! C'est constitué de petits magasins et de maisons bâties un peu n'importe comment, sans aucune vision d'urbanisme. Les taxi collectifs t'emmènent d'un goudron à l'autre (rue asphaltée) et le reste du chemin vers la maison doit se faire à pied sous un soleil de plomb, sur des chemins de terre orange, avec des trous immenses qui se transforment en lacs dès qu'il pleut. Si au Québec, on a des nids de poule, ici, ils ont des nids de dinosaures! (Évidemment, il y a toujours des taxis pour t'emmener à la porte si tu payes plus).

Émilie Langevin (ÉL): Pour certains aspects, c'est moins dépaysant que je m'y attendais. Je pensais me faire manger par les moustiques alors que je n'en vois presque pas. Je pensais qu'il y aurait toujours des gens empilés dans les transports alors qu'en taxi, on est pas mal les seuls à se coincer 7 plus le chauffeur. Je croyais que nous allions manger avec nos mains, ce qui n'est pas le cas, ou très rarement. Je pensais devoir aller aux toilettes dans une cabane à l'extérieur alors que j'ai ma propre toilette, reliée à ma chambre (mais c'est une exception, je suis tombé sur la famille la plus riche du groupe, famille qui est même plus riche que moi!).

SN: Ce qui pèse aussi, à la longue, ce sont les nassara, criés a tue tête par les enfants, les nassara, dits à voix normale par les adultes, ou les pssssttttt!!! - un appel vraiment impoli chez nous. Ça, et l'impression qu'ils nous perçoivent comme des êtres extrêmement riches, qui détiennent toute la vérité sur tout.

HM: Justement, comment ils sont, les gens de Ouaga que vous avez rencontrés, dans vos familles, vos entreprises...

ÉL: Les gens qu'on rencontre via quelqu'un (je veux dire qui nous ont été présenté par quelqu'un) sont plutôt gentils, cependant les filles et jeunes femmes sont plutôt fermées... Peut-être est-ce de la gêne. Les gens que l'on ne connait pas et croise dans la rue semblent toujours avoir un interet pour nous vendre quelque chose ou qu'on leur donne de l'argent.

SN: On nous avait dit combien les burkinabés sont extrêmement gentils... Les premières impressions l'ont confirmé avec les gens du CECI et tout. Quand j'ai rencontré ma première famille, ça a été différent, car la dame était très fermée et les gens de la maison parlaient dans autre langue même s'ils m'avaient invités à me joindre à eux, ce qui était bien étrange. Avec ce que j'avais vécu dans d'autres projets à l'étranger, je croyais que les gens allaient plus s'intéresser à notre culture, à qui on est. Je pensais aussi qu'ils allaient vouloir nous faire faire plein d'activités, connaître leurs intérêts, leur culture, alors que ce n'est pas le cas. En général, c'est très tranquille dans les familles. Cet aspect  nous a tous un peu deçu, je crois. Et puis pour les autres rencontres, faites au hasard, ils veulent effectivement toujours nous vendre quelque chose.

HM: Ça fait trois semaines que vous êtes arrivées, alors c'est presqu'un peu court pour parler du stage, mais à ce stade-ci, votre travail ressemblera-t-il à l'idée que vous vous en étiez fait?

ÉL: Après deux semaines, on commençait à peine. Il y a deux entreprises qui nous déçoivent, car elles n'ont pas de volet social, elles semblent à but lucratif, tout simplement, et disons que ce n'était pas le but de notre stage.

SN: Moi, je croyais que nous allions davantage travailler avec les personnes de nos entreprises alors qu'ils préfèrent nous donner un mandat à faire, ce qui est beaucoup plus facile pour eux. Nous avons très peu de contact avec les personnes à l'intérieur de nos entreprises en général. Il faut dire que chaque entreprise ayant un stagiaire profite d'une allocation en argent pour réaliser des projets dans leur entreprise. Aucune entreprise ici ne refuserait ce genre de stagiaire.

HM: J'ai comprends que vous êtes éparpillés un peu partout en ville et que vous travaillez pour différentes entreprises. Trouvez-vous que c'est un bon arrangement? Quels sont les avantages et inconvénients immédiats de cette "individualisation" de votre stage de groupe?

SN: En fait, nous avons changé un peu les choses cette semaine. Nous sommes deux stagiaires travaillant pour deux entreprises, à raison de deux jours chez l'une et deux jours chez l'autre. La dernière journée de la semaine se fait en groupe. Ça nous permet de toucher à plus d'entreprises, et de faire plus de projets en collaboration. De mon côté, ce que je trouve triste, c'est de m'être engagé dans stage de groupe mais me retrouver à faire beaucoup de travail individuel. Pour ce qui est de nos localisations éparpillées, c'est difficile, car nous sommes tous loins du centre-ville et qu'on ne peut donc rien faire ensemble le soir venu. Il faut toujours prévoir une heure de transport pour notre retour, le tout en fonction de nos taximans.

ÉL: Oui, le transport me fait suer! Près de chez moi, il est difficile d'attraper un taxi dans la rue, alors je me sens dependante. Soit je dois appeller le seul taximan dont j'ai le numéro, ou, s'il ne peut pas, je dois demander un "lift" à quelqu'un d'autre, et disons que je trouve ça plutôt gênant.

HM: Comment est vue votre présence là-bas? Etes vous des sauveurs? Etes vous des gens à qui on s'accroche faute de mieux? Et le Canada, une image particulière s'en dégage?

SN: C'est toujours bien vu quand on dit qu'on est pas Français. Globalement, ils donnent l'impression de se fier beaucoup sur nous, comme si on connaissait le karité aussi bien qu'eux, voire plus. Le plus difficile est qu'ils semblent s'attendre à nous voir réaliser des choses même si nous n'avons pas les outils pour le faire. Nous devons travailler avec l'informatique, mais n'avons ni ordinateur, ni logiciels et devons nous rendre dans des cybercafés pour tenter de travailler certains projets avec des équipements déficients. Je me suis d'ailleurs fais demander pourquoi personne de notre groupe n'avait apporté son ordinateur.

ÉL: Les gens ont une bonne opinion du Canada et des blancs en général je crois. On n'est pas perçu comme des sauveurs mais plutôt comme des gens qui connaissent tout, ou qui ont des compétences en tout. Par exemple, une étudiante à la maîtrise nous a demandé de lui faire une lettre de présentation. J'imagine que si elle est capable de faire une maîtrise, elle doit être capable de faire une lettre... la nôtre ne serait pas nécessairement meilleure, seulement différente.

HM: Merci Émilie et Suzie, je vous souhaite bonne chance avec la suite de votre projet là-bas. J'espère bien vous en reparler dans les prochaines semaines.
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Cet entretien a été réalisé par échanges de courriels, entre le 15 et le 27 juin 2010. Merci à Émilie Langevin et Suzie Nadeau pour leur aimable collaboration.
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Photo: Groupe de stagiaire de Québec Sans Frontières, marchant dans une rue de la zone du bois, un quartier au nord-ouest du centre-ville de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso (Gracieuseté de Catherine Quimper-Leclerc, que je remercie de sa collaboration). La zone du bois en question est représenté par un point et une ligne verte sur la carte de Ouagadougou publiée dans un billet précédent.
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