jeudi 28 novembre 2013

Chers lecteurs

Chers lecteurs
Cet automne, pour diverses raisons, je me suis posé bien des questions sur mes voyages et mes écrits. J'ai beau profiter de la vie, découvrir, voyager, apprendre, échanger... à quoi bon si ces activités ne laissent aucune trace, ne changent rien à rien? Si mes voyages en pays en développement, mes témoignages de l'impact de la vie dans notre pays sur ces populations ne changent en rien les habitudes de mes lecteurs, à quoi est-ce que ces témoignages et voyages servent-ils? Si les lecteurs de mes articles et billets sur les atrocités commises au Guatemala (par exemple) par les entreprises canadiennes, et le fait que ces atrocités ont été approuvées et encouragées par le gouvernement conservateur au grand complet (par un vote en chambre dont j'avais donné quelques détails d'ailleurs), si les lecteurs de ces billets-là continuent de voter pour ces gens, continuent d'investir dans ces entreprises, ne questionnent pas leur courtier, leur REER et leur fonds de pension, si ces lecteurs-là s'en fichent donc, à quoi est-ce que je sers?
Je donne l'exemple du Guatemala en ce qui concerne mes écrits sur ce blogue et ailleurs.
J'aurais aussi pu donner l'exemple de l'Équateur, où j'ai effectué mon premier projet de coopération internationale en 2004. Dans ce cas précis, je ne m'attendais ni à changer le monde d'ici, ni celui de là-bas, mais j'avais un peu d'espoir de contribuer à quelque chose, aussi minimale soit cette contribution, auprès des enfants de l'école, et de (peut-être) sensibiliser les gens de mon entourage face à ce qui se passe sur la terre à l'extérieur de leur petite bulle privilégiée.
Je ne pars pas en croisade contre le fait que nous sommes privilégiés, et certes, il y a relativement peu d'actions que nous puissions faire, individuellement, pour vraiment changer les choses, mais je donne parfois quelques pistes significatives, comme la surconsommation, le gaspillage, l'encouragement à des entreprises qui violent des droits humains ailleurs dans le monde, ou encore exploitent carrément les populations des pays pauvres.
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Une pensée qui résume mon questionnement
En un mot: Il me semble que ne pas agir pour nuire à autrui, ne pas agir pour faire souffrir autrui et ne pas agir pour (faire) tuer autrui, ce n'est pas demander la lune, quand même, non?
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Coopération et grands décideurs
Au cours des dix années qui se sont écoulées depuis mon projet en Équateur, je n'ai cessé de m'intéresser ou participer activement à des projets de coopération internationale, dont certains relevaient d'organismes très bien établis alors que d'autres relevaient de projets individuels. Dans bien des cas, la business de la coopération et l'attitude des gouvernements des pays industrialisés (surtout depuis le virage opéré par le Canada sous les conservateurs si on s'attarde à notre propre pays) m'ont fait réaliser à quel point ces efforts de coopération individuels étaient systématiquement détruits par ces grands décideurs.
Les entreprises transnationales ont (littéralement) les gouvernements dans leur poche – il n'y a qu'à regarder les dossiers des mines, des pétrolières, de la fiscalité et de l'environnement (entre autres), dans lesquels nos gouvernements fédéraux comme provinciaux s'inclinent automatiquement devant la grande industrie privée sans considération pour les citoyens, et sans même s'en cacher pour s'en convaincre. Cette toute puissance des transnationales boucle en quelque sorte cette boucle qui décourage bien des gens d'agir pour améliorer les choses. Un exemple parmi d'autres: Il y a un peu plus de 3 ans, alors que je m'intéressais à un groupe de jeunes coopérants oeuvrant sur un projet en Afrique de l'Ouest, quelques participants à ce projet me confiaient avoir rencontré, lors de la fête du Canada (chez l'ambassadeur), le consul et ses adjoints, ainsi que leurs très bons amis: les ingénieurs des minières canadiennes là-bas. Or ces minières sont reconnues pour leurs dommages à l'environnement dans de nombreux pays en développement, sans parler de la violence qui entoure souvent leur exploitation des richesses et des travailleurs, ou les morts qui surviennent sur une base régulière dans le monde en rapport avec la "protection" de leurs projets face aux manifestations des résidents des régions touchées. Que voulez-vous que signifie la présence de deux ou trois jeunes coopérants canadiens dans ce contexte où une grande entreprise canadienne elle aussi dévaste le territoire et viole les droits des population?
Aujourd'hui, un article du journal La Presse mentionne que le gouvernement du Canada ne se cache même plus pour mettre au service de ces entreprises criminelles les diplomates payés à même les fonds publics: «Tous les actifs diplomatiques du gouvernement du Canada seront conscrits au profit du secteur privé afin d'atteindre les objectifs établis dans les marchés clés à l'étranger» (je souligne). Est-ce cynique que de dire ici que c'est une information que je savais depuis 3 ans via le témoignage de mes amis coopérants? Est-ce cynique de dire ici que ces amis ne peuvent pas publiquement parler de ça puisqu'ils étaient sur un projet dont une partie des fonds provenaient de l'ACDI et qu'ils pourraient être poursuivis? Est-ce anormal de se remettre en question dans des cas comme celui-là? Est-ce anormal de trouver incroyable que cette information ne semble déranger personne à part moi et quelques autres coopérants/activistes au pays?
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Coopération individuelle
Pour vous dire la vérité, j'ai un projet de billet sur les limites de la coopération internationale individuelle en préparation depuis plus de trois ans, mais à chaque fois que je m'y attaque de nouveau, des éléments s'ajoutent et font que je devrais écrire un livre plutôt qu'un billet de blogue. Bien évidemment, aucun éditeur ne voudra publier un tel livre, compte tenu des pronostics de vente d'un sujet pareil - ou des pronostics de poursuites bâillons comme en ont été victimes les auteurs du livre Noir Canada sur les minières en Afrique, justement - mais ça vous donne une idée du fait que ce n'est pas d'hier que je me pose des questions sur l'effet de mes actions et de mes écrits.
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Ce blogue et mes retours au pays
On pourrait aussi ajouter que ce blogue lui-même me cause des inquiétudes, notamment depuis deux ou trois ans, justement, alors que sa partie « voyage » s'est lentement transformée, une transformation qui a favorisé les billets-photos-touristiques au détriment de la réflexion sur le dépaysement, la coopération et mon observation des autres cultures. Mon retour d'Espagne, dont le séjour a été abordé de cette manière sur ce blogue, a ajouté à ce malaise, en plus de contribuer au malaise plus général qui accompagne toujours un retour au pays en ce qui me concerne.
Je vais évoquer de nouveau mon séjour en Équateur en 2004, puisque je me souviens encore très clairement du sentiment éprouvé lors de mon retour au pays (rappel : j'avais passé près de 3 mois en Équateur, un premier séjour en pays en développement). L'étape du choc du retour a alors été caractérisée par une incrédulité face au gaspillage de ressources et aux plaintes inutiles des canadiens sur leur vie qui me paraissait tellement plus confortable et enviable que celle des gens du village de Lloa où j'avais enseigné pendant quelques mois. J'avais conservé pendant plusieurs mois une certaine agressivité envers les enfants d'ici, qui se montraient déçus, à Noël ou pour leur anniversaire, par exemple, de ne pas recevoir le dernier lecteur MP3 qu'ils avaient demandés. Il faut comprendre que j'avais vu pleurer la directrice-professeure de l'école de Lloa en apprenant que j'avais réussi à acheter des aiguisoirs individuels qui feraient en sorte que nos élèves ne se couperaient plus les doigts en tentant d'aiguiser leurs crayons avec le vieil x-acto de l'école. Ce genre d'expérience laisse des traces et si celles vécues en Équateur en 2004 ou ailleurs dans le monde par la suite allaient me définir, j'allais tenter de partager ces influences avec mon entourage et mes lecteurs via divers textes publiés pour l'essentiel ici-même.
J'avais espéré qu'au fil des ans, la relation de ce genre d'expériences aurait un impact (aussi minime soit-il) sur la réflexion des gens qui me liraient. Toutefois, j'ai été forcé de constater, texte après texte, billet après billet, dossier après dossier, voyage après voyage, que ces expériences n'avaient aucunement provoqué (ni même fait envisager) un changement chez les gens de mon entourage ou les lecteurs de ce blogue.
Ce constat a quelque chose de profondément décourageant.
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Marasme d'automne
C'est avec l'habituel sentiment maussade qui accompagne un retour au pays, donc, additionné de toutes ces interrogations sur mon implication en coopération et dans mes écrits, que ce contexte d'impuissance et de questionnement a accompagné mon automne. Je ne me suis même pas rendu compte ni quand ni comment j'ai décidé de faire une pause sur ce blogue.
Deux rencontres
Puis, aussi soudainement que la pause s'est imposée, ma rencontre avec Claude Villeneuve et Noam Chomsky a semblé me tirer de mes réflexions et me redonner lentement le goût de continuer mon parcours. Mes réflexions et mes tentatives de faire changer les choses, de faire réfléchir les gens des pays industrialisés sur l'importance et l'impact de leurs comportements ne serviront probablement à rien. Mais ne rien faire m'assurera que je ne servirai à rien. Face au pari de Pascal, je me dis donc que je n'ai rien à perdre à essayer, et qui sait si on n'y gagnera pas quelque chose, aussi minimal ce gain soit-il?
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La suite
Les prochains billets feront donc une sorte d'état des lieux, un état de ce blogue, après bientôt 10 ans d'existence en ligne. Puis, il sera question de mon prochain projet, Équateur 2014, directement relié à mon premier projet en Équateur en 2004, qui permettra de faire le point sur cet aspect important de ma vie, et de voir où ça me mènera par la suite.
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mercredi 27 novembre 2013

Quand deux scientifiques de renom vous disent la même chose à deux jours d'intervalle...

Dur automne pour l'Esprit Vagabond.
Vous aurez constaté la disette de billets - si on compare à mon habituel rythme de publication - sur ce blogue depuis quelques mois. J'ai évoqué le manque d'enthousiasme face aux politiques et politiciens de tous niveaux et face aux comportements sociaux qui ne semblent pas changer pour faire face aux problèmes qui nous envahissent (et s'aggravent de jour en jour), bref, l'impression que souvent, quand on veut s'impliquer un peu pour faire changer les choses, on prêche dans le désert ou en terrain déjà semi-conquis. À un moment, on se demande: À quoi bon?
Achille Talon aurait résumé ça en un mot: Bof!
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Puis, coup sur coup, en l'espace de deux jours, deux scientifiques de renom m'ont dit la même chose. Il faudrait peut-être que j'écoute le conseil et me remette un peu de mon désintérêt pour la chose publique de l'automne.
Ces deux scientifiques sont le linguiste américain Noam Chomsky et le biologiste et spécialiste des changements climatiques québécois Claude Villeneuve.
Rencontré par hasard au salon du livre de Montréal, Claude Villeneuve - qui a été mon professeur de biologie et écologie au Cégep! - vient de publier un essai intitulé "Est-il trop tard? Le point sur les changements climatiques". J'ai dit à Claude que j'admirais son optimisme (relatif) concernant la réaction encore possible à ce qui s'en vient, que je trouvais admirable de ne pas se décourager, baisser les bras, surtout quand on voit que le bateau de l'humanité fonce droit sur l'iceberg climatique dans l'indifférence la plus totale des dirigeants de nos pays (quand ils n'adoptent pas carrément une attitude de sabotage comme le fait le Canada).
Mon commentaire ne sortait pas de nulle part, puisque ma rencontre avec Claude, samedi dernier, coïncidait justement avec l'échec des discussions de Varsovie sur la question climatique. Claude, dont la conclusion du plus récent livre ne laisse aucun doute sur les bouleversements qui sont maintenant inévitables, demeure optimiste quand aux possibilités de "gérer l'inévitable", afin que l'on tente "d'éviter l'ingérable". Ainsi, son livre contient toute une série d'analyses scientifiques sur ce qui peut être encore fait, tout en reconnaissant que rien de concret ne sera probablement fait avant 2030, mais qu'il faut néanmoins continuer à élaborer des solutions.
À mon commentaire, Claude a répondu en disant que c'était la seule attitude possible à avoir dans les circonstances, que la seule alternative à ce positivisme relatif (qui cherche des solutions à moyen et long terme) était d'accepter que le pire ne survienne. Il faut espérer qu'on se réveille assez tôt pour pouvoir gérer ce qui se produira inévitablement, au lieu d'avoir à faire face à des crises majeures ou insurmontables. Quand on attend les crises, on règle des choses, mais énormément de gens souffrent et meurent, c'est ça qu'il faut tenter d'éviter. (Je paraphrase un peu, puisque j'écris de mémoire).
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Deux jours plus tard, je suis plongé dans un livre que j'ai acheté au salon, justement, au kiosque d'Écosociété, un éditeur québécois d'essais couvrant une large palette de sujets. Ce livre regroupe plusieurs entretiens avec le linguiste et activiste américain Noam Chomsky. Chomsky était de passage à Montréal il y a quelques semaines, et j'avais tenté d'avoir des places pour assister à sa conférence, mais malheureusement, quand j'ai appris sa présence ici, la conférence affichait déjà complet. C'est donc deux jours après mon court entretien avec Claude Villeneuve, que des propos similaires de Chomsky - tenus quinze ans plus tôt - me sont parvenus par la magie des livres.
L'intervieweur - le professeur et auteur québécois Normand Baillargeon - demande carrément à Chomsky comment il fait pour se montre encore relativement optimiste face à des situations politico-économiques aussi décourageantes que ce que l'on observe dans le monde depuis des années [rappel: ces situations se sont aggravées partout dans le monde dans les quinze ans écoulées depuis la tenue de cet interview (1)]. Chomsky répond ceci: "J'ai deux possibilités: la première est d'assumer qu'il est possible d'améliorer les choses, la seconde, qu'il n'y a rien à faire. À partir de là, c'est le pari de Pascal. Si j'opte pour la deuxième option, si je considère qu'on ne peut rien faire, alors on peut garantir que le pire va survenir. Si je fais le choix optimiste, alors peut-être que ça va changer. On ne sait rien d'autre." (2)
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Aussi bien me retrousser les manches et continuer...
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Références:
Est-il trop tard? Le point sur les changements climatiques, Claude Villeneuve, Multimondes, Québec, 2013.
Entretiens avec Chomsky, Normand Baillargeon et David Barsamian, seconde édition, Écosociété, Montréal, 2002.
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Notes:
(1) On parle ici en général des écarts de plus en plus importants entre riches et pauvres, de la dégradation constante des filets sociaux, de la concentration de la richesse, des impacts de ces politiques sur les changements climatiques, du recul démocratique (au sens du relatif contrôle des politiques étatiques par le peuple), etc.
(2) Le pari de Pascal: Tiré des Pensées du scientifique et philosophe français du 17e siècle Blaise Pascal, le pari de Pascal porte sur l'existence ou non de Dieu, mais on peut aussi en résumer l'argumentaire et l'utiliser à d'autres questions philosophiques (ce que fait ici Chomsky), par: "Si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien".

jeudi 21 novembre 2013

Passez me voir au salon!


Un mot d'auto-promotion pour vous informer de ma présence au Salon du Livre de Montréal, en tant qu'auteur.
Ce Samedi le 23 novembre 2013, je serai donc en séance de signature de 17h à 18h au kiosque des Éditions Alire, pour ma publication de la nouvelle L'injonction dans le numéro 48 de la revue de polar Alibis.
Le kiosque d'Alire est le 601, et il est situé au fond à gauche de la salle principale.
Au plaisir de vous y voir!
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