lundi 1 février 2010

Guatemala: La violence et le Canada (3)

[Note: Pour connaître le contexte de la publication de ce billet, je vous invite d'abord à lire le premier billet de cette série de trois. Le lecteur intéressé devrait aussi lire le second billet de la série avant de lire le présent article.
La raison principale de la publication de ce billet est d'informer les canadiens des agissements de leurs pairs et de leur gouvernement. Comme visiteur canadien au Guatemala, c'est le moins que je puisse faire.]

--
Pour éviter de faire croire que le cas de Goldcorp rapporté ici est unique dans l’industrie minière canadienne, ou unique au Guatemala, voici une seconde série de faits.
Cet article traite d’un des sujets d’actualités les plus chauds du Guatemala présentement. Alors qu’il était en préparation, l’édition du journal nationale La Prensa Libre du 29 janvier 2010, proposait deux articles sur la problématique des compagnies canadiennes au Guatemala, dont un qui faisait la Une du journal
Voici donc, une fois de plus, des faits.
--

Hudbay Minerals
Hudbay Minerals inc (Hudbay) est une compagnie canadienne fondée en 1996. Elle a adopté son nom actuel après une acquisition, en 2004. Son siège social était à Winnipeg, au Manitoba, mais a été déménagé à Toronto en 2008. Hudbay est cotée à la bourse de Toronto.
Selon son rapport financier annuel de 2008, Hudbay Minerals affiche un chiffre d’affaires de 982 millions de dollars. Pour la même année, Hudbay affiche un bénéfice net de 73 millions de dollars et un actif de 1,9 milliards de dollars (1).

La Mine de Nickel
Hudbay Minerals est propriétaire d’une filiale au Guatemala, qui s’appelle Compania Guatemalteca de Niquel (CGN). Cette filiale est propriétaire d’un permis pour opérer une mine au Guatemala.
Cette concession minière a été accordée à une première compagnie canadienne (INCO) en 1962, par un gouvernement de dictature militaire au pouvoir depuis le coup d’état commandité par la CIA en 1954.
INCO a fermé la mine pendant la guerre civile, et suite à des transactions et réorganisations corporatives, la concession a été acquise par Skye Ressources, en 1996.
Skye Ressources est une compagnie canadienne qui a été rachetée par Hudbay Minerals en 2008 (2).
La mine détenue par Compania Guatemalteca de Niquel est située à Las Nubes, département d’El Estor.

Les populations mayas d’El Estor contre Hudbay
En janvier 2007, alors que CGN est toujours détenue par Skye Resources, un ordre d’éviction est mis à exécution dans une petite communauté d’El Estor. Des centaines de maisons sont brûlées et les gens sont mis à la rue lors d’une opération qui contrevient aux lois et la constitution du Guatemala, dont la Loi sur la réconciliation qui a mis fin à la guerre civile.
La journée de l’éviction, des journalistes et photographes indépendant – dont le canadien Dawn Paley - documentent l’opération pour Rights Action et Mi Mundo (4).
En février de la même année, dans une lettre adressée à Kenneth Cook, ambassadeur du Canada au Guatemala et à Peter McKay, ministre des affaires étrangères, les reporters demandent à l’ambassadeur de se rétracter lorsqu’il affirme que les journalistes ont mentis sur les événements et que la relocalisation des populations s’est passé dans le calme et sans intervention armée. Les photos et vidéos prises lors de l’événement par les journalistes indépendants montrent des centaines d’officiels lourdement armés et mettant le feu aux maisons des paysans de cette communauté d’El Estor (4).

En septembre 2009, sans aucun ordre d’expropriation ni aucune des consultations publiques prévues à la loi guatémaltèque, une force de sécurité privée annonce l’évacuation des gens de Las Nubes, pour procéder aux opérations et agrandissements de la mine (3).
Le 23 septembre, la filiale de Hudbay fait construire un poste de garde en plein dans le village sans aucune autorisation municipale préalable. Le 25 septembre, la salle communautaire est détruite par ces forces de sécurité, qui utilisent des gaz lacrymogènes et des balles de caoutchouc contre les habitants qui protestent (3).
Le 27 septembre 2009, cinquante personnes armées regroupent les gens de la communauté. Devant les protestations des habitants, le chef de la force de sécurité privée de la compagnie ordonne d’ouvrir le feu sur les manifestants (5).
Plusieurs personnes se rendent sur les lieux après le début de la fusillade – dont des enseignants et des parents inquiets pour leurs enfants qui sont présents au village. Adolfo Ich Chaman, un leader communautaire respecté et impliqué pour la défense des terres et des droits des indigènes de sa communauté est parmi eux. Il assistait à une réunion pour organiser la reconstruction de la salle communautaire (3).
Il est attaqué à coup de machette puis tiré à bout portant dans la nuque par un agent de sécurité. On l’a arrêté et traîné à l’intérieur pour l’interroger. Plus tard en soirée, après le départ des hommes armés, le fils d’Adolfo le retrouve inconscient et le transporte vers sa maison. Il meurt de ses blessures par balle lors de son transport de fortune vers chez lui (3)(5).
Lors de ses funérailles, plus de 1000 personnes de 40 communautés de la région marchent dans les rues d’El Estor et réclament le départ de la compagnie canadienne de leur communauté et la démission du chef de police local (6).

La version officielle, rapportée par la police qui était présente lors de cette fusillade mais n'est pas intervenue, est celle annoncée par Hudbay dans un communiqué émis le 29 septembre 2009. La compagnie explique qu’il n’y a eu aucune éviction, mais des discussions avec des "occupants illégaux" des terres de la mine. Le communiqué mentionne que les protestataires ont attaqué le poste de police local puis volé des armes. On explique la mort de "l’un d’entre eux" résulte d’un projectile issu de la confrontation entre les manifestants eux-mêmes (9).
La station de police de Las Nubes est située à l’intérieur des bureaux de CGN, la filiale de Hudbay (3).
C’est cette version "officielle" qui est ensuite reprise par la Presse Canadienne (7) et par l’agence Reuters (8) et est diffusée comme telle dans les média de masse au Canada.
À Quetzaltenango, on peut plutôt lire: "Les médias anglophones de masse font les aveugles depuis longtemps sur ce qui se passe à El Estor. Leurs reportages facilitent les mensonges corporatifs" (11).

La semaine précédente, le 22 Septembre 2009, des représentants d’Amnistie Internationale visitaient El Estor pour enquêter sur les abus de CGN/HudBay et ils étaient accompagnés de Adolfo Ich lors de leur visite (3).
Quelques semaines auparavant, le 11 septembre 2009, se tenait une réunion communautaire publique au sujet de la mine (à laquelle Hudbay avait été invité mais ne s’est pas présenté), réunion qui devait aboutir à un communiqué officiel des communautés rejetant les projets miniers sur leurs terres. Pendant la réunion, Adolfo Ich avait pris la parole, se prononçant clairement contre la mine et disant: "Même si la compagnie me fait tuer, au moins, je serai mort pour une bonne cause, pour ce qui est juste" (3).

Rights Action rapporte: "Adolfo Ich est seulement le dernier d’une longue liste de Maya Quechi à avoir souffert des répressions, évictions forcées et assassinats au nom ou au bénéfice des compagnies minières canadiennes, incluant INCO, Skye Resources et maintenant Hudbay" (3).
L’organisme Canado-Américain est allé rencontrer les gens d’El Estor après la fusillade. Haroldo Culul a été blessé par balle lors de l’attaque: "Nous ne sommes que des pauvres paysans, pourquoi viennent-ils ici pour nous faire du mal? Pourquoi viennent-ils ici pour nous chasser violemment de nos maisons? Est-ce que les canadiens aimeraient être chassés de leurs maisons par des guatémaltèques? Je ne pense pas. Mais c’est ce qu’ils nous font: Les canadiens chassent les indigènes guatémaltèques de leurs propres terres" (3).
Dans un message lancé à tous les canadiens, Haroldo poursuit: "Pendant que vous êtes installés dans le confort de vos maisons dans votre pays, vous pensez peut-être que le Guatemala est un pays libre. Mais ce n’est pas un pays libre. Malheureusement, vous êtes venus ici pour nous kidnapper et nous tuer pour votre propre bénéfice" (3).
Angelica, la veuve d’Adolfo, maintenant sans aucune source de revenu pour elle et ses enfants: "C’est une honte ce qu’ils sont venus faire ici, directement du Canada. Une honte pour le Canada, de savoir que des canadiens sont impliqués dans des meurtres ici au Guatemala, laissant des familles dans le deuil, des enfants sans père. La vérité, c’est que c’est une honte. Ça devrait être analyse par le Premier Ministre du Canada et il devrait faire quelque chose contre ces agissements" (3).

Suite à ces événements, Amnistie internationale a demandé au gouvernement du Guatemala d’intervenir pour faire la lumière sur l’assassinat de Ich par la sécurité de CGN/Hudbay (10).

Le lendemain de l’assassinat de Adolfo Ich, soit le 28 septembre 2009, des hommes masqués et armés ont ouvert le feu sur un minibus où se trouvaient des enseignants indigènes d’El Estor en route vers Coban. Martin Choc, un leader communautaire est tué pendant l’attaque, neuf autres sont blessés (13).
Les reporters Dawn Paley et James Rodriguez rapportent l’événement comme la suite d’une longue série de crimes commis aux noms des compagnies minières canadiennes et des tensions que leur présence non désirée dans les communautés créent entre ces communauté et les forces de sécurité armées de ces compagnies (4)(11).

Les autres compagnies minières canadiennes
Une étude récente de l’industrie locale montre que le Guatemala comporte actuellement 75 permis d’exploitation minière. De ce nombre, 41% du capital investi dans ces mines provient d’entreprises canadiennes (14)(15).
Récemment, l’une d’elles, Firestone Venture, qui possède la mine d’El Torlon, à Chiantla, département de Huehuetanango, a annoncé ses projets d’exploration et exploitation (22).
Pourtant, des consultations publiques tenues selon les lois internationales et les lois du Guatemala - regroupant plus de 500 000 personnes de 28 communautés - ont rejeté les projets miniers dans leur communauté. 28 communautés sur 28 ont rejeté les projets d’exploration et exploitation minière de Firestone Venture (15).
La concession dont il est question avait été accordée à une compagnie locale en 1899 pour l’extraction de plomb, à l’époque (15). Elle appartenait toujours à une compagnie locale mais le ministère de l’énergie et des mines a confirmé qu’il s’occupe actuellement de son transfert à Firestone Venture (15).
La présidente de Firestone, Lori Walton, a déclaré ses intentions d’y extraire de l’or, du cuivre et du zinc, nonobstant les consultations publiques (22)(15).

Je mentionnais dans un article précédent le lourd passé conflictuel de la compagnie Goldcorp. Cette compagnie canadienne fait une fois de plus la manchette au Guatemala.
Des ingénieurs américains mandatés par l’UUSC (une ONG de défense des droits humains basée au Massachusetts) ont effectué des surveillances et des tests sur deux groupes de maisons, l’un situé à proximité de la mine Marlin de Goldcorp (de 33 maisons), l’autre situé plus loin (groupe témoin). Leur étude, étalée sur deux ans, conclut que les activités de la mines de Goldcorp sont responsables pour les dommages causées aux maisons endommagées. Le groupe d’ingénieur, composé d’ingénieurs civils, miniers, géotechniques et structurels, identifie particulièrement le trafic de poids lourds et les explosions à la mine comme étant les principales causes des dommages (16)(17).
Si Goldcorp fait la une, c’est que les médias du Guatemala rapportent un récent jugement de la Cour Suprême du Canada dans une cause de mines et d’études environnementales (19).
Goldcorp se dit préoccupée par ce jugement, puisque selon la compagnie, les opposants à ses projets ont manipulé l’information transmise`a la Cour Suprême du Canada (15).

Au Canada, donc
Ce jugement récent de la Cour Suprême du Canada stipule que le gouvernement Canadien a violé la Loi canadienne sur l’environnement. Dans le cas du projet minier de Red Chris en Colombie Britannique, la Cour a jugé que le gouvernement fédéral canadien n’avait pas le droit de morceler le projets en petits projets artificiels afin d’éviter les engagements à fournir des études environnementales complètes. Le jugement prévoit aussi que le public doit être consulté pour tout projet industriel majeur, incluant une mine d’exploitation de métal (19)(20).
Certains des intervenants dans la lutte contre les mines canadiennes au Guatemala espèrent que ce jugement canadien fera jurisprudence (au-delà des frontières du Canada), mais la plupart sont d’avis qu’il ne s’agit que d’un appui moral aux gens qui se battent ici contre la destruction de l’environnement par les mines canadiennes et leur non respect des lois du Guatemala (15).
La Cour Suprême du Canada n’avait pas à se prononcer sur les activités minières au Guatemala dans la cause entendue (19).

Au Parlement du Canada, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a prorogé les travaux de la chambre. Cette prorogation signifie peut-être que le projet de loi C-300 (voir détails au bas de l'article précédent) devra être repris depuis le début.
Sinon, il devra être révisé et présenté au Sénat pour approbation.
Le sénat canadien comporte actuellement une majorité brute de sénateurs conservateurs, suite à la nomination récente de sénateurs conservateurs par le gouvernement Harper, nomination qui se montent maintenant à 32 sénateurs conservateurs sur une période d'à peine plus d'un an. (sur 105 sièges au Sénat).
- 22 décembre 2008: 18 sénateurs conservateurs nommés (21)*.
- 27 août 2009: 9 sénateurs conservateurs nommés (21).
- 29 janvier 2010: 5 sénateurs conservateurs nommés (21).
* Radio-Canada rapporte alors: Le premier ministre Stephen Harper a envoyé lundi sa liste de 18 personnes qui combleront tous les sièges vacants au Sénat. Il s'agit du plus grand nombre de nominations à la Chambre haute depuis la Confédération, en 1867 (21).
Au bureau du Premier Ministre Harper, rien ne permet actuellement de savoir s'il a eu vent de l'appel de la veuve d'Adolfo Ich lui demandant d'intervenir (23).

Et encore vous?
Voilà donc des faits supplémentaires. Qui s'ajoutent à ceux dont j'ai fait part dans l'article précédent.
Qu’en ferez-vous, de tous ces faits?
Tiens, j'en ajoute un, qui ne sera une surprise pour personne: L’office d’investissement du Régime de Pension du Canada détient des actions de Hudbay Minerals pour un montant de 5 millions de dollars (18).
Pour le reste, voyez le chapitre qui vous est consacré dans l’article précédent sur le même sujet.
Je répète que sur une base personnelle, vous pouvez vous débarrasser des actions de Hudbay que vous avez peut-être dans vos placements ou dans vos REER et en profiter pour informer votre courtier qu’il contribue lui aussi aux activités de Hudbay.
Enfin, informez-vous de ce que pense votre député de ces dossiers. Et informez-vous également de ce que pensent les candidats lors des élections fédérales, avant de voter. Ce sont ces députés qui votent pour ou contre les lois comme la C-300, et ce sont ceux du gouvernement qui nomment les sénateurs qui approuvent ou non ces lois.
--
Références
(1) Données financières tirées des Rapports Annuels de Hudbay Minerals inc. www.hudbayminerals.com, consulté le 1 février 2010.
(2) Skye Ressources a été rebaptisé HMI Nickel depuis sa fondation. Information tirée du rapport annuel d’Hudbay Minerals inc.
(3) www.rightsaction.org, site consulté en décembre 2009 et janvier 2010.
(4) Mi Mundo – James Rodriguez, photo-reporter indépendant. www.mimundo.org, site consulté en décembre 2009 et janvier 2010.
(5) Guatemala Solidarity Network. www.guatemalasolidarity.org.uk, 6 octobre 2006.
(6) La Prensa Libre, édition du 29 septembre 2009.
(7) Tel que relaté dans le Winnipeg Free Press, édition du 30 septembre 2009.
(8) www.reuters.com, communiqué émis le 28 septembre 2009.
(9) Agence de conseils en placements Benzinga, 29 septembre 2009. L'agence se vante: "Benzinga combines industry expertise with superior technology to deliver critical information to decision makers".
(10) La Prensa Libre, édition du 14 octobre 2009.
(11) "Sangre por Niquel/Blood over Nickel", in Entremundos 49, novembre-décembre 2009.
(12) "Recent Killings Linked to Canadian-owned Nickel Mine in Guatemala", in Upside down world – Covering activism and politics in Latin America. 30 septembre 2009.
(13) La Prensa Libre, édition électronique, 28 septembre 2009.
(14) "Minera en Guate, una opportunidad para el desarollo" (Ma traduction: Mines au Guatemala, une opportunité pour le développement).
(15) La Prensa Libre, édition du 29 janvier 2010.
(16) Unitarian Universalis Service Comitee (UUSC): "Cracked Houses Around the Marlin Mine: Preliminary Investigation and Analysis of Building Damage in the Villages of Agel, El Salitre, San José Ixcaniche and San José Nueva Esperanza, San Miguel Ixtahuacán y Sipacapa Municipalities, San Marcos Departament, Guatemala."
(17) Comision pastoral Paz y Ecologia: Resistencia a la minera quimica de metales en Guatemala.
(18) Chiffres de mars 2009 rapportés par Rights Action (source: www.stockwatch.com).
(19) Jugement de la Cour suprême du Canada, dans la cause "Mines Alerte Canada c. Canada", 2010 CSC 2. No du greffe: 32797.
(20) Ecojustice, www.ecojustice.ca, site consulté le 1 février 2010.
(21) Reportages de Radio-Canada, les 22 décembre 2008, 28 août 2009 et 29 janvier 2010. Disponibles au www.radio-canada.ca
(22) Communiqué officiel de la compagnie, émis le 1 février 2010. www.firestoneventures.com, site consulté le 1 février 2010.
(23) www.pm.gc.ca/fra/default.asp, site consulté le 1 février 2010.
--
Photos.
1. Maison en flammes lors de l'éviction de citoyens d'El Estor. www.mimundo.org.
2. Bannière communautaire d'El Estor accusant CGN d'être l'auteur du meurtre d'Aldolfo Ich Chaman et répétant que 100% des communautés du département rejette les projets miniers de CGN. www.rightsaction.org.
3. Angelica, la veuve d'Adolfo Ich Chaman, devant une bannière mentionnant que son mari a été assassiné par la compagnie minière. www.mimundo.org.
--

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

L'Esprit Vagabond vous remercie de vous identifier (ou signer votre commentaire). Assumez vos opinions!
L'Esprit Vagabond est un blogue privé et ne publie pas de commentaires anonymes.