vendredi 30 juillet 2010

Mon arrivée au Maghreb

Vous êtes chanceux, j'ai un peu de temps en solo ce soir, et dispose d'un accès internet à domicile.
Profitez-en, ça n'arrivera probablement pas souvent au cours des prochaines semaines.
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Je suis donc en Afrique. Au Maghreb, plus précisément, ce qui n'est pas l'expérience africaine la plus intense qui soit - je n'ai qu'a penser à Ouagadougou, par exemple. Je ne me sens pas plus différent que lors de mon premier pas en Asie ou en Amérique du sud, mais je suis néanmoins dépaysé.
À mon arrivée au nouveau port, j'ai pris une navette vers le vieux port, et de là, me suis orienté à la recherche d'un hébergement. Le premier établissement dont j'avais une référence était complet. Un type travaillant là m'a accompagné malgré moi pour me montrer un autre hôtel, meilleur et moins cher (soupir). ne voulant pas être impoli, je l'ai suivi et l'hôtel en question était aussi complet pour des simples (quelques doubles étaient disponibles). Mon nouvel ami a négocié un prix pour moi (en arabe) et m'a informé que je pouvais avoir une chambre pour 300 dirhams *, bien au-delà de ce que j'étais prêt à mettre avec les notes et références dont je disposais. Je l'ai remercié, et comme il a compris que je n'étais pas né de la dernière pluie, il m'a abandonné. je ne savais plus exactement où j'étais, j'ai donc navigué au pif dans les rues zigzagantes entre la plage et la medina.
L'absence de nom de rues aux croisements, et l'absence de numéros sur les portes ne rendaient pas le repérage facile. Il faisait alors une chaleur intense, et Tanger est une ville tout en collines, alors je me suis perdu en gravissant une rue jusqu'à une place relativement moderne. J'ai consulté ma carte, et tenté de trouver un nom de rue, mais en vain. Un nombre impressionnant d'agents de la circulation sont présents sur les rues ici. J'en ai alors interpelé un, pour lui demander si la rue devant nous était bien Salah Eddine el Ayoubi. Il m'a simplement répondu: "oui", et j'ai perdu son attention. J'ai entrepris de descendre la rue à la recherche d'une auberge dont j'avais l'adresse sur cette rue, mais l'absence totale de numéros sur les portes me compliquait la vie. Enfin, après avoir trouvé deux numéros, je me suis rendu compte que ça ne faisait aucun sens avec l'adresse que je cherchais. J'ai donc rebroussé chemin vers la place, puis tourné à droite pour interpelé un autre agent, en lui demandant précisément s'il connaissait cette rue, ou même l'auberge en question. Une série de réponses aussi étranges que déroutante m'ont presque fait croire qu'il ne me parlait pas français, ou bien ne comprenais pas le mien. "La rue Salah Eddine el Ayoubi, c'est par là? - Non, plus loin. - Et la pension Madrid, vous connaissez? - Oui, c'est pas un hôtel, c'est une pension. - Et vous savez c'est où? - Oui, plus loin. Place du 9 avril, place du 9 avril, vous trouverez tous les hôtels que vous cherchez là. - La pension Madrid est à la place du 9 avril? - Oui, tous les hôtels sont là. Ici, rue de Belgique."
Ma carte ne montre aucune Place du 9 avril. Ni de rue de Belgique. Je n'ai pourtant pas marché assez pour être sorti de la carte depuis mon passage à l'hôtel Nabil, mon dernier point de repère officiel. Je rebrousse donc chemin vers la place et fini par découvrir un panneau qui m'informe que c'est la Place de France. Je me repère donc sur ma carte - j'ai marché au moins 300 m de plus que j'avais estimé dans les rues en pente. Je me dirige vers une autre auberge dont j'ai une référence, plus près d'où je me situe que la Madrid. Je l'atteins en deux minutes, puis prends une chambre privée (avec évier, et wi-fi, mais douche et toilette communes sur l'étage), pour 150 dirhams *, la moitié du deal que mon ami de tout à l'heure m'offrait. Je dépose mes bagages, me rafraîchi un instant, me réhydrate, puis part explorer vers le centre de la vieille ville.
Je suis arrivé à Tanger avec un timing intéressant, puisque ce 30 juillet, c'est un jour semi-férié, car c'est la fête du Roi Mohammed VI. Pour l'occasion, le Roi lui-même est en ville, et par hasard, alors que je descend le boulevard Pasteur, le cortège royal passe devant une petite foule applaudissante aux abords du boulevard. Le roi, à moitié sorti de son véhicule officiel par le toit ouvrant, fait des salutations à la foule. Je sors mon appareil pour immortaliser l'événement, mais un agent de la sureté nationale m'indique clairement que c'est interdit.
(J'ai levé mon appareil, l'agent s'est matérialisé à mes côtés, a pris mon appareil dans sa main gantée en me disant: "Non, désolé". Il a relâché l'appareil une seconde plus tard, le cortège poursuivant son chemin).
La medina, qui est la ville marocaine d'avant l'arrivée des européen en force au Maghreb, est un étourdissant labyrinthe de petites rues et ruelles et passages, zigants et zagants dans tous les sens, avec des marchands ici, puis là, puis partout puis nulle part. On y entends surtout de l'arabe, mais aussi de l'espagnol, du français et de l'anglais, l'ensemble mélangé à de la musique rai, aux appels à la prière des muezzins criant depuis quelques minarets et, plus étrange phénomène de tous, une version techno de Agadou-dou-dou (oui, ananas et moût le café). Traverser la medina est une expérience intense et dépaysante. De la Place de France, je m'étais dirigé sans trop de problèmes vers le Grand Socco (pour y apprendre que cet endroit est aussi nommé Place du 9 avril). De là, je suis entré dans la medina elle-même par une porte en arche, puisque l'ensemble de cette vieille ville est comprise dans une série de remparts, comprenant seulement quelques accès. Puis, j'ai décidé d'improviser au lieu de tenter de suivre le trajet de mon livre, qui m'expédiait vers le Petit Socco. Je me suis donc rapidement perdu dans le dédale des rues de la medina. Après un moment, j'ai réalisé que je devrais éventuellement sortir de ce labyrinthe, alors j'ai pris une direction générale et tenté de m'y tenir.
J'ai abouti à la kasbah (forteresse), où j'ai rencontré Ahmed. Ahmed m'a fait visiter le secteur de la kasbah, sa mosquée, ses remparts, et son château (Dar el Makhzen). J'atteins ensuite l'ultime porte en arche de la medina qui donne sur l'Atlantique. Ahmed m'informe que si je suis chanceux, je pourrai voir Gibraltar, de l'autre côté du détroit. Je note ma chance d'avoir passé la journée de la veille sur le rocher en question et souris intérieurement. Mais Ahmed désirait surtout m'emmener vers les boutiques pour que j'achète des souvenirs et des cadeaux. Malheureusement pour ce dépisteur de clients à commission, ce touriste-ci n'est pas ce genre de touriste-là. Ahmed l'a finalement compris et m'a laissé dans la vague direction du Petit Socco. De là, les rues sont plus larges (relativement) et il est donc facile de retrouver le Grand Socco et la sortie de la medina. C'est d'ailleurs dans ce secteur que les touristes se trouvent.
Je suis revenu par un chemin imprévu vers mon auberge, en faisant un détour dans une rue commerciale à la recherche d'un dépanneur pour me procurer quelques bières pour la soirée. Mais on ne vend pas de bière dans les tiendas de Tanger. J'imagine que c'est parce que la religion dominante est l'Islam, et que la vente d'alcool doit être plus encadrées que dans les pays d'Europe. Après trois magasins sans bière, je décide de m'informer, au risque de commettre un impair. Le gentil monsieur à qui je demande s'il vend de la bière me répond: "Non, non. Pas de bière. Fine bouche, hein? Au cinéma. Par là-bas." J'ai soudainement l'impression d'être chez les Ch'tis. Moi, une fine bouche? Aller au cinéma pour m'acheter de la bière?Je trouve paradoxal mais amusant d'avoir plus de problèmes de communication ici que lorsque je me retrouve en pays anglophone ou hispanophone.
Je marche quelques minutes dans la direction indiquée, puis j'aperçois effectivement un cinéma (Cinéma de Paris, une salle qui passe Predators). J'observe les environs et comprends tout à coup de quoi il est question. Il y a une sorte de grande épicerie - avec des bouteilles de vin en évidence sur des étagères - juste en face. "Épicerie Fine Bouche", dit l'affiche.
Dans les rues de la ville, on rencontre des gens aux habits traditionnels, autant hommes que femmes. Certains optent pourtant pour des vêtements occidentaux, autant les hommes que les femmes. Il n'est pas non plus rare de croiser deux amies, l'une en jeans court et camisole légère, l'autre en robe traditionnelle et hijab.
De retour à mon auberge, je prends une douche glaciale. Il y a de l'eau chaude, mais il faut d'abord prévenir le réceptionniste que l'on va se doucher, pour qu'il allume le chauffe-eau. Je ne me suis pas préoccupé de faire cette demande, puisqu'avec la chaleur de la journée, l'eau glaciale était la bienvenue.
Tanger est donc une ville où il fait chaud. Très chaud même. Comme c'est aussi une ville achalandée, c'est intense à la fois en nombre de personnes qu'en nombre de véhicules. Car si les rues de la medina sont pour la plupart trop étroites pour permettre la circulation automobile, le reste de la ville est marqué d'un trafic dense, bruyant et polluant. Les nombreux agents de la circulation usent donc du sifflet à qui mieux mieux dans une cacophonie chaotique d'une inefficacité quasi comique. La ville est aussi humide et recouverte d'un épais smog qui empêche de voir très loin dans le détroit. D'ailleurs, on ne voyait pas Gibraltar du promontoire de la medina sur l'Atlantique.
Enfin, je me suis déniché une pizzeria-chawarmaria qui m'a préparé une très bonne pizza végétarienne sans oignons, que j'ai dégusté avec mes deux lager Casablanca. Le gars de la Fine Bouche m'a d'ailleurs taquiné au moment de l'achat de ces bières, disant que je portais un T-shirt Heineken, mais que j'achetais autre chose. J'oublie souvent que je porte une marque, avec ce T-shirt vintage acheté dans un marché à Bangkok. Je lui ai répondu que je voulais surtout essayer une marque locale et il m'a assuré que la Casablanca était excellente. Il n'avait pas tort.
Je vous quitte là-dessus, les muezzins viennent de repartir la prière.
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Photos: 1-Vue éloignée de la medina. 2- Belvédère, près de la Place de France. 3-Arche, Grand Socco. 4-Rue de la medina. Notez comme les édifices sont plus étroits en bas, pour permettre les déplacements, mais comme ils empiètent sur la rue, à partir de l'étage. 5-L'affichage peut être un peu déroutant. 6-Hammam (bains publics, genre de spa) de la medina.
Et quelques photos supplémentaires:


Dans les rues de la medina.


La mosquée de la kasbah.


Dans la medina, un père lave ses enfants à la fontaine publique.


Rue de la medina. Notez à quel point les édifices sont rapprochés aux étages supérieurs, les volets se touchent à certains endroits.


Homme à la cane, rue de la medina.
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Post-scriptum: Vers 21h, après une première publication de ce billet, j'ai décidé d'aller m'acheter une autre Casablanca. J'ai alors découvert que le centre-ville de Tanger pouvait également être intense en soirée, une mer de piétons envahissant les rues et bloquant le trafic. J'ai aussi compris qu'avec le changement de fuseau horaire, j'avais perdu une heure de clarté le soir depuis l'Espagne.
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* Calculez environ 8 dirhams pour un dollar canadien.

3 commentaires:

  1. Claudine9:24 AM

    Ton récit est vraiment l'fun à lire!! On s'imagine là, avec toi! Apparemment que Chefchaouen est également très très labyrinthe!! Amuses-toi !! :))

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  2. Daniel Sernine1:03 PM

    J'imagine que «socco» égale soukh, c'est-à-dire marché. Ce qui me frappe c'est que l'architecture des petites rues évoque l'Espagne, mais en plus déglingué: câblage apparent partout, aucun souci d'harmoniser les façades... Et, par endroits, c'est vraiment plus étroit. Du genre, «passe-moi le sel», mais d'une maison à l'autre... :O)

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  3. Daniel,
    Oui, Socco, souk, marché...
    Grand et Petit Socco est une mélange français et espagnol qui en dit long sur "l'occupation" et les origines de certaines places ici.

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