samedi 31 juillet 2010

Tanger, entre Rome, Carthage, les chats et les caméléons

Une autre soirée en solo avec un peu de temps, exceptionnellement.
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Ce matin, après m'être déniché une buanderie pour y laisser quelques vêtements, je suis parti vers la gare ferroviaire. L'agréable petite marche le long de l'avenue Pasteur puis du boulevard Mohammed V, en pente douce, et à l'ombre, s'est malheureusement transformée en quête de la gare, au soleil tapant déjà à 10h, dans un quartier en plein chantier. La gare en question était un peu plus loin que ce que j'avais estimé, et, 3km après avoir quitté l'abri de l'ombre confortable des édifices du boulevard, je me retrouvais enfin devant l'édifice, situé au milieu de nulle part et entouré de grues et d'un étrange cirque installé dans un champ avoisinant. À l'intérieur, trois minutes ont suffit pour acheter un billet pour le train de demain matin en direction de Casablanca, où je dois rejoindre Suzie qui arrive du Burkina après-demain matin.
En sortant de la gare, la dernière chose que je désirais faire était de remonter en plein soleil cette longue pente de 3km vers le centre. J'ai donc pris un petit taxi. (à la différence d'un grand taxi, nuance importante au Maroc). Mon chauffeur ne parlait qu'arabe. Je lui ai demandé s'il connaissait la Place de France. "France? - Oui, Place de France, vous connaissez? - France? - Oui". Il pointe son doigt en direction du centre-ville, alors je hoche la tête et monte à bord.
Il démarre et je tente de boucler ma ceinture. Il me fait signe que non. Peut-être la ceinture est-elle défectueuse, alors je tente malgré tout de boucler la chose, mais il insiste: non! Hum, je laisse tomber la ceinture. Peut-être doit-on absolument faire le trajet entre les mains d'Allah? Impossible de savoir, puisque je ne parle que 3 mots d'arabe. Huit minutes et neuf dirhams plus tard, je débarque au belvédère de la Place de France.
Je remonte l'avenue de Belgique, pour m'approcher de la plus grande mosquée du centre de Tanger. Je n'y vois aucun nom officiel - difficile de deviner, puisque les mosquées ne sont pas dédiées à des saints comme les églises et que les rares inscriptions y sont toutes en arabe.
Comme il est toujours tôt, je décide de retourner à la kasbah, puisque la veille, Ahmed était un peu pressé de filer vers les boutiques de souvenirs et il paraît que l'ancien palais se visite. Je plonge donc dans la medina et zigzague au hasard, en tentant de conserver la direction générale (grâce au soleil qui n'est pas encore trop haut) vers la kasbah. Je me perd, tourne en rond, croise un nombre étonnant de chats - y a-t-il quelque chose de particulier avec les musulmans et les chats, ou les marocains et les chats? - puis abouti enfin aux escaliers me menant à la kasbah.
L'ancien palais a été transformé en musée archéologique et la visite du musée est donc du coup une visite du palais. Pour 10 dirhams, c'est une visite vraiment intéressante, puisque la région de Tanger a été occupée dès la période phénicienne il y a pratiquement trois millénaires. Les artefacts romains sont également nombreux, parmi lesquels un splendide plancher en mosaïque de Volubilis, qui rappelle ceux d'Italica.
En sortant de la kasbah, je remonte la côte vers un promontoire rocheux d'où on a une vue absolument spectaculaire sur le détroit et l'océan Atlantique. Le promontoire est aussi le lieu de tombeaux puniques dont on ne voit plus que les formes creusées à même la roche. Le très fort vent qui règne sur le promontoire est le bienvenu et l'endroit semble d'ailleurs un lieu où les gens du coin viennent pour respirer et méditer.
De retour le long des murs de le medina, je me fait proposer par un gamin un paquet de mouchoirs pour 2 dirhams. Sans vouloir entrer dans les détails, disons que le modèle de toilette le plus répandu à Tanger semble être le modèle turc, et sans papier. Les mouchoirs seront donc certainement utiles à un moment donné. Alors que je sors mes 2 dirhams, un autre gamin se pointe et me refile un paquet de mouchoirs directement au creux de mon bras. Le premier garçon se fâche, lui crie après en arabe et lui refile un coup sur la tête! Je lui dis de se calmer, que je vais aussi lui en acheter un (à ce prix là), mais il ne parle pas français (autrement que pour informer ses clients potentiels du prix des mouchoirs, qu'il prononce "deuze"). Je lui fais signe de se calmer, alors qu'il ramasse les mouchoirs de son concurrent et les lui balance à la figure. Il hurle alors vers une dame (sa mère?) mais elle me voit et comprends mon intention, puisque je lui prends un paquet des mains en lui remettant deux pièces et fais de même avec l'autre gamin. Ils repartent tous les deux contents... et trois autres m'accostent rapidement, deux avec des mouchoirs et un avec des tortues à oreilles rouges. Il est évidemment hors de question que j'achète une tortue vivante (il y a vraiment des touristes qui en achètent??), et je tente de faire comprendre aux autres que j'ai maintenant assez de mouchoirs. Après quelques dizaines de mètres, ils abandonnent donc à leur tour. Plus loin, un autre jeune s'approche avec deux petits paniers d'osier dans les mains. Il en ouvre un et me propose un caméléon. Même argument que pour les tortues, évidemment. Dommage, remarquez, le caméléon était sympathique et étonnamment coloré, et je suis sur que Sophie aurait bien aimé ça l'avoir en cadeau, mais Martin n'aurait probablement pas approuvé, ni les douanes canadiennes d'ailleurs.
Je me déniche quelques frites pour dîner et je croise alors un groupe de jeunes, deux gars habillés en jeans et T-shirt et trois filles, dont deux portent une robe traditionnelle et un voile au design mode ne cachant pas beaucoup leurs cheveux. Elles ont les yeux maquillés et du rouge à lèvres. Au moment où elles s'éloignent, une des filles dit au garçon, en français: "Pourquoi tu me parles en arabe, je comprends rien de ce que tu dis!".
Après le dîner et une petite sieste, je m'en vais visiter l'église St-Andrews, une église anglicane près de mon auberge. La petite église est étonnante, car son architecture et sa décoration sont d'inspiration musulmanes. Et je ne parle pas ici d'un ancien édifice converti, mais bien d'une construction originale. En m'y rendant, je me souviens avoir lu qu'un peintre français avait fait un tableau avec cette église, lors d'un long séjour à Tanger. C'était qui déjà? Pissaro, Matisse, Cézanne? M'en souviens plus. L'église est fermée, mais un monsieur se trouve juste à la porte et m'ouvre pour que je puisse visiter. L'intérieur de l'église est fascinant, en particulier la prière chrétienne écrite en arabe tout autour de l'arche qui s'ouvre vers le choeur. Le gardien m'invite à m'avancer, et allume les lumières pour fournir un meilleur éclairage pour ma photo. Il parle un peu français et m'informe qu'il arrive qu'une messe soit célébrée en français dans l'église. Puis, il me montre le plafond de la nef, à caisson de bois absolument splendide et m'invite à faire un don avant de sortir. Dehors, je  me dirige vers le clocher de l'église. À mes pieds, il y a une chaîne qui traine par terre. Étrange. La chaîne part d'un poteau... et disparaît dans un buisson, d'où sort un chien de garde qui me fixe droit dans les yeux, la gueule entr'ouverte. Hum. Je lui souris: "Hola le chien". Aucune réaction. Je sais que je ne dois pas lui tourner le dos, alors je lui dis fermement: "Bon chien, je m'en vais maintenant. Bye bye!", Puis recule un peu, puis plus, puis plus, puis... il s'élance, alors je lui crie: "Stop!" en me reculant assez pour qu'il soit au bout de sa chaîne, aboyant et grondant. Hum. Avoir su que leur chien de garde m'attaquerait, j'aurais peut-être donné moins généreusement à l'église.
En fin d'après-midi, je remonte vers la Place de France à la recherche de bière. La Fine Bouche est fermée le samedi mais je déniche un autre vendeur d'alcool où je me procure quelques Heineken bien froides. À la télé, les informations sont en français et il y a un reportage sur la disparition des cinémas au Maroc. On pointe du doigt les nombreuses chaînes de télé, mais surtout les DVD pirates que l'on peut se procurer sur la rue pour 8 dirhams. En sortant du magasin, je m'éloigne de quelques rues pour explorer le secteur et me trouver un resto qui vend des shawarma (j'ai vu les deux orthographes; chawarma, alors) pour emporter.
Une fois mon souper en main, je passe devant le Cinéma Mauritania, un édifice déglingue qui laisse croire que le cinéma est fermé depuis des lustres. Au coin de la rue, j'ai la surprise de constater qu'il n'en est rien; il affiche même deux films de Bollywood en programme de la soirée. Je tourne le coin pour retourner vers la rue de Hollande, passe devant un revendeur de DVD et CD pirates à 8 dirhams et m'arrête à la buanderie pour récupérer mes vêtements. Je croise un jeune homme portant un T-shirt avec l'inscription: "Je suis musulman, pas de panique!".
En arrivant à l'auberge, j'informe le réceptionniste que j'ai l'intention de prendre une douche. Il me demande cinq minutes, le temps d'allumer le chauffe-eau. J'organise mes bagages pour le lendemain, prends une douche, puis déguste mon shawarma avec une bière. Comme c'est la traversée du lac St-Jean à Roberval, je tente de syntoniser la webdiffusion de l'événement, mais sans succès. Je pourrais faire une recherche pour identifier le peintre français qui a habité Tanger, mais je suis trop paresseux. Je lirai donc un peu avant de me coucher alors que les muezzins des trois mosquées des environs font une fois de plus l'appel à la prière.
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Photos: 1-Rue de Belgique: Mosquée et drapeau du Maroc. 2-Porte de la medina, entre la rue de la kasbah et la rue d'Italie. 3-Portique intérieur de Dar el Makhzen. 4-Promontoire rocheux, détroit et Atlantique. 5-Arche intérieur de St-Andrews, entouré de la prière chrétienne en arabe. 6-Mauritania Cinéma.
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Quelques autres photos:


Medina, où on retrouve étrangement plusieurs plaques indiquant les noms de rue (ici, rue Alexandre Dumas). je me demande à partir de quand dans l'histoire de Tanger on a abandonné cette bonne habitude.


Touristes (?), muraille extérieure de la kasbah.


Plancher en mosaïque récupéré de l'ancienne cité romaine de Volubilis. Dans le palais de Dar el Makhzen.


Tombeaux de l'époque carthaginoise.


Un des nombreux chats de la medina.


Grand Socco, un peu avant midi.


Église St-Andrews, avec son drapeau écossais.


La kasbah et le nord de la medina, avec le minaret de sa mosquée privée.
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