mardi 3 novembre 2009

Colocs en Stock: Tintin (en) Québécois !

On connait mon attachement au personnages et aventures de Tintin.
Tintin fait partie de mon enfance et de mon histoire familiale, et ma foi, il m'a tant accompagné dans mes voyages que je le considère un peu comme un copain. (les 3 liens ne sont que des exemples de plusieurs pages de ce blogue ou de mon site où je parle de Tintin).
Lorsqu'on avait annoncé l'idée de publier une aventure de Tintin en québécois, j'avoue que l'idée m'avait parue étrange. Les aventures de Tintin ont beau avoir été publiées dans de nombreuses langues, il me semblait impossible de rendre par écrit une langue/dialecte qui est essentiellement une tradition orale.
Le sociologue Yves Laberge a toutefois eu le feu vert et Casterman vient de publier une édition de Coke en Stock intitulée Colocs en stock et dont le texte est en québécois.
Le résultats est intéressant et amusant mais pas parfaitement satisfaisant.
Intéressant parce qu'il est instructif de constater comment l'adaptation a tenté de passer outre le problème de la tradition orale. On a pris le parti quasi phonétique de certaines expressions, mais il reste que souvent, le lecteur ne se retrouve pas dans l'écrit. À titre d'exemple, le quossé, que j'aurais trouvé plus représentatif en kossé, mais ce n'est qu'un choix personnel; je ne critique pas les choix effectués par le "traducteur" ici, il n'y avait tout simplement pas de bonnes réponses, chacun a sa manière d'imaginer comment on écrirait telle ou telle expression du français québécois. Même chose pour les i (au sens de il), que j'aurais transcrit par un y plutôt qu'un i. (Voir photo à droite).

Comme avec une autre langue, le lecteur s'habitue tout de même assez rapidement à ces effets de translation de l'oral vers l'écrit.
La lecture est amusante pour des raisons évidentes: il est très rigolo de voir les personnages comme Haddock ou les Dupondts parler en québécois. Évidemment, certains s'opposaient à ce projet en arguant que l'image du parlé québécois en souffrirait à l'étranger, que tout le monde imaginerait que tous les québécois parlent joual. Pour ma part, bien que je m'efforce de parler un français correct, j'assume mes origines et aime bien la richesse de certaines expressions bien québécoises. J'ai l'impression de faire honneur à mes ancêtres. Lorsque vient le moment de communiquer avec des gens d'ailleurs, je m'adapte alors en fonction de leur langue (ou dialecte) si je la parle. J'ai déjà mentionné que je traitais le français parlé en France comme une langue étrangère de la mienne; en France, j'utilise la langue locale pour bien me faire comprendre, comme j'utilise l'espagnol au Pérou ou l'anglais à Londres, par exemple. Après lecture de Colocs en stock, je ne craint pas réellement d'impact à grande échelle sur la perception que les français pourraient avoir (qu'ils ont déjà) des québécois.

Mais si Colocs en stock n'est pas une lecture parfaitement satisfaisante - outre les écarts entre l'écrit choisi et l'oral auquel nous sommes plus habitués - c'est que d'une part, personne au Québec n'utilise toute la panoplie des expressions québécoises, et encore moins celle des expressions régionales. On pourrait alors reprocher à l'adaptation de ratisser trop large et d'utiliser tellement d'expressions imagées que personne au Québec ne va s'identifier au langage composite qui en résulte. Les expressions typiques de la Gaspésie ne me rejoignent pas, et celles du Lac St-Jean ne parlent pas beaucoup à un lecteur originaire du Témiscamingue, etc.
Aussi, la "traduction" prend le parti d'utiliser le langage québécois pour tous les personnages en scène, on ne fait pas de distinction de niveaux de langage selon le contexte. Si cette décision peut déranger modérément quand il s'agit de Haddock, Tournesol et Tintin (ou même Milou), la chose créé carrément un décalage bizarre quand on lit les dialogues des personnages africains et arabes de l'histoire. Même au Québec, les gens qui parlent un peu joual ne le font pas sur le même niveau lorsqu'ils s'adressent à un ami, un étranger ou en entrevue pour un emploi, par exemple. Ici, la translation est uniforme, ce qui engendre un déphasage artificiel.
Enfin, certains éléments ne relèvent pas du tout de l'adaptation de langage, mais plutôt de l'adaptation tout court. Quand Haddock traite la Castafiore de Casta-fjord du Saguenay, on est loin de la simple transition linguistique. Si cet élément passe parfois avec un sourire (ce qui est le cas de Casta-fjord), il est parfois plus difficile à avaler (comme Alcazar qui est hébergé au Château Frontenac, en début d'épisode, alors que l'action ne se passe pas du tout à Québec). D'ailleurs, l'ensemble souffre inévitablement de cet effet de décalage - comme les films post-synchronisés où les américains parlent en argot parisien - , puisque tout le monde parle en québécois mais que ces personnages connus ne sont ni québécois, ni en sol québécois lors de cette aventure.
Reste que l'ensemble est sympathique et sait éviter la parodie et la vulgarité. On n'a pas l'impression de faire rire de nous, ni que l'on rit de Tintin. Et notons que ce n'est pas la première fois qu'un album de Tintin est édité dans un dialecte local; Les Bijoux de la Castafiore a été publié en bruxellois, un dérivé du français encore parlé par une poignée d'habitant de la capitale Belge. Alors le québécois, pourquoi pas? Et à quand un album de Tintin en argot parisien ou en verlan, tant qu'à y être?


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3 commentaires:

  1. Enfin! Enfin un commentaire réaliste et pertinent! Je suis germaniste de formation, ex-enseignant par vocation et tintinolâtre par plaisir!
    Je possède un nombre relativement important d'albums dans pas mal de langues (même en vietnamien!), une maquette de La Licorne revue et corrigée (1.20 m sur 1.30 m - pas un clou, toutes des chevilles... et tous les canons!): ceci pour me situer.
    Je partage entièrement ce commentaire qui rejoint exactement mes pensées et qui ne se lance pas dans les hautes sphère de la philosophie linguistique bien que je fusse moi-même puriste dans le mesure où il convient d'adopter le terme exact et précis quand faire se peut (je pense plus par ex. au franglais!). J'ai envoyé quelques réflexions à une journaliste québécoise dont j'ai déjà oublié le nom qui fustigeait cet album... elle n'a même pas daigner me répondre! Ce n'est pas parce que je lirai "Colocs en Stock" que je vais prendre les québécois pour des arriérés incapables de parler un français correct! Loin s'en faut! Et je suis bien placé pour en parler! En région wallone, on parle différents dialectes issus de la langue d'oïl, en région néerlandophone, même chose mais issus du moyen néerlandais: d'un village à l'autre les gens se comprennent mal ou pas du tout! Pourtant dès qu'ils parlent le français ou le néerlandais, tout s'arrange (bien sûr, je ne parle pas ici de politique!). Alors pourquoi faire un tel plat d'un ramassis de termes locaux qui restent des termes locaux sans plus, le Québec et ses habitants continuent tout simplement d' être ce qu'ils sont, c'est tout!
    J'ai été long, mais relativiser les choses me semble important.
    Encore merci pour votre article (ah oui! ... je parle aisément le bruxellois).
    André - Belgique

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  2. Merci André,
    Je trouvais important de voir cet opus pour ce qu'il était, sans plus.
    Certains critiques manquent de recul quand on parle de "leur" culture, et souvent, ils n'ont pas vu ce qui se vit ailleurs et manquent alors de perspective.
    La Belgique est un excellent exemple illustrant mon propos.
    (Et un très beau pays, bien qu'il semble y pleuvoir beaucoup quand j'y vais, mais c'est une autre histoire!)

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  3. Anonyme1:11 PM

    Au fait, moi aussi Hugues je trouve que tu as intelligemment fait le tour de la question. J'attendais cette traduction avec une brique et un fanal, mais finalement l'exercice est instructif, ne serait-ce que pour constater à quelle vitesse et avec quelle facilité on s'habitue à ces nouveaux dialogues. C'est bon de le rappeler : le Québécois (avec ses variantes, c'est bon de le rappeler aussi) est une langue... comme les autres.

    Joël Champetier

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