mercredi 5 septembre 2012

Une Crise sociale sans conclusion

Il y a plusieurs mois déjà, j'ai entamé cette série de billets sur la crise sociale au Québec. Je boucle cette série avec cette conclusion qui n'en est pas une, puisque mardi soir, l'élection d'un gouvernement minoritaire du Parti Québécois avec la balance du pouvoir à la Coalition Avenir Québec laisse la crise en suspens plutôt que de la conclure.
Le Québec a voté majoritairement à droite (CAQ+PLQ), autant en pourcentage qu'en nombre de sièges. Il sera par contre potentiellement gouverné au centre-gauche (PQ) pendant le moment que ce gouvernement minoritaire demeurera au pouvoir. Je laisse aux analystes politiques le soin de nous éclairer sur les avantages et inconvénients que chaque parti tirera de sa position.
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Ce résultat clairement à droite et qui donne un appui considérable au PLQ (31%, 50 députés), malgré tous les scandales et le vol collectif des ressources publiques laisse stupéfaits les gens de la gauche qui croyaient que le Québec avait à coeur des valeurs plus humanistes et sociales qu'individualistes et élitistes, surtout que l'élite, au Québec, elle est très petite. Comment expliquer qu'une majorité de gens votent pour des politiques qui leur sont défavorables dans son ensemble, à eux comme à leurs enfants, à court terme comme à long terme?
Dans un coup de gueule sur un réseau social, je donnais cette explication:
"Quand les idoles sont des chanteurs de téléréalité et des commentateurs démagogues, quand une marche pour du hockey regroupe 10 fois plus de monde qu'une marche pour la démocratie, quand les commentateurs les plus populaires sont ceux qui cultivent le plus la haine, quand le Premier Ministre encourage cette haine pendant des mois, oui, nous sommes un petit peuple, sous-éduqué, politiquement analphabète et profondément colonisé."
La majorité des québécois est en fait constituée d'ignorants politiques. Il leur est donc impossible de comprendre des concepts complexes et ils se rabattent alors sur des formules faciles ou des commentaires démagogues qui règlent tout les problèmes en deux phrases-chocs bien placées. (J'y reviens plus loin). La gauche n'aura donc jamais aucune chance de s'imposer comme étant porteuse de solutions qui sont meilleures pour une plus grand nombre, puisque ces solutions demandent quelques explications, et que ce plus grand nombre n'est pas capable d'écouter ces explications, il préfère le hockey ou Occupation Double.
Voilà donc pour le résultat du vote en ce qui me concerne.
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Ce matin, le gouvernement du PQ a annoncé officiellement l'abolition de la Loi 12 et de la hausse des frais de scolarité.
Le débat étudiant a donc trouvé une conclusion temporaire acceptable pour tous. Le reste du débat sur cette question devrait donc suivre en comité élargi. Ça se déroulera dans les prochains mois et nous serons à même de juger si le mouvement social aura apporté des changements importants dans notre société autrement que pour le dossier étudiant.
J'aurais aimé que le résultat électoral me permette de conclure cette série et de passer à autre chose sur ce blogue, mais je suis forcé de constater qu'au Québec, fortement divisé,  cette crise sociale n'est pas réglée; les gens ayant bruyamment réclamé du changement ne lâcheront probablement pas aussi facilement, même s'il y aura vraisemblablement une pause pendant quelques mois.
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La fin de la soirée, avec l'attentat politique qui a suivi le dévoilement des résultats, a laissé une bonne partie de la population complètement sous le choc. Nous n'avons pas de détails pour le moment au niveau du/des motifs de l'attaque, mais elle semblait être reliée à l'élection du PQ par rapport au dossier de la langue/ identité à entendre le meurtrier lors de son arrestation. Nous verrons si c'est bien le cas et si d'autres motifs s'ajoutent à sa décision de commettre un tel acte, mais j'avoue trouver naïf que de clamer le plus tôt possible qu'il s'agit d'un fou.
Certes, il faut être déconnecté de la réalité politique du Québec pour commettre un tel crime, mais au-delà de cette remarque, il faut aussi se demander quel sentiment haineux l'a poussé à agir.
Je ne peux m'empêcher de faire des parallèles avec ce qui se passe aux États-Unis et plus récemment au Canada et au Québec. La politique haineuse, les campagnes négatives, basées sur des attaques personnelles, dont la droite a fait son cheval de bataille - et ça lui réussi très bien aux urnes - cette politique haineuse, encouragée à grand renfort de cotes d'écoutes par les réseaux de radio et télé et les journaux qui engagent et supportent des commentateurs démagogues qui cultive la haine, cette politique de la haine, elle ne peut que mener à la violence. Quand les médias du ROC dépeignent le Québec comme un ramassis de racistes, ou le PQ comme le parti nazi ou comme la Russie de Staline, ils donnent des élans aux illuminés comme celui qui a fait feu hier. Quand les commentateurs d'ici - les Martineau, Gendron, Dumont, Filion, Radio X et autres démagogues de première classe, insultent et dénigrent les gens qui ne pensent pas comme eux, diabolisent le PQ ou QS ou les souverainistes ou la gauche dans son ensemble, quand Jean Charest diabolise les étudiants strictement pour se faire du capital politique, et que François Legault fait de même, eh bien ça déclenche tout plein de beaux sentiments haineux dans la tête de tout plein d'illuminés (les appels à "tirer dans le tas" pendant la crise étudiante n'ont pas manqué sur les réseaux sociaux). Quand  messieurs Charest et Legault disent à la communauté anglophone du Québec que ça va être un cataclysme et le chaos si le PQ prend le pouvoir, ils jouent sur ces mêmes sentiments, sans aucune base réaliste pour supporter leurs déclarations.
Il s'agit ensuite qu'un seul de ces illuminés passe à l'acte pour se retrouver avec un choc comme celui d'hier. Si vous voulez mon avis, avec cette culture de la haine et de la démagogie, ce n'est pas étonnant qu'une telle chose se produise. Ce qui est étonnant, c'est que ça n'arrive pas plus souvent.
D'ailleurs, aux États-Unis, un pays souvent montré en modèle par la droite, ce genre de choses est de plus en plus fréquente, depuis la montée des campagnes haineuses et de la popularité accrue des réseaux et commentateurs démagogues.
Si ces démagogues professionnels vous font rire et que vous tentez de vous cacher sous l'argument qu'il s'agit de pur divertissement, vous pensez peut-être qu'ils sont inoffensifs, mais vous vous trompez lourdement. Des gens les prennent au sérieux.
Ça sera très rassurant de dire et conclure que le tireur d'hier était un fou. Naïf, autruche, mais rassurant. Comme ça, les médias qui font leur pain et leur beurre avec ce genre de politique de la haine ne se remettront pas en question, n'auront pas à le faire. Et personne au Québec n'aura à se regarder le nombril et se demander quelle est sa part de responsabilité dans ce genre d'acte, à participer et encourager plutôt que dénoncer, les médias et leurs propriétaires, les commentateurs, les diffuseurs et les créateurs de cette haine.
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4 commentaires:

  1. Et si les Québécois étaient en fait mieux informés qu'on le pense? A l'aune des partis de droite dans le reste du Canada, aux États-Unis et dans plusieurs pays européens, le PLQ et la CAQ restent loin du néo-libéralisme. Ils sont peut-être à droite du PQ, mais ils seraient reconnus comme des partis de centre-gauche dans de nombreux pays occidentaux. (Tandis que certaines politiques du PQ ne sont pas si éloignées des lignes de conduite de certains partis de droite en Europe...)

    Avant l'élection, j'étais d'avis que les indécis et les « discrets » feraient pencher la balance. Comme les partisans du PQ et de la souveraineté sont rarement discrets ou indécis, ces discrets iraient ailleurs. S'ils étaient vraiment en colère, ils opteraient pour la CAQ. S'ils préféraient le statu quo, ils seraient fidèles aux Libéraux. Puisque l'élection démontre que le vote libéral est resté fort, j'en conclus qu'un bon tiers des Québécois est essentiellement content de son sort et ne voulait ni relancer les débats constitutionnels ni s'engager dans un grand ménage à la Legault. Est-ce le résultat de la démagogie? La possibilité d'un référendum sous un gouvernement du PQ, ce n'est pas de la démagogie. La possibilité d'une hausse de taxes pour les plus riches, c'était une promesse du PQ (et de la CAQ). Les investissements de l'État dans le BTP et le Plan Nord, c'étaient une réalité payante pour un certain nombre d'électeurs.

    Bref, il y avait des raisons objectives de voter pour les Libéraux et je crois que tu surestimes l'importance des médias poubelle et des démagogues. Ici, à Québec, une radio trash a lancé un candidat des « cols rouges » qui a vite renoncé parce que même si des milliers d'auditeurs étaient prêts à signer une pétition pour soutenir une candidature, une poignée à peine étaient disposés à sortir de chez eux. Ces discours extrêmes en amusent quelques-uns, en flattent beaucoup dans le sens du poil et rejoignent, oui, quelques personnes susceptibles de déraper. Mais si c'est notre premier assassinat politique depuis 1984 tandis qu'il y a eu depuis Polytechnique, Fabrikant et Dawson, je ne suis pas sûr qu'il faille accorder beaucoup d'importance à ce phénomène.

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    1. Merci Jean-Louis de cette remise en perspective. Il est vrai que globalement, le Québec est plus à gauche (ou que sa droite est plus centriste) que bien des endroits au monde.
      Je continue à croire que les gens s'informent mal, mais effectivement, rien ne prouve que s'ils le faisaient mieux, ils changeraient d'idée.
      Je soulignais les démagogues surtout dans la dernière partie du texte, et je continue à croire que ces gens sont dangereux car ils sont glorifiés et prix au sérieux par plus de gens que tu ne le crois et qu'en attisant la haine, il n'apporte rien de positif à la société québécoise.

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  2. Commentaire éloquent qui me donne envie d'y répondre plus en détail mais je te laisse tout de même un petit commentaire.

    En 2010, le gouvernement français (alors de droite) décrétait la fermeture de 200 camps de roms, s’attirant l'ire de nombreux commentateurs, énonçant l'impitoyable insensibilité de la droite de de Sarkozy, vomissant leur haine envers la classe dirigeante aisée et bien sûr, de droite.

    En 2012 le gouvernement français (maintenant de gauche) procède à la fermeture de camps de roms et aucuns de ces "bien pensants" de gauche qui, alors, faisaient les gorges chaudes ne sont plus là pour exprimer leur courroux.

    C'est une maladie bien triste de croire aux seules vertues de la pensée de gauche et de vilipender les autres sous prétexte qu'ils ne partagent pas ces valeurs que vous croyez si honorables.

    Bien sûr que la droite québécoise est à dénigrer, que l'usure du pouvoir l'a emmenée dans le mur. De toute façon, pour avoir vu Charest à l'oeuvre dans les années '90, je n'arrive toujours pas à comprendre comment il a pu se faire élire si longtemps au Québec.

    Je crois que ce que tu décris est plus profond qu'une situation contextuelle due aux récents évènements étudiants.

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    1. Merci Louis, l'exemple des camps de roms est très révélateur, en effet.
      "C'est une maladie bien triste de croire aux seules vertues de la pensée de gauche et de vilipender les autres"
      Tu as raison, et, comme le soulignais Jean-Louis ci-haut, il est vrai que la droite au Québec, comme celle en France, est moins à droite que dans bien des pays du globe.
      Pour le reste, je suis entièrement d'accord avec toi. En réalité, ce billet s'inscrit dans une longue série au cours de laquelle j'ai tenté d'explorer le conflit étudiant, d'où le lien avec sa conclusion actuelle. [J'aurais probablement dû exprimer tout ça dans deux billets distincts.]
      Quant à l'élection et la division sur certains aspects des programmes respectifs des partis au Québec, et quant aux dangers de la démagogie, c'est certain que c'est plus profond que le survol que j'en ai fait dans la circonstance de la soirée électorale.

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